Le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a été signé le 30 janvier 2012, à Rome. Il s'agit d'un accord ayant pour objet la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire, entre Lyon et Turin.
Ce projet est ancien. La France et l'Italie ont déjà signé deux traités par le passé, l'un en 1996 et l'autre en 2001. L'accord que nous examinons aujourd'hui est donc le troisième qui concerne le Lyon-Turin. Mais, ce n'est pas le dernier, j'aurai l'occasion d'y revenir.
Avant d'aborder le contenu de l'accord, permettez-moi de revenir sur le projet de nouvelle ligne ferroviaire.
C'est à dessein que je dis ligne ferroviaire et non LGV (ligne à grande vitesse) comme on l'entend trop souvent. Le principal objectif du projet n'est pas de gagner du temps. Certes, les temps de parcours seront nettement réduits mais la vitesse maximale prévue sur la ligne – 220 kmh – n'est pas du domaine de la grande vitesse. La future ligne revêt une dimension plus fondamentale, en particulier au plan environnemental en visant à un report massif des camions sur les rails. C'est d'ailleurs pour ça qu'on dit que c'est une ligne mixte car elle sera au service tant des voyageurs que du fret avec, notamment, la mise en place de services d'autoroutes ferroviaires.
Pourquoi vouloir créer une nouvelle liaison ferroviaire transalpine ?
Le constat est simple : l'existant n'est pas satisfaisant. Les principaux axes qui relient notre pays à l'Italie – qui, comme je l'indique dans mon rapport, est notre deuxième partenaire avec près de 70 milliards d'euros d'échanges par an – sont soit saturés soient obsolètes et dangereux. Prenons par exemple le cas de la ligne ferroviaire historique, celle qui emprunte le tunnel du Fréjus, un ouvrage construit entre 1857 et 1871 qui, certes, à l'époque, constituait un bel exploit technique mais qui présente, aujourd'hui, de nombreux inconvénients, en particulier son altitude puisqu'il culmine à plus de 1.300 mètres. Cela contraint la voie ferrée qui y conduit à souffrir de pentes importantes allant jusqu'à 3,3 %, soit bien plus que le seul de référence fixé à 1,2 % pour les trains de marchandises. Ce facteur, auquel s'ajoute la sinuosité de la ligne, limitent fortement la vitesse des convois qui ne peuvent excéder 30 kmh sur certains tronçons. A ces défauts s'ajoutent deux difficultés majeures :
- une fluidité insuffisante à cause de 43 km de voie unique sur la jonction historique entre la région lyonnaise et le sillon alpin,
- un risque pour l'environnement avec 12 km de surplomb du lac du Bourget au Nord d'Aix les Bains en direction de Culoz, ce qui n'est pas adapté à un report sur le rail des transports de marchandises sauf à courir un réel risque en cas d'incident ou d'accident sur cette partie du parcours…
C'est là une qualité de service insuffisante pour offrir une alternative efficace au trafic routier. Il est clair que la ligne historique n'est pas adaptée pour les trains de marchandises de grande capacité, ce qui entraîne un report vers les axes routiers… ou vers la Suisse.
Aujourd'hui, en effet, l'essentiel du trafic transalpin passe par la route, que ce soit par les tunnels du Mont-Blanc ou du Fréjus ou par l'autoroute A8 qui longe la côte. Ces axes constituent une vraie nuisance pour l'environnement et posent un vrai problème en matière de sécurité comme l'ont montré les accidents dans les 2 tunnels, en 1999 et 2005.
Le projet d'une nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise donc à pallier ces insuffisances en permettant de basculer, de la route vers le fer, le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes. Près de 2,7 millions de poids lourds franchissent annuellement les passages franco-italiens, soit près de 7.400 camions par jour. Au total, 40 millions de tonnes transitent chaque année, par les divers modes de transport, à travers les passages franco-italiens, entre Léman et Méditerranée. Cet ordre de grandeur de 40 millions de tonnes est d'ailleurs celui de la capacité de la future ligne Lyon-Turin, capacité qui sera donc disponible pour le fret indépendamment des trains de voyageurs. Le projet est donc cohérent pour permettre un report modal efficace de la route vers le rail.
Par ailleurs, et comme je l'ai déjà dit, la future ligne ferroviaire mixte aura également pour objectif de réduire la durée des liaisons. Par exemple, Lyon et Turin seront reliés en environ 1h45, contre près de 4 heures aujourd'hui. Paris et Milan seront reliés avec un temps de parcours proche de 4h30 contre 7 heures aujourd'hui. Vers 2035, la nouvelle ligne ferroviaire pourrait drainer 4,5 millions de voyageurs par an dont 1,1 million se transférant de l'avion vers le rail avec, ici aussi, un bénéficie environnemental évident.
Où en est le projet de cette ligne ferroviaire aujourd'hui ?
De nombreuses études ont été menées mais les travaux de la ligne en tant que telle n'ont pas débuté. Seules ont été percées 3 descenderies côté français (lesquelles font, au total, 9 km de long) et une galerie est en train de l'être côté italien. Les descenderies sont des galeries qui permettent de mener des reconnaissances géologiques mais qui seront aussi utilisées lors du percement du tunnel pour amener du matériel puis, une fois celui-ci construit, lors de l'exploitation à des fins de ventilation et d'évacuations de sécurité.
L'accord dont nous sommes saisis vise à aller plus avant dans le processus de réalisation de la ligne et fixe les conditions dans lesquelles cet ouvrage, au terme de sa réalisation, sera exploité.
L'une des principales dispositions de l'accord est la création d'un nouveau promoteur public qui succèdera à celui créé en 2001 et qui était chargé de mener les études et travaux préparatoires. Ce nouveau promoteur sera chargé de la conduite opérationnelle et stratégique de la partie transfrontalière du projet, c'est à dire celle correspondant essentiellement au tunnel de 57 km qui sera percé entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse. Jusqu'à présent, le promoteur dépendait des gestionnaires d'infrastructures des réseaux ferrés nationaux, RFF et RFI. A l'avenir, il sera directement contrôlé par les États eu égard à l'importance de l'investissement.
Je signale que la réalisation de cet ouvrage majeur devrait générer, au plus haut de l'activité des chantiers de la section transfrontalière, plus de 3.500 emplois directs et indirects, en France et en Italie.
L'accord fixe les modalités de gouvernance de ce promoteur qui aura son siège à Chambéry. Il crée notamment une commission des contrats en son sein, laquelle sera chargée de s'assurer de la régularité et de la transparence des procédures d'attribution des contrats et marchés du promoteur ainsi que de leurs avenants. Il crée aussi un service permanent de contrôle qui aura pour tâche de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public. L'existence d'un tribunal arbitral est maintenue, lequel sera compétent pour régler les différends entre les deux États, entre les États et le promoteur ou entre le promoteur et les entreprises.
Par ailleurs, l'accord détermine le droit applicable au cours de la réalisation et de l'exploitation de cette section de la ligne Lyon-Turin qui sera à cheval sur la frontière. Avec l'accord de l'Italie la proposition de notre pays a été retenue puisque, par exemple, la passation et l'exécution des contrats et marchés par le Promoteur public sera principalement régie par le droit public français tout comme la responsabilité en cas de dommages.
L'accord revêt aussi une dimension financière importante. En particulier, il fixe une clef de répartition pour la réalisation du tunnel : la France financera 42,1 % des travaux et l'Italie 57,9 % alors que le tunnel étant majoritairement situé en France, une application rigide du principe territorial aurait conduit notre pays à payer plus que l'Italie pour un ouvrage profitant aux deux États. En fait les accès français étant plus coûteux la clef de répartition retenue permet de mieux assurer une parité globale entre les deux pays.
Enfin, l'accord commence à poser les bases de l'exploitation future de l'ouvrage avec des dispositions relatives aux services de sécurité et de secours et à l'action des forces de police. Il impose aussi de prendre diverses mesures permettant de favoriser le report modal de la route vers le rail, sans quoi la future ligne perdrait de son intérêt. L'annexe 3 de l'accord détaille les actions qui, tant à court et moyen terme qu'à long terme, devront être entreprises en ce sens comme, par exemple, une évolution tarifaire pertinente des tunnels routiers actuels.
Que va-t-il se passer maintenant ?
La ratification de l'accord est indispensable pour envisager le début des travaux de la section transfrontalière, lesquels ne pourront débuter qu'après la conclusion d'un nouveau traité comme le prévoit de l'article 4 de l'accord franco-italien initial du 29 janvier 2001.
Dans l'hypothèse – sans doute la moins probable – où aucun retard ne serait pris, la réalisation du tunnel pourrait avoir lieu d'ici 20252027. En parallèle serait réalisée la première phase des accès français à ce tunnel, c'est à dire la réalisation d'une nouvelle ligne mixte (passagersfret) entre Lyon et Chambéry.
Par la suite, est envisagé la réalisation d'un nouvel itinéraire fret comportant un tunnel à un tube entre ce premier accès et le tunnel transfrontalier puis, dans un second temps, le percement d'un deuxième tube sur cet itinéraire afin qu'il puisse accueillir à la fois du fret et des voyageurs. L'horizon de mise en service de cette étape serait alors 2030. S'agissant des accès italiens, la mise en service d'une première section devrait intervenir en même temps que celle du tunnel transfrontalier.
Autant en parler maintenant car j'imagine que la question me sera posée : pour moi, le rapport de la Commission Duron ne remet pas du tout en cause le projet de cette nouvelle ligne ferroviaire.
Déjà, la Commission avait exclu le tunnel de son périmètre d'analyse. S'agissant des accès français, elle a souligné l'intérêt, à terme, de leur réalisation et si elle a évoqué les incertitudes sur le calendrier du tunnel, elle n'en a pas moins recommandé un suivi spécifique d'ici cinq ans, soit 2018. C'est là une échéance parfaitement compatible avec une durée de chantier d'une dizaine d'années, au minimum, pour le tunnel de base. Enfin, non seulement la Commission Mobilité 21 n'a pas écarté le projet de la ligne ferroviaire mixte mais elle a aussi souligné la dimension européenne de ses enjeux puisqu'elle a pris soin de rappeler que la France doit inscrire sa politique de mobilité « dans une cohérence avec l'espace et les flux européens pour assurer une meilleure interopérabilité et au-delà une meilleure intégration de notre territoire dans l'Union ».
C'est d'ailleurs sur cette dimension européenne que je conclurai mes propos.
Bruxelles soutient le projet du Lyon-Turin, lequel est un pilier du réseau transeuropéen de transport. Elle est prête à apporter une contribution financière significative puisque la part de l'Europe va atteindre 40 % du coût des travaux du tunnel transfrontalier évalués à 8,5 milliards d'euros pour lequel la contribution française sera de 25 %.
Cette contribution européenne est un élément décisif pour la poursuite du projet. Les gouvernements français et italien ont souligné, l'an dernier, leur attachement à la participation financière la plus élevée possible de la part de l'Union européenne et ils ont été entendus.
Il appartient désormais à l'Assemblée nationale de marquer, son soutien à la future liaison ferroviaire mixte, à quelque semaines de l'ouverture du prochain sommet franco-italien qui aura lieu le 20 novembre, à Rome. Ce sera là un geste fort qui confirmera l'engagement de la France en faveur du projet et ne pourra que conforter l'Italie dans sa démarche volontariste.
C'est donc au bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis