Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 23 octobre 2013 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

Je voudrais d'abord m'excuser de l'envoi tardif du projet de rapport, mais la présentation de celui-ci a été avancée par la présidente de notre commission, ce dont je me réjouis. Il s'agit de répondre aux attentes et à la détresse des familles dont le dossier d'adoption est bloqué en attente de la ratification du traité.

Cette ratification est aussi très attendue du côté russe, où l'on ne comprend pas pourquoi l'exécutif français a attendu deux ans pour déposer un projet de loi de ratification d'un texte signé le 18 novembre 2011. Ce type de délai n'est pourtant pas rare, nous le savons, en particulier quand les accords posent un certain nombre de questions juridiques et politiques auxquelles il convient alors de répondre de façon approfondie.

Je commencerai ma présentation par quelques éléments de contexte. La Russie est devenue en 2012 le premier pays d'origine des enfants adoptés par des familles résidant en France, avec l'arrivée de 235 enfants. En 2012, la France était le 4ème pays d'accueil des enfants russe proposés à l'adoption internationale, derrière les États-Unis, l'Italie et l'Espagne, environ 700 enfants russes étant adoptés dans chacun de ces pays.

Le nombre d'enfants russes adoptés par des étrangers dépasse 3 000 par an. La Russie est donc un partenaire majeur pour l'adoption internationale. C'est d'autant plus que le nombre d'adoptions en provenance d'autres sources traditionnelles (Haïti, Éthiopie, Vietnam, Colombie...) a énormément baissé, voire s'est effondré. Plusieurs pays ont, de manière plus ou moins définitive, suspendu les adoptions internationales durant les deux ou trois dernières années : le Cambodge, le Népal, le Sénégal, le Laos, le Mali, la Guinée.

Qui sont ces enfants russes adoptés ? Il faut savoir que la Russie n'a pas ratifié la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur l'adoption internationale, mais en respecte l'une des principales règles, à savoir le principe de subsidiarité de l'adoption internationale par rapport à l'adoption nationale : les enfants doivent d'abord être proposés à l'adoption dans le pays selon une procédure précise. Ce n'est qu'à l'issue de celle-ci qu'ils sont accessibles à l'adoption internationale.

Par conséquent, les enfants proposés à l'adoption internationale sont ceux qui n'ont pu être adoptés nationalement. En 2012, en France, 208 des 235 enfants russes adoptés étaient dits « à besoin spécifiques » : 177 avaient une pathologie, 41 avaient plus de cinq ans et 51 ont été adoptés en fratries.

La Russie a une démarche d'encadrement conventionnel de l'adoption internationale. Celle-ci est conforme au cadre posé par les deux conventions internationales qui traitent de l'adoption : la Convention de La Haye de 1993, que la France a ratifié mais pas la Russie, donne la priorité à l'intérêt supérieur de l'enfant et soumet les adoptions internationales à un certain nombre de règles procédurales ; la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant de 1989 consacre quatre principes fondamentaux : la non-discrimination ; l'intérêt supérieur de l'enfant ; le droit à la vie, à la survie et au développement ; le respect de l'opinion de l'enfant.

La France est le seul pays, parmi les membres de l'Union européenne, à autoriser les adoptions individuelles, sans passer par un intermédiaire agréé, et est régulièrement critiquée pour cela par des organisations non gouvernementales comme Terre des Hommes. La majorité des Français adoptant en Russie ne recourent pas, jusqu'à présent, aux services d'un organisme agréé, bien que trois organismes soient actifs en Russie : les associations accréditées « De Pauline à Anaëlle » et « Enfance Avenir », et l'Agence française de l'adoption, qui est un organisme de droit public. Les adoptions opérées avec des démarches individuelles ont représenté, en 2012, 79 % des adoptions d'enfants russes. Rien dans la législation française n'interdit expressément de procéder à des adoptions individuelles, ce qui à mon sens est regrettable.

Cette situation est problématique au regard tant des instruments internationaux qui régissent l'adoption que des exigences propres des autorités russes. La Russie s'efforce depuis quelques années de passer des accords bilatéraux sur l'adoption avec ses principaux partenaires en la matière. Elle a ainsi signé des traités avec deux pays : l'Italie, en novembre 2008, et les États-Unis, en juillet 2011 – cet accord a été dénoncé par la Russie fin 2012 à titre de rétorsion après les mesures américaines consécutives à l'« affaire Magnitski ».

Ces deux accords s'inscrivent dans la logique du cadre international que j'ai décrit. Ils posent de manière générale le principe du passage par un organisme agréé pour les adoptions et sont très détaillés quant aux conditions d'accréditation et aux obligations des organismes en question. Ils comportent également des exigences élevées sur le suivi des enfants après leur adoption et le maintien d'un lien avec leur pays d'origine.

Les autres pays européens n'ont pas d'accords sur l'adoption avec la Russie, mais certains sont en train d'en négocier un, par exemple l'Espagne, ou ont été récemment sollicités par les autorités russes à cette fin, par exemple la Suisse, l'Irlande et l'Allemagne. L'intention des autorités russes semble être de réserver à l'avenir les adoptions internationales aux ressortissants des pays ayant signé un accord bilatéral.

Je passe au traité lui-même. Première observation, il pose des règles symétriques pour les deux parties, en définissant les prérogatives et les obligations d'une part de l'« État d'origine » des enfants, d'autre part de leur « État d'accueil ». Dans la pratique, le premier est la Russie et le second la France, mais le traité s'appliquerait réciproquement à l'éventuelle adoption d'un enfant français en Russie.

Le préambule du traité vise expressément les principes de la Convention des Nations-Unies de 1989 relative aux droits de l'enfant. Il met aussi en avant le principe de subsidiarité de l'adoption internationale, qui figure dans les engagements internationaux.

Le point le plus marquant du traité réside dans l'obligation de passer par un organisme agréé pour toute procédure d'adoption. Ces organismes sont soumis à ces règles strictes : caractère non lucratif, personnel formé, agrément qui peut être enlevé pour manquement. Des règles de procédures très précises sont également prévues : pour ce qui concerne l'enfant, le contrôle du fait qu'il peut être adopté, c'est la responsabilité du pays d'origine. Les candidats à l'adoption doivent avoir un agrément dans le pays d'accueil mais le pays d'origine se réserve le droit de fixer certaines règles. Le pays d'accueil sera responsable de la formation des parents et du contrôle du respect par les organismes agréés des obligations de suivi des enfants.

Le traité clarifie plusieurs aspects juridiques. Sa rédaction affirme clairement que l'adoption vaut rupture définitive de la filiation avec les parents biologiques, ce qui permettra en France la reconnaissance automatique de l'adoption plénière. Les enfants acquerront de plein droit la nationalité du pays d'accueil, mais conserveront la nationalité russe, avec obligation d'être immatriculés auprès du consulat. Le traité clarifie aussi les obligations militaires des adoptés, ce qui rassurera certains parents qui hésitaient à voyager en Russie avec leurs enfants : la participation à la « journée défense et citoyenneté » exemptera du service en Russie.

Le renforcement du suivi est un autre aspect du traité : un rapport détaillé sur l'évolution physique et psychique de l'enfant incombera aux organismes agréés sous le contrôle de l'État et sera périodiquement remis aux autorités russes. Le traité renforce aussi la coopération entre les deux États en prévoyant des échanges de données. Des questions ont été soulevées sur la compatibilité de cela avec notre législation, mais celle-ci autorise le transfert hors Union européenne de données personnelles si la personne concernée a consenti expressément à ce transfert, ce qui est le cas pour les adoptions.

J'en viens maintenant aux interrogations qui entourent aujourd'hui l'adoption en Russie.

Il y a d'abord ce qui a trait au renforcement des obligations de suivi des enfants. Un arrêté du gouvernement russe du 22 août dernier va dans ce sens en obligeant à la transmission de rapports de suivi jusqu'à la majorité des enfants. Pour un État dont les enfants sont adoptés à l'étranger, il est légitime de se préoccuper de leur devenir jusqu'à leur majorité, même si, il faut le dire, il n'y a pas beaucoup de problèmes. Durant ces quatre dernières années, seuls trois cas d'échec à l'adoption ont été recensés en France pour les enfants russes. Par ailleurs, c'est un fait que ce suivi est lourd et peut avoir un aspect un peu inquisitorial.

Cet arrêté impose aussi que les changements dans la vie des enfants, par exemple un nouveau placement, soient portés à la connaissance des autorités russes dans un délai de cinq jours. On sait qu'un placement se fait toujours dans l'urgence et cela sera difficile à tenir.

Il y a aussi la circulaire prise par la Cour suprême russe le 29 août suite à la nouvelle loi sur l'adoption, qui bloque les adoptions pour les pays où le mariage pour tous existe et qui n'ont pas de traité sur l'adoption en vigueur avec la Russie. De nombreux dossiers de nos compatriotes sont en conséquence bloqués, peut-être 400. La ratification du traité semble être la meilleure manière d'arriver à un déblocage.

Il y a quand même des cas plus compliqués : ceux des douze femmes françaises célibataires qui ont des dossiers en cours, qui sont bloqués, alors qu'elles ont déjà été apparentées avec des enfants russes et les considèrent comme leurs enfants. Il semble que des tribunaux russes veuillent leur appliquer rétroactivement la nouvelle loi interdisant l'adoption par des célibataires. Ce sont des situations humainement très difficiles et j'espère que les autorités russes donneront, en toute humanité, une issue favorable à tous ces dossiers.

Pour conclure, je vous invite à voter – à l'unanimité j'espère – pour la ratification de ce traité, qui nous permettra d'avancer sur de nombreux points. Nombre de nos compatriotes ont aujourd'hui leurs dossiers d'adoption bloqués, sont en attente, comme l'a relevé la présidente de la commission, et nous devons faire avancer les choses.

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