Intervention de Jean Bergougnoux

Réunion du 29 octobre 2013 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean Bergougnoux, président de l'association « équilibre des énergies » :

On propos vise à essayer de situer les pratiques actuelles par rapport aux objectifs de la transition énergétique. Je vais l'ouvrir par quelques éléments rétrospectifs : entre 1990 et 2010, donc sur une période de 20 ans, la consommation de la France en énergie primaire a augmenté de 16 %, en énergie finale de 12 %, et les émissions de CO2 ont baissé de 4,5 %. On a donc enregistré un progrès si l'objectif majeur de la transition énergétique est bien la diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Comment cela s'explique-t-il ? D'abord, par l'augmentation de la consommation d'énergie décarbonnée, du fait de la place prise par l'électricité dans l'équipement des constructions et les consommations spécifiques ; ensuite, en raison des substitutions du gaz au fioul ; enfin, grâce aux économies d'énergies.

Quels enseignements peut-on tirer des discussions du débat national sur la transition énergétique, auquel j'ai personnellement participé ? Pour atteindre le facteur 4 en 2050, il importe d'abord de considérer la lutte contre l'effet de serre comme une priorité absolue ; dans cette logique, les hydrocarbures ne peuvent être considérés que comme une énergie de transition, les consommations de pétrole et de gaz ayant vocation à se réduire substantiellement ; parmi les scénarios envisagés, ceux qui se basent essentiellement sur des économies d'énergie (NegaWatt, Ademe), paraissent beaucoup plus coûteux en investissement, au vu des chiffres disponibles, que ceux qui misent sur une substitution des énergies fossiles ou sur une diversification du mix énergétique.

Le mix électrique ne pourra contribuer à la diminution des émissions de CO2 que si la compensation de toute réduction de la part de la production nucléaire se fait par appel aux énergies renouvelables. Or les plus puissantes de ces énergies (soleil, vent) sont intermittentes ; on manquera l'objectif s'il faut maintenir des centrales thermiques pour réguler l'alimentation du réseau.

S'agissant des pratiques actuelles, et d'abord pour la construction, la comparaison des taux d'équipements respectifs en électricité et au gaz ne doit pas s'analyser en fonction des types de bâtiments, mais plutôt au regard de la zone d'implantation, selon que celle-ci est desservie ou non en gaz. Les maisons individuelles et les bâtiments collectifs ont en effet un type d'équipement similaire en zone desservie en gaz. L'électricité dominait à hauteur de 80 % dans les bâtiments collectifs jusqu'en 2000, puis a chuté à 20 % aujourd'hui, cette baisse devant se poursuivre car elle a été jusque-là freinée par le poids des engagements antérieurs.

La première conséquence de cette évolution est un surcoût pour le consommateur. Une simulation effectuée sur deux bâtiments semblables, indifféremment deux bâtiments collectifs ou deux maisons individuelles, réalisés au même coût initial et se chauffant l'un au gaz, l'autre à l'électricité, en profitant, dans le second cas, de ce que l'investissement en équipement électrique est moins cher pour renforcer l'isolation, montre un avantage de 30 % en faveur de l'électricité, s'agissant des charges courantes. La raison principale de cet écart tient à ce que l'abonnement est unique avec l'électricité, alors qu'un chauffage au gaz oblige à la gestion de deux abonnements, l'un au gaz bien entendu, l'autre à l'électricité pour les consommations spécifiques, et impose en plus l'entretien de la chaudière ainsi que des ramonages annuels. Des chiffres confirmant cet écart, mis à jour par le CEREN (Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie), ont été récemment rendus publics par l'ADEME. Il convient d'ajouter que le bâtiment équipé à l'électricité présente aussi l'avantage d'émettre moins de CO2, dans une proportion de l'ordre de 70 %.

Au total, la RT 2012 s'accommode de bâtis moins exigeants pourvu qu'ils soient équipés au gaz, renforce ainsi la prépondérance du gaz qui tient en moyenne une part de marché du chauffage d'environ 40 %, encourage les émissions de gaz carbonique, pénalise financièrement l'occupant du logement et accentue le déficit de la balance commerciale.

Dans les zones non desservies en gaz, la réglementation thermique impose de fait le recours à la pompe à chaleur, qui correspond à un investissement lourd, 8 000 à 10 000 euros en plus des 100 000 euros nécessaires pour construire le bâti. Certains primo-accédants, faute de moyens, renoncent à leur projet ; d'autres conçoivent un bâtiment conforme aux normes prévues pour un chauffage au bois, tout en faisant installer, avec la complicité du promoteur, des lignes d'alimentation permettant ultérieurement le raccordement de radiateurs électriques : finalement, le logement est chauffé à l'électricité sur la base d'une isolation pour un chauffage au bois, ce qui maximise sa contribution à la pointe de consommation d'hiver.

On parle beaucoup des « smart grids » ; c'est une manière indirecte de reconnaître que la consommation d'électricité peut être modulée en fonction des besoins ; mais il faut bien avoir conscience que si des capacités tampons ne sont pas disponibles, les diminutions de production à la source, du fait des intermittences notamment, devront avoir pour contrepartie des arrêts au niveau des utilisations, le chauffage étant alors un meilleur candidat pour la régulation, du fait de son inertie, que des appareils ménagers.

En matière de rénovation, les mécanismes d'incitation prévus, à savoir notamment les aides fiscales et les certificats d'économie d'énergie, conduisent en pratique à des démarches désordonnées et inefficaces. Ce constat a été entériné par la Cour des comptes, qui a pudiquement évoqué, dans son rapport d'octobre 2013 sur les certificats d'économie d'énergie, la nécessité d'améliorer le dispositif.

En plein accord avec ce qui a été expliqué par les intervenants précédents, l'association « Equilibre des énergies » défend l'idée qu'une rénovation doit commencer par un audit qui aide à définir la meilleure stratégie possible. Comme la réalisation d'un bloc des travaux serait trop coûteuse et que les aides de l'Etat resteront nécessairement limitées dans le contexte budgétaire actuel, il faut prévoir un échelonnement des opérations, en fonction notamment de leur taux de retour.

L'audit sérieux préalable à une rénovation n'a rien à voir avec le « diagnostic de performance énergétique », dont le résultat en termes d'énergie primaire donne une vision biaisée de la réalité des bâtiments, au point d'avoir un impact négatif sur la valorisation patrimoniale : les propriétaires de bâtiments performants à l'électricité subissent de ce fait une décote mécanique par rapport aux logements chauffés au gaz.

Les équipements hybrides sont appelés à se développer car les variations de la production d'électricité vont rendre intéressantes les pompes à chaleur lorsque les prix d'alimentation s'effondreront, et à l'inverse, le passage aux chaudières à gaz s'impose au moment des pointes de consommation d'électricité, lorsqu'il n'y a pas de vent pour compenser celles-ci. Mais les progrès de l'hybridation des équipements supposent que ces deux régimes bien différenciés soient pris en compte par la tarification ; ils supposent aussi que l'hybridation soit, en elle-même, mieux prise en compte par la réglementation thermique.

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