Intervention de Laurent Piermont

Réunion du 5 novembre 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité :

Merci pour ces nombreuses questions intéressantes.

La CDC est dans ce domaine un apporteur de solutions, mais elle ne décide pas d'autoriser la destruction de telle richesse naturelle pour créer une infrastructure, ni des obligations de compensation du maître d'ouvrage, pas plus qu'elle n'intervient sur l'évaluation des actions – nous ne le souhaitons d'ailleurs pas. La décision revient aux pouvoirs publics.

Il est vrai que nous avons décidé jusqu'ici de ne pas intervenir dans les actions d'« éviter » et de « réduire » pour ne pas peser sur la décision de compensation.

Nous avons veillé à créer un modèle économique qui s'inscrive dans le dispositif légal et réglementaire actuel, à droit constant. Autrement dit, nous n'avons aucun privilège d'aucune sorte sur le marché. D'ailleurs, nos premiers concurrents sont les maîtres d'ouvrage eux-mêmes. Je crois beaucoup cependant à l'externalisation de cette compétence car, quand elle est opérée au profit d'un organisme sérieux, elle garantit que l'opération sera réalisée et maintenue sur le long terme.

Depuis 1816, la CDC gagne de l'argent. Nous nous inscrivons donc dans un modèle économique dans lequel les 15 millions d'euros de capital de départ seront rémunérés et donneront lieu à un bénéfice. Nous vendons des prestations de compensation et achetons des éléments tels que des prestations écologiques, des locations ou achats de terrain, des conventions avec les agriculteurs, que nous revendons avec une marge. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de créer une société commerciale – plutôt que de constituer un fonds ou de faire porter les compensations par la CDC. Le but est aussi que demain, d'autres sociétés du même type viennent nous concurrencer. Si je ne suis pas autorisé à vous donner les résultats financiers de notre société, sachez que nos « business models » sont parfaitement solides et à des niveaux de rentabilité compatibles avec ceux de la CDC.

S'agissant de l'opération dans la Plaine de Crau, il y avait au départ 50 000 hectares dans le Coussoul, sur un espace plat, ensoleillé, entre Marseille et Montpellier, réduit au début des années 1990 à 14 000 hectares. Les acteurs du territoire ont alors estimé qu'il fallait arrêter de détruire ce milieu, y recréer une vie sauvage et favoriser l'avifaune. Il y avait des vergers à haute production de brugnons et de pêches visant à produire dans des conditions permettant de peser dans les négociations avec la grande distribution ; l'un des deux est tombé en faillite – les arbres étant morts à la suite d'une maladie. On a fait appel à nous car cela créait une « dent creuse » et les outardes ne circulaient pas bien : il nous a donc été demandé d'acheter ce verger et de reconstituer la biodiversité, ce que nous avons fait, après nous être assurés de l'accord de toutes les parties prenantes. Cela était décisif, d'autant que le propriétaire de ce verger voulait développer une production massive de brugnons pour pouvoir peser dans les négociations avec les grandes surfaces.

Nous avons donc arraché les arbres morts, retiré les tuyaux d'irrigation, nivelé le terrain, évacué les arbres des haies brise-vent et, progressivement, avec des actions de génie écologique menées avec l'université d'Avignon, commencé à reconstituer l'espace naturel. Cela dit, je n'ai pas d'argument rationnel pour affirmer qu'il valait mieux favoriser l'installation de moutons plutôt que celle des brugnons. La seule façon d'agir était de s'inscrire dans un projet de territoire recueillant l'accord de la réserve naturelle de la Crau, de l'association du Conservatoire d'espaces naturels de Provence, de la chambre d'agriculture, du maire, de l'administration et de l'ensemble des acteurs. Nous avons apporté pour notre part la solution, c'est-à-dire notre capacité à acheter le terrain, à mobiliser des entreprises et à nous engager pour 30 ans – contre 60 ans pour l'A65 –, en vue de mener telle ou telle action écologique pour permettre la conservation de telle ou telle espèce.

Le génie écologique fonctionne donc, même si notre Coussoul n'est pas identique au Coussoul d'origine. Mais nous sommes dans une dynamique qui fait que, dans dix ans, il sera très difficile de distinguer les deux.

S'agissant du dispositif inspiré du système américain « mitigation banking », il fait l'objet d'une convention avec l'État, dans laquelle nous prenons un certain nombre d'engagements sur 30 ans. La première phase du travail est de s'engager dans une dynamique de réhabilitation écologique, qui donne lieu à une validation de l'État, laquelle nous donne le droit de proposer à des maîtres d'ouvrage devant, au titre de la décision du CNPN – qui n'a aucun rapport avec nous –, réhabiliter dans la durée telle superficie du Coussoul. Ils peuvent alors soit le faire eux-mêmes, soit nous demander de le faire à leur place, pour un coût de 39 000 euros l'hectare – le terrain restant notre propriété, ce qui nous permet de conserver le contrôle de l'opération. Sur un coût global de 12,5 millions d'euros, 5,5 millions correspondent à l'achat du terrain, 3,5 millions aux travaux écologiques et le solde à la gestion sur 30 ans.

Nous avons choisi d'actualiser le prix afin d'éviter de favoriser les maîtres d'ouvrage qui prennent rapidement leur décisison.

Par ailleurs, nous avons pris l'engagement pour qu'au bout de 30 ans, nous ayons trouvé une solution de type servitude écologique ou fondation – nous permettant de garantir la vocation écologique du terrain – ou remis le terrain à l'État ou tout organisme qu'il nous désignerait. La meilleure voie est de trouver une solution pérenne, faute de quoi la gestion pèserait sur le budget de l'État. On pense toujours que lorsqu'on a réalisé la sécurisation foncière, on a terminé le travail, alors qu'en vérité, celui-ci s'inscrit dans la durée. Dans la mesure où, depuis 1816, la CDC tient parole, lorsque je signe un contrat, je suis certain que dans 28 ou 30 ans, le suivi de l'opération continuera à être assuré. Nous sommes organisés à cette fin et disposons d'une équipe gérant le territoire, avec un dispositif calqué sur celui de la gestion forestière.

L'additionnalité écologique – c'est-à-dire par exemple le fait que tant de couples d'outardes peuvent vivre sur un territoire pendant une certaine durée – est créatrice de valeur. Or plus le terrain est dégradé au départ, plus cette additionnalité dans la réhabilitation est grande. C'est ainsi que l'on peut atteindre l'équivalence écologique.

Il est certain que l'on ne peut reconstituer un espace, mais il est non moins certain qu'une copie, si imparfaite soit-elle, est bien meilleure que pas de copie du tout. Car depuis 1976, l'aménagement du territoire se poursuit à grande vitesse, soulevant beaucoup d'oppositions, selon moi fondées, sans qu'il y ait la moindre compensation. Nous ne sommes pas là pour justifier la destruction de la nature mais pour que l'on respecte le principe « pas de perte nette ».

Cela étant, il y a une limite car l'espace est fini. La réponse est donc dans la restauration et la reconquête de terrains dégradés sur le plan écologique, même si ceux-ci produisent sans doute un résultat moins bon que la situation initiale. En effet, si on applique la logique selon laquelle la protection de 10 hectares exceptionnels sert de compensation à la destruction de 10 hectares exceptionnels, à la fin, il ne restera plus rien.

Il faut que nous soyons plus modestes dans nos attentes car la compensation est finalement un pis-aller. Nous devons donc concevoir des infrastructures qui consomment le moins de nature possible, sachant que nos concitoyens veulent aussi de l'activité et des emplois.

Ayant pour principe de nous inscrire dans les territoires tels qu'ils sont, nous avons créé une équipe de petite taille, avec un capital pouvant être augmenté. Notre organisation est faite en sorte que nous passons un contrat, utilisons nos moyens pour garantir la réalisation du projet et faisons travailler les acteurs de terrain, notamment les associations, les agriculteurs ou les forestiers – la contractualisation restant notre voie favorite.

Dans le cadre de l'A65, nous avons ainsi passé des conventions de partenariat avec la fédération de chasseurs et le Conservatoire d'espaces naturels d'Aquitaine. Dès qu'une association veut travailler avec nous, nous essayons de l'y encourager, avec pour idée sous-jacente d'aider à la professionnalisation du milieu. Si vous êtes une association vivant de subsides publics accordés d'année en année, vous avez une sécurité relativement faible, alors que si vous passez une convention avec une filiale de la CDC qui vous garantit 17 000 euros par an pendant 30 ans, cela vous permet de créer des contrats à durée indéterminée, de payer des salariés et de définir des plans de carrière. La réalisation de partenariats est donc importante.

Comme l'espace est unique, il faut le partager pour à la fois se développer et protéger la biodiversité. À cet égard, le bon concept est celui d'infrastructures écologiques s'inscrivant dans des projets de territoire permettant une activité économique et sociale.

Nous ne nous situons pas dans un marché de la biodiversité au sens de marchandisation de la nature, mais sommes des réparateurs de destruction d'espaces naturels. La différence avec le marché du carbone est que le maître d'ouvrage ne peut déléguer sa responsabilité environnementale : il n'y a pas d'échange possible de droits, ce qui est bien.

S'agissant de la loi en préparation, cinq idées me paraissent importantes.

La première tourne autour de la dynamique des écosystèmes. Beaucoup de gens ont une conception fixiste de la nature ou voient celle-ci comme un équilibre que l'homme viendrait perturber. D'autres ont une conception chaotique ou résiliente. Je pense pour ma part que les écosystèmes suivent des cycles et sont marqués par une dynamique et une interpénétration entre les différents éléments de la nature. Il faut donc se garder de toute décision fondée sur une conception fixe des choses, a fortiori compte tenu du changement climatique. Je plaide pour une agence de la biodiversité stratège, tenant compte de ces évolutions. L'enjeu repose sur les relations entre des systèmes humains compliqués et des systèmes naturels encore plus compliqués : 50 % des maladies identifiées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale auraient par exemple une origine écologique, liée à un désordre entre les hommes et la nature.

Deuxièmement, le Conseil d'analyse stratégique (CAS) a fait une étude remarquable sur la valeur des services rendus par les écosystèmes, qui aide les pouvoirs publics à faire des choix. Mais nous ne nous sommes pas inscrits dans cette logique, ni pour la compensation, ni pour l'ensemble de notre action : nous plaidons pour l'équivalence écologique, qui a certes des inconvénients, mais aussi beaucoup d'avantages – comme le fait de conserver un espace pour les outardes. Cela vaut mieux qu'une compensation financière.

Troisièmement, si le dispositif de compensation se met en place, il manque encore des outils. Il n'y pas par exemple de registre permettant de vérifier si un espace protégé est détruit par une nouvelle infrastructure : la seule solution me paraît être un registre comportant un géoréférencement.

Quatrièmement, il faut maintenir la responsabilité du maître d'ouvrage et, si celui-ci n'est pas en mesure de fournir des garanties, il faut qu'il externalise ce service. Je rappelle que beaucoup de maîtres d'ouvrage ne respectent pas la loi, volontairement ou non, et que certains disparaissent. Je plaide donc pour des mécanismes d'externalisation.

Cinquièmement, je suis en faveur d'une approche de compensation par l'offre, que nous appelons réserve d'actifs naturels – ce que nous appliquons dans la Crau. Le droit de détruire la nature est donné au maître d'ouvrage par le service de l'État instructeur. Notre premier client a été une zone d'activité liée à une petite ville de la région, Salon-de-Provence, le deuxième une plateforme logistique d'une grande enseigne commerciale, les troisième et quatrième une entreprise d'abattage et de conditionnement de viande de moutons de la Crau, et le cinquième la Société du pipeline sud-européen (SPSE), dont une conduite a éclaté à côté de chez nous : dans aucun de ces cas, notre opération n'a été le fait générateur.

Cette opération est cohérente et s'inscrit dans un projet de territoire décidé par les acteurs locaux : on a installé sur la zone deux éleveurs, créé des emplois et monté des bergeries dans le cadre d'un système de production agricole. Elle est donc très bien acceptée socialement. En outre, tout le monde a pu vérifier que la compensation a bien eu lieu avant la destruction. Cela a permis aussi de mutualiser les petits projets, les pouvoirs publics renonçant souvent à exiger des maîtres d'ouvrage une petite compensation qu'ils ne peuvent manifestement pas réaliser.

Quant à nos relations avec la future agence française de la biodiversité, nous sommes totalement ouverts : nous essayons d'aider les pouvoirs publics à satisfaire leurs besoins, sans chercher à nous substituer à eux.

Les outils économiques reposent sur tout ce qui consiste à créer un péage entre l'écosystème et le produit final permettant de financer la préservation de celui-ci : cela comprend ce qui a été négocié à Nagoya sous la rubrique « paiement des services écosystémiques » et ce qu'on appelle « Access and benefit sharing » – autrement dit l'accès libre et le partage des bénéfices de la biodiversité. Nous sommes dans ce domaine au stade de la réflexion. Mais ces outils ne sont pas la seule arme à utiliser en faveur de la biodiversité : il y a aussi l'arme réglementaire et celle de la subvention, bref tous les instruments dont l'État dispose.

L'idée de la MEB est de rechercher les leviers économiques permettant d'intégrer la biodiversité dans l'économie. Elle fait l'objet d'un budget de la CDC géré par CDC Biodiversité, finançant des recherches, des études ou des expérimentations présentant deux caractéristiques : permettre de déboucher sur des actions et inscrire celles-ci dans l'économie et la biodiversité.

Nous menons de fait une réflexion sur les toitures écosystémisées. Nous pensons que si on arrive à concevoir des toitures végétalisées en constituant des micro-écosystèmes fonctionnant par eux-mêmes – c'est-à-dire, idéalement, récupérant toute l'eau de pluie et n'ayant besoin ni d'irrigation, ni d'engrais, ni de pesticides –, nous pouvons rendre de véritables services à la ville. Une étude américaine parle à cet égard d'une baisse de température de six degrés, ce qui permet un gain sur le conditionnement de l'air et une amélioration du climat notamment. Nous travaillons donc avec le CNRS sur la conception de ce type de toitures. Je suis en revanche plus réservé sur les simples toitures végétalisées, qui peuvent être de mauvaises solutions écologiques.

De même, nous réfléchissons sur les récifs artificiels marins, en nous appuyant sur le concept de biodiversité positive. Imaginons que l'on sache concevoir des habitats artificiels marins qui augmentent la biodiversité marine, c'est-à-dire qui favorisent l'installation de coraux ou de poissons : on pourrait alors envisager de créer une valeur ajoutée en termes touristique ou de pêche. Nous travaillons avec la société Egis sur ce sujet, y compris sur les modèles permettant d'insérer ces habitats dans l'économie.

Madame Tallard, le fait que la France serait le cinquième point chaud de la biodiversité mondiale est évoqué dans un certain nombre de rapports publics, dont je vous communiquerai les références.

Si nous nous sommes interdits au départ d'intervenir sur « éviter » et « réduire », maintenant que nous sommes installés, il est évident qu'il faut prendre en compte ces objectifs en essayant de minimiser l'impact global sur les écosystèmes.

S'agissant des autoroutes sur pilotis, elles constituent évidemment une meilleure solution du point de vue de la biodiversité, mais elles posent un problème financier.

Quant au capital de 15 millions d'euros, il correspond aux fonds privés de la personne publique que constitue la CDC.

Par ailleurs, nous commençons à avoir des concurrents, ce dont nous nous félicitons.

Enfin, il convient de distinguer trois niveaux d'analyse. Premièrement, je crois qu'il faut que tout le monde se soucie de la biodiversité. Deuxièmement, celle-ci peut, selon moi, constituer une opportunité d'activité et de création d'emplois par des leviers tels que la compensation ou les services écosystémiques. Troisièmement, le changement de regard que nos concitoyens, les entreprises et les autres acteurs économiques peuvent porter sur leur activité en y intégrant la biodiversité est un moyen de transformation des organisations qui me paraît le plus porteur d'avenir. Si une société de construction d'autoroutes ne se vit plus comme un spécialiste du bitume et de la vitesse des voitures, mais comme un acteur du transport en toute sécurité, pleinement écologique, elle donnera une valeur plus grande à son métier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion