Les programmes 111 et 155 de la mission « Travail et emploi » voient cette année les crédits qui leur sont affectés diminuer. Le programme 111, consacré à l’amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail, enregistre ainsi une baisse de crédits de 7,9 millions d’euros. Je note également une diminution de 3,7 millions d’euros des crédits de l’action « Qualité et effectivité du droit » ainsi qu’une baisse de 1,35 million d’euros pour l’action « Santé et sécurité au travail » par rapport à 2013.
Je prends évidemment bonne note des explications avancées par le Gouvernement concernant la préparation des prochaines élections prud’homales et de la stabilité des crédits affectés tant à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail qu’à l’Agence pour l’amélioration des conditions de travail.
Il n’en reste pas moins vrai que cette baisse intervient dans deux domaines cruciaux pour l’avenir du marché de l’emploi. C’est la raison pour laquelle, convaincu du défi central que constitue la santé en milieu professionnel, j’ai choisi d’approfondir cet avis en travaillant sur le thème des addictions pendant le travail, addictions liées à la consommation d’alcool ou de substances psychoactives.
Dans ce domaine pèse en effet une sorte d’irresponsabilité collective. Chacun sait que le problème existe, mais brandit aussitôt des raisons de ne pas aller plus loin sur le sujet. Pourtant les risques sont lourds et les responsabilités en jeu importantes, quels que soient les acteurs en présence. Ainsi, la responsabilité civile et pénale de l’employeur peut être engagée en cas d’accident du travail en lien avec la consommation d’alcool ou de substances psychoactives, voire en l’absence d’accident du travail.
L’engagement de cette responsabilité repose sur l’obligation de sécurité de résultat très stricte qui incombe à l’employeur. Le salarié victime d’une addiction court évidemment un risque pour sa propre sécurité. Il fait également peser un risque sur la sécurité de ses collègues. Les sanctions, là encore, sont lourdes. Elles sont d’abord disciplinaires, allant parfois jusqu’au licenciement. Le salarié consommateur de substances psychoactives peut également voir sa responsabilité pénale engagée en cas d’accident. Qui plus est, la responsabilité pénale des collègues de travail peut aussi être engagée, par extension de l’obligation de sécurité, pour non-assistance à personne en danger.
Or, à ce jour, les moyens pour prévenir ou faire face à ce type de situations d’addictions sur le lieu de travail restent limités pour l’employeur qui, certes, dispose de l’outil du règlement intérieur de l’entreprise, mais dans un cadre juridique très contraint. Le code du travail autorise en effet certaines boissons alcoolisées sur le lieu de travail. Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil d’État est venue confirmer, fin 2012, l’impossibilité d’édicter, via le règlement intérieur, une interdiction totale de consommation d’alcool dans l’entreprise.
Les moyens sont également limités pour les salariés : le CHSCT n’a pas de compétence spécifique en la matière. En outre, le sujet reste délicat pour les représentants du personnel, dans la mesure où il relève à la fois du risque professionnel, de la liberté individuelle, de la confidentialité touchant à l’état de santé et bien entendu du risque disciplinaire.
Plusieurs pistes de travail restent toutefois à explorer pour renforcer l’action publique en matière d’addictions pendant le travail. Les services de santé au travail et le médecin du travail ont évidemment un rôle à remplir en termes de prévention : c’est l’une des missions que leur confère la loi du 20 juillet 2011. Dans ce cadre, l’action des médecins du travail devrait être davantage articulée avec celle des médecins traitants, mais aussi avec l’action des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
Par ailleurs, le document unique d’évaluation des risques est un outil qui, correctement renseigné, peut permettre une politique active de prévention des risques d’addictions. De même, il serait souhaitable que le règlement intérieur fixe obligatoirement la liste des postes dits de sûreté ou de sécurité dans l’entreprise, en associant à la détermination de cette liste les partenaires sociaux.
Enfin, il y a lieu de clarifier les conditions d’un recours au dépistage d’usage d’alcool ou de drogues en entreprise. S’il s’agit d’un acte médical, il est réalisé exclusivement par un médecin et ses résultats sont logiquement couverts par le secret médical. Dans ce contexte, il y a lieu de réfléchir au développement du recours à des tests comportementaux, à l’instar de ce qui se pratique ailleurs en Europe. Sur le fondement de ces tests, il peut être opportun de créer une forme de droit de retrait pour l’employeur, qui permettrait de prendre une mesure conservatoire d’urgence.