Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 12 novembre 2013 à 21h30
Loi de finances pour 2014 — Écologie développement et mobilité durables

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin, rapporteure spéciale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :

Madame la présidente, messieurs les ministres, messieurs les présidents de commission, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le programme 205 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » bénéficiera en 2014 de 194 millions d’euros en crédits de paiement et de 193 millions d’euros en autorisations d’engagement, ce qui est un montant stable par rapport à l’année dernière.

En comparaison de certaines politiques publiques pesant plusieurs milliards d’euros, l’enjeu du présent programme peut paraître minime. Or, ainsi que je l’ai affirmé en commission, il faut bien rappeler l’importance de ce programme en termes d’administration de la mer et des activités maritimes. Si le budget est petit, il sert l’ambition d’une grande politique de la mer.

Concrètement, ces 194 millions d’euros permettent de former chaque année une centaine d’officiers de la marine marchande, autant de membres d’équipage et de marins à la pêche d’un niveau dont l’excellence est reconnue internationalement. Ils permettent le fonctionnement des seize centres de sécurité des navires français, qui ont pour but d’éviter des catastrophes comme l’Erika, le Prestige ou le Costa Concordia. Ils permettent aux cinq centres de surveillance de coordonner chaque jour le sauvetage des vies de nos concitoyens professionnels ou simples plaisanciers. Ils permettent à la France de maintenir à niveau les moyens nautiques nécessaires au contrôle des activités maritimes. Ils permettent à notre pays de soutenir sa marine de commerce face à la concurrence internationale. Ils permettent d’assurer le fonctionnement des services déconcentrés des affaires maritimes. Enfin, c’est grâce aux crédits de ce programme 205 que la France aide ses entreprises de pêche et d’aquaculture en les accompagnant pour faire face aux mutations auxquelles elles sont confrontées – baisse du niveau de la ressource, coût élevé des carburants, crises sanitaires, évolution des réglementations –, et ce en complément des fonds européens.

Depuis la fusion en un seul programme des crédits accordés à la pêche et à l’aquaculture d’une part, à la sécurité et aux affaires maritimes d’autre part, le programme 205 offre une vision élargie de l’effort budgétaire mené par le pays en direction du monde maritime. Cependant, à l’heure actuelle, messieurs les ministres, il reste très difficile, pour les parlementaires et plus encore pour nos concitoyens, de connaître avec précision l’effort du pays en direction de ces politiques publiques.

Cette question de la lisibilité des crédits engagés en faveur du maritime est cruciale. Je reconnais qu’il n’est pas simple de définir précisément les contours de ce qu’il convient d’appeler la « politique maritime de la France ». C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous le répète, je souhaite qu’avec vos services nous puissions créer un document de politique transversale pour la présentation du prochain projet de loi de finances. Nous devrions en avoir le temps.

Outre cette clarification budgétaire, je souhaite insister tout particulièrement sur le volet pilotage de notre politique maritime. Quelle gouvernance offrons-nous à notre ambition maritime, ambition que vous avez réaffirmée, monsieur le ministre, lors de la commission élargie de la semaine dernière ? J’ai bien pris connaissance des propos que vous avez tenus à cette occasion. Vous avez de nouveau fait référence aux nombreux rapports à paraître et aux missions en cours, sur la compétitivité ou sur le portuaire, par exemple.

Mais nous ne pouvons plus nous contenter de l’attentisme dans lequel nous nous trouvons – attente des conclusions d’une mission, attente de la réunion du comité interministériel de la mer, attente des états généraux de l’enseignement maritime ou encore attente de l’élaboration d’une stratégie nationale. Or les problèmes et les enjeux sont connus et vous les connaissez bien vous-même, monsieur le ministre.

Cet attentisme dans lequel nous sommes enlisés depuis un bon nombre d’années nous conduit trop souvent à agir en réaction à l’urgence ou à l’actualité. Notre gouvernance et nos ambitions sont donc aujourd’hui bien trop minimalistes. Elles se limitent à sauvegarder l’existant et, éventuellement, à colmater les brèches. La politique maritime doit au contraire rimer avec puissance, dynamisme et volonté de conquérir des marchés et des secteurs, de développer l’emploi et les industries françaises. La concurrence est à nos portes, y compris entre pays de l’Union européenne. Or les exemples étrangers montrent qu’une autre ambition est possible.

L’inertie de l’État français est ainsi flagrante lorsque l’on considère l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Ce pays vient d’autoriser la modernisation des structures de pêche de sa province de Terre-Neuve pour un montant de 400 millions de dollars. Ce soutien financier devra permettre à l’industrie de profiter pleinement de l’accord : la suppression des droits de douane sur les produits aquatiques profitera au homard canadien et aux noix de Saint-Jacques d’outre-Atlantique, au détriment des produits bretons, par exemple, comme nous l’expliquait Le Marin il y a quelques jours. Voilà le type de décision et d’engagement politique fort dont la France a besoin. À défaut, le risque est grand de devoir encore une fois intervenir a posteriori sur des secteurs ravagés par la concurrence étrangère, à coup de subventions étatiques ou, pire, de plans sociaux dramatiques. Ne pourrait-on pas, pour une fois, faire preuve d’un minimum d’anticipation et adopter une vision qui excède le cadre temporel des mandats des uns et des autres ?

Pour finir, je tiens à rappeler les principales alertes pour le monde maritime, dont je fais état dans mon rapport.

Il faut fixer un horizon, donner un cap à l’enseignement maritime supérieur qui navigue actuellement dans le brouillard. La création de classes de BTS maritimes, même si je m’en félicite, ne résoudra pas le problème de la spécialisation des sites et de la mise en cohérence des projets immobiliers.

Il faut un arbitrage politique sur la baisse du coût du travail pour les armateurs soumis à une concurrence internationale, sur l’élaboration d’une réglementation relative à la présence de gardes armés à bord des navires français transitant en zone de piraterie et sur la réforme de la loi de 1992.

En ce qui concerne justement, messieurs les ministres, la réforme de la loi de 1992, je reste particulièrement préoccupée par le choix que fera le Gouvernement entre, d’une part, les intérêts de l’industrie pétrolière et, d’autre part, la sauvegarde de notre indépendance énergétique – je pense aux stocks stratégiques –, le maintien d’une filière d’excellence française en termes de formation et de compétences…

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