Intervention de Christelle Hamel

Réunion du 20 novembre 2013 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Christelle Hamel, sociologue, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques, INED :

Je vous remercie de m'avoir invitée afin de présenter ces travaux. Nous avons lancé, à l'Institut national des études démographiques, le projet de l'étude VIRAGE en 2011. En 2012, nous l'avons présenté dès l'installation du nouveau Gouvernement afin d'envisager un financement public pour ce travail.

Le projet VIRAGE vise à répondre au besoin de connaissance des violences subies par les femmes, exprimé par les pouvoirs publics (par exemple dans le rapport Bousquet-Geoffroy de 2009) et par les associations. Par ailleurs, la nécessité d'établir la connaissance résulte des engagements internationaux pris par la France, notamment dans le cadre de conventions telles que la Convention européenne de lutte contre les violences faites aux femmes, dite convention d'Istanbul.

Le projet a pour objectif d'actualiser et d'approfondir des données issues de l'ENVEFF, première enquête statistique sur les violences faites aux femmes. Il s'agit également de compléter les données fournies par l'enquête de victimisation « Cadre de vie et sécurité » de l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale, réalisée chaque année par l'INSEE. Cette enquête porte sur les atteintes aux personnes et aux biens : elle est construite davantage pour mesurer les phénomènes de délinquance, de vols et de nuisances dans les quartiers que les atteintes aux personnes. Par exemple, en ce qui concerne les violences conjugales, elle ne repose que sur la réponse à une question quand l'ENVEFF et VIRAGE en comportent trente-trois. Il apparaît donc difficile sur cette base de préciser les situations de violences subies par les personnes et de concevoir des politiques publiques adaptées grâce à l'état des savoirs.

Pour sa part, l'étude VIRAGE s'intéresse à toutes les sphères de la vie des personnes interrogées victimes de violences : l'espace public ; le cadre du travail ; le milieu des études ; la vie conjugale ; les relations avec la famille et les proches. Dans tous ces « contextes de vie », l'étude appréhende toutes les violences :

– les violences verbales ;

– les violences psychiques, assimilées dans le code pénal au harcèlement moral ;

– les violences physiques;

– les « violences économiques » : l'appropriation des ressources et des biens d'une personne ou des contraintes poussant les personnes victimes de violences à contracter des dettes ;

– les « violences administratives » (par exemple, avec la confiscation des papiers d'identité et les passeports, le vol des clefs de voiture, violences très liées au contrôle de la mobilité des personnes victimes) ;

– les violences physiques (ceci va des gifles à la tentative de meurtre, avec ou sans armes, les séquestrations et les mises à la porte du domicile) ;

– les violences sexuelles (qui vont des attouchements au viol, y compris les seules tentatives).

L'étude mesure les violences sur une période de douze mois, mais également tout au long de la vie en ce qui concerne les violences intrafamiliales.

L'étude identifie l'auteur des violences faites aux femmes par son sexe ainsi que la nature des relations avec la victime (par exemple, dans le cadre du travail : le client, le collègue, le supérieur). Elle s'attache aux conséquences de chaque type de violences sur la santé des victimes, leur propension à saisir la justice et rend compte de l'issue des démarches que celles-ci peuvent les accomplir.

Nous avons construit le questionnaire de l'étude de manière à pouvoir distinguer les victimes entre elles en fonction de la gravité des violences auxquelles elles se trouvent confrontées. Cette distinction permet de repérer les victimes en situation de « cumul » de violences, cumul dans la diversité des violences mais également dans les différentes sphères de l'existence des victimes. L'ENVEFF a en effet montré que les personnes victimes de violences conjugales se trouvent davantage exposées que d'autres au risque de violences au travail ou que les personnes ayant subi des violences pendant l'enfance ou l'adolescence sont davantage susceptibles de subir des violences conjugales.

Il importe d'améliorer l'état des connaissances sur les victimes afin de comprendre pourquoi certaines d'entre elles ont recours à la justice et de mieux cerner l'aide qui doit leur être apportée. On sait que beaucoup d'entre elles demeurent dans l'isolement. Il faut en comprendre les raisons.

L'enquête VIRAGE portera sur un panel de 35 000 personnes formé d'autant d'hommes que de femmes. C'est une nouveauté par rapport à l'ENVEFF que d'inclure les hommes dans l'étude. Il est en effet essentiel de comprendre qu'il existe une « insécurité » au masculin et une « insécurité » au féminin. Les hommes sont davantage confrontés à des violences dans l'espace public tandis que les femmes sont exposées à des violences dans l'espace privé. Il importe que l'action publique s'adapte à ces deux types d'expérience.

La taille de l'échantillon choisi pour l'étude – qui porte sur des tranches d'âge allant de 20 à 69 ans – répond à plusieurs objectifs.

Il s'agit en premier lieu de se conformer aux standards caractéristiques des études internationales qui portent désormais sur les violences de genre. Ainsi, en Espagne, l'Institut de la femme, organisme équivalent au Service des droits des femmes et rattaché au ministère des Affaires sociales, dispose d'un outil d'évaluation et de pilotage des politiques publiques en matière de violences faites aux personnes qui est une enquête sur les violences faites aux femmes réalisée tous les trois ans auprès de 40 000 personnes. En Italie, en 2008, l'Institut national de la statistique (ISTAT), organisme comparable à l'INSEE en France, a réalisé auprès des deux sexes une étude sur un échantillon de 28 000 personnes. Dans les pays d'Europe, ce type d'études tend désormais à reposer sur des échantillons importants afin que l'on puisse en tirer le plus d'informations possible. Il s'agit en second lieu de se donner les moyens d'étudier des populations « rares » statistiquement eu égard à leurs effectifs mais surexposées à des risques de violence en raison de discriminations ou de stigmatisations dont elles sont par ailleurs l'objet. Il en va ainsi par exemple pour les populations migrantes et issues de l'immigration, des homosexuels et des personnes en situation de handicap. Des échantillons restreints n'offriraient pas d'informations suffisantes pour définir une action publique adaptée en matière de sécurité et de prévention.

De manière générale, l'enquête vise à combler le manque de connaissances sur plusieurs aspects de la problématique des violences faites aux femmes.

En ce qui concerne les violences conjugales, l'ENVEFF est ancienne et l'enquête de victimisation « cadre de vie et sécurité », réalisée par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), apporte peu d'informations détaillées. Il faut mieux définir la notion de couple en y intégrant le « petit ami » dans la mesure où les recommandations internationales sur les études invitent les pays à prendre en considération la violence dont le partenaire intime pourrait être à l'origine (intimate partner violence). Les statistiques actuelles sous-estiment ce type de violences en ne prenant en compte que les « couples installés ».

Il faut également mieux appréhender la situation des enfants dans un contexte de violences conjugales, en explorant les démarches engagées par les couples en vue de leur séparation ainsi que les modalités de placement ou de garde des enfants. Beaucoup de victimes demandent le divorce (sans invoquer nécessairement la violence comme le motif de la rupture) et on ne sait pas alors ce que deviennent les enfants. Il nous sera également possible en conséquence d'évaluer le nombre des enfants dont les parents vivent dans une relation marquée par les violences conjugales. L'étude comporte des questions qui permettent de savoir si les enfants sont également victimes de violences.

Il convient également d'améliorer la connaissance sur les violences sur le lieu de travail. Les enquêtes existantes n'abordent pas la question des viols entre collègues. Elles traitent des risques psychosociaux tels que le harcèlement sans donner la mesure du harcèlement sexuel, des violences sexuelles ou physiques. Les études ne fournissent pas davantage d'éléments pour ce qui est des recours devant la justice (justice pénale, tribunaux des prud'hommes, tribunaux administratifs).

L'étude comprendra aussi un module qui permettra d'évaluer l'impact des violences sur la santé : les troubles psychologiques, les épisodes dépressifs majeurs, les tentatives de suicide. Elle porte également sur les troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie), les comportements addictifs (consommation d'alcool, de drogues et les toxicomanies). L'objectif est d'alerter les professionnels de santé en établissant un lien entre les violences éventuellement subies et les troubles pour lesquels ils sont consultés.

Seront également étudiées les grossesses forcées et les interruptions de grossesse forcées. Des études sont à mener à propos du lien entre les interruptions volontaires de grossesse et les violences, notamment les violences sexuelles.

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