Intervention de Catherine Quéré

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Quéré, rapporteure :

Cette proposition de loi, que j'avais déposée avec M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de nos collègues au cours de la treizième législature, a été adoptée par notre assemblée à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011. C'est à l'unanimité des présents qu'elle a également été adoptée le 7 février 2013 par le Sénat. À l'initiative de Mme Esther Benbassa, rapporteure au nom de la Commission des lois du Sénat, ce dernier a adopté deux modifications de pure forme : un amendement de coordination destiné à tenir compte de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et un amendement visant à clarifier le titre de la proposition de loi. Enfin, le Sénat a adopté un amendement indispensable qui permet de rendre les dispositions de la proposition de loi applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Ce texte a pour objectif de mettre fin à une anomalie de notre droit. En l'état actuel du droit, en cas de propos et d'écrits publics à caractère discriminatoire – injure, diffamation et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence –, que ceux-ci portent sur l'origine, l'ethnie, la nation, la race, la religion, le sexe, l'orientation ou l'identité sexuelle, ou encore le handicap, les sanctions sont logiquement les mêmes. Cependant, alors que le délai de prescription des infractions à caractère racial, ethnique ou religieux a été porté à un an par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, le délai de prescription des discriminations fondées sur le sexe, l'orientation ou l'identité sexuelle, ou le handicap a été maintenu à trois mois. Ce délai, le plus court d'Europe, est le délai de droit commun applicable aux délits de presse.

Il s'ensuit que des victimes placées dans la même situation sont de fait traitées de façon inégale. C'est pourquoi la présente proposition de loi propose d'appliquer la prescription d'un an instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu'en soit le motif.

Comme l'a indiqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, lors de l'examen de la proposition de loi au Sénat le 7 février 2013, « il n'y a pas lieu de discriminer entre les discriminations ». Permettre que des actes identiques punis des mêmes peines fassent l'objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.

En effet, si les modifications portent sur la loi sur la liberté de la presse, cette dernière n'est que très marginalement concernée par les infractions visées, lesquelles correspondent dans l'immense majorité des cas à des propos et des écrits émanant de particuliers, notamment dans le cyberespace. La modification introduite par la loi Perben II ne visait d'ailleurs pas du tout la presse, mais la multiplication de propos antisémites sur internet. Son principe reste pertinent, que les propos soient racistes, sexistes ou homophobes. Il circule d'ailleurs sur internet autant de messages sexistes ou homophobes que de messages antisémites, racistes ou xénophobes.

Internet a rendu obsolète le délai de prescription de trois mois des délits de presse. En effet, ce délai particulièrement court visait à préserver la liberté de la presse dans un contexte où les propos litigieux disparaissaient de la sphère médiatique après leur publication. Or, avec internet, les écrits ne disparaissent jamais : ils sont consultables à tout moment, par n'importe qui et n'importe où. L'injure et la diffamation se répètent à l'infini. Soulignons également qu'internet donne évidemment une dimension tout à fait nouvelle aux phénomènes de diffamation, d'injure et de provocations à la discrimination, à la haine et à la violence. L'actualité ne cesse de nous le rappeler.

Les contenus diffusés sur internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes et de professionnels de l'information placés sous le contrôle d'un directeur de la rédaction et soumis à un certain nombre de règles de déontologie. Chacun est désormais en mesure de diffuser ses opinions, fussent-elles injurieuses, racistes, sexistes, homophobes ou diffamatoires, et ce avec d'autant plus de facilité qu'il peut le faire sous couvert de l'anonymat.

Voilà déjà huit années que les injures, diffamations et provocations à la haine de nature raciste et xénophobe se prescrivent par un an. Ce délai n'a jusqu'ici nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d'expression. En revanche, un délai de prescription de trois mois aboutit trop souvent à des dénis de justice pour les victimes des infractions concernées.

Instaurer un délai de prescription unique d'un an, quelle que soit la nature ou l'origine de la discrimination, est conforme à l'exigence de cohérence du droit. Cette mesure témoigne également d'un attachement déterminé à l'égalité des droits qui est au coeur du pacte républicain, sans remettre aucunement en cause la liberté de la presse. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'adopter sans modification le texte issu de la première lecture au Sénat.

Je précise que lorsque, dans la presse, un journaliste rapporte des propos discriminatoires, il fait son travail ; mais s'il les tient pour son propre compte, il est pénalement responsable au même titre que n'importe quel autre citoyen.

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