Intervention de Bruno Nestor Azerot

Séance en hémicycle du 12 novembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Engagements financiers de l'État ; remboursements et dégrèvements

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Nestor Azerot :

Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, cette mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » étant très large, nous ne pourrons pas aborder dans cette intervention l’ensemble des programmes concernés. Nous allons donc nous concentrer sur le programme 302 qui regroupe l’ensemble des activités de la direction générale des douanes et droits indirects.

L’analyse des chiffres prouve que les objectifs louables fixés par ce programme sont inatteignables. Rien d’étonnant à cela tant l’hémorragie qui touche les effectifs de la direction générale des douanes et droits indirects ne semble pouvoir être stoppée.

En effet, les états généraux de la douane qui se sont tenus au Conseil économique, social et environnemental le 18 septembre dernier ont dressé un état des lieux des plus alarmants. En cinq ans, la douane française a perdu près de 10 % de ses effectifs pour atteindre 16 500 agents. Elle en comptait plus de 21 500 en 1993. Certains départements français ne comptent même plus aucun service d’opérations commerciales alors même que la direction générale recouvre les missions de gestion de la fiscalité sur les produits énergétiques, la gestion de la fiscalité environnementale et des contributions indirectes comme l’alcool et le tabac, en complément de ses missions de douane. C’est le cas des départements de l’Orne et des Alpes-de-Haute-Provence et demain, dans le cadre du projet stratégique « Douane 2013-2018 », encore plus de départements devraient être touchés.

Ce projet de loi de finances maintient la norme drastique des suppressions d’emploi à la DGDDI, poursuivant la tendance qui s’est amplifiée à partir de l’année 2006 et accélérée à partir de l’année 2009.

C’est un contresens politique majeur à l’heure où le Gouvernement s’engage à lutter contre la fraude fiscale – texte que nous avons adopté il y a tout juste une semaine – et où il se fixe pour objectif de récupérer 2 milliards d’euros de fraude fiscale.

En fait, ce bleu budgétaire fait le choix d’un abandon de recettes pour l’État, à l’heure où le Gouvernement nous vante les vertus des économies budgétaires. La diminution de deux cent huit équivalents temps plein représente une perte sèche de recettes considérable. Le calcul est simple : en 2012 les perceptions douanières représentaient 67 946 millions d’euros pour 17 159 agents en activité, soit 3 959 millions par agent des douanes. Mais le pire semble à venir, puisque le projet stratégique « Douane 2013-2018 » devrait ramener les effectifs de 16 500 personnes aujourd’hui à moins de 14 000 en 2020.

Dans ce cadre, les objectifs du programme 302 ne seront pas atteignables. Comment lutter contre la grande fraude douanière, la criminalité organisée et protéger les entreprises et les consommateurs européens dans ce contexte – je parle ici de saisies de stupéfiants, de contrefaçon ou encore de protection du consommateur ? Comment renforcer la présence des agents sur le terrain alors que le maillage territorial est lui de moins en moins assuré ?

Les états généraux de la douane ont pourtant prouvé l’importance stratégique du maintien d’un service public douanier de qualité pour répondre à l’ensemble des attentes de la collectivité nationale en matière de protection des citoyens, de sécurisation des recettes publiques, de régulation du commerce international et d’action économique en faveur des entreprises.

Il faut le savoir : aujourd’hui seulement un produit sur dix mille entrants en Europe est contrôlé. Qu’en sera-t-il demain ? Les douaniers, en sous-effectif, peuvent de moins en moins faire face au phénoménal flux croissant de marchandises qui traverse en tous sens la planète. Cette rotation à grande vitesse, sans un service douanier digne de ce nom, favorise les trafics, les fraudes où la finance et la criminalité se mélangent. Le trafic d’espèces protégées, celui des déchets, celui de la contrefaçon prospèrent sur un laxisme de fait orchestré par des États dont les services publics sont affaiblis.

Outre-mer, le constat est plus cinglant encore. Aux Antilles, les personnels des douanes à qui l’on demande de lutter contre les narco-trafiquants américains et caribéens, contre l’immigration clandestine ou pour la prévention sanitaire et la défense des intérêts économiques, disposent de moyens terrestres, maritimes et aériens dérisoires. Cette administration travaille en flux tendus et obtient de brillants résultats grâce seulement à la disponibilité d’un personnel motivé.

Mais réduire encore les personnels ou les moyens, compte tenu de la spécificité éclatée des littoraux outre-mer, implique une réduction drastique de ses capacités d’action. Il faut donc arrêter cette politique de démantèlement de brigades, comme à Saint-Pierre ou Basse-Terre, qui désorganise les services et favorise la délinquance. Il faut aussi y mettre des fonctionnaires compétents, spécialistes, qui connaissent intimement les milieux et l’environnement. Cette problématique était celle préconisée par le Conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009, le CIOM. Elle est malheureusement abandonnée aujourd’hui.

Outre-mer, nous sommes proches du point de non-retour. En Martinique, les quatre navires ont disparu pour ne laisser exister que deux vedettes, d’ailleurs souvent inutilisables car non proportionnées aux besoins. Le parc d’aéronefs des douanes est lui aussi obsolète, les hélicoptères ayant plus de vingt ans d’âge. Quant au parc automobile, les douaniers ne disposent même pas de 4x4 appropriés en zone de montagne, ni de jumelles de vision nocturne, et sont équipés de gilets pare-balles d’un autre temps. Ils doivent utiliser leurs téléphones portables personnels, les dotations faisant défaut. En d’autres termes, si les réussites sont là, c’est grâce aux personnels, mais les moyens sont dérisoires par rapport aux enjeux. Il faut remédier à cette situation.

Aussi, Monsieur le ministre, parce que nous faisons le choix de la démocratie et non celui de la fraude, parce que nous faisons le choix d’un État solidaire et protecteur du peuple, nous voterons contre cette mission budgétaire. Nous ne pouvons, en effet, soutenir un budget qui confirme l’affaiblissement programmé des douanes et qui, par ricochet, justifierait le fait que nous ne nous donnions pas tous les moyens de combattre la fraude pour préférer l’augmentation des prélèvements ou la multiplication des mesures d’austérité.

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