Intervention de Barbara Pompili

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

Cette proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité en première lecture, tend à remédier à une distorsion qui affecte les délais de prescription d'infractions de même nature commises par voie de presse. Pour les provocations à la discrimination, la diffamation ou les injures liées à l'origine ou à la religion, ce délai est d'un an, alors qu'il reste de trois mois lorsque les mêmes infractions sont commises en considération du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap. Il y a là une hiérarchisation inacceptable des discriminations.

L'enjeu est moins la liberté de la presse que la fin d'une discrimination entre victimes. Celles-ci doivent accéder à la justice dans les mêmes conditions, que les propos injurieux qui les visent soient liés à leur sexe, à leur orientation sexuelle, à leur handicap, à leur religion ou à leur origine. Bref, il s'agit de défendre plus efficacement les victimes du sexisme, de l'homophobie, de la transphobie et de l'handiphobie. La société inclusive que nous voulons, la société de l'égalité que nous bâtissons l'exige.

Des exemples récents confirment qu'il est urgent d'agir. Je songe à la une de Minute, mais aussi aux propos extrêmes relayés sur les réseaux sociaux lors des débats sur le mariage pour tous. Je pense aussi aux petites phrases sexistes disséminées un peu partout. Présidente du groupe d'études sur l'intégration des personnes handicapées, je songe enfin, bien sûr, aux multiples discriminations dont sont victimes les personnes porteuses d'un handicap. Dans chacun de ces cas, des personnes sont attaquées dans leur dignité, insultées, blessées. Ces attaques rendues publiques les rabaissent, les submergent d'un sentiment de honte injustifié. Ces situations peuvent donner lieu à des dépressions, voire à des suicides. Car derrière les mots, ne l'oublions pas, il y a des personnes.

Naturellement, il est essentiel de concilier un délai de prescription qui permet de poursuivre efficacement les infractions et le nécessaire respect de la liberté de la presse, garante du bon fonctionnement de la démocratie. Il n'est pas question, par exemple, d'empêcher Charlie Hebdo de publier certaines caricatures, car il y va de la liberté d'expression.

De fait, les délits visés ici sont commis moins par voie de presse que sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux. Sur internet, en effet, l'immédiateté donne parfois un sentiment infondé d'impunité, comme si l'instantanéité, la dématérialisation, le semblant d'anonymat pouvaient servir d'excuse ; comme si ce format donnait le droit d'écrire tout et n'importe quoi selon son humeur du moment, sans réfléchir à la portée des propos tenus ni à leur inconséquence. C'est particulièrement vrai des réseaux sociaux. Pourtant, le mal est alors fait, et ses traces demeurent, car, contrairement à l'écrit, l'empreinte web perdure à l'infini : les propos ne disparaissent jamais, mais restent consultables partout et tout le temps. Internet a ainsi rendu totalement obsolète le délai de prescription de trois mois des délits de presse. Trois mois, c'est beaucoup trop court pour entreprendre une action contre des sites ou des blogs. Les journalistes ont leurs propres règles, leur propre déontologie. Ce n'est pas eux que vise d'abord le texte, mais les particuliers, qui tiennent des propos inacceptables sur internet par l'intermédiaire des réseaux sociaux.

Les écologistes soutiennent donc cette proposition de loi. La violence des débats suscités par la loi autorisant le mariage pour tous a d'ailleurs conduit ma collègue sénatrice Kalliopi Ango Ela et les membres du groupe écologiste au Sénat à déposer une proposition de loi allant dans le même sens, et ma collègue Esther Benbassa, rapporteure du présent texte au Sénat, a effectué un travail admirable, comme notre rapporteure Catherine Quéré.

Il convient de ne plus discriminer entre les discriminations. Pour reprendre les propos de notre rapporteure, permettre que des actes identiques punis des mêmes peines fassent l'objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.

Il pourrait d'ailleurs être intéressant de réfléchir à une évolution plus globale de la loi de 1881, au lieu de la modifier fréquemment par petites touches. D'autres adaptations sont déjà à prévoir, dont l'allongement des délais de prescription concernant l'apologie par voie de presse des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

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