Intervention de Denis Jacquat

Séance en hémicycle du 19 novembre 2013 à 21h30
Garantir l'avenir et la justice du système de retraites — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Jacquat :

Depuis exactement vingt ans, toutes les réformes qui ont été conduites pour pérenniser les régimes de retraites l’ont été par des gouvernements de droite. Des mesures ayant un impact fort, que ce soit en termes financiers, de justice sociale ou d’équité, ont ainsi été prises régulièrement en 1993, 2003, 2008 et 2010.

La réforme de 2010, dont la mesure majeure reposait sur le report de l’âge légal de départ en retraite, a puissamment contribué à réduire les déficits attendus puisque, d’après les calculs de la CNAV, dès 2018 ce sont 75 % des assurés qui auraient décalé leur départ en retraite. Au total, l’ensemble de ces réformes a eu un impact positif pour les régimes de retraite, estimé par le Conseil d’orientation des retraites à 3,5 points de PIB en 2020 et près de 6 points de PIB en 2030.

Outre l’impact financier, les réformes menées depuis 1993 ont conduit à un renforcement de l’équité avec notamment des mesures de convergence entre le secteur public et le secteur privé, des mesures liées aux carrières longues et la création d’un dispositif pour la pénibilité.

Face aux effets de la crise, il faut poursuivre l’adaptation de notre système de retraites. Dès que la conjoncture l’a exigé, nous avons agi. Ainsi, en 2011, le rythme de montée en charge de la réforme de 2010 a été accéléré. Par comparaison, en 2012, alors que la crise économique continuait de sévir, François Hollande a rétabli partiellement le départ à la retraite dès 60 ans, pour un coût de l’ordre de 1,1 milliard d’euros en 2013, en renchérissant le coût du travail et en attaquant le pouvoir d’achat.

Cette dernière décision a été prise à rebours des réformes menées précédemment pour encourager nos concitoyens à travailler plus longtemps, dans un contexte démographique marqué par un vieillissement de la population, principalement en bonne santé.

Compte tenu de la persistance de la crise, le rendez-vous de 2013, prévu dès la loi de 2010, devait plus que jamais être honoré. Les Français y étaient d’ailleurs prêts : ainsi, le sondage IFOP-Les Échos-Accenture d’avril 2013 a montré que 66 % d’entre eux estimaient qu’il était nécessaire de continuer à réformer les retraites, et que 80 % considéraient qu’il fallait une vaste réforme pour repenser le système en fusionnant les régimes. Or, le rendez-vous d’aujourd’hui est un faux rendez-vous. Ce projet de loi n’est pas une réforme, mais une non-réforme. C’est un texte Hollande-Ayrault, simple habillage d’une hausse des impôts et des charges.

Il y a une amnésie totale. N’oublions pas que le Conseil d’orientation des retraites chiffre à environ 21 milliards d’euros les besoins de financement de l’ensemble des régimes d’ici 2020. Dans ce déficit, les deux plus gros déséquilibres sont constitués par le financement des retraites complémentaires AGIRC et ARRCO et par le financement des retraites des fonctionnaires.

Les partenaires sociaux ont trouvé un accord pour réduire de moitié le déficit de l’AGIRC-ARRCO prévu à l’horizon 2020, alors que le Gouvernement, responsable des autres composantes, n’a été capable, depuis son arrivée au pouvoir, que de procéder à des hausses d’impôts et de charges pesant toujours plus sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Ainsi, les déséquilibres concernent moins le régime général que les régimes du public. Il est dommageable que les ménages et les entreprises soient amenés à faire des efforts supplémentaires au motif que l’État est défaillant pour assurer la retraite de ses agents.

Si les grands principes des réformes de 2003 et 2010 sur les mesures d’âge sont maintenus, alors que les socialistes avaient bruyamment manifesté leur opposition à l’époque, c’est, dans ce cas précis, au prix d’une hypocrisie flagrante. En effet, si le principe d’une répartition des gains d’espérance de vie entre durée du travail, et donc de cotisation, et retraite, principe posé dès 2003, est poursuivi jusqu’en 2035, il ne s’accompagne pas, en revanche, d’un décalage de l’âge légal de départ à la retraite. Ainsi, si la durée de cotisation passe à quarante-trois ans, celui qui a commencé à travailler à 23 ans devra partir à 66 ans pour avoir sa retraite complète alors que l’âge légal sera resté à 62 ans. C’est prendre le risque que des Français partent à cet âge-là, avec une décote et donc une baisse significative du niveau de leur pension. Procéder comme le fait le Gouvernement revient donc à choisir la mesure d’allongement du travail la plus néfaste pour le pouvoir d’achat des retraités, et surtout la moins efficace financièrement.

Le rejet de ce texte « Canada-dry » est nécessaire pour de multiples raisons. Tout d’abord, cette réforme est sous-calibrée : elle cible l’effort sur les 7 milliards d’euros de déficit du régime général, alors qu’il faut trouver presque 21 milliards pour combler les déficits de tous les régimes.

On constate aussi une régression sur la convergence : les cotisations des fonctionnaires n’augmenteraient pas au même rythme que celles des autres actifs, au motif que le taux de cotisation des fonctionnaires croît déjà progressivement pour s’aligner d’ici 2020 sur le taux de 10,55 % applicable aux actifs.

Par ailleurs, le financement du paquet social reste flou, voire insuffisant. Le Gouvernement estime à 2,5 milliards d’euros le coût de la pénibilité en 2040 alors que le financement escompté s’élève à seulement 800 millions d’euros à la même date, par le biais de deux nouvelles cotisations employeurs.

De multiples autres raisons justifient le rejet de ce texte. Ce projet de loi contient des mesures anti-pouvoir d’achat plutôt que des mesures courageuses sur le travail. Les cotisations des actifs croissent, alors qu’elles ont déjà été augmentées pour financer le retour de la retraite à 60 ans. De même, l’impôt des retraités augmente, alors que ces derniers financent déjà la taxe de contribution additionnelle de solidarité sur les pensions de retraite et d’invalidité, qui avait été votée dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Pire, avec la fiscalisation des bonus pour trois enfants, il existe un risque important de faire basculer de nombreux retraités dans l’impôt sur le revenu.

Ce projet de loi comprend également des mesures anti-compétitivité, au mépris de nos engagements européens. Alors que le Gouvernement a augmenté de près de 17 milliards d’euros les impôts des entreprises en dix-huit mois, il prévoit de leur demander 2,2 milliards d’euros d’efforts supplémentaires au titre des cotisations et 500 millions au titre de la pénibilité d’ici 2020. Alors que la France vient de perdre deux places au classement de l’indice global de compétitivité établi par le forum mondial de Davos, elle ne tient absolument pas compte des conditions qui lui ont été imposées par Bruxelles en juillet pour réduire son déficit, parmi lesquelles figuraient notamment la non-augmentation des cotisations et la nécessité de bornes d’âge.

Une fois ce texte rejeté, madame la ministre, il sera nécessaire d’étudier trois axes.

Le premier concerne l’évolution de l’âge légal de départ à la retraite. Il faut poursuivre l’effort initié en 2003 et 2010 en prolongeant le report de l’âge légal de départ à la retraite, pour atteindre progressivement 65 ans.

Le deuxième axe est le renforcement de l’équité entre le secteur public et le secteur privé. Nous devons harmoniser les règles de constitution et de liquidation des pensions du privé et du public et poursuivre le processus de convergence des régimes spéciaux, tant en matière d’âge que de taux de cotisation.

Le troisième axe est la réalisation de l’acte II de l’épargne retraite, afin d’améliorer la lisibilité des différents produits d’épargne retraite individuels et d’harmoniser les produits existants.

La question de la pénibilité au travail doit être traitée sous l’angle de la santé au travail. Quel que soit le type de travail, chaque salarié doit, dès sa première seconde d’activité, être pris en charge dans le sens d’une prévention de l’exposition à des facteurs de pénibilité. La création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité, dont les objectifs concilient prévention et réparation, doit être revue, car son application dans nombre de PMI-PME, et surtout dans les TPE, est quasiment impossible pour de multiples raisons, notamment organisationnelles.

La lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes a également été l’un de nos combats, plus particulièrement dans la loi de 2010. Les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes résultent des inégalités pendant leur vie professionnelle. Aussi, dans le cadre des retraites, et plus particulièrement des retraites par répartition, il convient de continuer à lutter en ce sens.

En conclusion, madame la ministre, ce texte n’est qu’un emplâtre destiné à tenir le temps des élections municipales, cantonales et régionales.

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