Intervention de Véronique Massonneau

Séance en hémicycle du 19 novembre 2013 à 21h30
Garantir l'avenir et la justice du système de retraites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Massonneau :

De vraies avancées ont été obtenues au Sénat, au milieu du grand détricotage réalisé par les différents groupes parlementaires : ainsi, la consultation du médecin du travail lors de la définition des postes à caractère pénible, l’encadrement du refus par les employeurs du passage à temps partiel pour les salariés ayant cumulé suffisamment de points sur leur compte pénibilité, ou encore un rapport sur le cumul emploi-retraite pour les artistes-interprètes en CDI. Surtout, les articles 2 et 4 ont été supprimés.

Que dire qui n’a déjà été dit au sujet de ces deux articles ? L’article 2 prévoit l’allongement de la durée de cotisation, qui serait progressivement portée de quarante et un à quarante-trois ans, soit deux ans de cotisations supplémentaires pour nos concitoyens et, particulièrement, pour nos concitoyennes. Je le précise délibérément car cela n’a rien d’anodin. En effet, soyons lucides : qui va pâtir le plus de cet allongement ? Le cadre supérieur, passionné par son travail, propriétaire de sa résidence principale ? Évidemment non. Ce seront les salariés, quand ils le sont encore, les plus précaires, les moins formés, ayant eu une carrière heurtée, pour ne pas dire chaotique. Parmi ces personnes, les femmes sont particulièrement touchées. Grossesses, congés maternels, temps partiels, salaires moindres : autant de raisons qui favorisent ces carrières heurtées.

On invoque un indice d’espérance de vie qui serait en augmentation, mais cet indicateur n’est clairement pas suffisant. Il est indispensable de le mettre en corrélation avec l’espérance de vie en bonne santé. Selon l’INSEE, en France, pour les hommes, celle-ci était de 61,8 ans en 2010 ! Ce dispositif assure un départ en retraite entre 62 et 67 ans. Or, même si l’espérance de vie en bonne santé continue d’augmenter, vous conviendrez, madame la ministre, que la retraite a peu de chances de se transformer en période de repos bien mérité. Non, ce sera d’abord une fin de carrière marquée par une santé plus délicate et, ensuite, une retraite marquée par des problèmes de santé ou par la dépendance. Alors, certes, le cadre supérieur que j’évoquais tout à l’heure devrait connaître une retraite paisible, plus favorable, avec une espérance de vie en bonne santé supérieure à la moyenne, mais ceux qui subissent le chômage, qui ont eu des carrières heurtées, de la pénibilité mais pas suffisamment pour s’assurer un départ en retraite anticipé, quel est leur avenir en retraite, à eux ? Ce sont eux, une nouvelle fois, qui subiront de plein fouet ce dispositif.

Vient alors l’article 4. Déjà pénalisés par une carrière compliquée, que récompense une pension d’un montant assez faible, ces retraités vont voir leur pouvoir d’achat diminuer à cause du report de six mois de l’indexation de leur pension. Fort heureusement, les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ont été exclus de cette mesure, mais ceux qui ne bénéficient pas de cette allocation sans pour autant atteindre le seuil de pauvreté, eux, n’ont droit à aucun égard. La mesure qui est l’objet de l’article 4 est un levier financier tout simplement inique et nous nous y opposerons. Je défendrai donc des amendements à ce sujet.

Pour contrebalancer ces mesures de financement, des mesures plus sociales sont proposées. Le problème, c’est que, si les intentions sont là, les annonces ne sont pas toujours suivies d’effets. Certes, des dispositifs à destination des femmes sont proposés, mais pour combien de femmes bénéficiaires ? En ne ciblant que les carrières longues, on écarte une grande partie de la population féminine. Pourquoi ne pas s’attaquer plus profondément à la base du problème ?

Je suis bien consciente qu’un projet de loi sur l’égalité entre femmes et hommes est en pleine navette, mais, sincèrement, ne pouvait-on pas insérer un article qui aurait eu pour objectif l’instauration d’un dispositif d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, à défaut duquel l’employeur aurait vu ses cotisations patronales retraites augmenter ? Ne pouvait-on accepter un rapport démontrant l’impact des cent meilleurs trimestres plutôt que des vingt-cinq meilleures années dans le calcul du montant de la pension ? N’aurait-ce pas été là une vraie avancée pour toutes les femmes, pour tous ceux qui ont subi une carrière heurtée ?

Si je me félicite de la mesure phare qu’est la prise en compte de la pénibilité, qui traduit une véritable rupture de philosophie par rapport à la précédente réforme, je pense qu’il aurait été intéressant de prendre en compte les travailleurs du nucléaire. L’intégration de l’exposition à la radioactivité dans la liste des facteurs de risques professionnels aurait remédié à une discrimination dont sont victimes les travailleurs du nucléaire, qui ne bénéficiaient pas d’une disposition en vigueur pour toutes les expositions professionnelles à des cancérogènes. Pourtant, toutes les données épidémiologiques montrent que l’exposition aux rayonnements ionisants, tout en respectant les limites des normes professionnelles, présente des risques de cancer et de leucémie supérieurs à ceux que présente l’exposition aux autres substances cancérogènes. C’était l’objet d’un amendement écologiste défendu par notre collègue Denis Baupin, qui a été rejeté en première lecture.

En ce qui concerne les jeunes, une excellente mesure est proposée : la prise en compte réelle de l’apprentissage. À côté de cela, il y a aussi un dispositif facilitant le rachat de trimestres d’études. Je ne suis pas contre la prise en compte des trimestres d’études, a fortiori si cela est encadré et limité, mais le système de rachat est un système inopérant, injuste et favorisant une redistribution à l’envers. Et, au lieu de le remplacer par un dispositif plus juste, on crée une incitation à utiliser une mesure qui ne fonctionne pas. Et, alors qu’enfin les revendications des stagiaires et leur demande de prise en compte des stages sont entendues, on fait appel au même dispositif de rachat ! Une nouvelle fois, ce dispositif favorisera les étudiants les plus aisés, qui auront les moyens de payer ces trimestres.

Malgré ces critiques, nous ne pouvons, en raison des avancées qu’il comporte, récuser la totalité de ce texte. En effet, outre l’apprentissage, les mesures en faveur des femmes ou les stages de formation professionnelle, le compte personnel de prévention de la pénibilité constitue une avancée majeure. Il est perfectible, c’est indéniable, mais ce dispositif apportera une véritable réponse à de nombreux salariés en situation de pénibilité. Et c’est pour ces salariés-là que nous ne pouvons nous opposer à cette mesure de justice sociale.

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