Nous voici devant une réforme a minima, que j’ai d’ailleurs du mal à qualifier de réforme puisqu’elle passe à côté des trois objectifs que devrait avoir une réelle réforme du système de retraite français.
Premièrement, elle n’atteint pas l’équilibre financier. Au vu du déficit actuel, cela devrait pourtant être la priorité absolue. Or, il faut bien le dire, le compte n’y est pas. L’État doit trouver 15 milliards d’euros environ, 7 milliards pour le privé et 8,6 pour les fonctionnaires, ce qui finira par retomber sur les salariés, il n’y a guère d’illusion sur ce point.
Au lieu de cela, le Gouvernement préfère s’étendre sur la pénibilité. Si traiter de cette question est normal et nécessaire, autant le dire clairement : le problème n’est utilisé ici que comme un artifice de communication pour éviter de traiter du vrai sujet qu’est l’équilibre financier des retraites. En ce sens, la création d’un compte pénibilité, outre qu’il instaure une certaine complexité, est un cache-misère. La pénibilité n’était qu’une partie du rapport Moreau. Le rééquilibrage, lui, en était le centre, ce qui n’est plus du tout le cas ici.
Deuxième objectif non atteint : celui de la simplification. Le fameux choc de simplification, si cher au Gouvernement, devrait s’appliquer à tous les textes étudiés. Or, sur ce projet de loi comme sur les autres, je constate que ce n’est pas le cas. Il y avait pourtant urgence à faire converger les trente-cinq régimes de retraite différents. Car autant le dire tout de suite, contrairement à ce qu’indique la dénomination du titre III, rien ne vient clairement, dans ces articles, simplifier le système. Le constat du Gouvernement, celui d’un système de retraite complexe et peu accessible, est le bon. Mais le présent projet de loi, lorsqu’il entend simplifier, traite uniquement de l’information des usagers. Vous vous attaquez donc au symptôme et non à sa cause. C’est dommage, car tout le monde s’entend pour dire que la situation actuelle n’est pas tenable.
Le rapport Moreau suggérait d’ouvrir un débat sur l’harmonisation et le rapprochement entre régimes. Dans le cas présent, il n’y a ni débat, ni mesures qui vont dans ce sens. Les solutions sont encore une fois d’ordre cosmétique et l’on ne peut que le regretter.
Troisièmement, de nombreux sujets dont il aurait fallu traiter sont purement et simplement éludés ou renvoyés à des comités et autres réflexions ultérieures. Ce genre de fuite en avant est adapté à la situation, compte tenu des questions financières que j’ai déjà évoquées. Le comité de suivi des retraites, créé à l’article 3, fait particulièrement figure d’exemple à mes yeux. Mon engagement à combattre ces comités, commissions et autres hauts conseils est constant. J’aimerais simplement dire ce que cela révèle sur l’esprit de ce texte.
Que l’opposition demande des rapports, souhaite des réflexions sur le sujet est normal. C’est un moyen pour nous de mettre des sujets sur la table. En revanche, lorsqu’une réflexionnite aiguë gagne le Gouvernement, ce n’est pas forcément bon signe. En l’occurrence, cela veut dire en filigrane qu’un certain nombre de sujets ont été peu anticipés, sous-évalués ou bien carrément ignorés dans la préparation de cette réforme.
Ce n’est pas la première réforme des retraites. Le rapport Moreau n’est pas le premier rapport non plus. Il y a déjà un Conseil d’orientation des retraites et d’autres organismes chargés de fournir des informations. Je ne vois donc pas l’intérêt de ce comité, qui plus est composé de quatre personnes.
Et je dois dire que j’ai été très amusé par l’article 30 qui prévoit que soit organisé tous les ans un débat sur les orientations de la politique des retraites dans la fonction publique. Amusé jusqu’à un certain point, car cela est également révélateur d’une fuite en avant. Le rapprochement entre public et privé doit se faire pas à pas, mais il doit se faire. Cette question n’est pas traitée ici. Elle est pourtant essentielle et ne pourra être remise à plus tard éternellement. Cela ravive le tabou que le précédent gouvernement s’était efforcé de lever. Éluder ce sujet dans ce qui se prétend être une réforme des retraites relève de l’exploit. Le renvoyer à un débat annuel ou à une quelconque réflexion est sidérant. Ce n’est pas la définition que je me fais de la responsabilité, mot pourtant si cher à Mme la ministre.
Enfin, concernant l’objectif de justice brandi par le Gouvernement et la majorité, tout pousse à croire qu’il n’est pas atteint puisque même vos collègues socialistes du Sénat ont fini par rejeter cette réforme en bloc.
En résumé, quand une vraie réforme aura pour but de rechercher l’équilibre financier général, d’aligner les régimes et de simplifier le système, alors seulement elle pourra être qualifiée de réforme d’avenir. Ce projet de loi n’est pas à la hauteur. Je voterai donc contre.