Intervention de Yannick Favennec

Réunion du 19 novembre 2013 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Favennec, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission pour défendre la proposition de loi relative à l'expérimentation des maisons de naissance, qui a été adoptée en première lecture au Sénat le 13 juin dernier.

Cette question n'est pas nouvelle. Elle a été évoquée pour la première fois par Bernard Kouchner en 1998, puis reprise dans le plan Périnatalité 2005-2007. Elle a même fait l'objet de dispositions spécifiques dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2011, qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel au titre de cavalier social.

Une maison de naissance est une structure gérée par des sages-femmes qui prennent en charge le suivi de la grossesse, l'accouchement et les suites de couches des femmes ayant une grossesse et un accouchement physiologiques, c'est-à-dire ne présentant a priori aucun risque.

Les modalités de prise en charge reposent sur le principe « une femme une sage-femme », même si, pour des raisons d'astreinte, il peut parfois s'agir de deux sages-femmes.

L'objectif est de mettre en oeuvre un suivi individuel, personnalisé et global qui permette d'instaurer une relation de confiance entre la sage-femme et les futurs parents, afin de réaliser un « projet de naissance » qui s'articule en général autour d'une demande de moindre médicalisation de l'accouchement, mais d'un meilleur accompagnement humain.

L'accouchement se passe donc dans un cadre non médicalisé, « comme à la maison », pour reprendre le nom de l'association qui gère la préfiguration de maison de naissance située dans les locaux de la maternité des Bluets à Paris, que nous visiterons jeudi. J'invite d'ailleurs tous ceux qui le souhaitent à se joindre à nous.

Le transfert vers une prise en charge hospitalière et un plateau technique reste évidemment possible à tout moment, que ce soit pendant la grossesse ou pendant l'accouchement, en fonction des souhaits des futurs parents et de l'état de santé de la mère et du bébé.

Il ressort clairement de cette définition que la maison de naissance ne s'adresse pas à toutes les femmes enceintes et à toutes les naissances. La prise en charge en maison de naissance doit reposer avant tout sur un choix éclairé et volontaire de la parturiente et sur une sélection rigoureuse des futures mamans par les sages-femmes, afin d'exclure d'emblée un certain nombre de situations à risque – diabète, hypertension, grossesse gémellaire, risque de prématurité…

Pour des questions de responsabilité des sages-femmes, l'accouchement ne peut aujourd'hui se dérouler entièrement en maison de naissance : la sage-femme et la future maman doivent se déplacer avant l'arrivée du bébé sur un plateau technique. L'objet de cette proposition de loi est donc de permettre une prise en charge complète de la grossesse, de l'accouchement et des suites de couches en maison de naissance, au travers d'une expérimentation qui soumet à des conditions strictes l'autorisation de ces structures et la réalisation des accouchements.

Je comprends les interrogations que cette proposition peut soulever de prime abord, tant du point de vue de la sécurité des soins que de celui de la remise en cause du rôle des établissements de santé ou du respect du choix des femmes d'accoucher dans les conditions les moins douloureuses possible.

Je tiens donc à affirmer qu'il ne s'agit nullement de promouvoir un type particulier d'accouchements, mais bien de répondre à la demande de nombreuses femmes d'accoucher dans des conditions moins médicalisées et moins stéréotypées qu'à l'hôpital.

Le développement de l'obstétrique a grandement contribué à réduire la mortalité en couches et la mortalité infantile. Dans le cas d'accouchements physiologiques, une médicalisation excessive peut néanmoins se révéler néfaste à la santé de la mère ou à celle du bébé. L'enquête périnatale 2010 a d'ailleurs mis en évidence l'existence de risques iatrogènes, liés par exemple à l'utilisation de substances destinées à déclencher artificiellement le travail. La France présente également des taux de péridurale, d'épisiotomie ou de césarienne plus élevés que les pays voisins, sans que le recours à ces techniques améliore le taux de satisfaction des femmes concernées.

L'enquête Périnatalité a ainsi révélé que si les femmes étaient globalement satisfaites du suivi médical pendant la grossesse, elles portaient un jugement plus sévère sur le déroulement de leur accouchement, la mise en place de l'allaitement ou encore leurs conditions de séjour en maternité, déplorant notamment l'absence de suivi personnalisé.

La fermeture des « petites maternités » de proximité conduit en effet les futures mamans à être prises en charge dans de grosses structures, pratiquant parfois plus d'un millier d'accouchements par an, si bien que certaines peuvent avoir l'impression d'accoucher dans des « usines à bébés ».

Il y a donc une demande, émanant notamment des femmes ayant déjà eu au moins un enfant, de vivre une expérience différente pour leur deuxième ou leur troisième bébé. On estime à 10 % des parturientes le nombre de celles qui pourraient être intéressées par un suivi et un accouchement en maison de naissance plutôt qu'à l'hôpital.

Deuxième interrogation possible : ce dispositif consiste-t-il à recréer des petites maternités là où on les a fermées pour des raisons de sécurité, ou pourrait-il concurrencer des structures qui se situent juste à la limite des 300 accouchements par an ? Absolument pas. Il faut être très clair sur ce point, car c'est une inquiétude légitime pour tous ceux d'entre nous qui ont vu fermer des établissements de santé sur leur territoire – j'en parle en connaissance de cause. S'il n'y a pas de maternité, il n'y a pas de maison de naissance possible. Le dispositif proposé prévoit en effet que la maison de naissance soit contiguë à un établissement de santé autorisé en obstétrique, que les accouchements réalisés en maison de naissance soient comptabilisés au titre de la maternité partenaire, et enfin qu'une convention soit établie entre la maison de naissance et la maternité.

La troisième et dernière interrogation concerne la sécurité des soins. Tous les exemples étrangers – Pays-Bas, Québec, Royaume-Uni ou Allemagne – démontrent que les maisons de naissance ne présentent pas un taux de morbidité de la mère ou de l'enfant supérieur aux structures hospitalières, et ce alors même que dans tous ces pays, les maisons de naissance sont indépendantes des établissements de santé et peuvent en être distantes de plusieurs kilomètres.

Dans le cadre de l'expérimentation proposée, des règles très strictes de sécurité sont prévues. Tout d'abord, la contiguïté entre la maison de naissance et la maternité partenaire doit permettre un transfert rapide de la parturiente vers un plateau technique : il ne doit y avoir qu'un couloir à traverser ou un ascenseur à prendre. Ensuite, le conventionnement entre les deux structures se traduira par l'application de protocoles clairs, notamment en cas de transfert, prévoyant par exemple un numéro d'urgence dédié, le partage des données médicales et les procédures à suivre. Enfin, la mise en oeuvre de l'expérimentation reposera sur un cahier des charges adopté par la Haute Autorité de santé, visant à garantir que, sans être en milieu hospitalier et se voir appliquer stricto sensu les mêmes normes, les maisons de naissance répondent à des critères rigoureux de sécurité et d'hygiène.

Cette expérimentation ne saurait donc être suspectée de brader la sécurité de la mère ou de l'enfant. En revanche, elle constituera une reconnaissance de la compétence des sages-femmes, qui sont des professionnelles de santé très bien formées, qui exercent une profession médicale au terme de cinq années d'études. Les sages-femmes sont ainsi habilitées à assurer, en toute autonomie, la surveillance de la grossesse normale, du travail et de l'accouchement, ainsi que les soins à la mère et à l'enfant après l'accouchement.

Pour des raisons de démographie de la profession de gynécologue-obstétricien, les sages-femmes seront vraisemblablement appelées à jouer un rôle prépondérant dans le suivi des grossesses et des accouchements à l'avenir. La France compte aujourd'hui plus de 20 000 sages-femmes en activité, dont la moyenne d'âge est de quarante et un ans, et seulement 4 200 gynécologues-obstétriciens, dont 30 % ont plus de cinquante ans.

L'article 1er du texte prévoit que le Gouvernement peut autoriser, pendant deux ans, des maisons de naissance à fonctionner à titre expérimental, et ce pour une durée maximale de cinq ans. Chaque projet devra être évalué à l'issue de l'expérimentation, conformément à l'article 4, qui prévoit également la transmission de cette évaluation au Parlement.

La maison de naissance est définie comme une structure où des sages-femmes réalisent l'accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse. Juridiquement, ces structures pourront être constituées, par exemple, sous forme d'associations, de sociétés d'exercice libéral, ou encore de sociétés civiles de moyens. Les sages-femmes qui y exercent ont un statut libéral, mais on peut également imaginer des formes de partenariat permettant la mise à disposition de sages-femmes hospitalières, même si cela semble de prime abord plus compliqué.

L'article 1er pose également le principe de contiguïté et d'accès direct de la maison de naissance à la maternité avec laquelle elle passe une convention. Enfin, il prévoit une comptabilisation commune des naissances.

L'article 2 dresse la liste des dérogations nécessaires afin de rendre l'expérimentation possible. Il précise que les maisons de naissance ne sont pas des établissements de santé, tout en prévoyant la possibilité de leur accorder un financement au titre des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC). Selon les informations qui nous ont été transmises par le ministère, une aide de 150 000 euros par maison de naissance pourrait être accordée, permettant de couvrir les frais de structure ainsi que tout ou partie des primes d'assurance demandées aux sages-femmes, étant entendu qu'une dizaine de sites expérimentaux pourraient être retenus dans le cadre de ce dispositif.

L'article 3 prévoit un cahier des charges national pour l'expérimentation, adopté par la Haute Autorité de santé qui sera également chargée d'approuver la liste des maisons de naissance autorisées. Il ouvre la possibilité de retirer ou de suspendre l'autorisation en cas de manquement des maisons de naissance à leurs obligations.

L'article 5 renvoie à un décret en Conseil d'Etat la définition des conditions concrètes de l'expérimentation.

J'ai beaucoup appris en travaillant sur ce sujet passionnant, qui a intéressé nombre de nos collègues, que je remercie d'avoir participé aux auditions – en particulier Mme Biémouret, Mme Poletti et M. Dord.

Ces auditions ont fait émerger un consensus, à la fois sur la nécessité de répondre à la demande qui s'exprime, tant de la part des parturientes que des sages-femmes, en faveur de l'expérimentation des maisons de naissance, avec l'aval, désormais, du Collège national des gynécologues-obstétriciens, et sur celle d'un encadrement légal des initiatives qui ont déjà vu le jour, au travers d'un cahier des charges précis et rigoureux et d'une évaluation réalisée par l'Etat.

Il me paraît donc nécessaire d'adopter ce texte afin de sortir les maisons de naissance du flou juridique dans lequel elles se trouvent aujourd'hui.

La proposition de loi sénatoriale reprenant les dispositions adoptées en 2011, qui constituaient un équilibre, je n'ai pas souhaité amender le texte qui nous a été transmis. J'appelle donc la Commission à le voter en l'état, ce qui permettra à l'expérimentation de démarrer dans les meilleurs délais et constituera un signal très positif pour les sages-femmes, ainsi que pour les couples et les mamans qui y aspirent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion