Audition de Mme Vlora Citaku, ministre de l'intégration européenne du Kosovo
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 20 novembre 2013
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission des affaires européennes
La séance est ouverte à 8 h 30
Audition de Mme Vlora Citaku, ministre de l'intégration européenne du Kosovo
Madame la ministre, je suis très heureuse de vous souhaiter la bienvenue aujourd'hui, au nom de la Commission des affaires européennes.
Vous étiez déjà venue nous voir l'année dernière, le 19 décembre très exactement, mais je n'avais pu alors vous accueillir personnellement, étant à cette date en déplacement à Rome. Je suis d'autant plus ravie de pouvoir m'entretenir avec vous ce matin.
Nos échanges avec le Kosovo se sont poursuivis puisque j'ai pu rencontrer le 19 février dernier, à l'Assemblée nationale, votre collègue M. Petrit Selimi, vice-ministre des affaires étrangères, dans le cadre du groupe d'amitié, et que nous avons pu entendre le 27 mars, dans le cadre d'une audition commune avec la commission des affaires étrangères, M. Enver Hoxhaj, ministre des affaires étrangères.
Depuis, des évolutions très importantes ont eu lieu et entretiennent l'intérêt de poursuivre nos rencontres. En particulier, le Kosovo et la Serbie sont parvenus à un accord historique de normalisation de leurs relations, le 19 avril 2013. Je tiens à vous en féliciter, et à féliciter les Kosovars à travers vous, car pour m'être rendue moi-même à Belgrade dans le cadre d'une mission franco-allemande quelques jours auparavant, les 10 et 11 avril, j'ai pu mesurer à quel point ces négociations ont pu être difficiles et délicates, pour les deux parties.
Cet accord de normalisation était une condition posée par l'Union européenne, pour l'ouverture des négociations avec le Kosovo en vue de la conclusion d'un accord de stabilisation et d'association – ASA – ainsi que pour l'ouverture de négociations d'adhésion avec la Serbie.
Notre Commission des affaires européennes avait, pour sa part, adopté le 11 juin 2013, des conclusions favorables à l'ouverture de ces négociations, au vu des progrès accomplis par les deux pays et sous réserve, bien entendu, d'une poursuite résolue des efforts engagés.
Le Conseil européen a ensuite donné son « feu vert » fin juin 2013, et les négociations avec le Kosovo sur l'Accord de stabilisation et d'association ont débuté le 28 octobre, l'objectif étant d'achever les travaux au printemps 2014.
Madame la ministre, permettez-moi de m'en réjouir avec vous. En effet, vous aviez exprimé il y a un an votre souhaite de voir votre pays accéder le plus rapidement possible à cette étape. Nous sommes de notre côté favorables à l'intégration européenne de tous les États des Balkans occidentaux, dès lors qu'ils satisfont aux critères requis. Nous ne souhaitons nullement laisser le Kosovo au bord la route.
J'ajouterai que la France a été l'un des premiers États à reconnaître votre pays – nous continuons d'ailleurs à oeuvrer pour faire en sorte que tous les États membres de l'Union européenne le fassent – et qu'elle attache une grande importance au maintien de bonnes relations avec lui.
Comme le constate le rapport de suivi annuel de la Commission européenne, publié le 16 octobre dernier, le Kosovo a déjà réalisé des avancées politiques significatives. Le système judiciaire fait l'objet d'une réforme importante. Sur le plan des critères économiques, le Kosovo a accompli des progrès sur la voie d'une économie de marché viable.
Madame la ministre, nous sommes pleinement conscients de vos efforts, et le début de la négociation de cet ASA en est la preuve et la récompense méritée. Vous avez dit vous-même que l'ouverture de cette négociation « marque la première étape d'un long voyage vers l'adhésion ». Ce n'est effectivement qu'une première étape et de nombreux autres efforts seront nécessaires.
Vous allez sûrement nous éclairer aujourd'hui sur ces efforts et les réformes que votre pays s'apprête à poursuivre. Avant de vous laisser la parole, puis de laisser mes collègues vous poser des questions complémentaires, je souhaiterais profiter de votre présence pour vous demander quel est votre sentiment sur trois points particuliers.
Il y a un an, vous estimiez que la Serbie ne jouait pas véritablement le jeu européen, ce qui compromettait la conclusion de l'accord de normalisation. Maintenant qu'il est conclu, estimez-vous que sa mise en oeuvre est satisfaisante, même si elle reste souvent délicate, comme l'a d'ailleurs prouvé la difficile organisation des élections municipales au Nord Kosovo, à majorité serbe, le 3 novembre ? Cela dit, nous sommes ravis de savoir que, le week-end dernier, les votes ont repris dans les villes qui avaient connu des incidents.
En ce qui concerne l'État de droit, le rapport annuel de la Commission européenne, publié le 16 octobre 2013, souligne que « le Kosovo doit en priorité fournir des preuves concrètes des résultats obtenus en matière de lutte contre la criminalité organisée et la corruption et renforcer la législation y afférente. » Pouvez-vous nous en dire plus sur les efforts de votre gouvernement en ce domaine ? Les Balkans sont en effet une voie de passage fréquemment utilisée pour faire entrer de façon illégale certaines populations dans l'Union européenne.
Enfin, « l'affaire Leonarda » a fait grand bruit en France. Nous savons que le Kosovo fait des efforts pour accueillir cette famille. Mais au-delà de ce cas particulier, pouvez-vous nous en dire davantage sur les tentatives de votre gouvernement pour améliorer sur place la situation de la minorité rom, à propos de laquelle un rapport annuel de la Commission européenne note qu'elle reste préoccupante ? Dans ma ville, je parraine plusieurs familles de Roms sans papiers, issus du Kosovo. Or ceux-ci sont terrorisés à l'idée qu'on puisse les y renvoyer. Nous nous demandons pourquoi ils ne se sentent pas en sécurité dans votre pays, alors que vous semblez faire tous les efforts nécessaires.
Madame la ministre, je vous laisse la parole.
Merci pour ce propos de bienvenue si chaleureux. C'est un grand plaisir pour moi d'être à Paris, non seulement pour la beauté de la ville, mais aussi pour la qualité de votre accueil, qui est à la mesure de l'appui que la France accorde au Kosovo. Votre pays fut en effet l'un des premiers pays à soutenir le Kosovo dans sa lutte pour l'indépendance et la liberté, tout comme il fut l'un des premiers à reconnaître cette indépendance. Pour autant, l'indépendance n'est pas suffisante en tant que telle : elle requiert une intégration, et le Kosovo aspire à devenir membre de l'Union européenne, à égalité avec tous les pays européens.
L'intégration européenne constitue une dynamique interne, dans la mesure où il nous faudra établir au Kosovo des valeurs européennes. Mais pour y parvenir, nous aurons besoin des conseils et du soutien de la Commission européenne et des pays européens.
Précédemment, notre relation avec l'Union européenne était très intellectuelle, très « platonique ». Mais ce n'est plus le cas, dans la mesure où, le mois dernier, le Kosovo a engagé avec elle une négociation d'accession en trois étapes : la première est d'ores et déjà derrière nous ; la seconde aura lieu la semaine prochaine ; la troisième est prévue pour le printemps 2014. Nous mettons tout en oeuvre pour satisfaire les critères de moyen terme établis l'année dernière lorsque l'étude de faisabilité a été lancée. Il s'agit pour nous de fournir des arguments suffisants à la Commission européenne comme à tous les pays européens.
Nous entendons répondre aux exigences de la feuille de route sur la libéralisation des visas, qui nous a été adressée il y a deux ans.
Cette question revêt une dimension émotionnelle pour nos citoyens. En effet – comme cela ressort du recensement de 2011 – un tiers des Kosovars réside en Europe. La libéralisation des visas permettrait à leurs parents de venir leur rendre visite. De toutes les façons, les criminels ne se présentent pas dans vos ambassades pour demander des visas, ils trouvent une autre façon de pénétrer sur vos territoires. Les citoyens honnêtes se trouveraient ainsi sur un pied d'égalité avec les autres citoyens européens : nous sommes en effet l'unique nation des Balkans occidentaux à avoir besoin d'un visa pour accéder au territoire européen. Mais sans avoir besoin de mettre en avant des raisons éthiques et humanitaires, nous respecterons tous les critères établis dans le cadre de la feuille de route.
À ce propos, je me permets de dire aujourd'hui devant vous que nous ne sommes guère satisfaits de la façon de procéder de la Commission européenne. Depuis vingt-deux mois que le processus a commencé, elle n'a publié qu'un rapport et n'a diligenté qu'une mission pour vérifier si nous respectons les critères fixés. Une deuxième mission interviendra cette année, mais elle ne concernera que trois « blocs » de la feuille de route. La dynamique est donc très lente, et je vous demande très gentiment de nous aider à accélérer un peu le mouvement.
Le dialogue avec la Serbie demeure évidemment une priorité pour notre gouvernement. L'accord conclu le 19 avril revêt en effet un caractère historique. C'est le premier accord conclu entre le Kosovo et la Serbie. Nous avons souvent négocié avec elle – à Rambouillet, Ljubljana et Paris – mais c'est la première fois que nous sommes parvenus à un accord.
L'accord du 19 avril ne constitue pas la fin du processus de normalisation, mais le début. Comme nous l'enseigne le passé, dans les Balkans, les progrès peuvent facilement être réduits à néant si l'on n'y prend pas garde. C'est la raison pour laquelle ce processus de normalisation entre la Serbie et le Kosovo requiert encore tous vos soins. Lady Ashton aura besoin de votre soutien, pour que ce processus continue sans heurts jusqu'à l'année prochaine.
Je ne vous ai pas félicités de votre qualification pour la Coupe du monde de football, qui a été célébrée hier soir dans les rues. Mais les athlètes et les sportifs kosovars n'ont pas l'occasion d'exprimer ainsi leur fierté, car ils sont exclus de ce genre de manifestation et ne peuvent pas concourir sur les terrains internationaux. Nous ne faisons pas partie de la FIFA, ni d'une ligue sportive quelle qu'elle soit. Or le sport permet de se sentir partie prenante et sur un pied d'égalité. C'est sur ce plan que, dans le futur, nous souhaiterions conclure un accord avec la Serbie.
Cela dit, avant de travailler à la présence du Kosovo dans les organisations internationales, il nous faut mettre en oeuvre ce qui a déjà fait l'objet de nos accords. Or ce n'est guère facile. Si le Kosovo a tenu les promesses qu'il avait faites auprès de Bruxelles, ce ne fut pas toujours le cas de la Serbie. Très souvent, celle-ci s'est conduite en pompier pyromane, créant le problème avant d'y remédier – et se voyant récompensée d'avoir remédié à un problème qu'elle avait elle-même créé. Mais si, en définitive, les Serbes font ce qu'il convient de faire, nous ne pouvons que nous satisfaire du résultat.
Pour la première fois, au mois de novembre, nous avons conduit les élections d'un bout à l'autre du territoire kosovar, sous un État de droit kosovar, avec les institutions kosovares. L'implication de la population serbe a été très impressionnante : la participation a dépassé 50 % dans le Sud et 25 % dans le Nord. C'est énorme, quand on sait que les deux tiers de la population serbe résident dans les parties méridionales de notre pays – et non pas dans le Nord. Certes, il a fallu revoter dans quelques municipalités, où il y avait eu quelques incidents, mais tout s'est finalement bien passé. Maintenant, nous sommes très optimistes, dans la mesure où ont été élus des représentants légitimes des localités, avec lesquelles le Gouvernement pourra négocier.
Madame la présidente, je répondrai maintenant à vos questions.
Comme je l'ai dit, la normalisation avec la Serbie n'est que le début d'un long voyage. Pour aboutir sur le terrain, elle requiert toute votre attention et votre soutien. Nous avons commencé à restaurer une certaine confiance entre Pristina et Belgrade. Celle-ci faisait défaut depuis plus de deux décennies.
Je suis la première ministre à avoir visité Belgrade depuis l'indépendance. J'y suis allée en juin, et j'ai été impressionnée de constater que nous partagions les mêmes aspirations. Je pense qu'à Pristina comme à Belgrade, le rêve européen incitera les politiques à aller de l'avant. Certes, le premier pas a été fait, et il était crucial. Maintenant, nous devons mettre en oeuvre de nouveaux accords.
Madame la présidente, vous m'avez également interrogée sur l'État de droit. Permettez-moi de vous dire que nous avons dû pratiquement partir de zéro, s'agissant de nos institutions. L'une des recommandations du rapport de la Commission était d'augmenter le nombre de juges et de procureurs afin de pouvoir répondre aux besoins du pays. C'est ce que nous avons fait. Nous avons accompli l'ensemble des exigences techniques et financières.
Je ne sais pas ce qu'il en est en France. Dans mon pays en tout cas, le salaire d'un procureur atteint pratiquement le double de celui d'un ministre. Le Gouvernement a fait des efforts pour leur assurer un environnement favorable à leur travail. Mais bien entendu, cela prend du temps.
La police kosovare, cette année, a ouvert 560 affaires liées au crime organisé, dont 37 affaires de trafic d'êtres humains et 12 liées au passage de migrants clandestins. En juillet 2013, dans le cadre de ces trafics de clandestins, elle a arrêté 8 personnes, confisqué un certain nombre de preuves et identifié une quarantaine de victimes, qui coopèrent maintenant avec elle.
Le Kosovo n'est pas membre d'Europol, ni d'Interpol, ni de Frontex, ni d'autres organismes régionaux et internationaux. Le fait d'être exclu de ces organisations régionales et internationales constitue un véritable obstacle pour les forces de l'ordre de notre pays. Je voudrais, là encore, en appeler à votre aide. Pourriez-vous vous faire l'écho de notre demande d'adhésion à ces organisations ? Une telle adhésion faciliterait, j'en suis convaincue, le combat que nous menons contre ces activités illégales.
On ne peut lutter de façon isolée contre le crime et les trafics – surtout si l'on considère que notre voisin du Nord est la Serbie. Si nous pouvions trouver le moyen d'améliorer notre coopération et devenir membre de ces organisations, je suis persuadée que nous obtiendrions de bien meilleurs résultats.
J'en viens maintenant à la question des Roms, en commençant par la célèbre affaire que vous avez mentionnée.
Nous avons un accord de réadmission avec la France et une stratégie de réintégration a été mise en place pour les personnes rapatriées – avec un budget annuel de 3,5 millions d'euros. Après son retour au Kosovo, la famille Dibrani a bénéficié de toutes les aides – dont un logement et des cours pour les enfants, afin qu'ils puissent apprendre l'albanais ou le serbe.
J'ai entendu pas mal de choses sur la situation des Roms au Kosovo. Mais permettez-moi de vous dire, madame la présidente, que nous faisons tout notre possible pour intégrer leurs communautés. Personnellement, j'ai été nommée coordonnatrice nationale pour la mise en oeuvre de la stratégie pour la réintégration des communautés roms au Kosovo.
Les Roms ont des sièges réservés au Parlement du Kosovo – quatre représentants pour les Roms, les Ashkalis et les Égyptiens. Il y a des ministres adjoints roms et de hauts fonctionnaires roms au Gouvernement. Nos services de télévision sont les seuls en Europe à diffuser quotidiennement des émissions en langue rom. Il y a un hebdomadaire en langue rom. Nous avons également développé des cursus scolaires en langue rom. Par conséquent, on ne peut pas parler, sur le plan juridique ou politique, de discrimination.
Maintenant, la situation est-elle parfaite ? Certes pas. La communauté rom rencontre les mêmes difficultés que la majorité de la population. Elle est victime du chômage, comme toutes les autres communautés du Kosovo, où le taux de chômage atteint 30 %. J'ajoute que tous les ans, nous fournissons des bourses à l'université de Pris
tina pour des étudiants issus de la communauté rom.
Ainsi, nous faisons tout notre possible pour améliorer les conditions de vie de cette population. En outre, d'après les forces de l'ordre, il n'y a pas eu le moindre incident lié à la haine raciale ou ethnique. Les craintes que nourrissent les personnes dont vous avez parlé – en cas de retour au Kosovo – ne sont donc pas justifiées.
Madame la ministre, merci pour vos explications. Je voudrais revenir sur les élections municipales, qui ont tout de même donné lieu à des heurts avec les Serbes. D'ailleurs, peu d'entre eux se sont rendus aux urnes. Enfin, il me semble que dans le Nord, la ville de Mitrovica conteste les résultats. Ces élections sont-elles un succès, selon vous ? Le bilan de la normalisation serait-il mitigé ?
Ensuite, comme vous l'avez remarqué, la France a été la première à reconnaître votre pays. Or cinq pays de l'Union européenne ne le reconnaissent toujours pas. Comment expliquez-vous ces réticences ? Cela risque de rendre votre intégration d'autant plus difficile. Avez-vous engagé des négociations avec ces cinq pays ?
Enfin, je ne doute pas que vous fassiez des efforts pour intégrer les minorités. Le Kosovo est un pays multiethnique, où toutes les religions sont représentées, ce qui constitue, selon moi, une force. Mais le Kosovo est aussi un pays d'immigration, ce qui prouve bien qu'il y a un problème d'intégration. 700 000 de vos concitoyens vivent en dehors de vos frontières, ce qui est énorme. Les minorités serbes sont beaucoup moins importantes que la communauté albanaise et même s'il y a peu de heurts entre ces deux communautés, le nationalisme albanais s'y exprime assez ouvertement. Est-ce un frein à l'intégration de ces Serbes et des autres ethnies dont vous nous avez parlé ?
Madame la ministre, merci pour vos explications. J'aborderai avec vous deux questions.
Premièrement, la façon de vivre des communautés roms se trouve en complet décalage avec nos règles de fonctionnement. Comment se fait-il que ces communautés ne soient pas capables de s'adapter dans un pays comme le nôtre ? Que faudrait-il faire pour qu'elles puissent s'intégrer non seulement chez nous, mais aussi dans d'autres pays ?
Deuxièmement, dans le cadre de l'intégration européenne, on parle économie et critères économiques. J'aimerais savoir quelle est la situation de votre agriculture et ce que l'intégration de votre pays dans l'Union européenne apporterait, économiquement parlant, à votre agriculture. Inversement, qu'est-ce que l'agriculture du Kosovo pourrait apporter à l'Europe ?
Madame la ministre, j'ai une autre question. L'Union européenne se mobilise pour lutter contre le chômage, en particulier celui des jeunes sortis des systèmes scolaires sans formation. Au Kosovo, le chômage affecte-t-il surtout les jeunes, ou l'ensemble de la population ? Certaines zones d'emplois sont-elles plus touchées que d'autres ?
Je voudrais vous rassurer : je crois que la FIFA fait beaucoup d'efforts pour que le Kosovo puisse être représenté dans les compétitions internationales. Il y a eu des rencontres en Suisse, c'est un début…
Votre première question concernait la participation de la communauté serbe aux dernières élections municipales. Encore une fois, l'intégration n'est pas un acte, mais un processus, et il faut bien commencer. C'était la première fois que nous organisions des élections municipales sur l'ensemble du territoire kosovar, sous l'égide des institutions kosovares, depuis l'indépendance. Je vous rappelle que les deux tiers de la population serbe du Kosovo vivent dans le Sud du pays, et non dans le Nord. Dans le Sud, la participation serbe a été supérieure à 50 %, voire proche de 60 %., ce qui très élevé pour une élection locale. Dans le Nord, cette participation a été supérieure à 20 %, voire proche de 30 %. Je précise que, dans le Nord, quatre municipalités seulement sont concernées. Dans la mesure où c'était la première fois que nous organisons de telles élections, dans des circonstances particulièrement difficiles, je considère que c'est un succès.
Je précise que pendant quatorze ans, ces populations ont entendu dire qu'il y aurait une séparation du pays et que le Kosovo n'était pas un État indépendant. Elles ont vécu dans une réalité différente, dans « les limbes », pourrait-on dire. Cette situation ne convenait pas à plus de 90 % de la population du Nord, mais convenait tout à fait à la poignée de personnes qui ont profité de l'absence de l'État de droit – pas d'impôts, pas de douanes, pour ainsi dire pas de lois. Ces personnes, devenues très riches, ont manié l'intimidation pour empêcher la population serbe de participer à ces élections. Malgré ces manoeuvres d'intimidation, que les représentants de l'Union européenne ont d'ailleurs constatées, la participation a été relativement élevée. Peut-être n'est-ce pas un plein succès, mais c'est un très bon début.
Les élections ayant maintenant eu lieu, nous allons pouvoir mettre en place une Association des municipalités serbes au Kosovo, mettre en oeuvre l'accord du 19 avril et mettre en place le Fonds de développement pour le Nord.
Nous pensons également organiser une conférence de bailleurs de fonds pour le Nord. En effet, la Commission européenne a déjà promis 50 millions d'euros pour la mise en oeuvre de l'accord du 19 avril. C'est une sacrée somme pour un territoire de si petite dimension et pour un nombre de personnes si restreint ! Nous voulons pouvoir la dépenser pour des projets réels. C'est la partie du Kosovo la moins développée : pendant quatorze ans, il n'y a pas eu d'investissements publics : pas de construction d'écoles, ni de réparations de routes. L'argent a servi exclusivement à acheter la loyauté de la population vis-à-vis de Belgrade.
Nous avons franchi la première étape positive d'un processus qui ne sera ni facile, ni fluide. Mais si Pristina et Belgrade maintiennent leur engagement, nous réussirons.
Il s'agit de construire des relations de confiance. Je me souviens qu'au moment de la déclaration d'indépendance, partout dans le Kosovo où il y avait des populations serbes, les routes étaient coupées. Maintenant les Serbes font partie du Gouvernement et du Parlement, et une chaîne publique diffuse en langue serbe. Ils sont donc très bien intégrés. Certes, il y a sans doute quelques cas individuels qui peuvent poser problème. Mais il n'y a pas de partis politiques, ni de programmes politiques qui s'opposent à l'idée d'un pays multiethnique.
Le fait que cinq pays n'ont pas reconnu le Kosovo constitue en effet un problème. Mais il ne s'agit pas là d'un groupe homogène de pays. Je viens de m'entretenir avec votre collègue du parlement slovaque et j'ai rencontré à de nombreuses reprises le ministre des affaires étrangères de Slovaquie. La Grèce est très positive. La Roumanie et Chypre nous soutiennent. Il n'y a que l'Espagne qui s'oppose à notre trajectoire européenne.
Je suis convaincue que si nous travaillons de pair avec nos partenaires européens, ces cinq pays reconnaîtront le Kosovo. Quoi qu'il en soit, ils ne se sont jamais opposés à notre trajectoire européenne : ils ont reconnu nos passeports, nos documents officiels ; ils ont une représentation diplomatique sur notre territoire. Nous avons donc avec eux des relations officielles.
Reste l'Espagne, qui lie son opposition à des problèmes internes – ceux qu'elle rencontre en Catalogne. Mais notre indépendance n'est pas tributaire d'un mouvement de sécession. Elle est le fruit d'un processus intense de négociation menée avec la Communauté européenne. Elle est aussi le fruit de la dissolution de la Yougoslavie. Donc, si le Kosovo est égal à la Catalogne, l'Espagne est égale à la Serbie. Si ce n'est qu'un million de Catalans n'ont pas été déportés en l'espace d'un mois. En fait, on ne peut faire aucune analogie et il ne s'agit là que d'un prétexte. Enfin, depuis que la Cour de justice internationale s'est prononcée en faveur de la légalité de notre déclaration d'indépendance, on ne saurait s'opposer à notre indépendance.
Selon vous, 700 000 personnes auraient fui le Kosovo. Non, les personnes que je visais dans mon propos préliminaire sont celles qui ont quitté notre pays voici plusieurs dizaines d'années, tout en conservant des liens très forts avec leur pays d'origine. Cette diaspora joue d'ailleurs un rôle très important, notamment sur le plan économique. Ses membres dépensent en effet 800 millions d'euros par an au Kosovo, ce qui représente une somme très importante pour un pays aussi petit que le nôtre.
Mais revenons-en aux Roms, dont l'intégration pose en effet problème. Pour autant, leurs spécificités culturelles ne sont pas suffisantes pour justifier leur isolement. Au Kosovo, ils résident dans des ghettos, à l'instar de ce qui se passe en France. Nous essayons de les impliquer et de les mêler à la population locale, mais ils s'y opposent. Il est très difficile de faire en sorte que les enfants de ces familles aillent à l'école, surtout pour les jeunes filles, qui se marient à un âge très précoce.
Bien qu'il soit très malaisé de les inciter à rejoindre le « système », nous devons continuer à déployer tous les efforts nécessaires à cette fin. Je peux vous donner cet exemple : il existe, dans le Nord, à Mitrovica, un campement de Roms, propice aux maladies. Notre gouvernement ayant décidé de bâtir des maisons à destination de cette population, nous avons passé beaucoup de temps à les convaincre de quitter leur campement pour rejoindre ces maisons : cela ne s'inscrit pas dans leur culture. Pour autant, nous n'avons pas l'intention de renoncer.
En outre, la majorité de la population ne leur est pas favorable et ne voit pas d'un bon oeil leur intégration. À titre personnel, j'ai pu m'entretenir avec le directeur d'une école à Pristina, parce qu'il refusait d'inscrire des élèves roms. La majorité n'est pas toujours réceptive à la spécificité de la communauté des Roms.
C'est un apprentissage pour nous, en tant que population majoritaire, mais également pour eux. Nous avons mis en place une stratégie nationale pour l'intégration de cette communauté, avec un budget dédié. Nous concentrons nos efforts sur l'éducation et les soins de santé. Nous leur octroyons des bourses d'étude. En effet, le chômage est très élevé au sein de leur communauté et très peu d'entre eux ont un diplôme universitaire. Cette année, nous avons même décidé de doubler le nombre de ces bourses.
Pendant un an, nous avons incité les Roms à s'enregistrer – gratuitement – auprès des municipalités. Si vous ne figurez pas sur les registres, vous n'avez pas d'état-civil et vous n'existez pas. Si vous n'existez pas, vous ne pouvez pas faire l'objet de quelque assistance sociale que ce soit. Ce programme ayant eu un impact positif, nous pensons le reconduire pendant encore un an.
Une dernière question portait sur l'économie et l'agriculture. Dans le domaine économique, nous avons des chiffres très positifs et d'autres plutôt négatifs.
D'après le FMI, le niveau d'endettement public du Kosovo s'établit à 5 % de notre PIB, ce qui est très modeste. Nous n'avons pas de dettes étrangères, dans la mesure où nous n'étions pas éligibles. Les quelques dettes que nous avons sont héritées de l'ex Yougoslavie. Le niveau de notre déficit s'inscrit au-dessous de la barre des 2 % et depuis cinq ans – c'est-à-dire depuis la déclaration d'indépendance – notre croissance économique dépasse les 4 % - selon le FMI et la Banque mondiale. Ainsi notre situation financière est-elle très stable. En revanche, le taux de chômage est très élevé : 30 %.
La croissance est générée au premier chef par le secteur public, et non par la sphère privée. En effet, notre économie est très jeune et il est très malaisé d'amener des sociétés à investir dans un pays qui n'est pas stable sur le plan politique. Nous ne sommes pas membres de l'UE et selon Google, la région est marquée par la guerre, les conflits et les problèmes avec la Serbie. Nonobstant cet état de fait, nous faisons tout dans les règles de l'art et, cette année, selon le rapport du groupe Doing Business de la Banque mondiale, le Kosovo est parmi les cinq pays qui se sont signalés par la mise en oeuvre de réformes sur le plan international.
Nous faisons donc tout notre possible afin de promouvoir le développement économique sur notre territoire et d'attirer les investissements. Mais le parcours sera encore long. Nous voulons que notre infrastructure juridique soit favorable à la présence de sociétés sur notre sol, et améliorer l'environnement pour ces sociétés.
L'agriculture est, de fait, l'un des éléments clés de notre croissance économique. En raison de notre isolement, qui date d'ailleurs de plusieurs décennies, nos produits n'ont pas été exposés aux marchés internationaux. Et tant que l'on n'est pas exposé aux marchés internationaux, on ne peut apprécier le niveau de production qu'il convient d'avoir. Cela dit, l'agriculture s'inscrit vraiment dans cet ASA, dont plus de 70 % du contenu concerne le commerce et l'agriculture. Nous travaillons très dur. Notre ministre de l'agriculture fait tout ce qu'il peut pour promouvoir nos produits agricoles.
En revanche, notre déficit commercial est très important, et nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser s'aggraver. Nous faisons en sorte que les produits du Kosovo évoluent sur le marché international. La signature de cet accord devrait favoriser notre agriculture. Nous avons mené quelques études avec la Banque mondiale et avec d'autres organismes internationaux et il en ressort que le sol kosovar est, notamment, très propice à la culture des asperges, très appréciées en Europe. Or aujourd'hui, 70 % des asperges consommées en Europe proviennent du Pérou, d'après nos informations. L'asperge figure donc parmi les produits phare que nous pouvons fournir à l'Europe.
Enfin, comme je l'ai déjà dit, le chômage est très élevé au Kosovo – il frôle les 30 %. Mais le travail au noir étant lui aussi très élevé, il est difficile de savoir si ce pourcentage est exact. D'un autre côté, la diaspora envoie régulièrement de l'argent aux familles encore présentes sur le sol kosovar, ce qui fait qu'elles n'ont pas besoin d'accepter des emplois aux salaires modestes. D'ailleurs, si vous déambulez dans les rues des villes du Kosovo, vous n'aurez pas l'impression que le taux de chômage est aussi élevé : le marché est en plein essor, il y a des chantiers partout et la société kosovare consomme parce qu'elle dispose de monnaie sonnante et trébuchante.
Les personnes jeunes et diplômées n'acceptent donc pas les emplois peu rémunérés du secteur public ou du secteur privé. Nous avons décidé d'investir davantage dans la formation professionnelle, conjointement avec les gouvernements locaux – 300 millions d'euros, ce qui est considérable. Nous avons en effet besoin de développer ce type de compétences, dans la mesure où nous ne serons pas en mesure d'entrer en concurrence avec les avocats et les économistes. Autant faire jouer la concurrence dans les domaines où l'Europe a des besoins, lorsque le marché du travail sera ouvert aux jeunes Kosovars.
Je terminerai sur une dernière demande : le Kosovo ne fait pas partie de votre liste des pays d'origine sûrs. Votre gouvernement avait décidé d'inclure le Kosovo dans cette liste, mais certaines ONG ont émis des doutes. De ce fait, le nombre de demandes d'asile dans votre pays est reparti à la hausse. Je pense que si vous pouviez nous aider à réintégrer la liste des pays sûrs, le nombre de demandes d'asile dans votre pays baisserait immédiatement.
Madame la ministre, nous vous avons entendue. Nous avons bien noté en quoi nous pourrions vous aider pour que le Kosovo soit accueilli le mieux possible, dans les années qui viennent, au sein de l'Union européenne.
Merci de votre visite. J'espère que nous aurons d'autres occasions d'échanger sur ces sujets d'intérêt commun.
La séance est levée à 9 h 45