La séance est ouverte à neuf heures quarante
La commission examine, sur le rapport de M. Michel Destot, rapporteur, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (n°459).
Le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a été signé le 30 janvier 2012, à Rome. Il s'agit d'un accord ayant pour objet la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire, entre Lyon et Turin.
Ce projet est ancien. La France et l'Italie ont déjà signé deux traités par le passé, l'un en 1996 et l'autre en 2001. L'accord que nous examinons aujourd'hui est donc le troisième qui concerne le Lyon-Turin. Mais, ce n'est pas le dernier, j'aurai l'occasion d'y revenir.
Avant d'aborder le contenu de l'accord, permettez-moi de revenir sur le projet de nouvelle ligne ferroviaire.
C'est à dessein que je dis ligne ferroviaire et non LGV (ligne à grande vitesse) comme on l'entend trop souvent. Le principal objectif du projet n'est pas de gagner du temps. Certes, les temps de parcours seront nettement réduits mais la vitesse maximale prévue sur la ligne – 220 kmh – n'est pas du domaine de la grande vitesse. La future ligne revêt une dimension plus fondamentale, en particulier au plan environnemental en visant à un report massif des camions sur les rails. C'est d'ailleurs pour ça qu'on dit que c'est une ligne mixte car elle sera au service tant des voyageurs que du fret avec, notamment, la mise en place de services d'autoroutes ferroviaires.
Pourquoi vouloir créer une nouvelle liaison ferroviaire transalpine ?
Le constat est simple : l'existant n'est pas satisfaisant. Les principaux axes qui relient notre pays à l'Italie – qui, comme je l'indique dans mon rapport, est notre deuxième partenaire avec près de 70 milliards d'euros d'échanges par an – sont soit saturés soient obsolètes et dangereux. Prenons par exemple le cas de la ligne ferroviaire historique, celle qui emprunte le tunnel du Fréjus, un ouvrage construit entre 1857 et 1871 qui, certes, à l'époque, constituait un bel exploit technique mais qui présente, aujourd'hui, de nombreux inconvénients, en particulier son altitude puisqu'il culmine à plus de 1.300 mètres. Cela contraint la voie ferrée qui y conduit à souffrir de pentes importantes allant jusqu'à 3,3 %, soit bien plus que le seul de référence fixé à 1,2 % pour les trains de marchandises. Ce facteur, auquel s'ajoute la sinuosité de la ligne, limitent fortement la vitesse des convois qui ne peuvent excéder 30 kmh sur certains tronçons. A ces défauts s'ajoutent deux difficultés majeures :
- une fluidité insuffisante à cause de 43 km de voie unique sur la jonction historique entre la région lyonnaise et le sillon alpin,
- un risque pour l'environnement avec 12 km de surplomb du lac du Bourget au Nord d'Aix les Bains en direction de Culoz, ce qui n'est pas adapté à un report sur le rail des transports de marchandises sauf à courir un réel risque en cas d'incident ou d'accident sur cette partie du parcours…
C'est là une qualité de service insuffisante pour offrir une alternative efficace au trafic routier. Il est clair que la ligne historique n'est pas adaptée pour les trains de marchandises de grande capacité, ce qui entraîne un report vers les axes routiers… ou vers la Suisse.
Aujourd'hui, en effet, l'essentiel du trafic transalpin passe par la route, que ce soit par les tunnels du Mont-Blanc ou du Fréjus ou par l'autoroute A8 qui longe la côte. Ces axes constituent une vraie nuisance pour l'environnement et posent un vrai problème en matière de sécurité comme l'ont montré les accidents dans les 2 tunnels, en 1999 et 2005.
Le projet d'une nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise donc à pallier ces insuffisances en permettant de basculer, de la route vers le fer, le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes. Près de 2,7 millions de poids lourds franchissent annuellement les passages franco-italiens, soit près de 7.400 camions par jour. Au total, 40 millions de tonnes transitent chaque année, par les divers modes de transport, à travers les passages franco-italiens, entre Léman et Méditerranée. Cet ordre de grandeur de 40 millions de tonnes est d'ailleurs celui de la capacité de la future ligne Lyon-Turin, capacité qui sera donc disponible pour le fret indépendamment des trains de voyageurs. Le projet est donc cohérent pour permettre un report modal efficace de la route vers le rail.
Par ailleurs, et comme je l'ai déjà dit, la future ligne ferroviaire mixte aura également pour objectif de réduire la durée des liaisons. Par exemple, Lyon et Turin seront reliés en environ 1h45, contre près de 4 heures aujourd'hui. Paris et Milan seront reliés avec un temps de parcours proche de 4h30 contre 7 heures aujourd'hui. Vers 2035, la nouvelle ligne ferroviaire pourrait drainer 4,5 millions de voyageurs par an dont 1,1 million se transférant de l'avion vers le rail avec, ici aussi, un bénéficie environnemental évident.
Où en est le projet de cette ligne ferroviaire aujourd'hui ?
De nombreuses études ont été menées mais les travaux de la ligne en tant que telle n'ont pas débuté. Seules ont été percées 3 descenderies côté français (lesquelles font, au total, 9 km de long) et une galerie est en train de l'être côté italien. Les descenderies sont des galeries qui permettent de mener des reconnaissances géologiques mais qui seront aussi utilisées lors du percement du tunnel pour amener du matériel puis, une fois celui-ci construit, lors de l'exploitation à des fins de ventilation et d'évacuations de sécurité.
L'accord dont nous sommes saisis vise à aller plus avant dans le processus de réalisation de la ligne et fixe les conditions dans lesquelles cet ouvrage, au terme de sa réalisation, sera exploité.
L'une des principales dispositions de l'accord est la création d'un nouveau promoteur public qui succèdera à celui créé en 2001 et qui était chargé de mener les études et travaux préparatoires. Ce nouveau promoteur sera chargé de la conduite opérationnelle et stratégique de la partie transfrontalière du projet, c'est à dire celle correspondant essentiellement au tunnel de 57 km qui sera percé entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse. Jusqu'à présent, le promoteur dépendait des gestionnaires d'infrastructures des réseaux ferrés nationaux, RFF et RFI. A l'avenir, il sera directement contrôlé par les États eu égard à l'importance de l'investissement.
Je signale que la réalisation de cet ouvrage majeur devrait générer, au plus haut de l'activité des chantiers de la section transfrontalière, plus de 3.500 emplois directs et indirects, en France et en Italie.
L'accord fixe les modalités de gouvernance de ce promoteur qui aura son siège à Chambéry. Il crée notamment une commission des contrats en son sein, laquelle sera chargée de s'assurer de la régularité et de la transparence des procédures d'attribution des contrats et marchés du promoteur ainsi que de leurs avenants. Il crée aussi un service permanent de contrôle qui aura pour tâche de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public. L'existence d'un tribunal arbitral est maintenue, lequel sera compétent pour régler les différends entre les deux États, entre les États et le promoteur ou entre le promoteur et les entreprises.
Par ailleurs, l'accord détermine le droit applicable au cours de la réalisation et de l'exploitation de cette section de la ligne Lyon-Turin qui sera à cheval sur la frontière. Avec l'accord de l'Italie la proposition de notre pays a été retenue puisque, par exemple, la passation et l'exécution des contrats et marchés par le Promoteur public sera principalement régie par le droit public français tout comme la responsabilité en cas de dommages.
L'accord revêt aussi une dimension financière importante. En particulier, il fixe une clef de répartition pour la réalisation du tunnel : la France financera 42,1 % des travaux et l'Italie 57,9 % alors que le tunnel étant majoritairement situé en France, une application rigide du principe territorial aurait conduit notre pays à payer plus que l'Italie pour un ouvrage profitant aux deux États. En fait les accès français étant plus coûteux la clef de répartition retenue permet de mieux assurer une parité globale entre les deux pays.
Enfin, l'accord commence à poser les bases de l'exploitation future de l'ouvrage avec des dispositions relatives aux services de sécurité et de secours et à l'action des forces de police. Il impose aussi de prendre diverses mesures permettant de favoriser le report modal de la route vers le rail, sans quoi la future ligne perdrait de son intérêt. L'annexe 3 de l'accord détaille les actions qui, tant à court et moyen terme qu'à long terme, devront être entreprises en ce sens comme, par exemple, une évolution tarifaire pertinente des tunnels routiers actuels.
Que va-t-il se passer maintenant ?
La ratification de l'accord est indispensable pour envisager le début des travaux de la section transfrontalière, lesquels ne pourront débuter qu'après la conclusion d'un nouveau traité comme le prévoit de l'article 4 de l'accord franco-italien initial du 29 janvier 2001.
Dans l'hypothèse – sans doute la moins probable – où aucun retard ne serait pris, la réalisation du tunnel pourrait avoir lieu d'ici 20252027. En parallèle serait réalisée la première phase des accès français à ce tunnel, c'est à dire la réalisation d'une nouvelle ligne mixte (passagersfret) entre Lyon et Chambéry.
Par la suite, est envisagé la réalisation d'un nouvel itinéraire fret comportant un tunnel à un tube entre ce premier accès et le tunnel transfrontalier puis, dans un second temps, le percement d'un deuxième tube sur cet itinéraire afin qu'il puisse accueillir à la fois du fret et des voyageurs. L'horizon de mise en service de cette étape serait alors 2030. S'agissant des accès italiens, la mise en service d'une première section devrait intervenir en même temps que celle du tunnel transfrontalier.
Autant en parler maintenant car j'imagine que la question me sera posée : pour moi, le rapport de la Commission Duron ne remet pas du tout en cause le projet de cette nouvelle ligne ferroviaire.
Déjà, la Commission avait exclu le tunnel de son périmètre d'analyse. S'agissant des accès français, elle a souligné l'intérêt, à terme, de leur réalisation et si elle a évoqué les incertitudes sur le calendrier du tunnel, elle n'en a pas moins recommandé un suivi spécifique d'ici cinq ans, soit 2018. C'est là une échéance parfaitement compatible avec une durée de chantier d'une dizaine d'années, au minimum, pour le tunnel de base. Enfin, non seulement la Commission Mobilité 21 n'a pas écarté le projet de la ligne ferroviaire mixte mais elle a aussi souligné la dimension européenne de ses enjeux puisqu'elle a pris soin de rappeler que la France doit inscrire sa politique de mobilité « dans une cohérence avec l'espace et les flux européens pour assurer une meilleure interopérabilité et au-delà une meilleure intégration de notre territoire dans l'Union ».
C'est d'ailleurs sur cette dimension européenne que je conclurai mes propos.
Bruxelles soutient le projet du Lyon-Turin, lequel est un pilier du réseau transeuropéen de transport. Elle est prête à apporter une contribution financière significative puisque la part de l'Europe va atteindre 40 % du coût des travaux du tunnel transfrontalier évalués à 8,5 milliards d'euros pour lequel la contribution française sera de 25 %.
Cette contribution européenne est un élément décisif pour la poursuite du projet. Les gouvernements français et italien ont souligné, l'an dernier, leur attachement à la participation financière la plus élevée possible de la part de l'Union européenne et ils ont été entendus.
Il appartient désormais à l'Assemblée nationale de marquer, son soutien à la future liaison ferroviaire mixte, à quelque semaines de l'ouverture du prochain sommet franco-italien qui aura lieu le 20 novembre, à Rome. Ce sera là un geste fort qui confirmera l'engagement de la France en faveur du projet et ne pourra que conforter l'Italie dans sa démarche volontariste.
C'est donc au bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis
Je vous remercie pour ce rapport engagé, très argumenté, qui ne sera cependant peut-être pas partagé par tous…
Au nom du groupe GDR, je voterai ce projet de loi, tout en restant cependant dubitatif sur les capacités de l'UE à le financer. On a vu il y a quelques jours que les autorisations d'engagement pour la période 2014-2020 étaient en baisse, notamment en ce qui concerne les transports : 23 milliards d'euros sont prévus pour les infrastructures, dont 10 pour des projets de cohésion. Seuls 13 milliards seront disponibles pour les grandes infrastructures et l'on ne peut en conséquence qu'être très réservé sur les capacités de l'UE à financer ce projet. En second lieu, la commission de mobilité exclut du périmètre d'analyse les crédits du tunnel, de 2 milliards et compte tenu de nos propres difficultés, j'exprime aussi les mêmes réserves sur nos capacités.
Malgré tout, la liaison est nécessaire pour des raisons écologiques et économiques qui se rejoignent ; elle préfigure la future liaison entre Barcelone et Ljubljana. Pour le reste, les travaux seront terminés dans le meilleur des cas en 2025 pour une exploitation qui débutera au mieux en 2030. Pour un projet d'ampleur à peu près équivalente à celui du tunnel sous la Manche, je crains que la France ou l'Italie ne soient ni l'une ni l'autre en mesure de donner les moyens nécessaires qui permettraient la réalisation dans les délais souhaités. Nous voterons biens sûr pour mais sans trop d'illusion.
L'UMP votera pour ce projet de loi et j'ajouterai, à titre personnel, avec enthousiasme car j'ai moi-même mené la négociation durant plus de deux mois avec mon homologue italien et signé l'accord en 2012 lorsque j'étais ministre des Transports. Le rapport a bien résumé les problématiques : il s'agit d'un projet d'intérêt national et la gauche et la droite l'ont soutenu, par exemple au niveau local, où les associations d'élus locaux se sont montrées unies sur ce dossier. C'est aussi un projet d'intérêt européen évident, c'est le plus grand projet aujourd'hui en matière de transport, raison pour laquelle son calendrier est lié à l'aide européenne que l'on pourra obtenir pour son financement. L'aide européenne est maintenue dans la mesure où a été respectée la date limite fixée par la commission d'un accord bilatéral signé avant le 1er mars 2012. Ces 40 % de financement sont indispensables.
On annonce une ouverture pour 2030. Je le souhaiterais, mais je dois dire que j'ai du mal à la croire, il se fera un jour, mais quand ? Ça avance, mais lentement, étape par étape. Aujourd'hui en est une nouvelle. L'intérêt écologique est évident, même si cela paraît paradoxal, vu la mobilisation très forte, et violente, des écologistes en Italie : mais ce sont 7000 camions par jour qui n'emprunteront plus les Alpes et c'est un changement essentiel. C'est un projet économique tout aussi évident que l'on votera avec enthousiasme en souhaitant un plein succès aux négociations pour la part de l'UE indispensable au bouclage financier.
Le rapport est clair, précis et argumenté. Ce projet est d'un intérêt bilatéral évident et européen aussi. On a souvent des regrets sur l'absence de grands projets européens et c'est une raison de plus d'être enthousiaste aujourd'hui. Il s'agit d'une entreprise sur le très long terme, d'un dossier de développement durable. Elle donne une réponse en matière de sécurité comme en matière technique. Elle donnera aussi de l'emploi et l'on ne peut qu'être favorable à ce projet. Plus vite il sera décidé et lancé, plus vite il sera terminé. Le financement dépend d'une volonté politique et elle doit prévaloir. Le groupe SRC votera ce projet de loi.
Pour des raisons écologiques et économiques, pour notre part, nous sommes résolument contre ce projet qui fait partie des grands projets inutiles, à l'instar de l'aéroport de Notre-Dame des Landes. Celui-ci date des années 1980, il a ensuite été soumis à l'Assemblée nationale par M. Gayssot, pour un coût alors de 12 milliards, qui sont aujourd'hui devenus 26,5 milliards, avant d'être peut-être réévalués !
Je m'inscris en faux contre certaines affirmations selon lesquelles ce tunnel serait indispensable. Il est inexact que la ligne actuelle est saturée : elle ne fonctionne qu'à 17 % de sa capacité et le nombre de camions en circulation ne cesse de diminuer depuis les années 80. Si l'on veut réduire le trafic des camions qui transportent aujourd'hui 85 % des marchandises, il ne faut pas oublier, aujourd'hui, que le premier transporteur routier de France est la SNCF, via sa filiale Geodis. La politique menée est uniquement une politique de grands projets, de TGV, de LGV, très coûteuses, aux conséquences sociales approximatives quand il serait possible d'améliorer les voies actuelles pour les mettre aux normes.
S'agissant de ce projet, on avait parlé de 300 000 camions, c'est en fait beaucoup moins : 27 000. Je le dis avec force aujourd'hui, quand on parle de l'écotaxe, que l'on devrait plutôt appeler « pollutaxe », on ne prend jamais en compte les coûts annexes, la dégradation des routes, les dommages environnementaux, maladies, et accidents. Si l'on respectait véritablement les coûts, on constaterait qu'ils sont bien plus élevés et l'on verrait sans tarder l'intérêt d'élever les normes et d'améliorer les voies existantes. On est en train d'agir dans la précipitation même s'il y a ici un intérêt immédiat évident : la visite du Président de la République en Italie en novembre prochain. Je ne suis pas non plus certain que nous nous prononcions en toute transparence.
Cela étant, il ne faut pas non plus oublier une autre dimension sur laquelle j'attire votre attention : il y a une loi antimafia en Italie et certaines des entreprises condamnées par la justice à ce titre sont toujours sous-traitantes de LTF. En d'autres termes, on investit des milliards dans un projet pharaonique plutôt que de les consacrer aux projets d'avenir : que deviennent dans ce schéma les investissements d'avenir de l'hypothèse n° 1 du programme Mobilité 21 ? Le Premier ministre a privilégié la deuxième hypothèse qui fait la part belle aux autoroutes et répond aux intérêts de puissants lobbies locaux. Je rappelle aussi que le rapport Duron recommande de reporter la décision sur le tunnel Lyon Turin à après 2030. Pour toutes ces raisons, nous sommes donc opposés à ce projet de loi.
Entre Fréjus et le Mont-Blanc, il y a aujourd'hui 1,250 million de camions. On ne doit pas rester dans une logique rigide qui présuppose un trafic sans cesse accru de camions pour justifier ce genre de grands travaux alors qu'on est dans une logique de réduction de la pollution et le réchauffement ! Il faut au contraire une politique qui réduise le trafic et non pas justifier la ligne Lyon Turin. Il faut développer la fiscalité écologique pour cela, en arrêtant les projets illogiques comme ce que, dans le même esprit, on nous vend, à savoir une liaison LGV Bordeaux – Toulouse pour prolonger la ligne à grands vitesse depuis Paris, alors que la liaison naturelle est Paris – Orléans –Limoges – Toulouse. Que fait la SNCF ? Elle abandonne les lignes traditionnelles et nous parle de substitution alors que cela n'irrigue en rien les territoires et induit de la désertification. Pour toutes ces raisons, le groupe Ecolo votera contre, avec résolution et enthousiasme.
Je souhaite d'abord rebondir sur les chiffres cités à l'instant s'agissant du coût, qui est passé de 12 milliards en 1992 à 22 milliards aujourd'hui. Il suffit de regarder l'augmentation sur la période des indices du BTP pour constater que c'est l'évolution générale des prix et qu'en conséquence il convient de balayer cet argument.
Ensuite, je rappellerai que le projet comporte plusieurs sections : le tronçon Lyon-Chambéry, aujourd'hui calamiteux en termes de liaison, et bien sûr le tunnel au sujet duquel je ne comprends pas les critiques : un peu d'audace ! Nous ne construisons pas pour quinze jours mais pour un siècle ! Il est de notre responsabilité d'entreprendre ces travaux car cela permettra de mettre sur rail ce qui aujourd'hui est sur route.
Enfin, concernant la question de la demande, cela me rappelle une anecdote sur l'absence de train à 18h. La SNCF avait effectué une enquête et concluait que personne n'attendait sur le quai à 18h. Évidemment, puisqu'il n'y avait pas de train ! Si l'on met Lyon à 1h45 de Turin, il y aura une demande et cela permettra de prendre le train plutôt que l'avion.
Cet accord ne peut que satisfaire les tenants de la sécurité et tous ceux qui ont travaillé comme moi, à l'époque avec M. Jean-Claude Gayssot, sur la question de la question de la sécurité des tunnels. Je craignais que la création de la ligne Lyon-Turin ne devienne une Arlésienne et il est donc rassurant de voir que ce n'est pas le cas.
La Commission Duron a toutefois repoussé à très tard la construction de la ligne à grande vitesse et l'on peut se demander, à cette échéance, si la France en aura les moyens.
Je souhaitais interroger le rapporteur sur le phasage, mais il y a répondu de manière précise. Concernant le financement, la part portée par l'Union européenne est importante (40 %) et suscite quelques doutes. Y aura-t-il matière à trouver chez les deux Etats les manques à gagner ?
Compte tenu de ma circonscription, je suis concernée par ces questions et j'associe à mon intervention ma collègue Béatrice Santais. Je remercie le rapporteur d'avoir salué la continuité des décisions, indépendamment des changements politiques qu'ont connus la France et l'Italie, ainsi que la mobilisation des élus et collectivités territoriales. La perspective d'économiser 2 millions de tonnes de rejet de CO2 est un élément essentiel. C'est une vraie chance pour la protection des Alpes.
Il faut aussi souligner qu'il s'agit de financer une interconnexion des réseaux européens, qui constitue l'opportunité pour les pays du sud de faciliter la connexion avec les tunnels. Je rappelle aussi que le deuxième partenaire de la France d'un point de vue économique est l'Italie.
Ce projet constitue une vraie alternative crédible au tout autoroutier mais aussi au routier de marchandises. Le rapporteur a très bien rappelé que la liaison actuelle n'est pas attractive et qu'il n'est pas imaginable d'augmenter la pollution sur le lac du Bourget.
Pour toutes ces raisons, cet accord doit être ratifié. C'est une étape supplémentaire qui nous engage et nous permettra d'avoir la perspective d'un franchissement des Alpes et d'un report modal efficace de la route vers le rail.
Nous avons organisé hier à la commission des Affaires européennes une table-ronde sur le sujet et je souhaiterais vous lire les remarques de M. Christian Descheemaeker, ancien Président de la septième chambre de la Cour des Comptes : « Il apparaît que d'autres solutions techniques alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir toutes été complètement explorées de façon approfondie. Pour la Cour, le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires dans la conduite d'un projet d'infrastructures de cette ampleur et de cette complexité. L'estimation du coût global du projet est passé en euros courants de 12 milliards d'euros en 2002 à 26,1 milliards d'euros ». Les conclusions de la Cour étaient en conséquence négatives. L'Union européenne propose à ce jour la carotte, mais je ne vois pas le bâton alors qu'elle pourrait prendre des mesures. Je souhaiterais savoir quel est donc le coût prévu et faire remarquer que le développement du trafic de marchandise doit aller de pair avec celui du trafic de voyageurs aujourd'hui entravé par un prix des billets qui n'est pas attractif.
Je remercie le rapporteur pour son excellente contribution, ainsi que celle de Thierry Mariani et je voterai en faveur de la ratification de l'accord. Je souhaite formuler quelques observations.
D'abord, la carte figurant en page 12 du rapport du gouvernement n'est pas en relief, mais, entre Lyon et Turin, il y a trois massifs. Je le rappelle aux écologistes : nous parlons ici du tunnel de base sous les Alpes franco-italiennes.
Hormis le groupe écologiste, tout le monde s'accorde à dire que l'objectif est que moins de camions circulent sur nos routes. Dans les années 1980, on parlait d'un TGV rappelez-vous, pour les voyageurs, et l'orientation a été modifié, à raison, au début des années 1990 pour en faire un projet de fret ferroviaire.
Si l'on a une vision de long terme, il s'agit d'un projet européen avec des flux qui excèdent la seule section Lyon-Turin. J'ajouterai que le rapport Duron a été une épreuve de vérité par rapport à certaines chimères en montrant la difficulté à assurer tous les financements simultanément.
Enfin, je veux souligner que le Conseil général de Savoie a délibéré à plusieurs reprises et a approuvé à chaque fois les décisions à l'unanimité.
Je n'ai rien à ajouter par rapport aux interventions de MM. Mariani et Gaymard. Il est vrai que la terre n'est pas plate et le discours des écologistes met en lumière la différence entre les positions et la réalité. Cela me rappelle les critiques sur les équipements financés pour les Jeux olympiques. Heureusement qu'ils l'ont été. Quand on fait de la politique, on doit penser au long terme.
Je me félicite du contenu du rapport et aussi du soutien de l'Union européenne à ce projet, soutien qui n'est pas mince. Le projet aura des bénéfices multiples sur le plan économique, pour l'investissement et l'emploi, pour l'environnement et pour le développement du bassin de vie de cette région. Mettre Lyon et Turin à 2 heures, c'est créer des opportunités pour l'économie et l'emploi transfrontalier.
Je poserai deux questions plus spécifiques. Quel droit du travail s'appliquera ? Nous savons qu'il n'existe pas de salaire minimum en Italie, que nous avons par ailleurs des problèmes avec la directive sur le détachement des travailleurs, et qu'il faut donc nous assurer que tous les travaux réalisés en France soient soumis au droit français. Ensuite, quelle politique tarifaire sera appliquée ? Il sera nécessaire de disposer d'un tarif abordable. Un cahier des charges est-il prévu ?
Je veux dire que je voterai avec détermination ce projet de loi. Je rappellerai que le financement de ce type d'ouvrages par l'Union européenne permet aussi de reconstituer des entités politiques qui ont existé dans le passé. On retrouvera avec ce projet la liaison entre les deux capitales de la Maison de Savoie.
Le coût de 26 milliards d'euros concerne l'ensemble du projet, la participation de la France devant s'élever à 16 milliards. La section du contournement de Lyon est estimée à 400 millions d'euros, la première phase des accès français, entre Grenay et Chambéry, à 4,4 milliards d'euros, la deuxième phase des accès français, à savoir un premier tube sous Chartreuse, Belledone et Glandon, à 3 milliards d'euros, et la section transfrontalière à 8,5 milliards d'euros au total, dont la France ne financera que 25 %.
Je le répète : il n'y aura donc pas 26 milliards d'euros à la charge de la France et le financement sera de toute façon échelonné dans le temps, afin de réaliser une infrastructure qui sera l'une des plus importantes d'Europe et qui durera des dizaines d'années.
S'agissant des observations de la Cour des comptes, je fais entièrement mienne la réponse du Premier ministre, qui – d'une certaine façon – les désapprouve.
Le coût prévisionnel a-t-il augmenté ? C'est vrai, mais les règles de sécurité ont été considérablement renforcées. Il en résulte un coût, mais qui s'en plaindra ?
N'a-t-on pas suffisamment pris en compte la voie existante comme solution alternative à ce projet ? Sa réutilisation conduirait à des coûts prohibitifs, supérieurs à ceux du projet actuel, et la liaison entre la France et l'Italie serait coupée sous le Fréjus pendant la durée des travaux. Cette solution alternative aurait également pris plus de temps, alors que le projet actuel s'inscrit déjà dans une trop longue durée à mes yeux
En ce qui concerne les autoroutes ferroviaires, un service est déjà assuré entre Aiton en Savoie et Orbassano, dans la périphérie de Turin, avec les limites que j'ai rappelées en ce qui concerne la ligne empruntée. Le projet Lyon Turin s'alignera sur ce que l'on fait de mieux dans ce domaine, sur le modèle d'Eurotunnel. Tous les camions pourront être pris en charge jusqu'à une hauteur de 4,20 mètres, sur des navettes ferroviaires. On peut affirmer, avec certitude et sérieux, que l'on pourra transférer l'équivalent de 2 millions de poids lourds par an et réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2 millions de tonnes par an sur l'itinéraire de l'ouvrage. C'est donc un projet extrêmement ambitieux en matière environnementale.
Des menaces très graves ont été proférées en Italie, y compris des menaces de mort à l'endroit d'élus, pour deux raisons : d'une part, les risques liés à l'amiante, mais les études ont montré qu'il n'existait pas de risques ne pouvant pas être traités dans ce domaine ; d'autre part, la volonté de rester à l'écart des flux d'échange. Je fais partie de ceux pour qui l'écologie doit faire l'objet d'une synthèse avec l'économie et le social. Je rappelle aussi que les échanges entre la France et l'Italie représentent plus de 70 milliards d'euros. Il faut prendre en compte l'objectif d'un développement économique équilibré et partagé entre nos deux pays.
J'ajoute qu'un travail remarquable a été réalisé par un médiateur, Mario Virano. Son action, engagée commune par commune, a permis de réduire les tensions en Italie. La violence de certains opposants, parce qu'elle a beaucoup choqué, a également fait évoluer certains élus.
Seul un engagement politique des dirigeants français et italiens permettra de réaliser le projet aussi plus rapidement que possible. Chacun sait que le tunnel sous la Manche n'aurait pas pu être réalisé sans un engagement au plus haut niveau, et l'on connaît ses effets positifs dans les deux pays, notamment grâce à la ligne TGV entre Paris, Lille et Bruxelles. Le tunnel sous la Manche a eu des conséquences extrêmement positives pour le développement économique et touristique en France, dans le Nord-Pas-de-Calais, comme de l'autre côté, au Royaume-Uni. C'est un exemple de projet mené avec un sérieux, un réalisme et un engagement politique qu'il faut suivre. On peut ainsi donner à la construction européenne un sens, qui peut être bien compris par nos concitoyens.
La politique tarifaire n'est pas encore fixée. Elle fera l'objet d'accords ultérieurs. Nous en sommes à la phase préliminaire des investissements.
Au plan social, c'est le droit français qui s'appliquera dans notre pays, en vertu de l'article 10, et il y aura un droit d'inspection de part et d'autre, ce qui est un « plus » par rapport à d'autres chantiers.
Je souhaite reprendre à mon compte ce qu'ont dit plusieurs collègues, notamment Thierry Mariani, Hervé Gaymard et Bernadette Laclais. Il s'agit d'un projet fondamental pour la France et l'Italie, mais aussi pour l'Europe. C'est un projet de développement considérable au plan économique, social et écologique pour la région Rhône-Alpes, pour le Piémont et la Lombardie, mais aussi pour toute l'Europe du Sud. Ne passons pas à côté de cette occasion ! Faisons plutôt preuve de détermination, de responsabilité et d'enthousiasme !
Une simple remarque. Le rapport, citant des géographes, affirme que les Alpes sont le Massif central de l'Europe. Vivant en Auvergne, je mesure chaque jour les conséquences des occasions manquées. Ne manquons pas cette occasion en ce qui concerne les Alpes !
Je vous remercie pour la qualité de votre rapport.
Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 459).
Examen du projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption (n°1377)
La commission examine, sur le rapport de Mme Chantal Guittet, rapporteure, le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption (n°1377).
Je voudrais d'abord m'excuser de l'envoi tardif du projet de rapport, mais la présentation de celui-ci a été avancée par la présidente de notre commission, ce dont je me réjouis. Il s'agit de répondre aux attentes et à la détresse des familles dont le dossier d'adoption est bloqué en attente de la ratification du traité.
Cette ratification est aussi très attendue du côté russe, où l'on ne comprend pas pourquoi l'exécutif français a attendu deux ans pour déposer un projet de loi de ratification d'un texte signé le 18 novembre 2011. Ce type de délai n'est pourtant pas rare, nous le savons, en particulier quand les accords posent un certain nombre de questions juridiques et politiques auxquelles il convient alors de répondre de façon approfondie.
Je commencerai ma présentation par quelques éléments de contexte. La Russie est devenue en 2012 le premier pays d'origine des enfants adoptés par des familles résidant en France, avec l'arrivée de 235 enfants. En 2012, la France était le 4ème pays d'accueil des enfants russe proposés à l'adoption internationale, derrière les États-Unis, l'Italie et l'Espagne, environ 700 enfants russes étant adoptés dans chacun de ces pays.
Le nombre d'enfants russes adoptés par des étrangers dépasse 3 000 par an. La Russie est donc un partenaire majeur pour l'adoption internationale. C'est d'autant plus que le nombre d'adoptions en provenance d'autres sources traditionnelles (Haïti, Éthiopie, Vietnam, Colombie...) a énormément baissé, voire s'est effondré. Plusieurs pays ont, de manière plus ou moins définitive, suspendu les adoptions internationales durant les deux ou trois dernières années : le Cambodge, le Népal, le Sénégal, le Laos, le Mali, la Guinée.
Qui sont ces enfants russes adoptés ? Il faut savoir que la Russie n'a pas ratifié la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur l'adoption internationale, mais en respecte l'une des principales règles, à savoir le principe de subsidiarité de l'adoption internationale par rapport à l'adoption nationale : les enfants doivent d'abord être proposés à l'adoption dans le pays selon une procédure précise. Ce n'est qu'à l'issue de celle-ci qu'ils sont accessibles à l'adoption internationale.
Par conséquent, les enfants proposés à l'adoption internationale sont ceux qui n'ont pu être adoptés nationalement. En 2012, en France, 208 des 235 enfants russes adoptés étaient dits « à besoin spécifiques » : 177 avaient une pathologie, 41 avaient plus de cinq ans et 51 ont été adoptés en fratries.
La Russie a une démarche d'encadrement conventionnel de l'adoption internationale. Celle-ci est conforme au cadre posé par les deux conventions internationales qui traitent de l'adoption : la Convention de La Haye de 1993, que la France a ratifié mais pas la Russie, donne la priorité à l'intérêt supérieur de l'enfant et soumet les adoptions internationales à un certain nombre de règles procédurales ; la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant de 1989 consacre quatre principes fondamentaux : la non-discrimination ; l'intérêt supérieur de l'enfant ; le droit à la vie, à la survie et au développement ; le respect de l'opinion de l'enfant.
La France est le seul pays, parmi les membres de l'Union européenne, à autoriser les adoptions individuelles, sans passer par un intermédiaire agréé, et est régulièrement critiquée pour cela par des organisations non gouvernementales comme Terre des Hommes. La majorité des Français adoptant en Russie ne recourent pas, jusqu'à présent, aux services d'un organisme agréé, bien que trois organismes soient actifs en Russie : les associations accréditées « De Pauline à Anaëlle » et « Enfance Avenir », et l'Agence française de l'adoption, qui est un organisme de droit public. Les adoptions opérées avec des démarches individuelles ont représenté, en 2012, 79 % des adoptions d'enfants russes. Rien dans la législation française n'interdit expressément de procéder à des adoptions individuelles, ce qui à mon sens est regrettable.
Cette situation est problématique au regard tant des instruments internationaux qui régissent l'adoption que des exigences propres des autorités russes. La Russie s'efforce depuis quelques années de passer des accords bilatéraux sur l'adoption avec ses principaux partenaires en la matière. Elle a ainsi signé des traités avec deux pays : l'Italie, en novembre 2008, et les États-Unis, en juillet 2011 – cet accord a été dénoncé par la Russie fin 2012 à titre de rétorsion après les mesures américaines consécutives à l'« affaire Magnitski ».
Ces deux accords s'inscrivent dans la logique du cadre international que j'ai décrit. Ils posent de manière générale le principe du passage par un organisme agréé pour les adoptions et sont très détaillés quant aux conditions d'accréditation et aux obligations des organismes en question. Ils comportent également des exigences élevées sur le suivi des enfants après leur adoption et le maintien d'un lien avec leur pays d'origine.
Les autres pays européens n'ont pas d'accords sur l'adoption avec la Russie, mais certains sont en train d'en négocier un, par exemple l'Espagne, ou ont été récemment sollicités par les autorités russes à cette fin, par exemple la Suisse, l'Irlande et l'Allemagne. L'intention des autorités russes semble être de réserver à l'avenir les adoptions internationales aux ressortissants des pays ayant signé un accord bilatéral.
Je passe au traité lui-même. Première observation, il pose des règles symétriques pour les deux parties, en définissant les prérogatives et les obligations d'une part de l'« État d'origine » des enfants, d'autre part de leur « État d'accueil ». Dans la pratique, le premier est la Russie et le second la France, mais le traité s'appliquerait réciproquement à l'éventuelle adoption d'un enfant français en Russie.
Le préambule du traité vise expressément les principes de la Convention des Nations-Unies de 1989 relative aux droits de l'enfant. Il met aussi en avant le principe de subsidiarité de l'adoption internationale, qui figure dans les engagements internationaux.
Le point le plus marquant du traité réside dans l'obligation de passer par un organisme agréé pour toute procédure d'adoption. Ces organismes sont soumis à ces règles strictes : caractère non lucratif, personnel formé, agrément qui peut être enlevé pour manquement. Des règles de procédures très précises sont également prévues : pour ce qui concerne l'enfant, le contrôle du fait qu'il peut être adopté, c'est la responsabilité du pays d'origine. Les candidats à l'adoption doivent avoir un agrément dans le pays d'accueil mais le pays d'origine se réserve le droit de fixer certaines règles. Le pays d'accueil sera responsable de la formation des parents et du contrôle du respect par les organismes agréés des obligations de suivi des enfants.
Le traité clarifie plusieurs aspects juridiques. Sa rédaction affirme clairement que l'adoption vaut rupture définitive de la filiation avec les parents biologiques, ce qui permettra en France la reconnaissance automatique de l'adoption plénière. Les enfants acquerront de plein droit la nationalité du pays d'accueil, mais conserveront la nationalité russe, avec obligation d'être immatriculés auprès du consulat. Le traité clarifie aussi les obligations militaires des adoptés, ce qui rassurera certains parents qui hésitaient à voyager en Russie avec leurs enfants : la participation à la « journée défense et citoyenneté » exemptera du service en Russie.
Le renforcement du suivi est un autre aspect du traité : un rapport détaillé sur l'évolution physique et psychique de l'enfant incombera aux organismes agréés sous le contrôle de l'État et sera périodiquement remis aux autorités russes. Le traité renforce aussi la coopération entre les deux États en prévoyant des échanges de données. Des questions ont été soulevées sur la compatibilité de cela avec notre législation, mais celle-ci autorise le transfert hors Union européenne de données personnelles si la personne concernée a consenti expressément à ce transfert, ce qui est le cas pour les adoptions.
J'en viens maintenant aux interrogations qui entourent aujourd'hui l'adoption en Russie.
Il y a d'abord ce qui a trait au renforcement des obligations de suivi des enfants. Un arrêté du gouvernement russe du 22 août dernier va dans ce sens en obligeant à la transmission de rapports de suivi jusqu'à la majorité des enfants. Pour un État dont les enfants sont adoptés à l'étranger, il est légitime de se préoccuper de leur devenir jusqu'à leur majorité, même si, il faut le dire, il n'y a pas beaucoup de problèmes. Durant ces quatre dernières années, seuls trois cas d'échec à l'adoption ont été recensés en France pour les enfants russes. Par ailleurs, c'est un fait que ce suivi est lourd et peut avoir un aspect un peu inquisitorial.
Cet arrêté impose aussi que les changements dans la vie des enfants, par exemple un nouveau placement, soient portés à la connaissance des autorités russes dans un délai de cinq jours. On sait qu'un placement se fait toujours dans l'urgence et cela sera difficile à tenir.
Il y a aussi la circulaire prise par la Cour suprême russe le 29 août suite à la nouvelle loi sur l'adoption, qui bloque les adoptions pour les pays où le mariage pour tous existe et qui n'ont pas de traité sur l'adoption en vigueur avec la Russie. De nombreux dossiers de nos compatriotes sont en conséquence bloqués, peut-être 400. La ratification du traité semble être la meilleure manière d'arriver à un déblocage.
Il y a quand même des cas plus compliqués : ceux des douze femmes françaises célibataires qui ont des dossiers en cours, qui sont bloqués, alors qu'elles ont déjà été apparentées avec des enfants russes et les considèrent comme leurs enfants. Il semble que des tribunaux russes veuillent leur appliquer rétroactivement la nouvelle loi interdisant l'adoption par des célibataires. Ce sont des situations humainement très difficiles et j'espère que les autorités russes donneront, en toute humanité, une issue favorable à tous ces dossiers.
Pour conclure, je vous invite à voter – à l'unanimité j'espère – pour la ratification de ce traité, qui nous permettra d'avancer sur de nombreux points. Nombre de nos compatriotes ont aujourd'hui leurs dossiers d'adoption bloqués, sont en attente, comme l'a relevé la présidente de la commission, et nous devons faire avancer les choses.
J'ai effectivement pensé nécessaire d'avancer de trois semaines l'examen de ce traité par notre commission et j'espère que nous irons vite en séance publique également. Il nous faut tenir compte de la souffrance des familles qui sont engagées dans des procédures d'adoption. J'étais à Moscou la semaine dernière et j'ai discuté de cette question avec mes interlocuteurs russes. J'ai également invité à déjeuner les présidents des trois organismes français qui interviennent en Russie sur les adoptions. Mes interlocuteurs russes m'ont redit qu'ils ne comprenaient pas pourquoi nous avions tellement tardé – raison supplémentaire de la ratification rapide de ce traité.
Il me semble aussi qu'ils sont décidés à faire des gestes. Mon homologue le président de la commission des affaires étrangères de la Douma a souligné que certains membres de sa commission étaient partisans d'une solution extrêmement dure qui aurait consisté à interdire toute nouvelle adoption, non seulement compte tenu des dernières lois, mais aussi parce qu'ils n'étaient pas satisfaits du suivi des enfants déjà adoptés. C'est finalement une position ouverte qui a prévalu et ils m'ont indiqué que si nous ratifiions ce traité, la position russe ne pourrait qu'évoluer favorablement.
Nous ne devons pas oublier que certains menacent de dénoncer ensuite ce traité si nous n'apportons pas suffisamment de garanties sur le suivi des enfants. Ce traité va en apporter, puisqu'il obligera à passer par des intermédiaires agréés : on pourra tenir des dossiers sur les enfants. Pour les adoptions déjà réalisées par démarche individuelle, ce sera évidemment beaucoup plus difficile. Après la ratification du traité – que j'espère, moi aussi, unanime –, il y aura un travail à faire avec les conseils généraux pour s'assurer que les demandes russes sur le suivi seront bien remplies.
Cette réunion était très attendue. Nous sommes nombreux, je pense, à recevoir du courrier sur ce sujet. Le fait d'avancer au maximum le calendrier de ratification est une bonne chose. La rapporteure a fait un excellent rapport, très argumenté.
Il y aura, la rapporteure nous l'a redit, quelques cas individuels de dossiers en cours qui ne seront pas réglés automatiquement le traité. Peut-être serait-il utile d'adresser une lettre aux autorités russes, au nom de la commission des affaires étrangères, pour leur demander de traiter avec humanité ces quelques cas qui restent à régler. Ces questions doivent être abordées avec beaucoup d'intérêt, de sérieux et de compréhension.
J'espère que nous déboucherons enfin sur des règles claires et définitives, qui auront l'approbation de la Russie, pour pouvoir traiter les adoptions sur des bases renouvelées.
Je pense moi aussi que vous avez bien fait d'avancer la date d'examen de ce dossier, parce que 400 dossiers sont actuellement bloqués et parce qu'il est important de donner un signe rapide aux autorités russes.
Je ne rouvre pas le débat, mais la loi sur le mariage homosexuel a créé un vrai malaise. J'étais il y a deux mois avec Chantal Guittet en Russie, dans le cadre d'un rapport que nous effectuons, et la quasi-totalité de nos interlocuteurs nous ont interrogés sur cette question qui révèle un vrai fossé culturel entre la France et la Russie. En tant que député ayant la Russie dans ma circonscription, je suis moi aussi saisi d'un certain nombre de dossiers. J'espère que les explications et les garanties données par la France permettront que notre nouvelle législation ne bloque pas les adoptions. Cela serait tout à fait malheureux.
Par ailleurs, il me semble tout à fait légitime qu'un pays comme la Russie se préoccupe de l'avenir de ses citoyens jusqu'à l'âge de 18 ans, cela l'honore. Il faut aussi se rappeler ce qui s'est passé sur certains dossiers. Je ne pense pas à notre pays, mais notamment aux États-Unis.
Mon premier mot sera aussi pour vous remercier d'avoir avancé le passage en commission de ce dossier. J'ai écouté avec beaucoup d'attention la rapporteure et je voudrais l'interroger sur les douze cas d'adoptantes célibataires, car j'ai été interpellée par l'une d'elles : quelles sont les actions engagées par le gouvernement, dispose-t-on d'une information sur les délais dans lesquels on peut attendre une réponse ?
Mon autre question porte sur l'information des couples qui adoptent. Je suis allée voir le portail gouvernemental de l'adoption et le site de l'Agence française de l'adoption, et on n'y trouve aucune information actualisé sur la situation. Pouvez-vous me dire pourquoi ?
Pour répondre à Thierry Mariani, le mariage pour tous a choqué les Russes. Mais je rappellerai que l'Espagne est, après les États-Unis, l'un des pays qui adopte le plus d'enfants russes sans que cela pose problème et bien que le mariage entre personnes du même sexe y soit reconnu depuis 2005.
En fait, les Russes ont été irrités que l'on ne ratifie pas plus rapidement le traité.
Je tiens à dire à Jean-Pierre Dufau que Mme Mizoulina, présidente de la commission des affaires sociales de la Douma, vient la semaine prochaine à Paris et rencontrera Catherine Lemorton, son homologue. Elle a aussi demandé à me rencontrer. Nous avons bien fait d'avancer l'examen du texte. Ça montrera que l'Assemblée nationale a fait un geste rapide sur ce dossier.
Pour le cas particulier des célibataires, j'ai rencontré un représentant de l'Agence française de l'adoption, qui m'a dit qu'il y a plusieurs types de situations :
– certaines avaient déposé leur dossier au tribunal avant le vote de la loi interdisant l'adoption aux célibataires ; la question de la rétroactivité se pose mais ces dossiers devraient passer ;
– d'autres n'ont pu déposer ce dossier car tout était bloqué dans la perspective de cette loi. Je ne peux pas m'avancer sur l'analyse juridique de ces dossiers. Mais les Russes sont connus pour avoir des liens forts avec leurs enfants et on peut penser qu'ils comprendront ce que ça peut faire à un enfant d'avoir été apparenté et d'avoir reçu, plusieurs fois, la visite de son futur parent. On peut compter sur l'humanité des Russes. J'espère bien en parler avec Mme Mizoulina et avancer vers un compromis.
En tout état de cause, pour l'avenir, il n'y aura plus d'adoptions par des célibataires.
Pourquoi n'y a-t-il rien sur le site de l'Agence française de l'adoption ? Peut-être parce qu'ils ne savent pas quoi mettre et ne veulent pas créer de faux espoirs. Pour le moment, il serait imprudent d'affirmer quoi que ce soit.
Je suis choqué par le fait que, dans ces adoptions d'enfants russes, la nationalité ne soit pas attribuée avant 18 ans. Donc l'adoption plénière ne se fera pas avant cet âge ?
Ces enfants, selon le traité, auront la nationalité française dès l'adoption, mais en gardant aussi la russe. Et les termes du traité permettent l'adoption plénière.
Que la Russie veuille veiller sur ses enfants, c'est bien. Mais s'il y a des manquements, on retirera l'enfant à sa famille ?
Ça se passera comme pour n'importe quelle famille française. On pourra retirer l'enfant de la famille adoptive. S'il y a une nouvelle adoption, il faudra l'accord des autorités russes.
Je partage la préoccupation de contrôler le sort fait aux enfants et il faudra que ce contrôle soit efficace. Mais c'est quand même terrible pour un enfant de vivre jusqu'à sa majorité avec une incertitude sur son identité. Et pour une famille, vivre avec le risque de savoir que l'enfant peut être retiré, c'est un vrai stress. D'autant que nous savons bien qu'il est difficile de définir la maltraitance pouvant justifier un retrait de garde, de savoir ce qui est vraiment le mieux pour l'enfant dans certaines situations…
Ce sont des questions importantes, mais qui peuvent concerner toutes les familles, pas seulement celles qui adoptent des enfants russes. Le contrôle sera exercé par nos administrations et ne sera pas différent selon qu'il s'agit ou non d'enfants russes adoptés.
La Russie mettait sur une « liste noire » les départements ne produisant pas les rapports de suivi. Ils demandent un suivi, mais ce suivi ne sera pas différent de celui des autres enfants.
Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1377).
La séance est levée à onze heures quinze