Votre première question concernait la participation de la communauté serbe aux dernières élections municipales. Encore une fois, l'intégration n'est pas un acte, mais un processus, et il faut bien commencer. C'était la première fois que nous organisions des élections municipales sur l'ensemble du territoire kosovar, sous l'égide des institutions kosovares, depuis l'indépendance. Je vous rappelle que les deux tiers de la population serbe du Kosovo vivent dans le Sud du pays, et non dans le Nord. Dans le Sud, la participation serbe a été supérieure à 50 %, voire proche de 60 %., ce qui très élevé pour une élection locale. Dans le Nord, cette participation a été supérieure à 20 %, voire proche de 30 %. Je précise que, dans le Nord, quatre municipalités seulement sont concernées. Dans la mesure où c'était la première fois que nous organisons de telles élections, dans des circonstances particulièrement difficiles, je considère que c'est un succès.
Je précise que pendant quatorze ans, ces populations ont entendu dire qu'il y aurait une séparation du pays et que le Kosovo n'était pas un État indépendant. Elles ont vécu dans une réalité différente, dans « les limbes », pourrait-on dire. Cette situation ne convenait pas à plus de 90 % de la population du Nord, mais convenait tout à fait à la poignée de personnes qui ont profité de l'absence de l'État de droit – pas d'impôts, pas de douanes, pour ainsi dire pas de lois. Ces personnes, devenues très riches, ont manié l'intimidation pour empêcher la population serbe de participer à ces élections. Malgré ces manoeuvres d'intimidation, que les représentants de l'Union européenne ont d'ailleurs constatées, la participation a été relativement élevée. Peut-être n'est-ce pas un plein succès, mais c'est un très bon début.
Les élections ayant maintenant eu lieu, nous allons pouvoir mettre en place une Association des municipalités serbes au Kosovo, mettre en oeuvre l'accord du 19 avril et mettre en place le Fonds de développement pour le Nord.
Nous pensons également organiser une conférence de bailleurs de fonds pour le Nord. En effet, la Commission européenne a déjà promis 50 millions d'euros pour la mise en oeuvre de l'accord du 19 avril. C'est une sacrée somme pour un territoire de si petite dimension et pour un nombre de personnes si restreint ! Nous voulons pouvoir la dépenser pour des projets réels. C'est la partie du Kosovo la moins développée : pendant quatorze ans, il n'y a pas eu d'investissements publics : pas de construction d'écoles, ni de réparations de routes. L'argent a servi exclusivement à acheter la loyauté de la population vis-à-vis de Belgrade.
Nous avons franchi la première étape positive d'un processus qui ne sera ni facile, ni fluide. Mais si Pristina et Belgrade maintiennent leur engagement, nous réussirons.
Il s'agit de construire des relations de confiance. Je me souviens qu'au moment de la déclaration d'indépendance, partout dans le Kosovo où il y avait des populations serbes, les routes étaient coupées. Maintenant les Serbes font partie du Gouvernement et du Parlement, et une chaîne publique diffuse en langue serbe. Ils sont donc très bien intégrés. Certes, il y a sans doute quelques cas individuels qui peuvent poser problème. Mais il n'y a pas de partis politiques, ni de programmes politiques qui s'opposent à l'idée d'un pays multiethnique.
Le fait que cinq pays n'ont pas reconnu le Kosovo constitue en effet un problème. Mais il ne s'agit pas là d'un groupe homogène de pays. Je viens de m'entretenir avec votre collègue du parlement slovaque et j'ai rencontré à de nombreuses reprises le ministre des affaires étrangères de Slovaquie. La Grèce est très positive. La Roumanie et Chypre nous soutiennent. Il n'y a que l'Espagne qui s'oppose à notre trajectoire européenne.
Je suis convaincue que si nous travaillons de pair avec nos partenaires européens, ces cinq pays reconnaîtront le Kosovo. Quoi qu'il en soit, ils ne se sont jamais opposés à notre trajectoire européenne : ils ont reconnu nos passeports, nos documents officiels ; ils ont une représentation diplomatique sur notre territoire. Nous avons donc avec eux des relations officielles.
Reste l'Espagne, qui lie son opposition à des problèmes internes – ceux qu'elle rencontre en Catalogne. Mais notre indépendance n'est pas tributaire d'un mouvement de sécession. Elle est le fruit d'un processus intense de négociation menée avec la Communauté européenne. Elle est aussi le fruit de la dissolution de la Yougoslavie. Donc, si le Kosovo est égal à la Catalogne, l'Espagne est égale à la Serbie. Si ce n'est qu'un million de Catalans n'ont pas été déportés en l'espace d'un mois. En fait, on ne peut faire aucune analogie et il ne s'agit là que d'un prétexte. Enfin, depuis que la Cour de justice internationale s'est prononcée en faveur de la légalité de notre déclaration d'indépendance, on ne saurait s'opposer à notre indépendance.
Selon vous, 700 000 personnes auraient fui le Kosovo. Non, les personnes que je visais dans mon propos préliminaire sont celles qui ont quitté notre pays voici plusieurs dizaines d'années, tout en conservant des liens très forts avec leur pays d'origine. Cette diaspora joue d'ailleurs un rôle très important, notamment sur le plan économique. Ses membres dépensent en effet 800 millions d'euros par an au Kosovo, ce qui représente une somme très importante pour un pays aussi petit que le nôtre.
Mais revenons-en aux Roms, dont l'intégration pose en effet problème. Pour autant, leurs spécificités culturelles ne sont pas suffisantes pour justifier leur isolement. Au Kosovo, ils résident dans des ghettos, à l'instar de ce qui se passe en France. Nous essayons de les impliquer et de les mêler à la population locale, mais ils s'y opposent. Il est très difficile de faire en sorte que les enfants de ces familles aillent à l'école, surtout pour les jeunes filles, qui se marient à un âge très précoce.
Bien qu'il soit très malaisé de les inciter à rejoindre le « système », nous devons continuer à déployer tous les efforts nécessaires à cette fin. Je peux vous donner cet exemple : il existe, dans le Nord, à Mitrovica, un campement de Roms, propice aux maladies. Notre gouvernement ayant décidé de bâtir des maisons à destination de cette population, nous avons passé beaucoup de temps à les convaincre de quitter leur campement pour rejoindre ces maisons : cela ne s'inscrit pas dans leur culture. Pour autant, nous n'avons pas l'intention de renoncer.
En outre, la majorité de la population ne leur est pas favorable et ne voit pas d'un bon oeil leur intégration. À titre personnel, j'ai pu m'entretenir avec le directeur d'une école à Pristina, parce qu'il refusait d'inscrire des élèves roms. La majorité n'est pas toujours réceptive à la spécificité de la communauté des Roms.
C'est un apprentissage pour nous, en tant que population majoritaire, mais également pour eux. Nous avons mis en place une stratégie nationale pour l'intégration de cette communauté, avec un budget dédié. Nous concentrons nos efforts sur l'éducation et les soins de santé. Nous leur octroyons des bourses d'étude. En effet, le chômage est très élevé au sein de leur communauté et très peu d'entre eux ont un diplôme universitaire. Cette année, nous avons même décidé de doubler le nombre de ces bourses.
Pendant un an, nous avons incité les Roms à s'enregistrer – gratuitement – auprès des municipalités. Si vous ne figurez pas sur les registres, vous n'avez pas d'état-civil et vous n'existez pas. Si vous n'existez pas, vous ne pouvez pas faire l'objet de quelque assistance sociale que ce soit. Ce programme ayant eu un impact positif, nous pensons le reconduire pendant encore un an.
Une dernière question portait sur l'économie et l'agriculture. Dans le domaine économique, nous avons des chiffres très positifs et d'autres plutôt négatifs.
D'après le FMI, le niveau d'endettement public du Kosovo s'établit à 5 % de notre PIB, ce qui est très modeste. Nous n'avons pas de dettes étrangères, dans la mesure où nous n'étions pas éligibles. Les quelques dettes que nous avons sont héritées de l'ex Yougoslavie. Le niveau de notre déficit s'inscrit au-dessous de la barre des 2 % et depuis cinq ans – c'est-à-dire depuis la déclaration d'indépendance – notre croissance économique dépasse les 4 % - selon le FMI et la Banque mondiale. Ainsi notre situation financière est-elle très stable. En revanche, le taux de chômage est très élevé : 30 %.
La croissance est générée au premier chef par le secteur public, et non par la sphère privée. En effet, notre économie est très jeune et il est très malaisé d'amener des sociétés à investir dans un pays qui n'est pas stable sur le plan politique. Nous ne sommes pas membres de l'UE et selon Google, la région est marquée par la guerre, les conflits et les problèmes avec la Serbie. Nonobstant cet état de fait, nous faisons tout dans les règles de l'art et, cette année, selon le rapport du groupe Doing Business de la Banque mondiale, le Kosovo est parmi les cinq pays qui se sont signalés par la mise en oeuvre de réformes sur le plan international.
Nous faisons donc tout notre possible afin de promouvoir le développement économique sur notre territoire et d'attirer les investissements. Mais le parcours sera encore long. Nous voulons que notre infrastructure juridique soit favorable à la présence de sociétés sur notre sol, et améliorer l'environnement pour ces sociétés.
L'agriculture est, de fait, l'un des éléments clés de notre croissance économique. En raison de notre isolement, qui date d'ailleurs de plusieurs décennies, nos produits n'ont pas été exposés aux marchés internationaux. Et tant que l'on n'est pas exposé aux marchés internationaux, on ne peut apprécier le niveau de production qu'il convient d'avoir. Cela dit, l'agriculture s'inscrit vraiment dans cet ASA, dont plus de 70 % du contenu concerne le commerce et l'agriculture. Nous travaillons très dur. Notre ministre de l'agriculture fait tout ce qu'il peut pour promouvoir nos produits agricoles.
En revanche, notre déficit commercial est très important, et nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser s'aggraver. Nous faisons en sorte que les produits du Kosovo évoluent sur le marché international. La signature de cet accord devrait favoriser notre agriculture. Nous avons mené quelques études avec la Banque mondiale et avec d'autres organismes internationaux et il en ressort que le sol kosovar est, notamment, très propice à la culture des asperges, très appréciées en Europe. Or aujourd'hui, 70 % des asperges consommées en Europe proviennent du Pérou, d'après nos informations. L'asperge figure donc parmi les produits phare que nous pouvons fournir à l'Europe.
Enfin, comme je l'ai déjà dit, le chômage est très élevé au Kosovo – il frôle les 30 %. Mais le travail au noir étant lui aussi très élevé, il est difficile de savoir si ce pourcentage est exact. D'un autre côté, la diaspora envoie régulièrement de l'argent aux familles encore présentes sur le sol kosovar, ce qui fait qu'elles n'ont pas besoin d'accepter des emplois aux salaires modestes. D'ailleurs, si vous déambulez dans les rues des villes du Kosovo, vous n'aurez pas l'impression que le taux de chômage est aussi élevé : le marché est en plein essor, il y a des chantiers partout et la société kosovare consomme parce qu'elle dispose de monnaie sonnante et trébuchante.
Les personnes jeunes et diplômées n'acceptent donc pas les emplois peu rémunérés du secteur public ou du secteur privé. Nous avons décidé d'investir davantage dans la formation professionnelle, conjointement avec les gouvernements locaux – 300 millions d'euros, ce qui est considérable. Nous avons en effet besoin de développer ce type de compétences, dans la mesure où nous ne serons pas en mesure d'entrer en concurrence avec les avocats et les économistes. Autant faire jouer la concurrence dans les domaines où l'Europe a des besoins, lorsque le marché du travail sera ouvert aux jeunes Kosovars.
Je terminerai sur une dernière demande : le Kosovo ne fait pas partie de votre liste des pays d'origine sûrs. Votre gouvernement avait décidé d'inclure le Kosovo dans cette liste, mais certaines ONG ont émis des doutes. De ce fait, le nombre de demandes d'asile dans votre pays est reparti à la hausse. Je pense que si vous pouviez nous aider à réintégrer la liste des pays sûrs, le nombre de demandes d'asile dans votre pays baisserait immédiatement.