Je ne suis pas l'avocat de Goodyear depuis 2007. J'ai d'abord été extérieur au dossier, que j'ai découvert en mai 2011.
En février 2011, alors que Goodyear avait réengagé sa procédure d'information et consultation sur la fermeture de l'activité tourisme et sur la cession de l'activité agricole à Titan, le TGI de Nanterre avait considéré que les informations fournies par Goodyear sur le projet de Titan étaient insuffisantes.
En prenant connaissance du conflit, qui existait depuis trois ans, j'ai été frappé par sa violence. Je n'avais jamais connu de climat social aussi dégradé. Les procès-verbaux des réunions du comité d'établissement à Amiens-Nord mentionnent des insultes d'une extrême grossièreté, qui témoignent du désir d'avilir les dirigeants.
Des décisions judiciaires avaient déjà été rendues. Il en ressortait que, puisque Goodyear avait formé depuis des années le projet de fermer l'activité de tourisme et souhaitait, depuis mai 2009, se désengager de l'agricole, la consultation devait être entreprise sur les deux sujets en même temps. Autrement dit, le projet de fermeture de l'activité tourisme était conditionné à la consultation sur le projet Titan.
En mai 2011, quand Goodyear, après avoir transmis les informations fournies par Titan, m'a demandé conseil, je leur ai suggéré d'obtenir du repreneur potentiel des garanties et des précisions supplémentaires et de ne pas séparer, dans la consultation que nous menions auprès des instances représentatives du personnel, le tourisme et l'agricole. Nous démentirions ainsi l'organisation syndicale majoritaire qui accusait implicitement Goodyear de dissimuler l'abandon global du site, en renonçant à l'activité tourisme et en sous-traitant la fermeture de l'agricole à Titan.
Les discussions ont été difficiles avec Titan, qui a néanmoins précisé son plan de développement et consenti une garantie d'emploi sur deux ans. Je ne conteste pas qu'en cas de non-respect, celle-ci se serait résolue par le versement de dommages et intérêts, mais aucun groupe n'a envie d'en verser. Quoi qu'il en soit, c'est le maximum que nous ayons obtenu. Nous avons alors relancé une procédure d'information et consultation.
Celle-ci s'est à nouveau déroulée dans un climat invraisemblable. Lors de la première réunion, en juillet 2011, l'organisation syndicale majoritaire a décidé de s'en aller, sans doute à la suite d'un mauvais calcul. Le représentant de la CGC, lui, est resté, et le comité d'entreprise a choisi de désigner, pour le représenter, le cabinet Secafi. Celui-ci qui, pour avoir été médiateur, connaissait parfaitement le dossier, a considéré que ce que nous avions obtenu de Titan n'était pas rien. Par la suite, la CGT, qui n'a plus jamais voulu travailler avec ce cabinet, a assigné la direction en référé, en contestant la validité de la résolution qui avait désigné Secafi pour représenter le comité d'entreprise.
La veille de l'audience, selon un procédé qu'affectionne mon contradicteur, la CGT a ajouté une nouvelle argumentation : elle ne pouvait accepter un engagement de deux ans – assimilé à une décision de fermer l'établissement dans deux ans – et trouvait le plan de développement insuffisamment précis. La présidente du tribunal a considéré que la désignation de Secafi était valide, mais jugé le plan de développement trop peu détaillé et le délai de deux ans prévu pour le maintien de l'emploi trop court.
Le plan social n'a pas été annulé pour autant, mais la promesse d'achat de Titan expirait dans les quinze jours. Or celui-ci, qui ne s'était engagé pour deux ans qu'à contrecoeur, ne souhaitait pas aller plus loin. Dès lors, en décembre 2011, il n'y avait plus de projet. Les pouvoirs publics qui, comme Goodyear, avaient en ligne de mire la possibilité de sauver 577 emplois, ont pris l'initiative d'organiser de nouvelles réunions avec la CGT, Titan et Goodyear.
En février 2012, une réunion initialement prévue au ministère, s'est finalement tenue à Amiens, en présence des représentants de Titan, qui étaient venus en Europe. Nous nous sommes retrouvés à Amiens à dix heures du soir. À l'issue de la réunion, à laquelle Titan nous a demandé de ne pas participer, nous avions compris qu'un accord avait été trouvé avec la CGT.
Par la suite, la CGT a demandé des engagements écrits. Titan a refusé, ce qui ne m'a pas surpris, puisque j'avais moi-même tenté d'obtenir de lui le maximum. Néanmoins, le dialogue s'est renoué avec la CGT. Puisque Titan réclamait un accord entre nous et la CGT et que la CGT refusait d'avancer tant que le problème de Goodyear ne serait pas réglé, j'ai proposé la mise en place d'un plan de départ volontaire (PDV). Ne pouvant mener deux discussions en parallèle, d'autant que la culture de Titan et celle de la CGT sont difficilement conciliables, nous avons proposé un PDV et de suspendre les discussions avec Titan. Après trois ou quatre ans de procédure, beaucoup de salariés se sentaient découragés et souhaitaient rapidement se consacrer à un projet d'avenir.
La négociation sur le PDV a duré jusqu'en juin 2012. La CGT a obtenu gain de cause sur tous les plans. Le dispositif était audacieux. Il consistait à faire décroître l'activité de tourisme grâce aux départs volontaires, pour que, le moment venu, les salariés qui voulaient rester soient affectés dans le secteur de l'agricole, qui pourrait alors être cédé. Il était logique que Titan, spécialiste de l'agricole, n'ait pas voulu reprendre une usine en partie consacrée au tourisme. Le déclin progressif de ce secteur constituait une avancée considérable. Par ailleurs, les compensations financières étaient avantageuses.
Nous pensions signer l'accord fin juillet, après quoi, ayant avancé sur le PDV, nous pourrions aborder la question de l'agraire et le cas des salariés qui rejoindraient Titan. Or, au moment de signer, alors même que nous avions engagé la procédure de consultation du comité central d'entreprise (CCE), l'organisation syndicale majoritaire a annoncé qu'elle demandait au repreneur potentiel des garanties d'emploi. Nous étions convaincus qu'elle ne les obtiendrait pas, quels que soient les contacts que Me Rilov se vantait d'avoir avec des avocats américains.
Nous sommes convenus de nous retrouver début septembre. Fin août, Titan a refusé de prendre de nouveaux engagements. Malgré ce refus, nous sommes revenus vers les organisations syndicales, car nous avions trop travaillé sur le dossier du PDV pour renoncer. Nous avions réussi, notamment en renonçant à des actions pénales à l'égard du délégué de la CGT, à créer un climat de discussion serein. Nous avons examiné alors la situation des salariés. Celle des plus « chanceux » qui bénéficieraient du plan de départ volontaire et celle de ceux qui iraient dans l'agraire et qui seraient repris par Titan. Ils seraient paradoxalement moins bien lotis, puisqu'ils ne toucheraient pas de gros chèque et entreraient, au-delà de deux ans, dans un secteur aléatoire.
Goodyear a alors imaginé une garantie d'indemnisation au cas où le contrat de travail des salariés de Titan serait rompu avant une certaine période. Mme Pernette y a fait allusion en mentionnant le délai de quatre ans et demi à cinq ans. Alors que nous pensions avoir fait tout le chemin, on nous a accusés de jouer les prestidigitateurs, au motif que nous proposions un accord de méthode, qui ne peut exister en l'absence de plan social.
L'argument ne tient pas. Les versions de juin et de septembre sont toutes deux présentées comme des accords de méthode. Je vous les remets pour que vous puissiez vérifier. Le suivi de la procédure de consultation est prévu, en cas de licenciement économique collectif, conformément à la loi et à la jurisprudence qui remonte à l'amendement Mandon de 1991. Le caractère fallacieux de l'argument m'a fait comprendre que le dialogue était cassé. En outre, les exigences relatives à la durée augmentaient au lieu de se réduire, ce qui est contraire à l'évolution normale des négociations, surtout quand on approche du but. Il était manifestement temps d'arrêter.
Les discussions entre la CGT et Titan étaient cependant plus avancées que je ne le pensais. J'ai notamment découvert, dans le cadre des contentieux initiés en mai, une pièce, qui porte le tampon Rilov, preuve qu'elle a été communiquée par mon confrère, établissant que, contrairement à ce que disposait la version française, dans laquelle les chiffres étaient remplacés par XXX, la version proposée par la CGT en langue anglaise transmise à Titan portait sur une durée d'engagement de sept ans et sur le maintien à Amiens d'une activité de 80 % de l'activité européenne du groupe.
Nous étions fin 2012. Le projet de fermer le tourisme remontait à 2009 et aucune solution ne se présentait pour l'agricole. Dès lors, il ne restait plus qu'à engager une procédure d'information et consultation sur la fermeture de l'ensemble. Sur mon conseil, Goodyear a rédigé un document expliquant les raisons économiques de son projet. Le dossier économique se situe non à l'échelon d'Amiens-Nord mais au niveau du groupe, conformément à la jurisprudence, et se fonde tant sur la sauvegarde de la compétitivité dans le secteur du tourisme que sur la situation de l'agricole.
C'est un contresens de penser que le site a été démantelé pour justifier une fermeture. Dès 2007, un document intitulé Bâtissons ensemble l'avenir du complexe d'Amiens détaillait la situation d'Amiens-Nord, au vu de l'évolution du secteur : difficultés rencontrées par Goodyear, qui a frôlé la faillite en 2000, manque d'investissements et nécessité de procéder à des investissements supplémentaires, pour créer le complexe unique alors en projet. Sa rédaction est extrêmement précise : le secteur du tourisme baisse en volume et, si le groupe ne se positionne pas sur un secteur à haute valeur ajoutée, il ne s'en sortira pas. Je vous engage à lire ce texte, ainsi que le compte rendu de la réunion au cours de laquelle il a été présenté.
Une des contreparties à l'investissement de 50 millions envisagée était le passage aux 4x8, dispositif qui n'est pas illégal et qui est à l'oeuvre dans tout le groupe. On ne pouvait pas mieux convaincre le groupe d'investir qu'en lui proposant un système qui fonctionnait partout. Amiens-Sud a accepté. Le document économique que j'ai cité constate en effet l'évolution respective des pneus à basse et à forte valeur ajoutée.
On se lamente qu'après cinq ans de consultation sur un projet de fermeture du tourisme, il n'y ait eu aucun investissement. Le contraire eût été étonnant, puisque, depuis juin 2009, Goodyear pensait achever dans les six prochains mois le processus de consultation sur la fermeture du secteur. Ce n'était pas le moment d'investir. En revanche, des sommes considérables ont été dépensées en investissement de maintenance, environ 60 millions d'euros.
En janvier 2013, nous avons aussi prévu un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui n'a suscité aucune remarque de l'administration. Nous avons naturellement cherché, comme la loi le prévoit, des postes de reclassement en Amérique latine ou en Asie, même si les salariés d'Amiens-Nord n'allaient probablement pas se repositionner au Brésil. Nous avons avant tout cherché à aider les salariés, en leur offrant un accompagnement bien supérieur à celui du PDV. Nous avons basculé une part de son budget vers l'accompagnement et la formation, tout en prévoyant des indemnités non négligeables. Avec les différentes indemnités, le niveau de rémunération des salariés va être assuré pendant trois ou quatre ans, voire plus, si l'on inclut des indemnités de chômage, pendant cinq ou six ans.
L'enjeu essentiel est devenu le reclassement. Des cabinets spécialisés ont établi une carte des métiers présents sur le site et des emplois en tension dans la région amiénoise, afin d'imaginer des passerelles de formation. Non seulement, depuis neuf mois, Goodyear n'a pas pu ouvrir un débat constructif, mais il a été l'objet d'un harcèlement judiciaire. À chaque réunion, on lui a opposé la politique de la chaise vide ou lancé des insultes.
Si, en octobre 2011, j'étais déçu qu'un jugement nous ait été partiellement défavorable, je me réjouis que, depuis lors, toutes les procédures judiciaires, une dizaine en tout, nous aient donné raison. Nous n'en sommes pas sortis pour autant. Des décisions ont fait l'objet d'un appel. Hier, j'ai appris l'existence d'un nouveau référé concernant le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de Riom. La manoeuvre est claire : le CHSCT ne pourra donner son avis avant l'aboutissement de cette nouvelle action en justice. Goodyear a déjà attendu beaucoup de décisions pour pouvoir clore le processus d'information et consultation, mais tous les juges des référés ont constaté l'absence de trouble manifestement illicite.