Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, vous le savez, la presse écrite est engagée dans une spirale préoccupante. Les évolutions récentes montrent même une amplification de la crise qui laisse craindre les plus graves difficultés.
En tant que candidat à l’élection présidentielle, le Président de la République s’était, rappelons-le, engagé à « remettre totalement à plat les aides à la presse ». « Entendons-nous bien », avait-il précisé, « il ne s’agit pas de les remettre en cause, mais de mieux les cibler vers le lecteur citoyen. » Eh bien, ce projet de loi de finances pour 2014 ne fait-il pas l’exact contraire ?
Les aides à la presse subissent ainsi un recul spectaculaire de 27,6 %, passant de 395 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2013 à 285 millions d’euros dans le présent projet de loi. Le ciblage ne progresse aucunement, comme le montrent clairement les indicateurs. Certes, la fusion annoncée des trois sections du fonds stratégique constitue une mesure de simplification bienvenue, mais c’est là l’unique mesure de réforme proposée à l’issue d’une année de réflexion sur la « remise à plat » des aides à la presse.
La baisse des crédits touche en particulier l’aide au transport postal de la presse. La remise en cause du moratoire sur l’augmentation des tarifs postaux décidé en 2009 aura fatalement de très graves conséquences sur un secteur encore plus fragilisé qu’en 2009. Pour les titres ayant largement recours à La Poste et certaines familles de presse comme la presse spécialisée, qui ne peut être acheminée autrement que par voie postale, le choc sera particulièrement violent. Ajoutons que dans certaines zones, notamment les zones rurales, il n’y a pas d’alternative à La Poste. Bref, aucune entreprise ne pourra subir sans dommages le renchérissement brutal du coût de la distribution.
Je crains donc, madame la ministre, des contradictions d’une année sur l’autre.
L’année dernière, vous aviez inscrit la totalité des crédits de l’aide postale dans le programme « Presse » pour en accroître la lisibilité. Cette année, ces crédits, en diminution de 40 %, sont intégralement évacués vers la mission « Économie ». L’on ne peut que déplorer ce trompe-l’oeil. Je dis bien : ce trompe-l’oeil. S’il était d’Andrea Pozzo, évidemment, il me comblerait, mais c’est un trompe-l’oeil budgétaire, qui montre que les impératifs d’affichage du ministère l’ont emporté sur l’objectif de clarté de la politique de soutien à la presse.
Parallèlement au renchérissement du transport postal, on ne peut que regretter le recul du soutien au portage, alternative d’avenir au postage. En 2013, alors que le Président de la République s’était engagé à maintenir cette aide cruciale à 37,6 millions d’euros jusqu’en 2015, elle a été ramenée à 28,3 millions, après des mesures de gel budgétaire. C’est une diminution de 37 % par rapport à 2012.
Vous présentez l’accompagnement de la mutation numérique comme une priorité, mais la presse en ligne reste pénalisée par l’application d’une TVA de 19,6 %, qui passera à 20 % à compter de janvier prochain. Ne faut-il pas remédier au plus vite à une situation qui est en train de devenir intenable ? Vous avez, madame la ministre, pris des engagements en ce sens ; acceptons-en l’augure.
Enfin, alors que le fonds stratégique pour le développement de la presse, principale aide à la modernisation, est également présenté comme une priorité budgétaire, 35,8 % de ses crédits sont gelés en 2013, et son montant baisse de plus de 20 % en deux ans pour être ramené à quelque 30 millions d’euros.
Quant à la presse quotidienne régionale, sur laquelle M. Salles a souhaité faire le point dans le cadre de cet avis, elle traverse, malgré les atouts dont elle dispose, une crise profonde, qui s’est aggravée au cours des deux dernières années. Entre 2004 et 2012, sa diffusion a perdu 800 000 exemplaires imprimés, l’équivalent du tirage de Ouest-France, et l’érosion s’accélère depuis 2012. Son chiffre d’affaires publicitaire a lui-même diminué de 21 % depuis 2007. Or, le rapport de Rudy Salles le montre de manière frappante, le système des aides à la presse n’est pas du tout favorable à la presse quotidienne régionale, dont les titres diffusés se révèlent notamment moins soutenus que les magazines de télévision. Les aides à la distribution semblent attribuées d’une manière pour le moins peu lisible. En 2012, La Poste a bénéficié d’une compensation d’environ 40 millions d’euros pour diffuser 10 % de la presse quotidienne régionale, alors que celle-ci percevait, pour 50 % de sa diffusion, une aide au portage de 30 millions d’euros. L’aide au transport postal représente donc en moyenne 24 centimes par exemplaire, contre 5 centimes pour l’aide au portage, considéré comme mode de diffusion d’avenir.
C’est pourquoi nous appelons de nos voeux une politique plus neutre en lieu et place de l’actuelle politique de soutien spécifique à chaque mode de diffusion. Elle pourrait prendre la forme d’une aide unique et globale à l’exemplaire diffusé, laissant les entreprises de presse libres de choisir le mode de diffusion le plus adapté à leurs besoins. Cette option n’étant pas retenue pour l’instant, il convient à court terme de veiller, à tout le moins, à ce que le calcul de l’aide au portage n’aggrave pas les défauts du système. Ces écarts considérables du montant de l’aide à l’exemplaire porté résultent notamment de la valorisation excessive du flux et de la prise en considération du portage de journaux par paquets. C’est pourquoi, madame la ministre, je vous invite à veiller à l’équité de la répartition de l’aide au portage en ne complexifiant pas ses modalités de calcul et en maintenant un équilibre acceptable entre le soutien au flux et le soutien au stock.
Pour ces raisons, nous émettons un avis défavorable sur les crédits de la mission « Médias, livres et industries culturelles ».