Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Mardi 29 octobre 2013
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, Député, Premier vice-président
La séance est ouverte à 17 heures
Audition de plusieurs associations impliquées dans la mise en oeuvre de la réglementation sur les économies d'énergie dans le bâtiment (Association française du gaz, Équilibre des énergies, Effinergie)
J'assume ce soir la présidence en remplacement de mon collègue Bruno Sido, qui est empêché. Nous allons consacrer cette réunion aux évolutions récentes dans le domaine des économies d'énergie dans le bâtiment.
C'est un domaine qui intéresse l'OPECST à un double titre : d'abord, au titre du suivi des opérations dans le domaine de la transition énergétique, comme nous nous y sommes engagés dans le cadre d'un rapport récent ; ensuite, au titre d'une étude en cours, qui porte plus spécifiquement sur les freins à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment, et dont j'assure la conduite avec Marcel Deneux, qui s'est excusé.
Les trois acteurs présents nous ont sollicités pour un échange avec l'OPECST, et Bruno Sido et moi-même avons décidé de vous écouter ensemble en toute transparence, dans le cadre d'une mini-table ronde.
Comme pour toutes les réunions de l'OPECST, un compte-rendu sera réalisé.
L'OPECST est très attaché à la tenue de réunions collectives et contradictoires, pratique qu'il a initiée au Parlement, dans les années 90.
Nous remercions les représentants des trois associations invitées :
- « Équilibre des énergies », présidée par M. Jean Bergougnoux, ancien directeur général d'EDF entre 1987 et 1994 ; vous êtes accompagné de deux conseillers, MM. Gilles Rogers-Boutbien et Sébastien Jolie, ainsi que de M. Yves Le Camus, secrétaire général du groupe Muller, et de M. Pierre-Louis François, président du Groupe Atlantic ;
- l'Association française du gaz, dirigée par M. Georges Bouchard, son délégué général. M. George Bouchard est un ancien fonctionnaire du corps des Ponts et Chaussées, qui a fait une partie de sa carrière au sein d'EDF (y compris à la tête d'une centrale nucléaire), puis est entré chez GDF SUEZ. À côté de vous est assis M. Philippe Haïm, que l'Office connaît déjà, puisque nous l'avons accueilli lors de notre audition du 4 avril dernier ;
- le « Collectif Effinergie » est représenté par son directeur, M. Yann Dervyn, qui nous vient de Montpellier. Il est accompagné de M. Sébastien Lefeuvre.
Je vais vous laisser vous exprimer successivement pour 15 minutes. Je vous invite à expliquer votre point de vue sur les difficultés du passage à la basse consommation, les stratégies que vous préconisez pour avancer le plus vite possible dans ce domaine, et peut-être sur les premiers résultats obtenus.
Puis mes autres collègues de l'OPECST et moi vous poserons quelques questions.
Le collectif « Effinergie » est une association, créée en 2006 sous le régime de la loi de 1901. Son objectif était de promouvoir l'efficacité énergétique dans les bâtiments, en veillant à ce qu'ils soient confortables. Il s'agissait de fédérer à l'époque une multitude d'initiatives dispersées. Les fondateurs en sont : les régions Alsace, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon ; des associations locales comme Rhône-Alpes Energie Environnement, AJENA (en Franche-Comté) ; mais aussi le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), le collectif des industriels « Isolons la terre contre le CO2 » (autour de Saint-Gobain), la Caisse des dépôts et consignations et la Banque populaire.
Aujourd'hui, l'association compte environ 70 adhérents, dont la quasi-totalité des régions de France, ainsi qu'un grand nombre d'organismes experts ; les industriels sont regroupés dans le « Club des partenaires ».
L'association a produit en 2007 le label « BBC Effinergie », qui a eu un grand succès auprès des professionnels du bâtiment, et a largement inspiré la réglementation thermique « RT 2012 », même si celle-ci s'écarte un peu du label.
Deux nouveaux labels pour la construction ont été produits depuis lors : « Effinergie + » et « Bepos Effinergie 2013 ». Ils correspondent à plus d'exigence en termes d'économie d'énergie ; le premier place le plafond de consommation d'énergie primaire à 40 kWh par mètre carré et par an, au lieu de 50 kWh pour « BBC Effinergie » et la RT 2012 ; le second ouvre la voie aux bâtiments à énergie positive, en prévoyant la compensation intégrale de la consommation par la production d'énergies renouvelables.
En 2009, l'association a produit un label pour la rénovation : « BBC Effinergie Rénovation ».
Effinergie édite des guides et fiches techniques et organise des formations à l'intention des professionnels du secteur.
L'association a mis en place un « Observatoire » pour centraliser les retours d'expérience, en distinguant construction et rénovation, et en répondant aux préoccupations spécifiques de certains conseils régionaux.
Il convient de préciser que les consommations d'énergie prises en compte concernent cinq usages (chauffage, eau chaude, éclairage, ventilation, climatisation), et laissent donc de côté les consommations dites « mobilières » qui résultent de l'alimentation des appareils électroménagers, et des interfaces de l'économie numérique (ordinateurs, téléphones). Celles-ci deviennent prépondérantes dans les bâtiments efficaces en énergie ; c'est la raison pour laquelle elles sont prises en compte dans le cadre des labels « Energie + » et « Bepos Effinergie 2013 ».
Parmi les cinq usages, l'eau chaude sanitaire devient le premier poste de consommation dans les bâtiments BBC, devant le chauffage. À se focaliser sur le chauffage, on risque donc de manquer l'objectif de l'efficacité énergétique des bâtiments. La consommation en soi des équipements prend elle aussi plus d'importance dans ces bâtiments.
Les réflexions sur les économies d'énergie dans le bâtiment doivent tenir compte des consommations d'énergie liées à la mobilité, et cet élargissement de perspective n'est pas à l'avantage des constructions trop à l'écart des concentrations urbaines.
Le bilan cumulé des retours d'expérience entre 2009 et 2013 montre, qu'en ce qui concerne le chauffage, l'électricité est dominante, à hauteur de 50 à 60 %, dans les maisons individuelles et le secteur tertiaire, alors que le chauffage au gaz est prépondérant dans les bâtiments collectifs, à hauteur de 80 %.
Les maisons individuelles utilisent principalement des pompes à chaleur air-eau, alors que le secteur tertiaire recoure également aux systèmes thermodynamiques, mais avec un éventail de technologies beaucoup plus large.
Si, en moyenne, plus de la moitié des maisons individuelles se chauffent à l'électricité, cela recouvre un taux plus fort, autour de 80 %, dans le sud de la France (Aquitaine, Provence-Côte d'Azur) où le besoin de chauffage est moindre, et un taux plus faible dans le Nord, autour de 40 %.
En évolution sur les quatre à cinq années d'observation, la part de l'électricité a diminué dans les maisons individuelles : de 70 % en 2009, elle est tombée autour de 50 % aujourd'hui, cette baisse étant contrebalancée par la remontée du gaz de 21 % à 38 %.
Dans les logements collectifs, l'équipement de chauffage dominant est la chaudière à condensation.
S'agissant de l'eau chaude sanitaire, qui n'est pas prise en compte par la réglementation thermique dans le secteur tertiaire, elle est principalement produite à partir du gaz dans les logements collectifs, et à partir de l'électricité (à hauteur de 55 %) dans les maisons individuelles. L'eau chaude solaire garde une place importante dans les maisons individuelles, à hauteur de 30 à 40 %, en dépit du recul provoqué depuis 2009, où sa part atteignait 70 %, par les progrès rapides de l'eau chaude thermodynamique.
En ce qui concerne les systèmes de ventilation, la technologie Hygro B est prépondérante dans les maisons individuelles et les bâtiments collectifs, à hauteur de 80 à 90 %. Les technologies « double flux », avec récupération de chaleur, dominent à l'inverse dans le secteur tertiaire, où les volumes à gérer sont plus importants.
À côté de ces trois aspects du chauffage, de l'eau chaude sanitaire et de la ventilation, l'Observatoire d'Effinergie donne bien sûr aussi des informations sur d'autres aspects clefs de l'efficacité énergétique, comme les matériaux d'isolation, la nature des toitures ou les technologies d'éclairage.
Depuis 2007, la construction labellisée BBC représente à ce jour, en stock, 185 000 logements pour les bâtiments collectifs ; en flux annuel, cela représentait 70 % des constructions de bâtiments collectifs autorisées en 2012. Pour les maisons individuelles, l'objectif est d'atteindre 100 000 constructions labellisées, et il est réalisé à ce jour pour moitié ; les taux de rejet sont faibles, de l'ordre de 1 à 2 %.
Le retour d'expérience sur les opérations de rénovation montre qu'il est possible de réduire les consommations d'énergie d'un facteur 3 à 6, quelle que soit la destination du bâtiment (maison individuelle, bâtiment collectif, secteur tertiaire). La stratégie de rénovation consiste à réaliser des bouquets de travaux ; la réduction de consommation obtenue peut varier de 40 à 80 % selon le choix du bouquet de travaux.
Je vais maintenant donner la parole à M. Georges Bouchard, délégué général de l'Association française du gaz. Cette association soutient le développement de l'industrie du gaz en France dans tous ses aspects, de la fourniture à la fabrication de matériels et d'équipements, en passant par le stockage et la distribution. Elle fournit des services en matière de formation et de normalisation, tant en France qu'à l'étranger. Elle apporte en particulier sa contribution aux travaux de réglementation, normalisation et certification de l'industrie du gaz aux niveaux national, européen et international.
Je laisserai pour l'essentiel la parole à M. Philippe Haïm, président de notre commission « utilisations », afin d'évoquer ce qui nous semble être l'enjeu essentiel de l'efficacité énergétique des bâtiments, à savoir la rénovation.
S'agissant de la construction neuve, la situation est assez satisfaisante ; la réglementation thermique RT 2012 est très incitative, et a permis des progrès techniques importants ; sa définition en termes d'énergie primaire conduit chaque filière à offrir une large palette de solutions techniques, et s'est traduite par un rééquilibrage entre les sources d'énergie, puisque l'électricité reste dominante en nombre de kWh par mètre carré construit, mais en laissant une plus large place au gaz qu'auparavant ; même si des différences apparaissent segment par segment, le marché est aujourd'hui globalement plus équilibré, ce qui constitue plutôt un avantage pour le consommateur. En outre, l'étape suivante de 2020 en faveur du bâtiment à énergie positive est bien engagée, sans précipitation.
La RT 2012 a effectivement incité aux innovations, et j'en veux pour preuve le développement des nouvelles générations de chaudières à condensation, qui peuvent aujourd'hui moduler leur puissance dans un rapport de 1 à 20, de moins de 1 kW jusqu'à 28 kW ; cette technologie a été mise au point prioritairement pour répondre aux besoins des bâtiments neufs, mais peut être utilisée aussi en cas de rénovation des bâtiments existants. Deuxième exemple d'innovation : la chaudière hybride, association d'une chaudière à condensation et d'une pompe à chaleur électrique, qui permet de disposer, à tout moment de l'année, de la plus pertinente des deux technologies. Troisième exemple : le chauffe-eau thermodynamique, mais on pourrait encore évoquer le chauffage solaire et les pompes à chaleur. Bref, à l'époque où je suis entré dans la profession, il était difficile d'échapper à l'alternative entre chaudière à gaz et convecteur électrique, aujourd'hui l'offre technologique est sans commune mesure.
Les enjeux essentiels des économies d'énergie concernent effectivement la rénovation, sans perdre de vue que les consommations électriques « mobilières », évoquées précédemment, vont devenir bientôt une question incontournable, car elles représentent dès aujourd'hui le premier poste de dépense énergétique dans les logements respectant les nouvelles normes thermiques.
La rénovation est un gisement important d'économies d'énergie, et notre approche repose sur deux préconisations : d'abord redonner confiance aux ménages, ensuite maîtriser le gain de performance et le coût des travaux. Pour réussir une rénovation, il faut tenir compte de quelques grands principes :
- premièrement, il faut viser d'emblée un niveau de performance ambitieux, à savoir soit un label « HPE Rénovation » (Haute Performance Energétique), soit un label « BBC Rénovation », qui ramènent la consommation en moyenne à 150 kWh par mètre carré et par an, pour le premier, et à 80 kWh pour le second ;
- deuxièmement, il convient de rénover chaque poste avec les équipements ou matériaux les plus performants, ou tout au moins ayant le meilleur rapport « performancecoût », afin d'éviter d'avoir ultérieurement à effectuer un nouvel investissement ;
- troisièmement, tout doit partir d'un audit énergétique et financier, de façon à définir les bouquets de travaux les plus pertinents pour atteindre la cible en matière de performance énergétique ; cet audit n'a rien à voir avec le diagnostic de performance énergétique tel qu'on l'entend aujourd'hui, car il doit aboutir à des évaluations chiffrées ;
- quatrièmement, le séquencement des travaux nécessaires doit être optimisé, ce qui est essentiel pour tirer le meilleur parti des investissements à réaliser, dont le temps de retour est parfois important ;
- cinquièmement, il faut tenir compte des interactions possibles entre les différents aspects de la rénovation, notamment entre le renforcement de l'isolation et l'adaptation des équipements. Par exemple, la focalisation sur l'isolation peut être contreproductive si l'on maintient par ailleurs une chaudière très ancienne. On dispose aujourd'hui d'équipements qui permettent d'accompagner une rénovation par étape jusqu'à la réalisation de l'objectif visé de basse consommation.
Il est en effet essentiel d'avoir bien conscience que la stratégie de rénovation doit s'adapter au cas par cas, et qu'une démarche trop systématique risque de rendre l'opération plus coûteuse et moins efficace.
Avec M. Jean Bergougnoux, la troisième association que nous recevons ce soir s'appelle « Equilibre des énergies », nom qui vient de ce qu'elle se donne comme objet de mener des travaux qui se veulent « objectifs et approfondis » sur l'utilisation rationnelle des énergies dans les bâtiments résidentiels et tertiaires. Elle regroupe trois catégories d'acteurs (des professionnels du bâtiment, des industriels et installateurs, des associations de consommateurs) qui ont en commun d'être directement au contact des réalités économiques et humaines sur le terrain, et qui revendiquent de travailler ensemble dans une logique d'intérêt général. Elle vise à une utilisation rationnelle des énergies, en utilisant chacune d'elle dans son domaine de pertinence, et en n'oubliant pas que les capacités de financement sont aussi une ressource rare.
On propos vise à essayer de situer les pratiques actuelles par rapport aux objectifs de la transition énergétique. Je vais l'ouvrir par quelques éléments rétrospectifs : entre 1990 et 2010, donc sur une période de 20 ans, la consommation de la France en énergie primaire a augmenté de 16 %, en énergie finale de 12 %, et les émissions de CO2 ont baissé de 4,5 %. On a donc enregistré un progrès si l'objectif majeur de la transition énergétique est bien la diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Comment cela s'explique-t-il ? D'abord, par l'augmentation de la consommation d'énergie décarbonnée, du fait de la place prise par l'électricité dans l'équipement des constructions et les consommations spécifiques ; ensuite, en raison des substitutions du gaz au fioul ; enfin, grâce aux économies d'énergies.
Quels enseignements peut-on tirer des discussions du débat national sur la transition énergétique, auquel j'ai personnellement participé ? Pour atteindre le facteur 4 en 2050, il importe d'abord de considérer la lutte contre l'effet de serre comme une priorité absolue ; dans cette logique, les hydrocarbures ne peuvent être considérés que comme une énergie de transition, les consommations de pétrole et de gaz ayant vocation à se réduire substantiellement ; parmi les scénarios envisagés, ceux qui se basent essentiellement sur des économies d'énergie (NegaWatt, Ademe), paraissent beaucoup plus coûteux en investissement, au vu des chiffres disponibles, que ceux qui misent sur une substitution des énergies fossiles ou sur une diversification du mix énergétique.
Le mix électrique ne pourra contribuer à la diminution des émissions de CO2 que si la compensation de toute réduction de la part de la production nucléaire se fait par appel aux énergies renouvelables. Or les plus puissantes de ces énergies (soleil, vent) sont intermittentes ; on manquera l'objectif s'il faut maintenir des centrales thermiques pour réguler l'alimentation du réseau.
S'agissant des pratiques actuelles, et d'abord pour la construction, la comparaison des taux d'équipements respectifs en électricité et au gaz ne doit pas s'analyser en fonction des types de bâtiments, mais plutôt au regard de la zone d'implantation, selon que celle-ci est desservie ou non en gaz. Les maisons individuelles et les bâtiments collectifs ont en effet un type d'équipement similaire en zone desservie en gaz. L'électricité dominait à hauteur de 80 % dans les bâtiments collectifs jusqu'en 2000, puis a chuté à 20 % aujourd'hui, cette baisse devant se poursuivre car elle a été jusque-là freinée par le poids des engagements antérieurs.
La première conséquence de cette évolution est un surcoût pour le consommateur. Une simulation effectuée sur deux bâtiments semblables, indifféremment deux bâtiments collectifs ou deux maisons individuelles, réalisés au même coût initial et se chauffant l'un au gaz, l'autre à l'électricité, en profitant, dans le second cas, de ce que l'investissement en équipement électrique est moins cher pour renforcer l'isolation, montre un avantage de 30 % en faveur de l'électricité, s'agissant des charges courantes. La raison principale de cet écart tient à ce que l'abonnement est unique avec l'électricité, alors qu'un chauffage au gaz oblige à la gestion de deux abonnements, l'un au gaz bien entendu, l'autre à l'électricité pour les consommations spécifiques, et impose en plus l'entretien de la chaudière ainsi que des ramonages annuels. Des chiffres confirmant cet écart, mis à jour par le CEREN (Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie), ont été récemment rendus publics par l'ADEME. Il convient d'ajouter que le bâtiment équipé à l'électricité présente aussi l'avantage d'émettre moins de CO2, dans une proportion de l'ordre de 70 %.
Au total, la RT 2012 s'accommode de bâtis moins exigeants pourvu qu'ils soient équipés au gaz, renforce ainsi la prépondérance du gaz qui tient en moyenne une part de marché du chauffage d'environ 40 %, encourage les émissions de gaz carbonique, pénalise financièrement l'occupant du logement et accentue le déficit de la balance commerciale.
Dans les zones non desservies en gaz, la réglementation thermique impose de fait le recours à la pompe à chaleur, qui correspond à un investissement lourd, 8 000 à 10 000 euros en plus des 100 000 euros nécessaires pour construire le bâti. Certains primo-accédants, faute de moyens, renoncent à leur projet ; d'autres conçoivent un bâtiment conforme aux normes prévues pour un chauffage au bois, tout en faisant installer, avec la complicité du promoteur, des lignes d'alimentation permettant ultérieurement le raccordement de radiateurs électriques : finalement, le logement est chauffé à l'électricité sur la base d'une isolation pour un chauffage au bois, ce qui maximise sa contribution à la pointe de consommation d'hiver.
On parle beaucoup des « smart grids » ; c'est une manière indirecte de reconnaître que la consommation d'électricité peut être modulée en fonction des besoins ; mais il faut bien avoir conscience que si des capacités tampons ne sont pas disponibles, les diminutions de production à la source, du fait des intermittences notamment, devront avoir pour contrepartie des arrêts au niveau des utilisations, le chauffage étant alors un meilleur candidat pour la régulation, du fait de son inertie, que des appareils ménagers.
En matière de rénovation, les mécanismes d'incitation prévus, à savoir notamment les aides fiscales et les certificats d'économie d'énergie, conduisent en pratique à des démarches désordonnées et inefficaces. Ce constat a été entériné par la Cour des comptes, qui a pudiquement évoqué, dans son rapport d'octobre 2013 sur les certificats d'économie d'énergie, la nécessité d'améliorer le dispositif.
En plein accord avec ce qui a été expliqué par les intervenants précédents, l'association « Equilibre des énergies » défend l'idée qu'une rénovation doit commencer par un audit qui aide à définir la meilleure stratégie possible. Comme la réalisation d'un bloc des travaux serait trop coûteuse et que les aides de l'Etat resteront nécessairement limitées dans le contexte budgétaire actuel, il faut prévoir un échelonnement des opérations, en fonction notamment de leur taux de retour.
L'audit sérieux préalable à une rénovation n'a rien à voir avec le « diagnostic de performance énergétique », dont le résultat en termes d'énergie primaire donne une vision biaisée de la réalité des bâtiments, au point d'avoir un impact négatif sur la valorisation patrimoniale : les propriétaires de bâtiments performants à l'électricité subissent de ce fait une décote mécanique par rapport aux logements chauffés au gaz.
Les équipements hybrides sont appelés à se développer car les variations de la production d'électricité vont rendre intéressantes les pompes à chaleur lorsque les prix d'alimentation s'effondreront, et à l'inverse, le passage aux chaudières à gaz s'impose au moment des pointes de consommation d'électricité, lorsqu'il n'y a pas de vent pour compenser celles-ci. Mais les progrès de l'hybridation des équipements supposent que ces deux régimes bien différenciés soient pris en compte par la tarification ; ils supposent aussi que l'hybridation soit, en elle-même, mieux prise en compte par la réglementation thermique.
Le débat sur la transition énergétique a mis en avant l'objectif d'une diminution de moitié de la consommation nationale d'énergie d'ici 2050. Le secteur du bâtiment doit assurer une part essentielle de l'effort (la moitié selon, par exemple, le scénario NegaWatt). Or c'est une chose de réussir quelques expérimentations qui mobilisent des moyens humains très motivés, c'en est une autre de mettre à niveau la performance d'un parc total de trente millions de bâtiments. Est-ce que vous pensez que ces objectifs massifs sont effectivement à portée d'une réalisation réelle d'ici quelques dizaines d'années ?
Plus particulièrement, s'agissant des constructions, est-ce que les premiers bâtiments BBC respectent bien, en valeur réelle, l'objectif réglementaire de 50 kWh par mètre carré et par an ? Dispose-t-on, d'une manière ou d'une autre, des moyens pour vérifier la performance effectivement atteinte ?
En tout état de cause, la consommation de l'électricité paraît plutôt engagée dans un mouvement de hausse qui va se poursuivre, ne serait-ce que parce que la réglementation thermique, en encadrant l'énergie utilisée pour le chauffage et l'eau chaude, ne touche qu'une partie réduite de l'utilisation de l'électricité. Il ne faut néanmoins pas négliger l'effet qui pourrait résulter à terme du développement du chauffage au bois, source d'énergie renouvelable pratiquement sans contribution aux émissions de CO2.
Effectivement, la part d'électricité dite « spécifique » est appelée à augmenter, malgré l'effort des fabricants pour offrir des appareils plus économes. Sa croissance a atteint près de 80 % entre 1990 et 2010, parce que les ménages ont complété leur équipement avec des congélateurs, des sèches-linge, des ordinateurs, mais aussi parce que l'offre technologique induit par elle-même un supplément de consommation.
Pour la seule télévision, le passage du tube cathodique à l'écran plat s'est traduit par une multiplication de la consommation d'électricité par 4.
Les mises en veille sont responsables à elles seules d'une consommation supérieure à celle effectuée en fonctionnement.
Je pense qu'il faut moins se focaliser sur la consommation d'énergie que sur la diminution des émissions de CO2, qui doit conduire à substituer des énergies non carbonées aux énergies fossiles.
La perte de part de marché de l'électricité est bien moindre lorsqu'on passe d'une évaluation en nombre de bâtiments à une évaluation en surface habitée. Du reste, cette perte est certes préjudiciable pour l'industrie concernée, mais ne constitue pas un mal en soi, notamment parce que le lien avec le recul des émissions de CO2 n'est pas aussi évident qu'il y paraît.
En effet, à la pointe de consommation d'hiver, l'électricité consommée incorpore une forte part de CO2 produite par des centrales thermiques, que ce soit en France ou à l'étranger, puisque les importations apportent à ce moment-là un important complément à la production nationale. En particulier, l'électricité importée d'Allemagne est très carbonée puisque la part de la production à partir de charbon y a été, au moins temporairement, renforcée relativement par l'arrêt des centrales nucléaires. Un travail en cours de l'ADEME a récemment relevé de 180 à 210 grammes le contenu moyen en CO2 du kWh d'électricité pour le chauffage, chiffre qui n'est plus très éloigné des 234 grammes par kWh retenu pour le gaz. Pour les installations nouvelles de chauffage, la contribution marginale de l'électricité aux émissions de CO2 atteindrait même, selon les évaluations de RTE et de l'ADEME, 500 à 600 grammes par kWh.
Le groupe de travail de l'ADEME sur cette question est aujourd'hui en suspens. L'OPECST pourrait d'ailleurs peut-être utilement demander que les travaux qu'il conduit sur le contenu marginal en CO2 de l'électricité puissent reprendre. La loi « Grenelle 2 » a en effet prévu que la future réglementation thermique 2020 impose une mesure des émissions de CO2 à côté de celles en énergie, et il faudra d'ici là mettre au point des critères d'évaluation.
S'agissant des simulations évoquées par M. Bergougnoux qui concluraient à un avantage de 30 % en faveur de l'électricité au niveau des charges courantes, elles appellent pour le moins à un examen des calculs effectués. En tout état de cause, le prix courant de l'électricité va augmenter dans les prochaines années, et risque d'annihiler tout espèce d'avantage de ce genre, pour autant qu'il existe.
Le débat sur les émissions marginales en CO2 de l'électricité a déjà été traité par le rapport Birraux-Bataille de 2009 sur la performance énergétique des bâtiments. Personnellement, je trouve étrange d'apprécier les émissions de CO2 de l'électricité au seul instant très particulier de la pointe de consommation d'hiver. Il me semble assez facile de calculer une moyenne d'émission sur l'année en comptant le contenu en CO2 de toutes les sources mobilisées au fil des mois.
La difficulté réside dans le fait qu'il ne faut pas mesurer les émissions de CO2 sur tout le parc installé, mais bien la contribution marginale de toute nouvelle installation d'équipement de chauffage. Les valeurs de 500 à 600 grammes par kWh évoquées par RTE et l'ADEME ne prennent en compte que les consommations aux heures de pointe, et paraissent excessives. Si les travaux du groupe de travail de l'ADEME reprenaient, ils aboutiraient probablement, pour le niveau d'émission marginal prospectif, à une valeur de l'ordre de 300 à 350 grammes par kWh.
On peut s'interroger sur l'intérêt de cette focalisation sur le chauffage, alors qu'Effinergie vient d'indiquer qu'un des effets de la nouvelle réglementation thermique est de ramener la part de consommation d'énergie pour le chauffage en dessous de celle de l'eau chaude. Or l'eau chaude est utilisée en continu, quel que soit par ailleurs le besoin en chauffage, donc sans aucun lien avec un besoin d'appel à une électricité riche en énergie fossile. Donc, pour un logement fonctionnant à l'électricité, c'est l'ensemble du chauffage et de l'eau chaude qu'il faut prendre en considération.
En Allemagne, les émissions de CO2 sont comptabilisées de façon tout à fait claires : on calcule le contenu en CO2 des combustibles au moment où ils sont consommés, sans s'occuper des importations. D'ailleurs, ce calcul serait bien difficile pour nos voisins allemands s'ils devaient prendre en compte le contenu en CO2 de l'électricité nucléaire qu'ils importent.
Concernant la consommation de pointe, elle est liée à une horreur absolue : le chauffage électrique d'appoint. On vend 1,2 million de radiateurs électriques par an, dont une grande partie de fabrication chinoise, sans régulation fine, et branchés n'importe comment. Ils sont utilisés majoritairement par des personnes se chauffant inefficacement au fuel dans des maisons mal isolées, de surcroît en précarité énergétique ; celles-ci en détiennent trois ou quatre, mis en service en cas de grand froid. Lorsque j'étais directeur général d'EDF en 1994, on avait déterminé qu'une baisse de température de 1 degré entraînait une augmentation d'appel de puissance de 1 100 MW ; aujourd'hui, ce chiffre est passé à 2 300 MW. En réaction, il a été possible d'obtenir qu'une étiquette soit apposée sur chaque appareil de chauffage d'appoint pour mentionner que son utilisation devait se restreindre au cas des logements bien isolés.
Le grand intérêt d'une évaluation en énergie primaire plutôt qu'en énergie finale est qu'elle est « technologiquement neutre », c'est-à-dire qu'elle rend comparable les consommations d'énergie quelle que soit le type de ressource utilisée en amont, qu'il s'agisse d'un minerais, de la disponibilité d'une surface (pour les énergies renouvelables), ou même d'une capacité d'investissement.
Le gaz est certes une énergie de transition, mais c'est le cas pour toutes les énergies non renouvelables, comme aussi le pétrole et l'énergie nucléaire, qui ont vocation à disparaître également au bout d'un ou plusieurs siècles.
Les questions énergétiques doivent s'envisager sous les trois angles d'un triptyque indissociable : limitation des émissions de CO2, sécurité d'approvisionnement et compétitivité, et il faut faire attention aux raisonnements qui se focalisent sur les émissions de CO2, s'agissant du gaz comme des autres énergies, car on risque sinon d'aboutir à des solutions, certes viables du point de vue de la lutte contre le changement climatique, mais qu'on n'arriverait pas à financer.
Les solutions techniques basées sur le gaz vont, du reste, devenir elles-mêmes de plus en plus compatibles avec la limitation des émissions de CO2 grâce au développement en cours du biométhane. Les perspectives les plus ambitieuses prévoient que la moitié du gaz consommé pourrait être d'origine renouvelable vers 2050 ; en tout cas, il est certain que le contenu en CO2 du kWh de gaz va se réduire au cours des prochaines décennies.
Je souscris tout à fait à l'analyse de M. Jean Bergougnoux concernant les inconvénients de l'utilisation inadéquate des convecteurs électriques, et nous avons, nous aussi, poussé à ce que l'étiquetage informe mieux les acheteurs.
Depuis 20 ans, pour tous les gouvernements successifs, la priorité des priorités est bien la réduction des gaz à effet de serre. À partir de là, il faut faire des choix judicieux, qui doivent combiner les atouts des différentes énergies : Jean Bergougnoux a mis en valeur, à juste titre, l'intérêt des équipements permettant le chauffage à l'électricité lorsque celle-ci est abondante et pas chère, et le basculement au gaz pendant les pointes de consommation. Il serait absurde de militer pour le « tout électrique ».
En m'appuyant sur mon expérience de terrain, je constate qu'il est urgent de mieux informer nos concitoyens pour leur permettre d'éviter de faire n'importe quoi. Les gens sont vulnérables, et les plus vulnérables sont les plus touchés. Ils acquièrent très cher des poêles à bois pour des maisons mal isolées, et les complètent avec des radiateurs électriques. Ils se laissent convaincre d'acheter des pompes à chaleur pour découvrir que les performances annoncées ne sont pas au rendez-vous. Le projet de loi sur la transition énergétique pourrait être l'occasion de remettre de l'ordre.
Mon analyse rejoint celle de Jean Bergougnoux s'agissant de la distinction à faire entre les zones géographiques desservies ou non par le gaz. Dans un département rural comme le mien, l'Orne, les zones desservies sont rares. Les organismes HLM qui construisent des logements sociaux dans les petites communes de quelques centaines d'habitants sont conduits, pour respecter les normes de basse consommation, à implanter des citernes de propane, alors que le coût de construction serait nettement moindre s'il leur était possible d'installer du chauffage électrique. J'ai déjà eu l'occasion d'exposer ces exemples dans plusieurs questions écrites au Gouvernement : la réglementation thermique a été conçue sans tenir aucun compte des zones non desservies en gaz.
Enfin, je voudrais revenir sur l'illusion entretenue en France sur la réalité énergétique allemande, qui reste fondée essentiellement sur le charbon en dépit des efforts sur les énergies renouvelables. Le charbon reprend même en Allemagne de l'importance au détriment de l'industrie gazière, qui commence à connaître des difficultés. D'une façon paradoxale, l'électricité importée d'Allemagne, particulièrement en période de pointe, est donc fortement carbonée. Il serait donc souhaitable de quitter les postures idéologiques pour reconnaître que la France dispose avec son parc nucléaire d'une électricité très faiblement carbonée, qui constitue un atout économique aussi bien pour le pays que pour les particuliers. Cela dit, il ne s'agit aucunement de nier les apports d'un mix énergétique équilibré : ainsi les perspectives de développement du biométhane sont tout à fait intéressantes pour les zones d'élevage comme celles de mon département.
Comment expliquer que la réglementation thermique fasse ainsi obstacle au recours à l'électricité ?
C'est imputable au comptage de l'énergie consommée en énergie primaire, qui pénalise l'électricité avec un coefficient multiplicateur de 2,58. D'ailleurs, dans la comparaison évoquée tout à l'heure, le logement chauffé à l'électricité ne peut pas respecter la réglementation thermique, car il consomme 20 % d'énergie primaire en plus que son homologue chauffé au gaz.
Lors des discussions du Grenelle, il avait été suggéré d'introduire une modulation du plafond de consommation d'énergie primaire en fonction des émissions de CO2, sur le modèle du coefficient correctif de 0,6 admis pour le chauffage au bois.
Le coefficient multiplicateur pour l'électricité est appelé à baisser si l'on conjugue la limitation en 2025 de la part d'énergie nucléaire à 50 % de la production nationale, et l'augmentation de la part d'énergies renouvelables : il passera en dessous de 2, c'est-à-dire deviendra moins contraignant que si toute l'électricité française était produite par des centrales thermiques à gaz (avec un rendement de 55 %). Du reste, l'ADEME anticipe cette situation dans ses travaux sur la réglementation thermique 2020, puisqu'elle y revient à un comptage de la consommation en énergie finale.
Il faut distinguer le choix d'effectuer l'évaluation en énergie primaire, et celui de retenir un coefficient multiplicateur de 2,58 pour l'électricité. Je maintiens que le comptage en énergie primaire me semble pertinent, car c'est une manière d'effectuer des comparaisons indépendamment des modalités retenues pour les chaînes techniques de production d'énergie. S'agissant de la valeur du coefficient multiplicateur lui-même, on peut imaginer qu'il y ait débat.
Par ailleurs, je ne vois pas où serait le problème si, effectivement, l'application de la réglementation thermique empêchait le chauffage à l'électricité dans certains cas, sachant que, de toute façon, la part d'électricité dans la consommation des bâtiments, tous usages confondus, est appelée à croître avec les progrès de l'isolation.
Pourquoi ne serait-il pas possible de compléter l'objectif de minimiser la consommation en énergie primaire par un objectif de minimisation des émissions de CO2, conformément aux préconisations du GIEC ?
Le secteur gazier ne s'oppose pas à l'objectif de réduction des gaz à effet de serre d'un facteur 4 ; du reste, GRDF a produit, au cours du débat sur la transition énergétique, un scénario permettant de l'atteindre. Il s'agit simplement d'aller dans cette direction en préservant une certaine neutralité technologique, et en ne perdant pas de vue la minimisation des coûts.
La loi « Grenelle 2 » a d'ores et déjà imposé qu'un critère d'émission de CO2 soit intégré à la réglementation thermique 2020. Mais, encore une fois, la question se pose de savoir comment on évalue les émissions de CO2 pour l'électricité ; peut-on se contenter d'une moyenne rendant compte des équipements installés ou faut-il, de façon prospective, anticiper l'impact des installations nouvelles ?
Par ailleurs, comment fixer le plafond d'émission de CO2 ? Faut-il le mettre au service de la préservation a priori d'une part de marché pour l'électricité en France ? Ou bien faut-il plutôt essayer de le fixer en harmonie avec les objectifs de lutte contre l'effet de serre à l'échelle internationale ?
L'Association française du gaz est tout à fait favorable à la mise en place d'un critère d'émission de CO2, et c'est justement la raison pour laquelle elle souhaite la reprise des travaux de l'ADEME sur la définition d'une mesure marginale et prospective du contenu de l'électricité en CO2.
J'ai l'impression que chacun, dans ce débat sur la consommation énergétique des bâtiments, voit les choses en fonction des systèmes qu'il maîtrise techniquement, et la mesure des émissions de CO2 me semble une manière élégante de le dépasser, parce qu'elle permet de s'affranchir de l'origine de l'énergie utilisée. Il faudrait effectivement que le Parlement, au nom de l'intérêt général, définisse un critère d'émission de CO2 incontestable, en précisant ainsi un cadre de fonctionnement qui permette le plein développement de l'ensemble des opérateurs français de l'énergie, par-delà leurs conflits commerciaux.
Par ailleurs, la focalisation sur les principes de comptage de l'énergie me paraît se faire au détriment de la question essentielle des modalités techniques de la réalisation des économies d'énergie : la réflexion sur les matériaux à utiliser pour l'isolation, par exemple, est fondamentale, et comporte des enjeux importants en termes d'économie et d'emploi.
Vous avez raison, Madame, de réclamer qu'on ne se contente pas de mesurer les consommations d'énergie, et c'est pourquoi j'ai mis l'accent sur les émissions de CO2 et aussi sur les coûts. L'équilibre construit autrefois sur un calcul de coûts, et qui permettait, comme je l'ai indiqué, de progresser dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre, a été rompu par la décision technocratique de tout ramener à un calcul en énergie primaire. Tout à l'heure, j'ai montré que cette nouvelle approche paraissait inadéquate, puisqu'entre 1990 et 2010, les émissions de CO2 ont baissé de 5 % alors que la consommation d'énergie primaire dans le bâtiment augmentait de 16 % ; à tout le moins, les deux grandeurs ne sont pas corrélées.
Je tiens à signaler que le chiffre évoqué tout à l'heure pour le contenu en CO2 du kWh d'électricité, 180 grammes, se rapporte au chauffage, tandis que l'eau chaude, qui devient le poste de consommation prépondérant dans les bâtiments à basse consommation, comme l'ont rappelé les représentants d'Effinergie, n'émet que 40 grammes de CO2 par kWh lorsqu'elle est produite à partir de l'électricité. En moyenne sur tous les usages, l'émission du kWh d'électricité dans un bâtiment à basse consommation s'établit plutôt autour de 90 grammes. D'une façon générale, un bâtiment respectant la réglementation thermique avec un équipement à l'électricité, émet environ quatre fois moins de CO2, pour un même plafond de consommation en énergie primaire, que son homologue en gaz. À côté de ces quelques ordres de grandeur, les raisonnements marginalistes fondés sur les hypothèses d'émission de CO2 en tenant compte des importations d'électricité à partir d'une centrale thermique polonaise à charbon, paraissent pour le moins spécieux.
Je note que les tensions qui avaient conduit à l'étude en 2009 de Claude Birraux et Christian Bataille restent d'actualité. Mais d'autres sujets nous préoccupent, et je souhaiterais qu'ils puissent maintenant être abordés.
Comment expliquer la résistance au recours à la ventilation double flux en France, alors que c'est une composante majeure de la construction à basse consommation en Allemagne et aux Pays-Bas ? Elle semble de surcroît s'imposer logiquement dès lors que l'enveloppe est étanche, car sinon comment l'air vicié peut-il être évacué ?
Comment se fait-il que l'eau chaude solaire ne prenne pas plus d'importance alors qu'on essaye par ailleurs de développer les énergies renouvelables ?
En matière de rénovation, faut-il faire les travaux en une fois, ou bien au contraire de manière échelonnée, en commençant par les travaux les plus faciles qui permettent le plus d'économie ? Comment la réglementation intervient-elle dans le choix de la stratégie de rénovation ?
Est-ce que les premières constructions BBC respectent bien, en valeur réelle, les objectifs réglementaires de 50 kWh par mètre carré et par an ?
S'agissant de la vérification de l'objectif de 50 kWh par mètre carré et par an sur les premières constructions aux nouvelles normes, il faut savoir qu'elle est par nature hypothétique, car cette performance est calculée conventionnellement sur la base d'hypothèses concernant notamment la température d'ambiance (19 degrés) et l'occupation du bâtiment. Le problème qui se pose est celui de l'adéquation des règles du moteur de calcul avec la réalité, qu'il est plus facile d'apprécier lorsqu'on dispose d'un peu de recul, comme dans le cas de la RT2005, que sur une réglementation qui vient tout juste d'entrer en vigueur.
En fait, les bâtiments aux normes BBC consomment, dans tous les cas, moins que les bâtiments aux normes antérieures. Les dernières constructions respectent peu ou prou le plafond de 50 kWh par mètre carré et par an, mais souvent pour des raisons inattendues : les écarts par rapport aux valeurs conventionnelles se compensent, et par exemple, un excès de consommation d'eau chaude peut être partiellement annulé par une moindre utilisation de l'éclairage. Il faut tenir compte de l'effet dit "rebond", observé notamment dans le logement social, par lequel la baisse de la facture d'énergie induit un supplément de consommation à des fins d'amélioration du confort. Dans d'autres cas, la performance énergétique du bâtiment amène les occupants à accroître leur vigilance en termes d'économie d'énergie, ce qui réduit encore la consommation énergétique effective rapportée au mètre carré. Au total, le saut qualitatif est certain, mais la valeur cible de 50 kWh n'est respectée qu'en moyenne sur le parc nouvellement construit.
Cet écart pouvant exister entre une norme et la réalité n'est pas spécifique au bâtiment et à la RT 2012 ; par ailleurs, il ne remet pas en cause la tendance à l'amélioration permise par le durcissement des normes : même si la réalité est en retrait par rapport à la norme, elle évolue dans le bon sens sous l'influence de la norme. On peut faire un parallèle avec l'automobile : les normes de consommation énergétique imposées à l'automobile ne se vérifient pas forcément véhicule par véhicule, mais entraînent bien une baisse globale des consommations réelles.
L'écart entre les valeurs conventionnelles et les résultats réels s'est plutôt accru à l'occasion de la mise en place de la RT2012 ; j'en veux pour preuve les valeurs retenues pour la température de l'eau chaude sanitaire, qui sous-estiment le besoin d'énergie consommée.
La question des économies d'énergie dans le bâtiment est cruciale, mais aussi complexe, si j'en juge par les échanges au cours de cette audition.
S'agissant de la ventilation, elle doit être très efficace dans les bâtiments à basse consommation. Cela ne signifie pas forcément qu'elle doive fonctionner selon un dispositif en double flux, dont l'une des fonctions est de récupérer les calories portées par l'air sortant. En France, les ventilations les plus répandues sont hygro-réglables, c'est-à-dire qu'elles règlent leur débit sur un besoin de renouvellement évalué par le taux d'humidité de l'air intérieur, représentatif de la densité d'occupation.
Les ventilations double flux ont été beaucoup utilisées, en France, dans les premières constructions BBC, sur les exemples allemand, suisse et autrichien pour les constructions Passivhaus ou Minergie. Mais on s'est aperçu ensuite que le même service pouvait être rendu par des ventilations hygro-réglables à coût moindre. Aujourd'hui, seuls les bâtiments tertiaires gèrent des volumes suffisamment importants pour amortir l'investissement dans des ventilations double-flux.
De fait, la domination des systèmes de ventilation « Hygro B » s'est établie pour les constructions de logement depuis le début des années 2000, la seule nouveauté intervenue dans ce domaine venant du déploiement de moteurs à basse consommation pour ces systèmes. L'administration reconnaît que l'étanchéité plus grande des logements appelle une amélioration de la ventilation pour assurer une gestion correcte de l'air intérieur, mais ne change pas pour autant les obligations à cet égard, qui restent fixées par les deux arrêtés ministériels de mars 1982 et novembre 1983.
Dans le secteur tertiaire, les ventilations double flux sont plus utilisées en raison de la possibilité d'installer des faux plafonds cachant les conduits de circulation de l'air, et surtout en raison des obligations imposées par le code du travail, qui fixe une limite à 1 000 ppm (parties par million) pour la quantité de CO2 dans l'air intérieur. Couramment, la densité de CO2 atteinte au sein des logements est double dans le cadre de la réglementation actuelle, vieille de trente ans.
Il est clair qu'un bâtiment à basse consommation doit être très bien ventilé, et une étude de l'Agence Qualité Construction (AQC) a même montré que la ventilation était essentielle en cours de chantier, pour assurer l'évacuation de l'humidité libérée par les ciments. La qualité de la ventilation est également essentielle pour assurer le confort d'été. Ceci dit, les ventilations présentent des difficultés au niveau de la pose des conduits d'aération, et la France manque de compétences dans ce domaine. Pour l'attribution des labels d'Effinegie, il est demandé un test d'étanchéité des réseaux de conduits, car c'est un aspect critique des installations.
La nouvelle réglementation thermique RT2012 a délaissé la fixation de la qualité des joints de ventilation, et se trouve en régression sur ce plan par rapport à la RT2005.
Concernant la part d'énergie renouvelable dans la production d'eau chaude sanitaire, elle a longtemps dépendu du recours à des systèmes solaires thermiques. Mais les chauffe-eau thermodynamiques, qui utilisent un peu d'électricité pour mobiliser des calories récupérées dans l'environnement, tendent à prendre la place des chauffe-eau solaires sous l'effet de la réglementation thermique.
Ce constat ne vaut que pour les maisons individuelles, car les chauffe-eau thermodynamiques ne sont pas référencés par la RT2012, alors qu'ils l'étaient par le label "BBC Effinergie" qui a servi de précurseur à la nouvelle réglementation thermique. L'innovation est clairement bloquée s'agissant de la mise au point de chauffe-eau thermodynamique en mode centralisé pour les logements collectifs. En outre, les chauffe-eau solaires connaissent un recul dans les constructions de logements collectifs à l'image du recul constaté pour les maisons individuelles.
Peut-on confirmer que beaucoup de rénovations sont effectuées par les particuliers eux-mêmes en choisissant les solutions techniques en fonction du prix, et non de l'adéquation au besoin, avec le risque de générer des pathologies ? Je pense notamment à des choix inadéquats de matériaux isolants par rapport à la nature des parois.
S'agissant des travaux de rénovation, il paraît clair aujourd'hui qu'il faut les effectuer par phases, ne serait-ce que pour des raisons financières. Mais il faut bien veiller à ce que chacune des phases soit compatible avec l'objectif final qu'on se fixe. Par exemple, dès lors que la pose d'une isolation extérieure mobilise l'installation d'un échafaudage et une équipe d'artisans, autant installer d'emblée l'épaisseur adéquate, le coût du matériau isolant lui-même étant relativement faible par rapport au coût de sa mise en oeuvre.
Désormais, comme les représentants de l'Association française du gaz l'ont mentionné, on dispose de chaudières à puissance modulable permettant d'adapter la consommation de chauffage après chaque phase de rénovation, en fonction des progrès de la performance du bâti.
On ne peut qu'être d'accord avec la nécessité de rationaliser la démarche de rénovation. Le problème est que le contexte actuel pousse les occupants de bâtiments anciens à céder aux propositions des « marchands de soupe » qui surfent sur les aides fiscales : en se prévalant de ces aides, ils vendent des remplacements de fenêtres, par exemple, pour installer du double vitrage, en dehors de toute analyse préalable sur les faiblesses thermiques à compenser prioritairement pour optimiser l'investissement de rénovation ; l'argent pourrait être utilisé plus efficacement.
Nous sommes d'accord sur la nécessité d'alerter les parlementaires sur ces dérives.
Pour connaître un peu la situation aux Pays-Bas, je sais qu'on y mène une stratégie visant directement à déployer des « maisons passives », dont le besoin de chauffage est quasi réduit à néant. Pourquoi ce chemin n'est-il pas d'emblée celui de la France ?
Ce modèle est connu, et s'est peu répandu en France. C'est une question de rapport « coûtefficacité » : il faut bien avoir en tête que le poste du chauffage est important, mais n'est pas le seul. Une focalisation exclusive sur le chauffage peut amener à des stratégies contreproductives.
À terme, on se dirige en Europe pour 2020 vers un modèle proche des « maisons passives » : celui du « zero energy building » qui vise à une quasi-élimination des consommations énergétiques à partir des réseaux, grâce à la mobilisation in situ des énergies renouvelables en compensation des besoins énergétiques résiduels.
Il faut savoir que les labels n'intègrent pas toujours les postes de consommation de manière comparable. En France, on compte, au nombre des consommations conventionnelles, les deux formes de consommations d'énergie liées à la ventilation, à savoir d'une part, la consommation du moteur, d'autre part, la production de calories compensant la déperdition provoquée par le renouvellement de l'air. Or ces deux usages n'étaient pas jusque-là directement pris en compte par la réglementation allemande, non plus que par les labels de « maisons passives » : « Passivhaus » en Allemagne, ou « Minergie » en Suisse ; ils gèrent les contraintes relatives à ces aspects-là autrement, sans intégration à la norme de consommation en énergie primaire, d'où l'impression créée d'un degré d'exigence accrue, qui ne correspond pas nécessairement à une réalité.
Cela n'empêche pas la réglementation allemande d'avoir récemment évolué dans la prise en compte des consommations énergétiques liées à la ventilation, et elle semble avoir pris, dans ce domaine, une avance sur la RT2012.
Le Bureau de l'Assemblée nationale, à la suite de l'initiative de plusieurs députés, a demandé à l'OPECST d'engager une étude sur les freins à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment. Du point où vous êtes placés, percevez-vous des difficultés de certaines petites entreprises développant des solutions innovantes à faire certifier leurs produits, ou à franchir l'épreuve du « moteur de calcul » ? Connaissez-vous des exemples précis que nous pourrions approfondir en auditionnant les intéressés ?
Je constate que les entreprises porteuses des technologies de gestion active de l'énergie, comme Schneider, se heurtent au refus de l'administration d'intégrer leurs solutions au moteur de calcul réglementaire ; celle-ci ravale dédaigneusement ces solutions au rang de la « domotique », alors que, par exemple, les radiateurs électriques commandés automatiquement par l'ouverture ou la fermeture des fenêtres constituent un excellent moyen de concilier le confort et la réduction des consommations d'énergie.
D'une façon générale, la stratégie consistant à doter chaque pièce du bâtiment d'équipements d'éclairage ou de chauffage spécifiquement adaptés à l'utilisation qui en est faite, distincte par exemple s'il s'agit d'un bureau ou d'une chambre à coucher, permet de réduire substantiellement le besoin global d'énergie. La réglementation thermique ignore ce genre d'approche, et freine donc les innovations allant dans ce sens.
L'administration placée sous la double tutelle des ministres du logement et de l'énergie, dont principalement la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Sur le terrain de la gestion active de l'énergie, cette administration alimente les ministres en discours flamboyants sur les perspectives ouvertes par les « smart grids » (réseaux intelligents), mais qui ne renvoient pour l'instant à rien de concret.
On sent un certain déblocage depuis que l'OPECST commence à regarder les choses d'un peu plus près. Par exemple, les fiches d'opérations standardisées permettant de faire valider certains travaux pour l'obtention de certificats d'économie d'énergie sont enfin disponibles pour la gestion active de l'énergie dans le cas de la rénovation ; dans le cas de la construction, on n'observe pour l'heure aucun progrès, mais cela va peut-être venir.
Il semble même qu'assez étrangement un coup de frein ait été donné récemment aux solutions s'appuyant sur le gaz, ce qui n'est pourtant pas du tout le but recherché, je crois.
Je confirme que notre souci est un déploiement technologique tous azimuts ; c'est l'innovation en tant que stimulant de l'économie et de l'emploi qui nous intéresse, et à ce titre, toutes les avancées sont souhaitables.
Les blocages à l'innovation sont clairs pour les systèmes de récupération des calories dans les eaux grises, domaine où les Pays-Bas, pour le coup, sont en nette avance sur la France. L'adaptation réglementaire nécessaire est à l'étude, mais pas encore disponible, alors que la RT2012 est déjà en vigueur.
L'association « Effinergie » subit elle aussi certaines imperfections de la réglementation, par exemple sur les poêles à bois.
Une manière de recueillir une information sur les limites du dispositif réglementaire actuel en matière d'innovation serait d'auditionner les « recalés » du titre V.
Nous avons bien conscience des difficultés de notre étude, car ceux qui se plaignent sont souvent aussi ceux qui essayent, dès qu'ils le peuvent, de biaiser le dispositif à leur profit. Quelquefois aussi l'innovation est freinée, parce qu'en amont, on attend que d'autres pays promeuvent certaines idées pour les introduire en France ; c'est une stratégie perdante, car les emplois restent là où les productions ont été initiées.
La France sait innover : les pompes à chaleur et les chaudières à condensation ont été inventées en France ; mais leurs développements ont été étouffés par la réglementation, qui a permis aux concurrents allemands et suisses de rattraper leur retard, puis de s'imposer sur le marché.
Vous aviez effectivement pris le temps de rappeler ces faits lors de notre audition publique du 4 avril dernier. Je conclus cette réunion en remerciant tous les intervenants pour leur active participation.
La séance est levée à 19 h 25