COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 27 novembre 2013
La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de M. Michel Ménard, vice-président de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation examine tout d'abord, sur le rapport de M. Xavier Bertrand, la proposition de loi permettant le libre choix des maires concernant les rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré (n° 1491).
Mes chers collègues, nous commençons par l'examen de la proposition de loi, déposée par M. Xavier Bertrand et plusieurs de ses collègues, permettant le libre choix des maires concernant les rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré, que le groupe UMP a choisi d'inscrire à l'ordre du jour réservé du jeudi 5 décembre 2013. Je vous prie d'excuser M. Xavier Bertrand qui devra quitter la réunion dans moins d'une heure ; un collègue le remplacera pour la suite de notre débat.
Je remercie les membres de la Commission de leur compréhension ; cette contrainte avait été fixée il y a plus de six mois, avant même que je ne pense déposer cette proposition de loi. Patrick Hetzel, cosignataire du texte et spécialiste des questions d'éducation, me suppléera ; mais je serai bien entendu présent lors de la discussion en séance.
La récente réforme des rythmes scolaires aurait pu faire l'objet d'un consensus dépassant les clivages politiques, des responsables de la précédente majorité ayant eux-mêmes appelé de leurs voeux le retour à la semaine de quatre jours et demi. Comment, dans ces conditions, a-t-on pu aboutir à la fracture qui affecte désormais non seulement le monde politique, mais la société française tout entière, plus de la moitié des Français interrogés s'exprimant aujourd'hui contre l'application de cette réforme ? Le blocage ne fait d'ailleurs que se renforcer, un mouvement de grève étant annoncé pour le jour même où cette proposition de loi sera débattue dans l'hémicycle.
La société française, et notamment ces acteurs de terrain que sont les maires, rejettent aujourd'hui tout ce qui semble imposé par le haut. Les témoignages des élus locaux – j'en ai entendu beaucoup dans mon département de l'Aisne, et pas uniquement de ma sensibilité politique –, montrent que la liberté de choix leur apparaît comme la meilleure solution pour l'organisation de la semaine scolaire.
Le ministre de l'éducation nationale, M. Peillon, l'a confirmé jeudi dernier devant le Congrès des maires de France : à ce jour, étant donné la nature réglementaire de la réforme, aucun texte législatif n'impose aux maires de mettre en place les activités périscolaires. À l'inverse, certains maires prêts à organiser les activités périscolaires manquent de méthodes et surtout de moyens.
Cette proposition de loi entend mettre fin au flou de la situation actuelle et à l'inquiétude qu'il suscite. Le texte prévoit également la compensation par l'État des frais engagés par les collectivités locales. Je proposerai d'ailleurs un amendement à l'article 1er afin que le montant maximum de cette prise en charge soit fixé par décret. Dès lors, si un maire décidait d'engager 350 euros par élève, l'État pourrait refuser de compenser l'intégralité de cette somme. Vu l'état des finances publiques, le chiffre doit être calculé au plus près, de façon réaliste et concrète.
Notre proposition de loi repose sur trois principes. Tout d'abord, la liberté de choix : c'est aux acteurs de terrain – les maires – de se prononcer. Si les programmes scolaires ne relèvent pas de leur compétence, l'organisation du temps périscolaire excède pour sa part le cadre de la responsabilité de l'État. On peut certes m'objecter le risque de différences de traitement sur le territoire ; mais les différences de ressources entraînent des entorses tout aussi importantes au principe d'égalité, les communes urbaines et rurales ne bénéficiant pas des mêmes dotations, notamment pour les fournitures. Certaines communes, parce qu'elles en ont les moyens, mettent d'ores et déjà en place des activités périscolaires ; d'autres non. Le principe de la liberté de choix permettra de coller au mieux à la réalité du terrain et aux capacités des différentes collectivités.
Ce texte s'appuie ensuite sur le principe de la concertation. Les maires doivent pouvoir consulter la population et le monde enseignant ; certains ont déjà engagé cette démarche afin de déterminer le moment de la mise en oeuvre de la réforme. Nous proposons des pistes concrètes et précises pour identifier les acteurs à associer à cette prise de décision.
Enfin, dès lors que l'on transfère sur les collectivités une charge nouvelle – qui n'est prévue ni par la loi Ferry, ni par les lois de décentralisation –, c'est à l'État de compenser les sommes engagées, car aucun maire n'a envie d'augmenter les impôts locaux, ni de demander aux familles de participer au financement des activités périscolaires.
Cette proposition de loi repose sur des considérations de bon sens. Les aménagements que le Premier ministre a soumis aux maires sont loin de les satisfaire ; il faut aller beaucoup plus loin afin d'apaiser la situation et d'offrir une porte de sortie à un Gouvernement incapable de faire appliquer cette réforme à l'automne 2014. C'est dans cet esprit que je propose ce texte qui – je l'ai constaté tant au Congrès des maires qu'à l'Assemblée générale des maires de l'Aisne –, s'il est pris avec bon sens, dépasse largement les clivages politiques, apportant une solution aux élus locaux, au monde enseignant et aux familles françaises.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de vouloir sortir le Gouvernement d'un piège dans lequel il s'est aventuré ; nous aurions dû en faire autant lorsque Xavier Darcos a imposé, sans concertation, la semaine de quatre jours – véritable stupidité pédagogique. Je regrette aujourd'hui que nous n'ayons pas eu cette grandeur d'âme.
Cependant, au-delà de cette nécessaire contrition, votre proposition de loi ne m'apparaît pas recevable – tant financièrement qu'en matière d'organisation du temps scolaire. L'argument financier est inconsistant : en effet, l'État met pour la première fois en place un fonds d'aide aux communes, destiné à financer une politique qui ne relève pas de sa compétence. Or ce qui a, au départ, été conçu comme un fonds d'amorçage, faisant naître des inquiétudes chez les maires, a été prorogé par la loi pour la refondation de l'école. Le fonds est donc désormais institutionnellement installé.
Je doute ensuite que constitutionnellement, l'on puisse attribuer l'organisation du temps scolaire, qui relève du ministère, aux communes. Ce transfert de responsabilité signerait – disons-le clairement – le début du démantèlement du caractère national de l'éducation. On le perçoit d'ailleurs dans le programme de l'UMP édité en septembre dernier, qui propose notamment l'autonomie financière des établissements.
Il est particulièrement délicat, monsieur Bertrand, d'affirmer que tout ce qui est imposé par le haut est aujourd'hui refusé ; en tant que parlementaire et ancien ministre, vous devriez savoir que la loi s'impose à tous.
Le groupe SRC s'opposera à ce texte.
Nous pouvons au moins partager un constat : l'application de cette réforme rencontre de grandes difficultés. Plus de 75 % des élèves en restent à la semaine de quatre jours, seuls 23 % passant à quatre jours et demi. Un tiers seulement des communes qui ont mis la réforme en oeuvre – soit par calcul politique, soit parce qu'elles disposaient d'une expérience et de moyens qui le leur permettaient – ont répondu à l'enquête lancée par l'Association des maires de France. La satisfaction est donc loin d'être générale et les résultats de l'enquête, loin d'indiquer le succès de la réforme, en soulignent les difficultés.
Cette réforme s'enlise à cause d'un défaut de méthode : pensée de manière trop uniforme, elle a souffert d'un manque de concertation. Négliger la diversité des situations conduit à créer une école à deux vitesses : celle des communes dotées de moyens importants et celles des communes – beaucoup plus nombreuses – qui n'ont ni les ressources ni l'expérience pour introduire les nouveaux rythmes scolaires. C'est à raison que Ségolène Royal a remarqué qu'il aurait mieux valu expérimenter avant de généraliser.
La question du calendrier n'a pas été considérée dans son ensemble. Dans notre rapport d'information de 2010 intitulé « Quels rythmes pour l'école ? » et adopté à l'unanimité, Yves Durand et moi-même indiquions que l'enjeu excédait de loin la question des seuls horaires hebdomadaires. Or rien n'est fait pour repenser le calendrier sur l'ensemble de l'année scolaire.
Parmi les autres difficultés, citons la suppression de l'aide personnalisée, qui n'a pas été remplacée. Dans ces conditions, les 15 à 20 % des élèves les plus en difficulté ne profitent pas forcément des nouveaux rythmes scolaires dans les communes qui les ont mis en place. La divergence des normes relatives aux taux d'encadrement des activités périscolaires représente également un souci.
Enfin, le financement pose un problème réel. Contrairement aux préconisations de notre rapport, l'implication financière des communes n'a pas été évaluée. Si le fonds d'amorçage apporte une solution partielle – 50 euros par élève, majorés à 90 euros pour certaines communes –, les sommes qu'il offre ne correspondent pas à la réalité du coût médian, qui s'élève à 150 euros au moins. De plus, ce fonds est temporaire : mis en place pour cette année, il n'a été renouvelé que pour un an.
Alors que, la réforme enlisée, nous nous retrouvons dans une impasse, cette proposition de loi apparaît tout d'abord opportune en termes de calendrier. En effet, les maires ayant le sentiment de ne pas être entendus, la confiance est aujourd'hui rompue entre les communes et le Gouvernement. Au Congrès des maires, beaucoup d'entre eux – qui ne savent pas comment appliquer la réforme – ont été choqués d'entendre le ministre parler de « petite délinquance civique ».
Sur le fond également, les trois axes de la proposition de loi vont dans le bon sens. La liberté de décision en fonction des spécificités et des contraintes locales fait partie des recommandations de notre rapport d'information, dont un chapitre explorait la possibilité d'en décider au niveau des établissements, des communes ou des régions. La proposition actuelle choisit de retenir l'échelon communal – sans aucun doute le mieux adapté à l'exercice de cette liberté. Le texte promeut également une véritable concertation – qui fait cruellement défaut aujourd'hui – avec les conseils d'école, les parents d'élèves, les enseignants et les services académiques. Enfin, s'agissant du financement – question que la réforme avait choisi d'ignorer –, il prévoit que l'État compense intégralement les dépenses des collectivités.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutient cette proposition qui offre l'occasion de sortir de l'impasse dans laquelle nous a conduit le ministère.
Alors que l'on devrait encourager la concertation entre élus, enseignants, parents et associations, afin que chacun apporte sa contribution à la réforme des rythmes scolaires, dans l'intérêt de nos enfants ; alors que nous, législateurs, devrions nous concentrer sur les prochaines réformes à mener – celles du métier d'enseignant, du collège, des programmes ou encore de l'éducation prioritaire –, voilà que cette proposition de loi nous ramène en arrière. Parce qu'il suggère de revenir à la semaine de quatre jours – dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle est néfaste pour les écoliers –, ce texte n'est pas digne de notre travail de législateur, faisant songer à une tentative d'instrumentalisation de nos enfants à l'approche des échéances électorales. C'est sous la majorité du président Sarkozy que la situation de l'éducation nationale s'est fortement dégradée ; c'est la droite qui a multiplié les fermetures de classes, mis fin à la formation des enseignants et supprimé 80 000 postes dans l'éducation nationale. Dès lors, voir ceux qui ont soutenu ces agissements prendre la tête de la contestation et en appeler au boycott de la réforme ne me semble ni légitime ni sérieux.
Comme toute réforme ambitieuse, celle des rythmes scolaires nécessite certainement un temps de rodage. Des adaptations doivent être menées, notamment en maternelle où les dysfonctionnements – tels que le réveil des enfants lors de la sieste – apparaissent réels. Les animateurs demandent légitimement une amélioration de leurs conditions de travail et de leur salaire ; leur formation mérite également davantage d'attention. Il faut renforcer la souplesse du dispositif, afin de mieux coller aux réalités et aux spécificités locales : chaque municipalité, chaque école peuvent avoir des besoins particuliers. Les écologistes soutiennent donc l'exigence de rendre le décret plus souple, afin par exemple de dépasser l'obligation des neuf demi-journées de cours en permettant de concentrer les activités périscolaires sur une demi-journée. Il conviendrait d'ailleurs d'organiser l'emploi du temps à partir des contenus plutôt que des horaires.
Mais l'on ne peut douter de la légitimité de cette réforme, qui cherche à alléger la journée de travail des enfants. Avec la semaine de quatre jours, mise en place en 2008 par la droite, les écoliers français bénéficiaient du nombre de jours d'école le plus faible des trente-quatre pays de l'OCDE ; ils subissaient par conséquent des journées trop longues et trop chargées. Avec la semaine de cinq jours, les élèves français profiteront d'un nombre de jours de cours comparable à ceux de leurs camarades européens et d'un rythme de travail adapté aux standards reconnus par tous les spécialistes de l'enfance ; il s'agit de mieux répondre à la chronobiologie des enfants.
Cette réforme doit enfin permettre de décloisonner les approches : renforcer les liens entre les temps scolaire et périscolaire, ouvrir l'école sur son environnement. Elle donne l'occasion d'avancer dans la démocratisation de l'accès à la culture et aux sports. En effet, jusqu'à présent, rien n'a été pensé au niveau national pour que chaque enfant puisse avoir accès à des activités culturelles ou sportives aux heures où ses parents travaillent. En évoquant la réforme des rythmes scolaires, on ne parle pas de tous ces enfants qui passaient leur mercredi matin devant la télévision ! Il s'agit donc de véritables avancées. Cumulée à la loi pour la refondation de l'école, cette réforme permettra de favoriser les innovations pédagogiques et plus globalement de promouvoir l'éducation partagée. D'ailleurs, elle fait l'objet d'une véritable concertation, notamment par le biais des projets éducatifs territoriaux (PEDT). Cet excellent outil autorise une conception globale du temps de l'enfant et constitue un cadre parfait pour mettre tout le monde autour de la table : les maires, les personnels des écoles, l'éducation nationale, les associations sportives et culturelles, les acteurs de l'éducation populaire, les parents et le secteur médico-social. C'est un premier pas vers la co-construction des politiques éducatives et l'éducation partagée que nous appelons de nos voeux.
La réussite de la réforme dépend évidemment de son financement – un enjeu essentiel. Pour que les activités périscolaires soient accessibles à tous les élèves, quels que soient leurs moyens, elles doivent rester gratuites. À cet effet, la loi pour la refondation de l'école a créé un fonds d'amorçage mais il ne faut pas nier les difficultés financières de certaines communes. Il en va de l'équité territoriale, et je suis intervenue à plusieurs reprises pour demander une pérennisation de ce fonds. Le Gouvernement semble entendre cette demande puisque le fonds sera reconduit en 2014, et le Premier ministre n'a pas fermé la porte sur la question de son devenir ultérieur. L'enquête de l'Association des maires de France (AMF) nuance d'ailleurs le poids financier de la réforme, dénoncé par les élus de l'opposition, et indique que plus de 80 % des communes passées aux nouveaux rythmes sont satisfaites.
Le groupe écologiste s'opposera avec virulence à cette proposition de loi qui suit une stratégie électoraliste et non l'intérêt des enfants.
La proposition de loi de Xavier Bertrand appelle à résoudre l'imbroglio des rythmes scolaires par l'action fédératrice et pacificatrice des maires. Historiquement, les deux sont d'ailleurs intimement liés, puisque l'école de la République s'est édifiée au moment même où le suffrage universel a consacré le rôle des maires ; les deux piliers fondamentaux de la République sont alors posés, peu avant le troisième – la laïcité. L'école et la mairie représentent le couple indémodable de la République, toujours visible dans tant de communes de notre pays, l'un supportant souvent l'autre et réciproquement, chacun appuyé sur le mur central – illustration parabolique de la République. L'idée qui anime cette proposition de loi est donc loin d'être hors sujet.
Que se passe-t-il aujourd'hui dans nos communes ? On nous dit que 83 % des 10 % d'entre elles qui se sont lancées dans l'aventure en sont satisfaites. Certes, quand on est bon élève, on l'est jusqu'au bout mais les bonnes volontés sont finalement peu nombreuses ! En réalité, ce sont les familles les plus modestes qui pâtissent de cette initiative lancée comme une dragonnade idéologique, alors qu'elle méritait une expérimentation ciblée et évaluée, dans la perspective d'une généralisation. En effet, la fatigue des enfants augmente, et comme dans ces familles on ne les couche pas plus tôt pour autant, les siestes de l'après-midi s'allongent et la durée du travail éducatif se réduit. Malgré le recrutement de dizaines de milliers de fonctionnaires à l'éducation nationale, on laisse les communes se débrouiller seules pour gérer les temps périscolaires supplémentaires. Faute de bonne coordination avec les centres sociaux, des personnels polyvalents viennent, le mercredi matin, prendre le relais des assistants pédagogiques. Les familles les plus modestes doivent désormais se débrouiller pour récupérer les enfants le mercredi ou le samedi matin et les faire manger, parce que la cantine est fermée.
Le dispositif a créé de nouvelles fractures territoriales dans notre pays, celles-là mêmes que le Premier ministre se proposait vaillamment de combler, il y a quelques jours encore, lors du dernier salon des maires. Elles sont appelées à s'élargir et à s'approfondir parce que la plupart des communes n'ont pas les moyens de recruter suffisamment d'éducateurs diplômés pour prendre en charge la masse d'enfants susceptibles, aux termes de la réforme, de fréquenter les structures périscolaires. Les communes recruteront donc des personnels moins qualifiés, sur la base de contrats plus précaires, qui se formeront sur le tas et auxquels seront confiées des missions équivalentes à celles des personnels qualifiés.
Le maire est au coeur de ce dispositif fondamental : acteur de toutes les proximités, mécano de la démocratie locale, c'est lui qui apporte des réponses concrètes ; fédérateur et pacificateur, il dessine une trame là où tout est intriqué et complexe. Et si le maire auquel on pense n'est pas celui-là, il s'agit d'une erreur de casting. Nous comprenons donc parfaitement la logique positive de cette proposition de loi.
Mais faut-il pour autant demander au maire d'assumer les turpitudes d'un État irresponsable ? Faut-il qu'il en devienne par là – car c'est inéluctable – le bouc émissaire ? Faut-il ajouter aux difficultés locales et aux inégalités au sein même de chaque commune des inégalités de traitement entre les communes, les départements et les régions ? En effet, les moyens ne seront évidemment nulle part les mêmes ; on met en concurrence des territoires, parfois des quartiers entre eux, là où il faut chercher l'égalité républicaine.
L'école, après l'école, c'est encore l'école ; et cette école, c'est la République. L'un et l'autre ont aujourd'hui plus que jamais besoin de sérénité, qui appelle à la fois souplesse et égalité. Pour atteindre cet objectif, il nous manque cette alliance initiale entre l'école et la mairie, entre les enseignants qui manifestent et les Français qui ne comprennent pas. Il manque une idée généreuse pour la jeunesse, remplacée par l'énième expression du dogme, alors même qu'il s'agissait au départ de respecter les rythmes biologiques de nos enfants. Cumulard invétéré, je siège en tant qu'adjoint au maire dans les conseils d'école et je constate que tous, les uns après les autres, votent à l'unanimité contre la réforme des rythmes scolaires. Il manque simplement l'État, qui – là aussi – navigue à vue. Alors qu'il faut répondre à des mutations profondes de notre société, nous attendons encore les véritables choix – non un choix par défaut, ni le choix de se défausser.
Le groupe UDI estime qu'il faut aller beaucoup plus loin que ce que suggère la présente proposition de loi. Il faut revenir complètement sur le dispositif actuel et l'abroger.
L'essence même de ce texte apparaît politicienne, la critique de la réforme des rythmes scolaires constituant pour l'UMP un bel argument de campagne municipale. En effet, elle permet de toucher le local, de flatter les maires et de mettre toutes les difficultés sur le dos du Gouvernement. On oublie qu'il y a quelques années, Xavier Darcos – membre d'un gouvernement auquel a participé l'actuelle opposition – a imposé, sans aucune concertation et contre l'avis général, la semaine de quatre jours, qui n'a pas tardé à poser de graves problèmes. « Faites ce que je dis, et non ce que je fais », semble nous recommander l'opposition !
À un niveau plus politique, ce texte apparaît très grave. Les articles 66 et 67 de la loi du 8 juillet 2013 – sur lesquels nous avons longuement travaillé – traitent précisément de la réforme des rythmes scolaires et du temps périscolaire. Monsieur Bertrand, votre attachement aux valeurs républicaines ne fait pas de doute ; comment pouvez-vous alors suggérer que des maires puissent décider, en fonction de leur étiquette politique, d'appliquer ou d'adapter ou non la loi – expression de la volonté générale ? Un texte qui propose que la loi ne s'applique pas sur tout le territoire de la même façon ouvre la porte à toutes les dérives : en effet, si on l'autorise pour cette loi, pourquoi pas pour toutes les autres ? Faudra-t-il donc désormais demander aux élus locaux si telle ou telle loi leur convient ? Cette idée est contraire aux valeurs que vous défendez ; ce texte constitue une attaque contre la République.
Le groupe RRDP est convaincu de la nécessité de mettre en place une réforme des rythmes scolaires. M. Breton en a souligné l'utilité dans le rapport qu'il a rédigé avec M. Durand. De plus, le Gouvernement a laissé deux années pour permettre à toutes les communes de s'adapter ; la mienne, par exemple, a décidé que n'étant pas encore prête, elle adoptera la nouvelle organisation en 2014.
L'acceptation des inégalités – selon le lieu des études et les moyens familiaux – que traduisent les propos de Rudy Salles me choque profondément, alors que la réforme des rythmes scolaires, qui ouvre les activités périscolaires à tous, cherche précisément à permettre aux élèves moins favorisés de bénéficier d'ateliers culturels et artistiques, et ainsi de s'éveiller.
Le groupe RRDP votera évidemment contre ce texte.
Monsieur Salles, vos propos sur les capacités des familles modestes à éduquer et à coucher leurs enfants sont insupportables ; j'espère qu'il ne s'agit que d'une maladresse.
Depuis des années, les principaux spécialistes qui suivent les rythmes des enfants – médecins et acteurs de l'éducation nationale – se penchent sur ce dossier. En prenant la décision de passer à la semaine de quatre jours, vous aviez choisi d'ignorer le travail sérieux qu'ils ont mené ; aujourd'hui, c'est à partir de ce travail que nous avançons vers de nouveaux rythmes scolaires permettant aux enfants d'étudier dans les meilleures conditions.
Votre proposition de loi vise à donner plus de pouvoirs aux maires ; mais aux termes de l'article 521-3 du code de l'éducation et du décret du 24 janvier 2013, le maire peut déjà modifier les heures d'entrée et de sortie, et soumettre à la direction académique une proposition concernant le jour de cours supplémentaire – le mercredi ou le samedi. Il dispose donc d'une latitude d'organisation. En revanche, il ne peut se mêler ni du temps scolaire ni des programmes. L'éducation nationale doit assurer l'égalité de traitement de tous les enfants. En effet, si les maires souhaitent évidemment accueillir les enfants dans des locaux agréables et travailler avec les équipes éducatives – notamment avec les directeurs des écoles maternelles et primaires –, ils n'ont pas vocation à remplacer l'État, seul responsable des contenus de l'enseignement et du temps scolaire.
Certes, l'application de cette réforme rencontre des difficultés ; c'est pourquoi il faut travailler avec tous les acteurs – enseignants, parents d'élèves, animateurs, élus – pour la faire vivre de la meilleure façon possible. Si les enseignants expriment des inquiétudes quant à l'utilisation de leurs classes, il faut sans doute prévoir la construction de nouveaux locaux là où les anciens ne suffisent pas. Et si les parents s'interrogent sur l'organisation du mercredi et la pratique dans les clubs sportifs ou dans les conservatoires de musique, il faut également leur apporter des réponses adaptées. Tout cela demandera des moyens ; malgré l'existence du fonds d'aide, on ne peut éluder la question des dotations globales aux communes, dont je regrette la nouvelle diminution cette année.
Au lieu de se pencher sur ces difficultés de mise en oeuvre, la droite mène campagne contre la réforme, créant un climat qui interdit de conduire une consultation fructueuse. Convaincu qu'il faut travailler à une bonne application de cette réforme, le groupe GDR se prononcera contre cette proposition de loi.
Un nouveau consensus semble s'être formé sur tous les bancs, puisque vous reconnaissez tous les difficultés d'application de la réforme. Je vous remercie de ce constat sincère et lucide.
Les 80 % de communes satisfaites représentent un leurre. Seul un millier d'entre elles – qui, pour des raisons que l'on peut sans doute deviner, figurent parmi les premiers volontaires – ont répondu au sondage ; que représentent-elles face aux 24 000 communes de France potentiellement concernées ? En outre, la deuxième question du sondage – qui reste peu évoquée – concerne les difficultés de financement, démontrant l'utilité du troisième point de l'article 1er de cette proposition de loi.
Monsieur Braillard, je vous rappelle que la loi de la République autorise les collectivités territoriales à déroger à titre expérimental aux dispositions régissant leurs compétences, ce qui enfreint pourtant le principe d'égalité de traitement sur le territoire national. Une loi qui fixe des objectifs, par exemple en matière de logements sociaux, n'impose qu'un minimum ; rien n'empêche un maire d'en construire davantage qu'ailleurs. Si la France est une et indivisible, elle n'est pas pour autant uniforme. Cela est également vrai en matière scolaire – au-delà des programmes – et périscolaire, car différentes collectivités y allouent des moyens éminemment variables. Mieux vaut donc appliquer le principe de réalité.
Madame Buffet, vous avez raison de vous plaindre du recul des dotations ; ajouté au caractère provisoire et notoirement insuffisant du fonds d'amorçage, il n'arrangera pas la situation. Mais je vous laisse aujourd'hui cette critique du Gouvernement.
Monsieur Salles, je ne suis pas un chronobiologiste, spécialiste du temps de l'enfant, mais simple parent d'élève ; cependant, les scientifiques eux-mêmes ne sont pas tous d'accord sur la question, et l'expérience de praticien doit également être prise en compte. Ma génération a toujours connu une coupure en milieu de semaine : le mercredi, parfois le jeudi. Quand des parents affirment qu'à partir du jeudi, et surtout le vendredi, les enfants sont désormais plus fatigués, faut-il leur dénier leur part de vérité ? Certes, la majorité est revenue sur la semaine des quatre jours ; mais qui a aujourd'hui la nostalgie du travail le samedi ? Pour les familles recomposées notamment, la possibilité de passer deux jours complets avec les enfants n'a pas de prix.
Si nous critiquons aujourd'hui la réforme, les parents d'élèves et les enseignants sont bien plus sévères encore. Cette proposition de loi procède précisément de la recherche d'une solution ; elle a une vocation d'apaisement. L'idée d'expérimenter la réforme au lieu de la généraliser immédiatement a également du sens. Certains députés, qui siègent sur d'autres bancs, avaient d'ailleurs appelé cette solution de leurs voeux.
Xavier Breton a raison de souligner que le fonds d'amorçage est insuffisant et temporaire. Le Premier ministre devrait faire encore un effort : le rendre permanent et en augmenter le niveau. Je suis de mon côté prêt à amender ce texte pour limiter par décret les sommes à compenser, afin de montrer qu'on ne s'engage pas dans des dépenses inconsidérées.
Madame Pompili, ce texte ne relève d'aucune instrumentalisation ; au contraire, il suit une logique d'apaisement. Le site internet « Choisir son rythme scolaire » rassemble un grand nombre de témoignages dont je ferai état lors du débat dans l'hémicycle. Vous soulignez le besoin d'assouplir le décret mais cette proposition de loi offre précisément cette souplesse. Vous souhaitez que le fonds d'amorçage jouisse de garanties plus longues : nous en proposons la pérennisation.
Monsieur Durand, permettez-moi cette citation : « On ne peut pas traiter de la même façon les écoles urbaines dans lesquelles il n'y a pas de problème de transport scolaire et des petites écoles rurales (…) avec des heures fixes pour les transports scolaires. (…) Il ne faut pas uniformiser dans la France moderne d'aujourd'hui, les gens ne veulent plus être encadrés dans des normes imposées d'en haut. » Ces propos ont été tenus, le 13 novembre 2013, par la présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes. Je ne veux pas m'immiscer dans vos débats internes mais ma position n'est ni de droite ni de gauche, c'est celle du bon sens.
Vous savez bien que le fonds d'aide aux communes est insuffisant, tant dans les montants qu'il engage que dans sa durée de vie. Nous rejoindre en adoptant cette proposition de loi vous permettrait de peser dans le débat. Vous sentez bien que l'application de la réforme pose des difficultés, que les critiques de terrain dépassent de loin les nôtres et que les mesures annoncées par le Premier ministre ne sont pas à la hauteur. Nous vous offrons la possibilité d'apporter une vraie solution à ce qui est en train de devenir un problème national. N'hésitez donc pas à soutenir ce texte ; ce serait une bonne chose pour les familles de notre pays.
Étant maintenant obligé de quitter cette réunion, je remercie Patrick Hetzel de bien vouloir me suppléer.
Le rôle et la fonction des maires sont au centre de nos débats. Or la semaine dernière, au Congrès des maires, une éminente tête pensante de notre Commission – M. Jean-François Copé – avait annoncé une bronca sur les rythmes scolaires. Je suis stupéfaite que son nom ne figure pas parmi les signataires de votre proposition de loi !
Monsieur Bertrand, vous avez à vos côtés deux spécialistes du temps de l'enfant : MM. Xavier Darcos et Luc Ferry, anciens ministres de l'éducation nationale, qui ont dernièrement souligné la nécessité de trouver un temps dans l'après-midi où les enfants – surtout les plus éloignés de la culture – pourraient bénéficier de loisirs, d'activités sportives et d'actions éducatives différentes. M. Ferry ajoute : « On va critiquer cette malheureuse loi sur les rythmes scolaires qui est sur le principe extrêmement bonne, c'est une question d'application et donc de bonne volonté à la fois des maires et des instits » – et j'ajouterai des parlementaires !
L'enquête menée auprès des maires de France témoigne de la grande mobilisation des communes pour l'élaboration de projets de qualité, avec l'ensemble des partenaires. Elle confirme également que les nouvelles activités périscolaires sont très largement fréquentées et gratuites à 80 %. Leur coût médian est de 150 euros par élève, ce qui correspond au montant de l'aide apportée par l'État et la caisse d'allocations familiales (CAF). L'étude pointe également des difficultés qui justifient les ajustements en cours sur le terrain, notamment pour les maternelles.
Enfin, monsieur Bertrand, je suis stupéfaite des propos tenus sur les communes rurales. Ma circonscription en fait partie et les nouveaux rythmes fonctionnent très bien dans l'école maternelle et primaire que j'ai visitée hier. Jeudi prochain, comme M. Yves Durand, je voterai contre cette proposition de loi.
Je ne comprends pas l'entêtement de nos collègues de la majorité à vouloir absolument défendre une réforme combattue par tous. Comme le disait Lénine, « les faits sont têtus ». Mon département – urbain – du Val-de-Marne est dirigé par la gauche depuis 1976 ; cinq villes importantes y sont administrées par des parlementaires – députés ou sénateurs – socialistes. Or sur les quarante-sept communes qu'il comporte, pas une seule n'a mis en oeuvre cette réforme, alors même qu'elle nous est présentée par le ministre et par la majorité comme excellente. Vous semblez gênés par les faits, préférant prendre des positions idéologiques ! Dans la commune dont je suis député-maire – ville de 55 000 habitants –, je me trouve confronté à une pétition signée par 85 % des enseignants d'écoles élémentaires et de maternelle, qui affirment avoir besoin de mon soutien pour l'abandon de cette réforme. La même chose se passe dans de très nombreux départements et communes de France. M. Peillon n'a pas le droit de prendre en otages l'ensemble de la communauté éducative – enseignants, parents, élèves – pour imposer sa position. Autiste, il n'écoute pas les remontées du terrain, y compris des rares communes – moins de 20 % – qui ont mis la réforme en place. Je demande solennellement à mes collègues de la majorité d'écouter ces témoignages, car en tant qu'élus du peuple, nous devons tenir compte des souhaits de nos concitoyens. Cette réforme est mauvaise, et nous n'avons pas le droit de céder à la condescendance et à l'autisme du ministre de l'éducation nationale !
Je souhaite faire un rappel au règlement. Je comprends les problèmes d'agenda de M. Bertrand, mais continuer ce débat alors qu'il est parti ne me semble pas opportun. En effet, quelle que soit la compétence de Patrick Hetzel, discuter d'une proposition de loi en l'absence du rapporteur créerait un précédent. Je souhaite donc que nous passions directement au vote, réservant nos interventions au débat dans l'hémicycle.
Le président Bloche a accepté, à titre exceptionnel, que M. Bertrand parte au bout d'une heure. Compte tenu de cet arrangement, je prierai mes collègues de respecter leur temps de parole, afin d'aller au bout de la discussion générale.
Xavier Bertrand a indiqué sa difficulté très tôt, et le président de notre Commission m'a donné son accord pour le suppléer. Il est important que nous puissions poursuivre ce débat, d'autant que la proposition de loi a été signée par de très nombreux collègues ; y renoncer prouverait votre embarras.
Nous allons poursuivre la discussion générale ; Patrick Hetzel répondra à vos questions, puis nous passerons aux articles et au vote sur les amendements.
Puisque M. Bertrand est malheureusement parti, je renonce à mon intervention. Une remarque seulement sur ce texte qui constitue une attaque en règle du service public : ne devrions-nous pas réfléchir aussi à l'aménagement des rythmes du député Bertrand, afin de lui permettre de prendre part au débat sur sa propre proposition de loi ?
Quel gâchis depuis le décret du 24 janvier 2013 ! Je m'insurge devant l'utilisation éhontée par M. le ministre de l'enquête diligentée par l'AMF. Quand un grand quotidien national titre « Rythmes scolaires : plus de 80 % des communes satisfaites », il faudrait tout de même préciser que, sur les 3 852 communes – a priori favorables à la réforme – qui l'ont mise en oeuvre, soit 17 % des communes qui ont encore une école sur leur territoire, seules 1 100 ont répondu, soit moins de 30 % : les 70 % restantes sont probablement gênées aux entournures. En outre, sur ces 1 100 communes, un tiers n'a pas renseigné la rubrique relative au coût.
Après avoir soutenu que l'école devait être tenue à l'écart de toute échéance électorale, le ministre Peillon a annoncé à la veille du Congrès des maires et à l'approche des élections municipales le renouvellement du fonds d'amorçage pour 2014, doté d'une enveloppe de 104 millions d'euros dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) – alors que, selon nos estimations, il faudrait au moins 800 millions.
Les parents sont très inquiets, les syndicats aussi : selon l'Union locale de la CGT et le SNUipp-FSU, qui déplorent la confusion entre temps scolaire et périscolaire et le risque d'augmentation des impôts locaux, « l'État crée la dislocation de l'école publique ».
L'un des grands principes de l'éducation nationale, c'est l'égalité des chances. La réforme va au rebours de ce principe.
Je comprends que l'on s'inquiète lorsque les enfants et leur éducation sont en jeu. Je pense néanmoins pouvoir vous rassurer, mes chers collègues.
Si l'on n'avait pas imposé la parité, il n'y aurait pas beaucoup de femmes ici, ni ailleurs du reste. C'est pour des raisons comparables qu'il ne faut pas laisser aux maires la liberté de choix. La loi doit être la même pour tous.
Naturellement, la réforme des rythmes demande du travail et de la concertation, mais ni plus ni moins que n'importe quel texte, n'importe quelle obligation incombant aux élus. Pendant six mois, ma commune a ainsi organisé des réunions avec les parents, les enseignants et le monde associatif, très riche en zone rurale.
Quant à la semaine scolaire de quatre jours et demi, il y a cinq ans, ma commune y était encore et cela ne posait aucun problème. La fatigue des enfants ? J'en ai élevé plusieurs, comme nombre d'entre vous : les gamins sont toujours épuisés à l'approche de la Toussaint, indépendamment de toute réforme des rythmes.
Les problèmes de locaux sont de faux problèmes : entre les salles de classe, les gymnases, les salles polyvalentes, on arrive toujours à en trouver. En ce qui concerne les animateurs, ma commune rurale n'est pas la seule à compter de très nombreuses associations. Il nous a suffi de les rencontrer, et de désigner un référent chargé de les coordonner, pour être en mesure d'offrir aux enfants un riche panel d'activités – arts du cirque, musique, écriture, sport, sciences. S'agissant des toutes petites communes, nous travaillons sur ces questions en intercommunalité.
Quant au coût, c'est une question de choix. Combien coûtent quelques mètres de route ? Il faut savoir ce que l'on veut.
Que les maires qui ont mis en oeuvre la réforme sans difficulté rencontrent ceux qui en ont peur pour les conseiller et les aider. Voilà ce que je proposerais à Xavier Bertrand au nom de la solidarité, de l'entraide et de l'intérêt des enfants.
J'approuve cette proposition de loi qui exprime un triple refus. Refus, d'abord, d'une vision culpabilisatrice selon laquelle nous ne prendrions pas en compte l'intérêt de l'enfant : il s'agit d'un procès d'intention. Oui à l'intérêt supérieur de l'enfant, dont il est finalement peu question ici ; non à une réforme qui ne le garantit en rien.
Refus, ensuite, d'une vision par trop centralisatrice, alors même que vous vous faites les apôtres de la décentralisation. Comme le disait l'édile d'une commune rurale au Congrès des maires : « Chez nous, ce sera scoubidous, et en ville, harpe ou violon ! ». D'une commune à l'autre, la réalité sociologique est différente, les ressources inégales, les équipements variables. Toutes ne pourront mettre la réforme en oeuvre de la même façon.
Refus, enfin, du traitement infligé aux maires, à qui on impose une charge sans leur donner les moyens de l'assumer, selon le principe éminemment choquant du « paie et tais-toi ! ».
Ce qui pose problème, ce n'est pas la répartition du temps scolaire sur quatre jours et demi, dont il a été rappelé à juste titre qu'elle avait cours il y a quelques années encore ; c'est l'aménagement du temps périscolaire. Sur ce point, d'ailleurs, le discours a changé. Les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) ont commencé par dire aux maires : « Ne vous inquiétez pas, mettez un quart d'heure par-ci par-là et l'affaire sera réglée ! ». Ensuite, Vincent Peillon nous a assurés qu'il ne serait pas obligatoire de prendre en charge le temps périscolaire. Et voilà maintenant que l'on érige le maire en acteur de la lutte contre l'échec scolaire. Qu'à cela ne tienne : que l'on fasse de lui un véritable acteur pédagogique, ce qu'il n'est pas aujourd'hui.
Opportune, intelligente, cette proposition de loi reflète le point de vue de bien des maires.
Cette proposition de loi est une remise en cause du pacte républicain centenaire qui unit l'État à la commune par l'école. Les maires sont fiers de remplir leur grande mission au côté de l'État. Renier ce passé pour entrer en désobéissance à des fins politiciennes est choquant et ne rend pas justice à l'engagement des maires et des conseils municipaux de nos 36 000 communes. L'un des grands enseignements de l'enquête réalisée par l'AMF est la satisfaction affichée par plus des quatre-cinquièmes des maires engagés dans la réforme et par plus de 70 % des parents concernés. Cela étant, pour améliorer les modalités de mise en place de cette réforme, le dialogue doit se poursuivre entre tous les acteurs – collectivités, État, parents, enseignants, associations – et permettre des ajustements en maternelle.
Une fois bien installée, la réforme des rythmes scolaires, conforme à l'intérêt et au bien-être de l'enfant, qui en sont le premier objectif, permettra aussi, notamment dans nos communes rurales, de renforcer le lien social – on en a déjà de beaux exemples – et le fait intercommunal.
J'aimerais témoigner des interrogations et des inquiétudes qu'inspirent aux parents ces trois heures libérées d'enseignement, mais organisées de manière à maintenir une heure de sortie d'école compatible avec la vie sociale des familles. Légitimement ou non, celles-ci ne les considèrent pas comme étant de même nature que le périscolaire « classique ». Quelles activités, se demandent les parents, avec quelle cohérence ? Quels animateurs, avec quelles qualifications ? Quel coût et quelle organisation pour les familles et pour les communes ? Une petite commune du Rhône a lancé un appel à bénévoles pouvant s'engager sur la durée d'une année scolaire et ayant une compétence à proposer. Est-ce satisfaisant ? La concertation et la compensation financière sont nécessaires pour garantir la qualité et la cohérence des activités et rassurer les familles. Tel est le sens de cette proposition de loi.
D'abord, il est incontestable que de très gros problèmes se posent sur le terrain. Dans ma commune de Versailles, qui compte près de 100 000 habitants, j'ai rarement vu une telle unanimité : les syndicats, les parents d'élèves, la grande majorité des enseignants et le personnel municipal, notamment les animateurs, nous demandent tous de résister à cette nouvelle mesure.
Ensuite, le coût de la réforme est disproportionné. Dans une période très difficile du point de vue budgétaire, il équivaut, pour une ville comme la nôtre, à deux points d'impôt. Et ce ne sont pas les compensations qui permettront de faire face à cette dépense. N'oublions pas, en effet, que la réforme implique de prévoir le mercredi des transports et des repas supplémentaires, ainsi qu'un nettoyage des locaux.
Troisièmement, la réforme est contraire à l'esprit de la décentralisation, dont l'acte III est pourtant à l'ordre du jour. Dans les autres pays européens, en Allemagne, en Italie ou au Danemark, ces mesures sont toujours adoptées au niveau local.
Enfin, le contenu des activités est extrêmement variable. On prétend faire cette réforme pour les enfants, mais, quand on voit ce que les différentes communes peuvent proposer, on est atterré par son caractère inégalitaire.
Il est donc indispensable que nous débattions de la réforme, ce qui n'a pas été véritablement fait jusqu'à présent. La présente proposition de loi en fournit l'occasion. Regardez ce qui se passe en ce moment en Allemagne : nous devrions être capables, nous aussi, de parler sérieusement ensemble de l'intérêt général.
En nous écoutant, Portalis doit se retourner dans sa tombe : nous ne parlons pas d'une loi, mais d'un décret, qui n'a absolument pas l'autorité d'un texte législatif !
Cette proposition de loi a le mérite de remettre les choses dans le bon ordre et de dire qui fait quoi, en distinguant la loi et son adaptation aux cas particuliers et en redonnant un rôle aux maires. Le maire et l'école sont deux institutions parallèles qui ont toujours vécu ensemble.
Dans mon département de Haute-Savoie, sur 294 communes, 11 seulement ont mis en place la réforme. Cela invite à s'interroger. Je regrette que la réforme n'ait pas tenu compte des spécificités locales et territoriales ni des remontées du terrain, qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une concertation. Sur un tel sujet, il était particulièrement malvenu d'imposer la mesure d'en haut. Elle engendre une inégalité au détriment des communes pauvres, des communes rurales. Dans mon département circule une pétition qui a recueilli de nombreuses signatures et porte à la fois sur les rythmes et sur le calendrier scolaire, lequel ne tient pas compte des spécificités des zones rurales et de montagne. Paris ne peut pas une fois de plus tout décréter !
Alors que seules 17 % des communes ont décidé d'appliquer la réforme et que 30 % ont répondu à l'enquête qui lui a été consacrée, on prétend que 80 % y seraient favorables ! Mais, il y a quelques mois, les communes favorables représentaient 100 % de celles appliquant la réforme – celles qui se sont investies immédiatement dans ce projet auquel elles croyaient. Et voilà que 20 % regrettent déjà de s'être lancées !
Dans ma circonscription, sur les 110 communes qui comptent une école, 5 ont mis en place la réforme, mais 85 en demandent le report et souhaitent que les maires restent libres de leur choix. Les communes ne peuvent pas faire face au coût de la réforme, dont on dit qu'il représente 150 euros par élève en moyenne mais qui est deux fois plus élevé à Caen et Angers, pourtant dirigées par une majorité proche du Gouvernement. On parle d'équité à propos des activités périscolaires, mais il ne peut qu'y avoir des différences d'une commune à l'autre, du fait des installations existantes et du coût. Dans une commune de ma circonscription qui compte 1 600 habitants, qui est dirigée par un maire communiste et qui a immédiatement mis en place la réforme, c'est le personnel communal qui tient lieu d'animateurs : les activités servent de garderie ! Ce n'était pas le but de la réforme. Parmi les 85 communes qui demandent le report, 75 % avancent qu'une mise en place immédiate représentera un coût pour les familles. Sans parler des transports : les collectivités vont prévoir des bus autour du temps scolaire mais non des activités périscolaires. Enfin, vous perturbez la vie des associations : vous prétendez étendre l'éventail d'activités sportives et culturelles proposées aux enfants, alors que la réforme va limiter le temps réservé à la vie associative.
Cela en irrite certains, mais la réforme pose indéniablement des problèmes sur le terrain. Des problèmes pour trouver des animateurs, des locaux ; des problèmes, dont on parle moins, de concurrence entre écoles publiques et écoles privées, ces dernières n'étant pas tenues d'appliquer la réforme ; des problèmes pour les associations, qui ne peuvent plus proposer d'activités le mercredi matin ; enfin, bien entendu, des problèmes de financement.
Il faut regarder la réalité en face. La réforme fait l'unanimité ou la quasi-unanimité contre elle, des enseignants aux associations de parents d'élèves en passant par les personnels municipaux et de nombreux élus, toutes tendances confondues. Ouvrons les yeux et cherchons comment sortir de cette situation. La proposition de loi permettrait d'apaiser les esprits. Nous devrions y réfléchir librement, abstraction faite des contingences politiques.
Les problèmes, notamment financiers, rencontrés sur le terrain sont en effet indéniables. Regardons de près la fameuse enquête de l'AMF : sur quelque 4 000 communes qui ont décidé de se lancer dans l'aventure dès la rentrée 2013, un millier seulement ont répondu. Qu'en pensent les autres ? Si l'on fait l'hypothèse qu'elles sont contre, cela signifierait que, loin de recueillir 80 % d'opinions favorables, la réforme suscite l'opposition d'au moins trois quarts des communes qui l'ont mise en oeuvre !
Fondée sur les trois principes de liberté de choix, de concertation et de compensation, cette proposition de loi, loin de remettre en cause le pacte républicain, le revivifie. En Allemagne, dont ma circonscription n'est distante que de vingt kilomètres, ce sont les maires qui décident de l'organisation opérationnelle dans ces matières. Faire de même n'aurait rien de contraire aux principes républicains. Le pacte républicain implique le respect de certaines règles ; encore faut-il pouvoir les appliquer. Or, aujourd'hui, les maires n'ont pas les moyens, ni financiers ni juridiques, de le faire : on prétend les responsabiliser, mais on les envoie au casse-pipe ! Nous proposons simplement de leur donner les moyens de mettre en oeuvre la réforme de M. Peillon.
Ce texte devrait faire consensus car il permet de créer du lien, de remettre du liant. Les maires sont en grande difficulté : ils sont extrêmement nombreux à le dire. Dans ma circonscription, sur 165 communes, 155 délibérations de conseils municipaux indiquent que la commune ne peut pas appliquer les dispositions actuelles.
La proposition de loi est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, plus sans doute que la réforme de M. Peillon. Pour mettre en oeuvre un principe, il faut une méthode concrète ; c'est sur ce point que M. Peillon a péché, en ne tenant pas compte du terrain, en adoptant un point de vue trop théorique. C'est cette méthode que nous proposons d'améliorer.
La Commission en vient à l'examen des articles.
Article 1er : Liberté de choix des maires dans l'organisation du temps scolaire et compensation par l'État des charges des communes résultant d'une modification des rythmes scolaires
La Commission est saisie de l'amendement de suppression AC1 de M. Yves Durand.
Nous aussi, nous soutenons le service public de l'éducation nationale. Mais le décret du 24 janvier dernier casse ce qui fonctionne – par exemple, à Épinal, la semaine de quatre jours qui donnait toute satisfaction depuis 1989. La proposition de loi ne remet absolument pas en cause les articles L. 521-1, 2 et 3 du code de l'éducation.
On ne peut pas dire, comme le fait l'exposé sommaire, que l'article 1er remet en cause le service public de l'éducation nationale : les dispositions actuelles du code de l'éducation continueront de s'appliquer.
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 1er est supprimé et l'amendement AC4 du rapporteur tombe.
Article 2 : Fixation des modalités d'application de la loi par décret en Conseil d'État
La Commission examine l'amendement de suppression AC2 de M. Yves Durand.
Je regrette que le débat fasse si peu de place aux échanges et à la nuance. Que n'avez-vous protesté contre l'absence prévue de M. Bertrand dès le début de la réunion, au moment où nous sommes convenus de la règle du jeu ? Vous n'insistez sur cette absence que parce que vous êtes en difficulté, notamment à propos de la fameuse enquête qui montre que très peu de communes ont mis en oeuvre la réforme et que celles qui en sont satisfaites sont plutôt de gauche et ont plutôt les moyens de l'appliquer. N'ayez pas aussi peur d'engager le débat ! Nous voterons contre cet amendement.
Cet amendement est bien surprenant, de même que son exposé sommaire : « Amendement de conséquence ». Notre collègue Durand a annoncé qu'il développerait ses arguments dans l'hémicycle. Tout est dit : vous ne voulez pas engager la discussion sur ce texte, cela vous gêne. Vous défendez donc un amendement de suppression sans argumenter. Vous avez peut-être numériquement raison, mais les maires et les autres élus de terrain attendent autre chose.
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3 : Gage de charges
La Commission examine l'amendement AC3 de suppression de M. Yves Durand.
L'argumentation de la majorité est vraiment très élémentaire ! Le texte est progressivement vidé de sa substance. Cette réforme mérite pourtant d'être repensée et au moins assouplie. En outre, huit jours ont été ajoutés aux vacances de la Toussaint mais rien n'a été prévu pour les vacances d'été, alors que le ministre avait annoncé son intention de réaménager le calendrier annuel des rythmes scolaires.
L'aspect financier est essentiel. Les maires nous le disent. 20 % des élèves sont concernés par la réforme, ce qui représente une dépense de 160 millions d'euros ; si tous l'étaient, ce montant atteindrait 800 millions. Si ces 800 millions ne sont pas disponibles, il va falloir augmenter la fiscalité locale. Et si tel est le cas, il faut le dire ! En d'autres termes, par cet amendement, vous annoncez à nos concitoyens qu'à cause du Gouvernement, les maires vont devoir augmenter les impôts locaux et leur faire subir une nouvelle hausse d'impôts. Assumez-le, ne vous cachez pas derrière votre petit doigt ! Il faudra de toute façon en reparler en vue des municipales.
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 3 est supprimé.
Tous les articles ayant été rejetés, il n'y a pas lieu pour la Commission de se prononcer sur l'ensemble de la proposition de loi, qui est ainsi rejetée.
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation en vient ensuite à l'examen en deuxième lecture, sur le rapport de Mme Catherine Quéré, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap (n° 711).
Cette proposition de loi, que j'avais déposée avec M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de nos collègues au cours de la treizième législature, a été adoptée par notre assemblée à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011. C'est à l'unanimité des présents qu'elle a également été adoptée le 7 février 2013 par le Sénat. À l'initiative de Mme Esther Benbassa, rapporteure au nom de la Commission des lois du Sénat, ce dernier a adopté deux modifications de pure forme : un amendement de coordination destiné à tenir compte de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et un amendement visant à clarifier le titre de la proposition de loi. Enfin, le Sénat a adopté un amendement indispensable qui permet de rendre les dispositions de la proposition de loi applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Ce texte a pour objectif de mettre fin à une anomalie de notre droit. En l'état actuel du droit, en cas de propos et d'écrits publics à caractère discriminatoire – injure, diffamation et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence –, que ceux-ci portent sur l'origine, l'ethnie, la nation, la race, la religion, le sexe, l'orientation ou l'identité sexuelle, ou encore le handicap, les sanctions sont logiquement les mêmes. Cependant, alors que le délai de prescription des infractions à caractère racial, ethnique ou religieux a été porté à un an par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, le délai de prescription des discriminations fondées sur le sexe, l'orientation ou l'identité sexuelle, ou le handicap a été maintenu à trois mois. Ce délai, le plus court d'Europe, est le délai de droit commun applicable aux délits de presse.
Il s'ensuit que des victimes placées dans la même situation sont de fait traitées de façon inégale. C'est pourquoi la présente proposition de loi propose d'appliquer la prescription d'un an instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu'en soit le motif.
Comme l'a indiqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, lors de l'examen de la proposition de loi au Sénat le 7 février 2013, « il n'y a pas lieu de discriminer entre les discriminations ». Permettre que des actes identiques punis des mêmes peines fassent l'objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.
En effet, si les modifications portent sur la loi sur la liberté de la presse, cette dernière n'est que très marginalement concernée par les infractions visées, lesquelles correspondent dans l'immense majorité des cas à des propos et des écrits émanant de particuliers, notamment dans le cyberespace. La modification introduite par la loi Perben II ne visait d'ailleurs pas du tout la presse, mais la multiplication de propos antisémites sur internet. Son principe reste pertinent, que les propos soient racistes, sexistes ou homophobes. Il circule d'ailleurs sur internet autant de messages sexistes ou homophobes que de messages antisémites, racistes ou xénophobes.
Internet a rendu obsolète le délai de prescription de trois mois des délits de presse. En effet, ce délai particulièrement court visait à préserver la liberté de la presse dans un contexte où les propos litigieux disparaissaient de la sphère médiatique après leur publication. Or, avec internet, les écrits ne disparaissent jamais : ils sont consultables à tout moment, par n'importe qui et n'importe où. L'injure et la diffamation se répètent à l'infini. Soulignons également qu'internet donne évidemment une dimension tout à fait nouvelle aux phénomènes de diffamation, d'injure et de provocations à la discrimination, à la haine et à la violence. L'actualité ne cesse de nous le rappeler.
Les contenus diffusés sur internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes et de professionnels de l'information placés sous le contrôle d'un directeur de la rédaction et soumis à un certain nombre de règles de déontologie. Chacun est désormais en mesure de diffuser ses opinions, fussent-elles injurieuses, racistes, sexistes, homophobes ou diffamatoires, et ce avec d'autant plus de facilité qu'il peut le faire sous couvert de l'anonymat.
Voilà déjà huit années que les injures, diffamations et provocations à la haine de nature raciste et xénophobe se prescrivent par un an. Ce délai n'a jusqu'ici nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d'expression. En revanche, un délai de prescription de trois mois aboutit trop souvent à des dénis de justice pour les victimes des infractions concernées.
Instaurer un délai de prescription unique d'un an, quelle que soit la nature ou l'origine de la discrimination, est conforme à l'exigence de cohérence du droit. Cette mesure témoigne également d'un attachement déterminé à l'égalité des droits qui est au coeur du pacte républicain, sans remettre aucunement en cause la liberté de la presse. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'adopter sans modification le texte issu de la première lecture au Sénat.
Je précise que lorsque, dans la presse, un journaliste rapporte des propos discriminatoires, il fait son travail ; mais s'il les tient pour son propre compte, il est pénalement responsable au même titre que n'importe quel autre citoyen.
Cette proposition de loi devrait nous rassembler puisqu'elle tend à réparer une erreur : une discrimination à l'intérieur des discriminations. Je souhaite donc, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, que, retrouvant l'unanimité à laquelle l'Assemblée nationale comme le Sénat étaient parvenus en première lecture, nous adoptions le texte issu du Sénat afin que ses dispositions soient inscrites dans la loi.
Le groupe UMP ne compte que d'ardents défenseurs de la lutte contre toute forme de discrimination. Il n'est pas question d'opposer ceux qui défendent les victimes de ces atteintes à ceux qui, pour des raisons idéologiques, se permettraient de les trier par catégories. Quelle que soit la nature de la discrimination, la représentation nationale tout entière s'attachera toujours à la combattre.
Il est ici proposé d'harmoniser les délais de prescription de l'action publique concernant les propos discriminatoires. Ces délais varient aujourd'hui avec le motif de la discrimination. Si le critère constitutif de l'infraction est l'homophobie, la handiphobie ou le sexisme, l'État et la victime disposent du délai de droit commun pour agir, soit trois mois. En revanche, l'injure, la diffamation, la provocation à la violence raciale ou religieuse bénéficient d'une prescription spéciale d'un an en raison de leur gravité.
Nous avions décidé en première lecture de soutenir ce qui était alors l'article 2 de la proposition de loi et qui visait à harmoniser le délai de prescription de l'action publique à un an. Soucieux de la liberté de la presse, qui ne peut s'accommoder de délais de prescription trop longs, trois mois étant la règle et un an l'exception, nous avions toutefois entendu les arguments de nos collègues socialistes. Si l'extension des délais de prescription à un an permettait de garantir les principes d'égalité devant la loi et d'intelligibilité de celle-ci sans mettre en cause la liberté de la presse, notre réserve pouvait être levée.
De fait, il paraît difficile de cautionner une hiérarchie implicite entre les discriminations en faisant varier les délais de prescription selon la gravité supposée du motif. Une discrimination reste une discrimination, qu'elle se fonde sur l'ethnie ou sur l'orientation sexuelle, sur la religion ou sur le handicap.
Par ailleurs, le droit doit être connu de tous ; à défaut, car cet objectif est aujourd'hui presque impossible à atteindre, il se doit d'être lisible et compréhensible par tous. Or les différents délais de prescription favorisent la confusion et multiplient les risques d'erreur des justiciables, donc d'extinction de l'action publique.
Le dernier argument qui emporte notre adhésion est le développement des nouvelles technologies et la banalisation d'internet. C'est d'ailleurs lui qui avait légitimé en 2004 l'extension à un an du délai de prescription de l'action publique pour les infractions liées à la violence raciale ou religieuse. Alors que, dans les médias classiques, chaque nouvelle publication chasse la précédente, il n'existe pas de droit à l'oubli sur internet : la Toile est une sorte d'immense réserve de stockage de données qui ne se désintègrent pas facilement. Cet espace de liberté que chacun peut investir sur n'importe quel sujet implique de donner en contrepartie à toutes les victimes potentielles les moyens de faire valoir leurs droits. La règle de l'actualité, qui prévaut pour les médias classiques, perd de sa pertinence s'agissant des contenus publiés sur internet. Les messages racistes et xénophobes n'ont pas le monopole du web ; nous l'avons constaté récemment, hélas. Il convient donc de prolonger le délai de prescription pour permettre aux victimes de messages sexistes, handiphobes ou homophobes de se faire également entendre.
Comme en première lecture, le groupe UMP votera donc cette proposition de loi.
Cette proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité en première lecture, tend à remédier à une distorsion qui affecte les délais de prescription d'infractions de même nature commises par voie de presse. Pour les provocations à la discrimination, la diffamation ou les injures liées à l'origine ou à la religion, ce délai est d'un an, alors qu'il reste de trois mois lorsque les mêmes infractions sont commises en considération du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap. Il y a là une hiérarchisation inacceptable des discriminations.
L'enjeu est moins la liberté de la presse que la fin d'une discrimination entre victimes. Celles-ci doivent accéder à la justice dans les mêmes conditions, que les propos injurieux qui les visent soient liés à leur sexe, à leur orientation sexuelle, à leur handicap, à leur religion ou à leur origine. Bref, il s'agit de défendre plus efficacement les victimes du sexisme, de l'homophobie, de la transphobie et de l'handiphobie. La société inclusive que nous voulons, la société de l'égalité que nous bâtissons l'exige.
Des exemples récents confirment qu'il est urgent d'agir. Je songe à la une de Minute, mais aussi aux propos extrêmes relayés sur les réseaux sociaux lors des débats sur le mariage pour tous. Je pense aussi aux petites phrases sexistes disséminées un peu partout. Présidente du groupe d'études sur l'intégration des personnes handicapées, je songe enfin, bien sûr, aux multiples discriminations dont sont victimes les personnes porteuses d'un handicap. Dans chacun de ces cas, des personnes sont attaquées dans leur dignité, insultées, blessées. Ces attaques rendues publiques les rabaissent, les submergent d'un sentiment de honte injustifié. Ces situations peuvent donner lieu à des dépressions, voire à des suicides. Car derrière les mots, ne l'oublions pas, il y a des personnes.
Naturellement, il est essentiel de concilier un délai de prescription qui permet de poursuivre efficacement les infractions et le nécessaire respect de la liberté de la presse, garante du bon fonctionnement de la démocratie. Il n'est pas question, par exemple, d'empêcher Charlie Hebdo de publier certaines caricatures, car il y va de la liberté d'expression.
De fait, les délits visés ici sont commis moins par voie de presse que sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux. Sur internet, en effet, l'immédiateté donne parfois un sentiment infondé d'impunité, comme si l'instantanéité, la dématérialisation, le semblant d'anonymat pouvaient servir d'excuse ; comme si ce format donnait le droit d'écrire tout et n'importe quoi selon son humeur du moment, sans réfléchir à la portée des propos tenus ni à leur inconséquence. C'est particulièrement vrai des réseaux sociaux. Pourtant, le mal est alors fait, et ses traces demeurent, car, contrairement à l'écrit, l'empreinte web perdure à l'infini : les propos ne disparaissent jamais, mais restent consultables partout et tout le temps. Internet a ainsi rendu totalement obsolète le délai de prescription de trois mois des délits de presse. Trois mois, c'est beaucoup trop court pour entreprendre une action contre des sites ou des blogs. Les journalistes ont leurs propres règles, leur propre déontologie. Ce n'est pas eux que vise d'abord le texte, mais les particuliers, qui tiennent des propos inacceptables sur internet par l'intermédiaire des réseaux sociaux.
Les écologistes soutiennent donc cette proposition de loi. La violence des débats suscités par la loi autorisant le mariage pour tous a d'ailleurs conduit ma collègue sénatrice Kalliopi Ango Ela et les membres du groupe écologiste au Sénat à déposer une proposition de loi allant dans le même sens, et ma collègue Esther Benbassa, rapporteure du présent texte au Sénat, a effectué un travail admirable, comme notre rapporteure Catherine Quéré.
Il convient de ne plus discriminer entre les discriminations. Pour reprendre les propos de notre rapporteure, permettre que des actes identiques punis des mêmes peines fassent l'objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.
Il pourrait d'ailleurs être intéressant de réfléchir à une évolution plus globale de la loi de 1881, au lieu de la modifier fréquemment par petites touches. D'autres adaptations sont déjà à prévoir, dont l'allongement des délais de prescription concernant l'apologie par voie de presse des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.
Les plus grandes lois doivent savoir évoluer, parce que les usages et les mentalités changent, parce que le monde bouge, tout simplement. La grande loi républicaine et radicale de 1881, qui est parvenue à établir un délicat équilibre entre la liberté d'expression et la sauvegarde de l'ordre public, ne fait pas exception à cette règle immuable. On peut être attaché à la liberté et négliger les bons vecteurs d'expression. On peut vouloir poser les limites qui protègent et tendre finalement des bâillons qui musellent. On peut aussi identifier un danger et passer à côté d'un autre, que le temps a laissé croître.
Il faut donc viser le point d'équilibre. C'est là la vocation première du législateur. Cette question se pose tout particulièrement à l'heure de l'expression diffuse, profuse et intruse sur internet. Tel est l'enjeu de la présente proposition de loi. Métaphore de l'ouvrage républicain, qu'à la façon de Pénélope il faut être prêt à remettre sans cesse sur le métier, elle vise à traiter de façon identique tous les propos discriminatoires, quelles qu'en soient les victimes et la nature – sexisme, homophobie, handiphobie, transphobie, racisme ou antisémitisme, et toute haine visant un individu en raison de son identité.
Le texte complète la loi du 9 mars 2004, motivée par la multiplication des propos antisémites sur internet. Le législateur avait alors introduit une exception au régime de la loi sur la liberté de la presse de 1881, en portant à un an le délai de prescription de certaines infractions. Il s'agissait de ménager le temps de la détection et de la répression d'une nouvelle forme de criminalité cybernétique. Mais le filet protecteur du droit n'avait pas tout ramené vers lui : visant les discriminations liées à l'origine, à l'ethnie, à la race ou à la religion, il avait omis celles liées au sexe, à l'orientation sexuelle ou au handicap, pour lesquelles le délai de prescription demeurait de trois mois. Il s'agit pourtant bien de la même chose : du respect des personnes.
Dans le cyberespace, les infractions dites de presse n'ont pas disparu, mais elles se sont métamorphosées. Elles ne sont pas ici et maintenant. Elles sont dans l'air. Internet, c'est un groupe de presse mondial, sans patron, sans règle, constitué de millions de contributeurs, aux motivations insoupçonnables, inconnaissables, qui, à l'abri des regards, et parfois sous le couvert d'un pseudonyme, lancent leur message. Chacun, devant son écran, peut se transformer en grand témoin du monde, en Savonarole universel, en accusateur compulsif, en mercenaire de la parole publique, sans règle, sans limite, sans attention aux conséquences de ses actes. Pourtant, accuser, diffamer, tourner en ridicule jusqu'à l'insulte sont des actes qui, quels qu'en soient les supports, ont les mêmes conséquences sur leurs victimes. L'ordre public doit alors faire son oeuvre : assurer le respect des personnes et de leurs vies.
Au groupe UDI, nous tenons à l'extraordinaire liberté qui caractérise la Toile. Mais n'en faisons pas un espace de non-droit. Ne faisons pas d'internet une vache sacrée. Ne faisons pas de l'esprit du temps une menace pour la vie privée. Ne faisons pas d'un monde technomaîtrisé un univers d'impunité. Internet, c'est la liberté, à condition que celle-ci continue d'émanciper la pensée et la connaissance.
Voilà ce que dit ce texte ; voilà pourquoi le groupe UDI le votera.
Cette proposition de loi dit en somme qu'il n'existe aucune hiérarchie entre les discriminations. C'est un message essentiel, car certaines discriminations, comme le sexisme ou l'homophobie, ont pu être tolérées alors que d'autres, dont le racisme, étaient unanimement reconnues comme telles. Or toutes les discriminations sont des délits et causent de graves dommages humains. Ce rappel est bienvenu alors que les propos discriminatoires, notamment racistes, se multiplient sur le Net et dans la parole publique.
La liberté de la presse, dont certains se sont inquiétés, est ici préservée. Nous allons même la renforcer dans le cadre de la loi sur la protection des sources des journalistes. Les députés du Front de gauche voteront donc cette proposition de loi.
Je tiens à féliciter la rapporteure. Selon son projet de rapport, « les statistiques du ministère de la justice le confirment de manière frappante : entre 2003 et 2011, aucune condamnation n'a été prononcée sur le motif de diffamation ou de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe, de l'orientation sexuelle, du handicap ». Le délai de prescription d'un an, marque d'attachement à l'égalité des droits, est donc bienvenu. Je suis heureuse de soutenir ce texte.
La Commission en vient à l'examen des articles.
Article 2 : Allongement des délais de prescription en cas d'injure, de diffamation ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence pour des raisons tenant au sexe, à l'orientation sexuelle ou au handicap
La Commission adopte l'article à l'unanimité sans modification.
Article 3 : Application de la loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie
La Commission adopte l'article à l'unanimité sans modification.
Puis la Commission adopte à l'unanimité l'ensemble de la proposition de loi sans modification.
La séance est levée à onze heures trente-cinq.