Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 29 octobre 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires :

S'agissant des flux migratoires, nous sommes confrontés à une situation ponctuellement particulière sur le Kosovo, liée effectivement au fait qu'à la suite d'une décision du Conseil d'État, ce pays est désormais classé dans la liste des pays « non sûrs ». Cela change substantiellement l'instruction des demandes d'asile, ce qui explique une augmentation de celles-ci en France et, dans une moindre mesure, en Allemagne. Pour les personnes issues d'un pays « sûr », l'instruction du dossier prend au maximum 8 semaines, contre 18 mois pour celles venant de pays « peu sûrs », c'est-à-dire ceux pour lesquels on a des doutes du point de vue démocratique.

Notre législation prévoit un accompagnement social des demandeurs d'asile. Nous ne souhaitons pas la remettre en cause, pas plus d'ailleurs que les gouvernements précédents. Mais cela crée un appétit plus marqué à l'égard de notre pays car les candidats à l'asile venant du Kosovo savent qu'ils passeront chez nous 14 à 18 mois, durant lesquels ils pourraient espérer trouver une activité et se fondre dans le paysage. Nous devons obtenir des solutions en liaison avec ce pays. Je m'y suis rendu pour voir le premier ministre et la personne chargée de l'intégration européenne pour que nous puissions prendre ensemble des dispositions en matière policière ; les autorités de sûreté de nos deux pays effectuent un travail plus efficace puisque nous avons démantelé au cours des derniers mois plusieurs réseaux de passeurs, lesquels ont été arrêtés au Kosovo. Le premier ministre et la ministre compétente ont fait une déclaration devant la presse indiquant qu'il ne servait à rien d'essayer de quitter le pays pour aller en France car, à l'arrivée, 98,5 % des demandes sont refusées. Celles-ci sont en effet considérées comme non fondées dans la mesure où ces personnes ne sont pas menacées au titre d'une violation de leurs droits dans leur pays.

Pour raccourcir le délai de l'instruction des dossiers, deux antennes de l'OFPRA ont été décentralisées il y a quelques jours, à Lyon et à Metz : l'objectif est de le réduire d'au moins de moitié.

Cela étant, les questions d'asile constituent une compétence partagée entre l'Union européenne et les pays membres, ce qui veut dire qu'il peut exister des divergences d'un État à l'autre sur certains points comme la liste des pays « sûrs ». Nous allons continuer à travailler avec les autorités du Kosovo pour être plus efficaces au stade du départ de ce pays et nous avons passé une commande à Frontex pour lutter contre les réseaux de passeurs.

Par ailleurs, le système de Schengen a fait l'objet d'une réforme passée inaperçue en juin dernier, permettant aux États membres de remettre en place des contrôles à leurs frontières dans des situations exceptionnelles – ce qui peut être le cas pour un flux migratoire spontané lié à des difficultés particulières, comme on peut en connaître dans le bassin méditerranéen, voire au Kosovo. Mais ces mesures doivent être prises en concertation avec les autres États membres et les institutions européennes.

Certains ont exprimé leur déception qu'à l'occasion du dossier de Lampedusa, nous ayons demandé à la Commission de faire des propositions sur les politiques migratoires en juin prochain. C'est un sujet difficile. Notre pays lui-même est-il toujours prompt à adopter des réformes dans ce domaine, sachant que lorsque nous le faisons, nous mettons plusieurs mois à nous mettre d'accord ? Avoir une politique migratoire à l'échelle des 28 États membres pour le premier Conseil suivant le renouvellement des institutions est donc ambitieux.

Nous avons, lors du dernier Conseil, volontairement scindé la question de Lampedusa et d'un renforcement des moyens, qui est urgente, de celle des politiques migratoires. Certains de nos interlocuteurs à qui on parle de solidarité répondent qu'ils préfèrent traiter ces questions globalement en se donnant quelques mois pour se mettre d'accord sur la stratégie. Or si nous avions choisi d'aborder ces problèmes en même temps, nous n'aurions apporté aucune réponse à la suite du drame de Lampedusa. De plus, au-delà de celle apportée ce mois-ci, il y aura au Conseil de décembre prochain des mesures conclusives sur le renforcement des moyens de Frontex et d'Eurosur – portant sur l'organisation des bateaux en Méditerranée.

D'ailleurs, certains pays anglo-saxons ayant plaidé pour que nous prenions notre temps sur la question de Lampedusa ont fait de même sur la protection des données individuelles ou le numérique.

Monsieur Lequiller, le dernier Conseil n'avait pas de décision à prendre sur l'UEM, qui sera à l'ordre du jour de celui de décembre.

S'agissant du projet de taxe sur les transactions financières, notre ministre de l'économie a indiqué qu'il était excessif et s'est largement employé pour que suffisamment de pays soient favorables à la soutenir. Nous avons, dans le cadre de la coopération renforcée, trouvé un ensemble de onze États d'accord pour la mettre en place. Toute la difficulté est de trouver un compromis entre ceux-ci pour que la taxe produise suffisamment de recettes – que nous souhaitons affecter à la zone euro pour disposer d'un moyen budgétaire d'intervention dans l'économie – sans remettre en cause le mode de fonctionnement de nos économies respectives. Suivant ce que l'on taxe, ce prélèvement peut en effet pénaliser davantage certains pays que d'autres compte tenu des modes de refinancement, ou affaiblir une place boursière, comme par exemple celle de Paris. C'est la raison pour laquelle il n'a pas encore été mis en place aujourd'hui. J'ai la conviction que nous allons y arriver mais cela prendra encore quelques semaines. En tout état de cause nous souhaitons trouver une solution réaliste et ambitieuse avant la fin de 2013 et nous respecterons notre engagement de mettre en oeuvre cette mesure.

Sur l'économie numérique et l'innovation, beaucoup de choses concrètes ont été pour la première fois décidées. Il en est ainsi sur la fiscalité, sur laquelle le Conseil prendra de nouvelles décisions en décembre – or personne ne voulait en parler il y a quelques mois, en raison des différences existant entre les pays. Il en est de même des enjeux industriels, alors qu'on avait tendance à n'aborder que ceux du marché intérieur : on évoque maintenant des offres européennes avec des projets concrets comme le « cloud computing ». En outre, nous accompagnerons le numérique dès le 1er janvier prochain à travers la mobilisation de plusieurs lignes budgétaires bien identifiées par les industriels. Je rappelle que le programme Horizon 2020 en faveur de la recherche et du développement mobilise 70 milliards d'euros, soit une augmentation de 38 % par rapport à 2007-2013.

Nous pourrons aussi, alors que le commissaire européen Johannes Hahn n'y était pas favorable il y a six mois, utiliser des crédits du FEDER ou du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), de même qu'1 milliard d'euros prévu sur une ligne consacrée aux mécanismes d'interconnexion européenne.

Concernant la protection des données, certains pays ne veulent pas en entendre parler, ne s'intéressant qu'à l'aspect commercial et souhaitant qu'on laisse exploiter les données individuelles, conçues comme une matière première monnayable. Or nous ne voulons pas que ce soit le cas dans n'importe quelles conditions, y compris s'agissant du droit à l'oubli, c'est-à-dire la possibilité d'effacer les données dont on dispose. Mais le Royaume-Uni demande à repousser le plus loin possible cette réglementation : le compromis obtenu est que les directives tendant à la protection des données seront adoptées au plus tard fin 2014-début 2015.

Quant au parquet européen, la France soutient sa mise en place. Nous avons d'ailleurs fait une proposition avec l'Allemagne dans le cadre d'une position commune, sous réserve que ce soit une structure collégiale, afin de pouvoir s'ancrer sur les systèmes juridiques et judiciaires nationaux existants. La proposition de la Commission européenne est d'une autre nature puisqu'elle repose sur un modèle supranational avec un procureur unique européen. Nous essayons de constituer, dans le cadre de la coopération renforcée, un groupe de pays rejoignant la position franco-allemande pour faire contrepoids à cette proposition : nous avons des chances d'aboutir. D'ailleurs, vos collègues sénateurs ont adopté aujourd'hui une proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la création d'un parquet européen et se sont engagés dans une procédure de « carton jaune » – permettant au Parlement de saisir la Commission pour non-respect du principe de subsidiarité.

En ce qui concerne l'aspect social, il est prévu, dans les conclusions du Conseil, que les partenaires sociaux soient mieux associés. Ce sera le cas pour la Confédération européenne des syndicats (CES) dans le cadre du semestre européen : nous avons d'ailleurs demandé qu'il en soit ainsi en prenant exemple sur la grande conférence sociale qui a eu lieu cette année ainsi que l'an dernier. Nous dialoguons étroitement avec le CES sur ce point.

Monsieur Richard, la directive sur le détachement des travailleurs, qui est un sujet symboliquement très fort, sera utilisée par ceux qui combattront l'Europe en disant qu'elle est à l'origine de tous les maux. Il s'agit d'un dossier difficile, sur lequel nous ne partons pas de la même ligne. Les négociations avancent, mais il est vrai que la dernière réunion du Conseil EPSCO s'est soldée par un échec : nous n'avons pas voulu entériner une proposition qui se serait traduite finalement par moins d'outils qu'aujourd'hui pour lutter contre les contournements de la directive de 1996 – laquelle était censée faire en sorte qu'il n'y ait pas de concurrence parmi les salariés travaillant sur notre sol selon qu'ils sont issus d'une entreprise nationale ou ayant son siège dans un autre pays de l'Union.

Deux articles de ce texte sont en débat. D'abord, l'article 9, qui tend à nous donner les outils que nous estimons incontournables pour réaliser des contrôles sur pièces permettant d'éviter qu'une entreprise puisse cacher la réalité du statut des salariés qui sont sur un chantier ou qui apportent une prestation de service. Nous sommes pour une liste assez large d'une dizaine de documents ou de justificatifs, que nous avons déterminée en fonction de l'expérience des inspecteurs du travail et des services des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Les pays souhaitant que le système actuel perdure sont au contraire en faveur d'une liste de cinq documents. Si on trouve un accord sur celle-ci, ce sera un recul, puisque nous effectuons déjà des contrôles sur un nombre plus élevé de justificatifs.

Deuxièmement, l'article 12, qui y est lié, résulte d'une demande de la France tendant à mettre en place une responsabilité conjointe et solidaire de tous ceux qui interviennent sur un chantier : le donneur d'ordre, l'entreprise attributaire et les éventuels sous-traitants. De la sorte, les entreprises qui recourent à la sous-traitance devront se conformer aux règles de paiement des salaires sur le sol national ainsi qu'aux règles sociales. Chacun sera responsable de l'attribution de marchés donnés en sous-traitance dans tous les domaines. En effet, les plus grands scandales constatés en France se sont produits à travers la sous-traitance : généralement, une grande entreprise ayant pignon sur rue attribuait un marché à un sous-traitant sans regarder la façon dont il procédait. Mais une telle disposition n'existe pas dans les pays anglo-saxons, qui ne veulent pas en entendre parler.

Nous menons donc des négociations bilatérales et multilatérales pour essayer de trouver une solution début décembre. Elle se traduirait peut-être par le fait que, sur l'article 9, nous ayons une liste obligatoire de cinq documents pouvant être étendue pour les pays volontaristes – ils sont une dizaine –, qui estiment que c'est nécessaire pour exercer un bon contrôle. Sur l'article 12, il y aurait une responsabilité conjointe et solidaire pour des chantiers dépassant un certain volume de chiffre d'affaires, les pays pouvant aussi, à titre volontaire, la mettre en place dans les secteurs économiques qui leur semblent essentiels. Cela veut dire que les États vertueux pourraient s'assurer que chez eux il n'y ait plus d'entailles à un système qui, à l'origine, devait nous préserver contre les effets du dumping social ou du travail à bas coût. C'est précisément parce que les acteurs économiques en ont trouvé les failles que nous voulons cette responsabilité conjointe et solidaire : dès lors qu'ils seront redevables devant un tribunal pour n'avoir pas réalisé les contrôles nécessaires chaque fois qu'ils recourent à la sous-traitance, ils seront plus prudents.

Au-delà des avancées souhaitées d'ici la fin de l'année, nous devrons continuer à travailler sur d'autres sujets : la question du salaire minimum doit être traitée de pair, car s'il y a de l'autre côté de la frontière des salariés payés beaucoup moins chers, on n'aura pas résolu le problème.

S'agissant des services, la France a pleinement mis en oeuvre la directive dans ce domaine. Pour nous, elle ne doit pas être modifiée. Les conclusions du Conseil évoquant la possibilité d'une proposition de la Commission d'ici mars 2014 tendant à la faire évoluer constituent un sujet sensible : nous serons très vigilants pour ne pas avoir à gérer dans les mois qui viennent des propositions qui nous fassent revivre le temps de la directive « Bolkestein ». Ce sujet est en fait survenu au travers d'un point à l'ordre du jour portant sur la simplification. Nous avions d'ailleurs nous-mêmes demandé des mesures dans ce domaine, qui offrent des gains pour l'économie. Mais nous ne voulons pas que cela se traduise par une déréglementation pour le salarié, le consommateur ou l'environnement. Or nos amis britanniques viennent de produire un document, au titre d'une « business task force », disant que pour des raisons de simplification, il ne faut pas de dispositif trop coercitif pour la directive sur le détachement des travailleurs ou qu'il faut supprimer toute législation protégeant les femmes enceintes dans leur emploi.

La garantie jeunes décidée lors du Conseil européen de février dernier tend à proposer rapidement des solutions aux jeunes sortis du système éducatif : elle ciblera en priorité ceux qui ne sont ni étudiants, ni en situation d'emploi, ni en formation et qui présentent une certaine vulnérabilité, notamment une inscription depuis plus de quatre mois au chômage. Nous avons commencé à l'expérimenter dans dix départements, auxquels s'ajouteront dix autres au 1er janvier prochain, pour un objectif d'environ 100 000 jeunes par an. Cette disposition est complémentaire des 600 millions d'euros apportés par l'Europe à cette date à notre pays – 6 milliards à l'échelle de l'Union – pour toutes les régions dans lesquelles le taux de chômage des jeunes de 25 ans est supérieur à 25 %. Cela se traduira par des aides aux régions et collectivités locales mettant en place des actions de promotion de l'apprentissage, de stages ou de formation professionnelle à leur profit.

D'ailleurs, le 12 novembre prochain, l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne se réunira à Paris, à l'invitation du Président de la République, pour examiner les bonnes pratiques en Europe afin d'utiliser au mieux ces 600 millions d'euros.

Nous reviendrons en outre au mois de décembre sur le numérique et l'approfondissement de l'UEM.

Enfin, s'agissant de la présidence de la zone euro, nous n'avons pas pris de retard : la plateforme du 30 mai indiquait que ce sujet de la gouvernance était à une échéance de deux ans, car nous avons conscience qu'il faut bouleverser un certain nombre de pratiques et faire converger les États sur le fait qu'il y aurait une présidence à temps plein de cette zone. Nous devons aussi faire avancer l'idée que celle-ci aurait une administration, notamment à l'égard de la Commission européenne. En même temps, il nous faut trouver un pendant démocratique au sein du Parlement européen, qui devrait avoir une commission de la zone euro pour répondre aux initiatives du président de celle-ci, et que celui-ci soit doté d'un budget. Si ce point n'était pas à l'ordre du jour du Conseil, il a avancé au gré des discussions informelles.

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