Je regrette également que tous les syndicats n'aient pas été auditionnés ensemble.
Le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt est le cinquième texte consacré à l'agriculture depuis 1999, ce qui n'est pas forcément ce qu'attendent les agriculteurs qui ont besoin, pour se développer et investir, d'axes stables et pérennes.
Cela étant, pourquoi ne pas parfaire ce qui peut l'être, si tant est que cette loi d'avenir parvienne à répondre aux problèmes que connaissent les agriculteurs, ce qui n'est pas toujours le cas. Pour user d'une métaphore, sur un véhicule qui nous est imposé par la PAC, le seul choix que nous ayons, c'est celui des enjoliveurs, en d'autres termes de l'accessoire.
Nous aurions aimé une loi tournée vers les producteurs plutôt que vers les filières ou la production. Selon l'article 1er, de portée générale, l'objet de la loi est de « renforcer la compétitivité des différentes filières de production, de transformation et de commercialisation, en vue de soutenir le revenu et l'emploi des agriculteurs et des salariés ». C'est, selon nous, prendre les choses à l'envers. Lorsque l'agroalimentaire breton déplore la baisse de la production de porcs, mettre la filière sous respirateur artificiel ne servira à rien si les producteurs ne produisent plus pour la simple raison que l'on s'est d'abord préoccupé de la filière avant de soutenir les agriculteurs. Nous aurions donc préféré que cet article soit rédigé autrement et qu'il insiste sur la nécessité de soutenir le revenu et l'emploi des agriculteurs et des salariés pour renforcer la compétitivité des différentes filières, une compétitivité qui, à l'inverse de la compétitivité-prix qui constitue aujourd'hui l'alpha et l'oméga de toutes les décisions, prenne en compte les aspects sociaux et environnementaux de la production.
Nous sommes assez sceptiques sur les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) qui font l'objet de l'article 3, même si l'idée est sympathique. Les centres d'études techniques agricoles (CETA), les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM) ainsi que les groupements de développement agricole (GDA) regroupent déjà, en dehors des structures officielles et publiques, des agriculteurs qui souhaitent mettre en commun leurs expériences, se livrer à des expérimentations ou unir leurs forces face à des tiers. Les GIEE, quant à eux, n'accueilleront pas uniquement des agriculteurs. Dotés ou non de la personnalité morale, ils auront à remplir un certain nombre de missions, ce qui implique un minimum de moyens et des salariés et peut laisser craindre un mode d'organisation trop compliqué pour ne pas rester marginal. Enfin, nous sommes également intrigués par le fait que les adhérents des GIEE pourraient en tirer des majorations d'aide, ce qui apparenterait le GIEE à une sorte de carotte.
Un volet du projet de loi concerne le bail environnemental, qui pourrait être étendu à d'autres bailleurs que ceux figurant sur l'actuelle liste, assez limitative. Les bailleurs sont de plus en plus réticents à mettre leurs terres en fermage, et on les imagine mal ajouter dans leurs baux des contraintes environnementales quand la première des contraintes reste la rentabilité de leur investissement.
Le texte confirme la transparence et en précise la notion pour les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC). Sur fond de PAC, l'enjeu est d'importance puisque cela concerne les aides majorées pour les cinquante-deux premiers hectares. La question mérite également d'être posée pour les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL), les autres sociétés et les unités de travail humain (UTH) au sens large.
Par ailleurs, comme on l'a constaté à propos du certiphyto, les GAEC, ne peuvent, en tant que sociétés civiles, pratiquer l'épandage de produits sanitaires chez un tiers, puisqu'il s'agit d'un service commercial. Il existe pourtant une tolérance fiscale, dès lors que les activités commerciales comme les prestations de services ne génèrent qu'un revenu complémentaire ; nous souhaiterions que cette tolérance soit élargie à l'objet des GAEC et consacrée dans leurs statuts.
Nous sommes heureux que le texte aborde la question de la coopération agricole, depuis longtemps problématique. Il ne va cependant pas assez loin. D'une part, le Haut Comité de la coopération agricole nous semble très consanguin, et nous estimerions normal qu'y siègent, aux côtés des administrateurs et des présidents de coopérative, des représentants des syndicats d'exploitants agricoles ; d'autre part, nous souhaiterions que la rédaction du texte rende plus systématiques certaines obligations faites aux coopératives de rendre des comptes.
Les sociétés anonymes filialisées créées par les coopératives nous posent problème, car elles échappent au contrôle des adhérents. Ces dérives apparaissent nettement dans le lait, secteur dans lequel les coopératives font figure de mauvais élèves en comparaison des laiteries privées.
En matière de contractualisation, le projet de loi renforce le rôle du médiateur. Cela ne suffit pas car force est de constater que la contractualisation, censée prendre le relais des quotas, ne marche pas. Nous sommes opposés à la contractualisation obligatoire dont nous demandons l'abrogation, estimant qu'il est préférable de travailler sur la régulation des productions, notamment celle du lait.
En matière de protection des terres agricoles et de renouvellement des générations, nous regrettons l'absence d'évaluation des politiques successives mises en place pour le contrôle des structures et l'installation, qui n'ont pas atteint leurs objectifs.
Nous ne disposons pas de statistiques précises pour la consommation du foncier agricole, la fourchette allant de 23 000 à 80 000 hectares par an, mais la commission technique qui travaille actuellement sur le sujet parviendra probablement à des chiffres inférieurs à ceux qui évoquent l'équivalent d'un département consommé tous les sept ans.
Le projet omet la question des friches, alors qu'il nous semblerait souhaitable que l'on oblige les collectivités à bâtir leurs projets sur les friches – agricoles ou industrielles – plutôt que sur le foncier agricole.
J'en viens aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER). Il s'agissait au départ de faire de la structuration ou de la restructuration foncière, mais cela aurait pu se faire sans les SAFER. Aujourd'hui, celles-ci ont également pour mission de réguler la taille des exploitations, mais les études montrent qu'elles n'empêchent pas l'agrandissement de ces dernières, lequel résulte avant tout de l'équation qui permet de calculer le revenu annuel dont un agriculteur a besoin pour vivre, soit la surface dont il dispose multipliée par le revenu unitaire de chaque hectare. En conséquence, dès que le revenu à l'hectare baisse, ce qui est une constante de l'agriculture depuis les années 60, les agriculteurs sont obligés de s'agrandir, et les SAFER n'y peuvent rien.
Les relations entre bailleurs et preneurs sont par ailleurs souvent problématiques, soit que le bailleur souhaite reprendre son bien, soit que deux candidats au fermage entrent en rivalité pour l'exploitation d'un même bien. En outre, beaucoup d'agriculteurs exploitants, propriétaires de leurs terres, préfèrent, lorsqu'ils cessent leur activité, en confier l'exploitation à une entreprise plutôt que de les confier en fermage à d'autres agriculteurs, ce qui accentue les blocages du marché. Cela s'explique par le fait que, lorsqu'un propriétaire met ses terres en fermage, il a l'impression d'en être dépossédé, pour une rentabilité faible. Or donner des pouvoirs élargis aux SAFER et les autoriser à entrer dans le capital de sociétés immobilières du type groupements fonciers agricoles ne fera que renforcer ce sentiment. Nous ne sommes donc pas favorables à ce renforcement des prérogatives des SAFER.
Nous nous félicitons en revanche de l'assouplissement de certains critères d'installation, dont l'âge minimum des agriculteurs. En effet, on constate de plus en plus de vocations tardives.
Nous sommes partagés sur l'article 16 et l'activité minimale d'assujettissement. Si certains cotisants solidaires méritent en effet d'avoir accès à une couverture sociale complète, on peut craindre que ce critère unique ne pénalise des cotisants solidaires – je pense notamment aux retraités vivant avec la surface minimale tolérée, qui pourraient devenir cotisants à part entière et perdre leurs droits à retraite. À nos yeux, cette mesure est davantage destinée à augmenter les ressources de la mutualité sociale agricole en accroissant le nombre de cotisants à part entière qu'à offrir plus de souplesse aux agriculteurs.
Pour ce qui concerne la politique de l'alimentation et le volet consacré aux maladies animales, notamment à la tuberculose ovine, la rédaction du texte nous fait craindre que les agriculteurs exploitant des terres sur un territoire de chasse ne soient tenus pour responsables de la gestion et de l'état sanitaire de la faune sauvage. C'est difficilement envisageable pour des agriculteurs à qui le gros gibier cause déjà de nombreux soucis.
Opposés à l'interdiction faite aux vétérinaires de distribuer des antibiotiques dit sensibles, nous sommes satisfaits de la nouvelle rédaction du texte, de même que nous sommes satisfaits de la mise en place d'un contrôle des marges.
En matière de publicité sur les médicaments et les produits phytosanitaires, l'esprit de la loi nous convient, mais sans doute faudrait-il réfléchir à mettre en place des instances de contrôle officielles. La Coordination rurale réclame depuis longtemps l'interdiction de la publicité pour les produits phytosanitaires – désherbants ou pesticides –, non seulement parce que ce sont les utilisateurs qui en paient le prix, intégré aux coûts de production, mais aussi parce que cette publicité prend souvent des orientations déplaisantes.
En revanche, l'expérimentation consistant à permettre aux agriculteurs n'ayant pas utilisé leur « crédit » autorisé de produits phytosanitaires de le céder à ceux qui en auraient besoin nous dérange : imagine-t-on en effet un SDF vendant ses droits à médicaments à un individu bien nanti qui aurait épuisé son crédit ? Cette approche calquée sur le mécanisme du droit à polluer ne nous paraît pas opportune.
Dans le domaine de l'enseignement agricole, nous sommes opposés à la fusion dans un seul et même pôle des écoles d'ingénieurs agronomes, des écoles vétérinaires et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Cette fusion n'aboutirait, selon nous, qu'à un affaiblissement de structures aujourd'hui reconnues internationalement.
Nous souhaitons par ailleurs que les conseils d'administration de l'enseignement agricole secondaire, de l'enseignement agricole supérieur et de l'INRA, dans lesquels seule la voix du syndicalisme majoritaire se fait aujourd'hui entendre, s'ouvrent à l'ensemble des syndicats agricoles.
Les groupements d'intérêt économique et environnemental forestiers nous inspirent des commentaires assez proches de ce que nous pensons des GIEE. S'il s'agit de simplifier administrativement la restructuration des forêts atomisées, inaccessibles au matériel moderne et donc mal entretenues, l'établissement d'une superficie minimale de 300 hectares – au lieu des 500 d'abord envisagés – nous paraît encore un seuil trop important, sachant qu'on trouve parfois dix propriétaires sur un seul hectare. Ce qui importe à nos yeux dans les GIEEF, c'est la contiguïté.