Intervention de Vlora Çitaku

Réunion du 20 novembre 2013 à 8h45
Commission des affaires européennes

Vlora Çitaku, ministre de l'intégration européenne du Kosovo :

Merci pour ce propos de bienvenue si chaleureux. C'est un grand plaisir pour moi d'être à Paris, non seulement pour la beauté de la ville, mais aussi pour la qualité de votre accueil, qui est à la mesure de l'appui que la France accorde au Kosovo. Votre pays fut en effet l'un des premiers pays à soutenir le Kosovo dans sa lutte pour l'indépendance et la liberté, tout comme il fut l'un des premiers à reconnaître cette indépendance. Pour autant, l'indépendance n'est pas suffisante en tant que telle : elle requiert une intégration, et le Kosovo aspire à devenir membre de l'Union européenne, à égalité avec tous les pays européens.

L'intégration européenne constitue une dynamique interne, dans la mesure où il nous faudra établir au Kosovo des valeurs européennes. Mais pour y parvenir, nous aurons besoin des conseils et du soutien de la Commission européenne et des pays européens.

Précédemment, notre relation avec l'Union européenne était très intellectuelle, très « platonique ». Mais ce n'est plus le cas, dans la mesure où, le mois dernier, le Kosovo a engagé avec elle une négociation d'accession en trois étapes : la première est d'ores et déjà derrière nous ; la seconde aura lieu la semaine prochaine ; la troisième est prévue pour le printemps 2014. Nous mettons tout en oeuvre pour satisfaire les critères de moyen terme établis l'année dernière lorsque l'étude de faisabilité a été lancée. Il s'agit pour nous de fournir des arguments suffisants à la Commission européenne comme à tous les pays européens.

Nous entendons répondre aux exigences de la feuille de route sur la libéralisation des visas, qui nous a été adressée il y a deux ans.

Cette question revêt une dimension émotionnelle pour nos citoyens. En effet – comme cela ressort du recensement de 2011 – un tiers des Kosovars réside en Europe. La libéralisation des visas permettrait à leurs parents de venir leur rendre visite. De toutes les façons, les criminels ne se présentent pas dans vos ambassades pour demander des visas, ils trouvent une autre façon de pénétrer sur vos territoires. Les citoyens honnêtes se trouveraient ainsi sur un pied d'égalité avec les autres citoyens européens : nous sommes en effet l'unique nation des Balkans occidentaux à avoir besoin d'un visa pour accéder au territoire européen. Mais sans avoir besoin de mettre en avant des raisons éthiques et humanitaires, nous respecterons tous les critères établis dans le cadre de la feuille de route.

À ce propos, je me permets de dire aujourd'hui devant vous que nous ne sommes guère satisfaits de la façon de procéder de la Commission européenne. Depuis vingt-deux mois que le processus a commencé, elle n'a publié qu'un rapport et n'a diligenté qu'une mission pour vérifier si nous respectons les critères fixés. Une deuxième mission interviendra cette année, mais elle ne concernera que trois « blocs » de la feuille de route. La dynamique est donc très lente, et je vous demande très gentiment de nous aider à accélérer un peu le mouvement.

Le dialogue avec la Serbie demeure évidemment une priorité pour notre gouvernement. L'accord conclu le 19 avril revêt en effet un caractère historique. C'est le premier accord conclu entre le Kosovo et la Serbie. Nous avons souvent négocié avec elle – à Rambouillet, Ljubljana et Paris – mais c'est la première fois que nous sommes parvenus à un accord.

L'accord du 19 avril ne constitue pas la fin du processus de normalisation, mais le début. Comme nous l'enseigne le passé, dans les Balkans, les progrès peuvent facilement être réduits à néant si l'on n'y prend pas garde. C'est la raison pour laquelle ce processus de normalisation entre la Serbie et le Kosovo requiert encore tous vos soins. Lady Ashton aura besoin de votre soutien, pour que ce processus continue sans heurts jusqu'à l'année prochaine.

Je ne vous ai pas félicités de votre qualification pour la Coupe du monde de football, qui a été célébrée hier soir dans les rues. Mais les athlètes et les sportifs kosovars n'ont pas l'occasion d'exprimer ainsi leur fierté, car ils sont exclus de ce genre de manifestation et ne peuvent pas concourir sur les terrains internationaux. Nous ne faisons pas partie de la FIFA, ni d'une ligue sportive quelle qu'elle soit. Or le sport permet de se sentir partie prenante et sur un pied d'égalité. C'est sur ce plan que, dans le futur, nous souhaiterions conclure un accord avec la Serbie.

Cela dit, avant de travailler à la présence du Kosovo dans les organisations internationales, il nous faut mettre en oeuvre ce qui a déjà fait l'objet de nos accords. Or ce n'est guère facile. Si le Kosovo a tenu les promesses qu'il avait faites auprès de Bruxelles, ce ne fut pas toujours le cas de la Serbie. Très souvent, celle-ci s'est conduite en pompier pyromane, créant le problème avant d'y remédier – et se voyant récompensée d'avoir remédié à un problème qu'elle avait elle-même créé. Mais si, en définitive, les Serbes font ce qu'il convient de faire, nous ne pouvons que nous satisfaire du résultat.

Pour la première fois, au mois de novembre, nous avons conduit les élections d'un bout à l'autre du territoire kosovar, sous un État de droit kosovar, avec les institutions kosovares. L'implication de la population serbe a été très impressionnante : la participation a dépassé 50 % dans le Sud et 25 % dans le Nord. C'est énorme, quand on sait que les deux tiers de la population serbe résident dans les parties méridionales de notre pays – et non pas dans le Nord. Certes, il a fallu revoter dans quelques municipalités, où il y avait eu quelques incidents, mais tout s'est finalement bien passé. Maintenant, nous sommes très optimistes, dans la mesure où ont été élus des représentants légitimes des localités, avec lesquelles le Gouvernement pourra négocier.

Madame la présidente, je répondrai maintenant à vos questions.

Comme je l'ai dit, la normalisation avec la Serbie n'est que le début d'un long voyage. Pour aboutir sur le terrain, elle requiert toute votre attention et votre soutien. Nous avons commencé à restaurer une certaine confiance entre Pristina et Belgrade. Celle-ci faisait défaut depuis plus de deux décennies.

Je suis la première ministre à avoir visité Belgrade depuis l'indépendance. J'y suis allée en juin, et j'ai été impressionnée de constater que nous partagions les mêmes aspirations. Je pense qu'à Pristina comme à Belgrade, le rêve européen incitera les politiques à aller de l'avant. Certes, le premier pas a été fait, et il était crucial. Maintenant, nous devons mettre en oeuvre de nouveaux accords.

Madame la présidente, vous m'avez également interrogée sur l'État de droit. Permettez-moi de vous dire que nous avons dû pratiquement partir de zéro, s'agissant de nos institutions. L'une des recommandations du rapport de la Commission était d'augmenter le nombre de juges et de procureurs afin de pouvoir répondre aux besoins du pays. C'est ce que nous avons fait. Nous avons accompli l'ensemble des exigences techniques et financières.

Je ne sais pas ce qu'il en est en France. Dans mon pays en tout cas, le salaire d'un procureur atteint pratiquement le double de celui d'un ministre. Le Gouvernement a fait des efforts pour leur assurer un environnement favorable à leur travail. Mais bien entendu, cela prend du temps.

La police kosovare, cette année, a ouvert 560 affaires liées au crime organisé, dont 37 affaires de trafic d'êtres humains et 12 liées au passage de migrants clandestins. En juillet 2013, dans le cadre de ces trafics de clandestins, elle a arrêté 8 personnes, confisqué un certain nombre de preuves et identifié une quarantaine de victimes, qui coopèrent maintenant avec elle.

Le Kosovo n'est pas membre d'Europol, ni d'Interpol, ni de Frontex, ni d'autres organismes régionaux et internationaux. Le fait d'être exclu de ces organisations régionales et internationales constitue un véritable obstacle pour les forces de l'ordre de notre pays. Je voudrais, là encore, en appeler à votre aide. Pourriez-vous vous faire l'écho de notre demande d'adhésion à ces organisations ? Une telle adhésion faciliterait, j'en suis convaincue, le combat que nous menons contre ces activités illégales.

On ne peut lutter de façon isolée contre le crime et les trafics – surtout si l'on considère que notre voisin du Nord est la Serbie. Si nous pouvions trouver le moyen d'améliorer notre coopération et devenir membre de ces organisations, je suis persuadée que nous obtiendrions de bien meilleurs résultats.

J'en viens maintenant à la question des Roms, en commençant par la célèbre affaire que vous avez mentionnée.

Nous avons un accord de réadmission avec la France et une stratégie de réintégration a été mise en place pour les personnes rapatriées – avec un budget annuel de 3,5 millions d'euros. Après son retour au Kosovo, la famille Dibrani a bénéficié de toutes les aides – dont un logement et des cours pour les enfants, afin qu'ils puissent apprendre l'albanais ou le serbe.

J'ai entendu pas mal de choses sur la situation des Roms au Kosovo. Mais permettez-moi de vous dire, madame la présidente, que nous faisons tout notre possible pour intégrer leurs communautés. Personnellement, j'ai été nommée coordonnatrice nationale pour la mise en oeuvre de la stratégie pour la réintégration des communautés roms au Kosovo.

Les Roms ont des sièges réservés au Parlement du Kosovo – quatre représentants pour les Roms, les Ashkalis et les Égyptiens. Il y a des ministres adjoints roms et de hauts fonctionnaires roms au Gouvernement. Nos services de télévision sont les seuls en Europe à diffuser quotidiennement des émissions en langue rom. Il y a un hebdomadaire en langue rom. Nous avons également développé des cursus scolaires en langue rom. Par conséquent, on ne peut pas parler, sur le plan juridique ou politique, de discrimination.

Maintenant, la situation est-elle parfaite ? Certes pas. La communauté rom rencontre les mêmes difficultés que la majorité de la population. Elle est victime du chômage, comme toutes les autres communautés du Kosovo, où le taux de chômage atteint 30 %. J'ajoute que tous les ans, nous fournissons des bourses à l'université de Pris

tina pour des étudiants issus de la communauté rom.

Ainsi, nous faisons tout notre possible pour améliorer les conditions de vie de cette population. En outre, d'après les forces de l'ordre, il n'y a pas eu le moindre incident lié à la haine raciale ou ethnique. Les craintes que nourrissent les personnes dont vous avez parlé – en cas de retour au Kosovo – ne sont donc pas justifiées.

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