Intervention de Laurent Piermont

Réunion du 5 novembre 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité :

Je vous remercie de votre accueil.

Il y a un consensus sur l'enjeu de la biodiversité ainsi que sur son érosion – la France constitue, dit-on, le cinquième point chaud de la biodiversité mondiale –, ce qui est préoccupant compte tenu des relations entre les écosystèmes et les êtres humains. Cet enjeu a été réaffirmé à plusieurs reprises, notamment par le Président de la République et lors des dernières conférences environnementales – ce qui a donné lieu à la mise en place de la stratégie nationale pour la biodiversité.

Il s'agit de parvenir à concilier développement économique et respect des écosystèmes. Compte tenu de l'implication de nombre de ses métiers sur ce point et de l'expérience de ses filiales Société Forestière et Egis, la CDC a créé en 2006 la mission MEB afin de réfléchir aux actions possibles. Au-delà de sa contribution aux débats sur la biodiversité, elle a été la première en France – et je crois la seule pour l'instant – à signer la déclaration du capital naturel à Rio en 2012 ; elle a créé la filiale CDC Biodiversité et décidé de mettre en place une stratégie de la biodiversité pour l'ensemble de ses métiers.

La biodiversité constitue en effet un sujet transversal, dont tout le monde doit s'imprégner, et donner lieu à des opportunités d'activité économique et à des leviers de transformation pour les organisations, notamment dans les secteurs de l'énergie ou du numérique. Dans nos métiers financiers ou d'investisseur, d'aménageur ou touristiques, nous réfléchissons donc à l'introduction de critères dans ce domaine.

CDC Biodiversité, filiale à 100 % de la CDC, a été lancée sur une double idée : la seule protection de la nature a atteint ses limites, ce qui justifie une démarche nouvelle ; la question clé est d'intégrer la biodiversité dans l'économie et, pour cela, de faire financer l'action par ceux qui consomment, détruisent ou ont besoin de la biodiversité.

Trois catégories d'activités dépendent de la biodiversité. D'abord, les activités tributaires d'une ressource renouvelable, avec des solutions tournant autour de la préservation de l'écosystème générant celle-ci – il s'agit de l'agriculture, de la forêt ou de la pêche, c'est-à-dire aussi du textile, de la cosmétique, de la pharmacie, du bâtiment ou du bois. Deuxièmement, les activités qui ont besoin de détruire la nature : la ville et ses extensions – infrastructures autoroutières, aéroports, zones d'activité –, justifiant, selon nous, comme réponse durable la compensation et pas de perte nette. Enfin, les activités ayant besoin de la nature sans être obligées de la consommer ni de la détruire : le tourisme, la ville déjà existante qui se reconstruit ou les activités liées à l'eau par exemple – l'acteur ayant le choix entre des itinéraires favorables ou non à la biodiversité, comme pour l'aménagement d'une station de ski ou d'un espace de loisir. D'où le concept d'activité à biodiversité positive.

Le premier levier de CDC Biodiversité est la compensation. En effet, la loi de 1976 sur la protection de la nature et les réglementations suivantes reposent sur le principe « éviter – réduire – compenser », selon lequel, lorsqu'on aménage le territoire, on doit éviter au maximum de détruire, réduire ce que l'on n'a pas évité et compenser ce que l'on n'a pas réussi à réduire. Or il y avait un consensus pour dire que le volet compensation de cette loi était relativement mal appliqué : ce n'est pas seulement dû à la mauvaise volonté des maîtres d'ouvrage, mais aux véritables difficultés qu'ils rencontrent à cet égard. Nous avons donc créé cette filiale pour les aider à y remédier.

Nous proposons ainsi à un maître d'ouvrage soumis à des obligations de compensation de réaliser celles-ci pour son compte, moyennant rémunération, étant entendu que ces obligations sont proposées par lui dans le cadre de son dossier soumis notamment au Conseil national de protection de la nature (CNPN) et validées par l'État. Nous ne nous mêlons pas de décider ce qu'elles doivent être, ni si elles ont été réalisées.

Dans ce cadre, nous avons mené à bien une douzaine d'opérations significatives, la plus emblématique étant la compensation des impacts écologiques de l'autoroute Pau-Langon (A65), qui a été la plus importante jamais réalisée en France et en Europe, tant par les surfaces concernées que par le nombre d'espèces – soit une quarantaine, comme le Vespertilion à oreilles échancrées ou l'Agrion de Mercure, pour un ensemble de 1 450 hectares.

La leçon que l'on peut en tirer est que dès lors qu'une compensation est considérée comme acceptable par les pouvoirs publics, il est possible de la mettre en oeuvre – contrairement à ce que beaucoup disaient au moment où nous avons créé CDC Biodiversité.

Par ailleurs, nous avons engagé en Provence, dans la Plaine de Crau, en partenariat avec le ministère chargé de l'écologie, une expérimentation nous paraissant porteuse d'avenir, inspirée d'un dispositif d'offre de compensation appelée « mitigation banking », existant aux États-Unis depuis le début des années 1990. Il s'agit pour CDC Biodiversité d'acheter et de reconstituer 357 hectares du Coussoul, un espace naturel et biologique exceptionnel –, avec des espèces telles que le Lézard ocellé ou l'Outarde canepetière – et de s'engager à en assurer une gestion écologique durant 30 ans. La validation de son action par les services de l'État l'autorise à proposer le financement de celle-ci à des maîtres d'ouvrage soumis à des obligations de compensation équivalentes. Sur les 357 hectares – appelés unités de biodiversité pour montrer que nous ne cédions pas l'hectare en soi –, nous en avons vendu environ 120.

Cette opération ouvre la voie au financement des infrastructures écologiques dont notre pays a besoin. Lorsque par exemple un vison d'Europe veut survivre, il doit se déplacer le long de rivières afin de trouver un partenaire pour s'accoupler ; s'il doit traverser trois routes départementales, rencontrer des barrières et des pièges sur son passage, il n'a aucune chance d'y parvenir. D'autant qu'il réagit très mal aux agressions humaines : lorsqu'il entend le bruit d'une pelle hydraulique utilisée pour le drainage de fossés, au lieu de s'enfuir, il reste écrasé dans son terrier. Il faut donc lui aménager des infrastructures adaptées.

Dès que nous avons lancé cette opération, des critiques sont évidemment apparues sur le thème du droit à détruire. Mais elle a l'avantage considérable de permettre la réalisation d'actions écologiques cohérentes. Dans l'approche dite par la demande, où un maître d'ouvrage est soumis à une obligation de compensation, nous avons par exemple mis en place 3 hectares favorables au Damier de la succise, un papillon aquitain : il n'y a aucune raison que cette zone s'inscrive dans une quelconque trame verte, mais si nous faisons d'emblée une opération ayant une cohérence écologique, on évite tout mitage. La compensation a lieu avant la destruction et chacun peut en faire la vérification

Je voudrais terminer par quatre observations.

D'abord, s'agissant des modes d'intervention de CDC Biodiversité sur les terres agricoles, nous privilégions systématiquement la voie contractuelle, en rémunérant les agriculteurs pour qu'ils introduisent dans leurs modes de production des pratiques favorables à l'atteinte des objectifs écologiques. Cela évite la « double peine » souvent dénoncée par les syndicats agricoles et permet aux agriculteurs d'être acteurs de l'écologie.

Deuxièmement, nous recherchons dans nos actions la plus grande cohérence écologique. L'espace est unique : si on parle de biotopes et d'écosystèmes, on parle aussi en Europe de foncier, de cadastre et de propriété. Nous essayons donc d'inscrire nos infrastructures écologiques dans des projets de territoire définis par les élus, les experts, les professionnels et les associations.

Concernant la compensation, elle est une des conditions du développement durable dès lors que le principe « pas de perte nette » de biodiversité est respecté. Or il convient de privilégier une équivalence écologique – remplacer aussi bien que possible ce qui a été détruit – plutôt que financière – en faire payer la valeur. Seule la première a de l'avenir, même s'il est très difficile de l'établir, car c'est la seule façon de maintenir les écosystèmes.

En outre, nombre de maîtres d'ouvrage ne parviennent pas à remplir leurs obligations pour des raisons techniques ou financières, sans compter ceux qui disparaissent. Il nous semble donc que l'externalisation de l'obligation de compensation est un moyen d'assurer le développement de celle-ci.

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