J'ai déjà fait part du scepticisme que m'inspire un dispositif d'accompagnement de la sortie de prostitution et de lutte contre la traite censé s'appliquer, selon M. le président et Mme la rapporteure, à moyens constants, c'est-à-dire sans aucun moyen supplémentaire. Il en va de même des mesures destinées à aider les prostituées sans papiers à quitter la prostitution. Quel intérêt les réseaux de traite auraient-ils à ce que les prostituées aient des papiers ? Les explications de Mme la rapporteure et de Mme Neuville sur un supposé « appel d'air » m'ont rappelé, sans m'éclairer, d'autres débats parlementaires sur l'immigration. Bref, je ne suis pas convaincu par les « quatre piliers » présentés par la rapporteure.
Nous arrivons maintenant au coeur de la proposition de loi. Le présent article vise à punir d'une contravention de cinquième classe « le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de l'utilisation d'un bien immobilier, de l'acquisition ou de l'utilisation d'un bien immobilier, ou de la promesse d'un tel avantage ». Cette incrimination reste bien floue. En outre, j'ai été sensible aux réserves exprimées par Marisol Touraine, lors de son audition par la commission spéciale, en raison des conséquences sanitaires de la pénalisation. La ministre de la Santé a dit qu'elle n'avait pas les mêmes chiffres que la Commission, ni la même analyse de ces chiffres, concernant la Suède, modèle qui inspire Mme la rapporteure depuis bien longtemps et qui fonde la présente proposition de loi. La pénalisation, disait-elle, n'apporte aucune garantie aux victimes de la traite.
J'ajouterai que la pénalisation amalgame traite et prostitution, deux phénomènes fondamentalement différents. Lors des débats sur le rapport de la mission d'information sur la prostitution, notre ancien collègue Alain Vidalies, spécialiste reconnu des questions sociales, avait critiqué cette confusion, préférant parler de « prostitutions », au pluriel, et s'opposant à la pénalisation du client.
Comme le délit de racolage public, la pénalisation risque de précariser encore davantage les prostituées. Le groupe VIHSida du PNUD s'en inquiétait dans son rapport pour 2012. De fait, du moins selon les chiffres dont dispose Mme Touraine – mais j'imagine que le ministère de la Santé dispose de données fiables –, la santé des prostituées s'est dégradée en Suède depuis que cette mesure y est entrée en vigueur.
Christiane Taubira l'a dit à sa manière : l'instauration d'une contravention de cinquième classe n'est pas le meilleur moyen de déconstruire les stéréotypes de genre et les imaginaires inégalitaires. Concentrons nos efforts sur l'éducation, sur l'enseignement, sur les campagnes de prévention. Le prohibitionnisme a des conséquences extrêmement néfastes sur la vie des personnes prostituées.