Intervention de Jean Mouzat

Réunion du 27 novembre 2013 à 17h00
Commission des affaires économiques

Jean Mouzat, président du Mouvement de défense des exploitants familiaux, MODEF :

En 2008, la loi de modernisation de l'économie a donné le pouvoir à la grande distribution dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, impactant à la baisse les prix agricoles à la production. En 2010, la loi de modernisation agricole a consacré l'agriculture industrielle comme modèle et l'hyperproductivité comme moyen pour gagner en compétitivité. Ces deux lois profondément libérales sont venues renforcer les orientations tout aussi libérales de la politique agricole commune (PAC). La primauté au libre marché, du local au mondial, serait selon ses défenseurs la politique économique universelle. C'est là, bien évidemment, un avis que nous ne partageons pas.

Mais cette politique nous a menés droit dans le mur, avec pour l'agriculture une baisse continue du nombre d'exploitations et d'exploitants, une diminution de 52 % du nombre d'actifs agricoles en vingt ans, l'aggravation des disparités, la concentration des productions dans des zones spécialisées, avec des conséquences néfastes pour l'environnement et une délocalisation vouée à s'accentuer, la concentration des entreprises de collecte et de transformation, le déménagement des territoires, la standardisation des produits agricoles au détriment de la diversité et de la qualité, la multiplication des transports de la production à l'assiette et la volatilité des prix agricoles.

La baisse tendancielle des prix agricoles alignés sur les cours mondiaux met à mal les exploitants familiaux et ne profite même pas aux consommateurs. Notre pays ne peut plus garantir la sécurité alimentaire à sa population et se trouve de plus en plus dépendant des importations de fruits et légumes, viande ovine, oléagineux et protéagineux.

Voilà des années que le MODEF dénonce ces orientations et appelle à un changement radical de politique pour une agriculture rémunératrice, solidaire, durable et responsable, une agriculture efficace d'un point de vue social, économique et environnemental. Il voyait dans la réforme de la PAC pour 2014-2020 et dans la loi d'avenir une opportunité pour ce changement.

La réforme de la PAC adoptée en juin apporte des éléments de changement avec une redistribution plus juste des aides et la prise en compte d'une certaine diversité des agricultures et de l'environnement. Malheureusement, cette future PAC reste ancrée dans le libre marché et la libre concurrence, en supprimant tous les outils de maîtrise des prix et des volumes.

L'exemple de la production laitière manifeste en grandeur nature les effets d'une politique de libéralisation des prix et des volumes. En conjuguant la suppression des quotas laitiers et l'interdiction de négociation des prix au niveau des interprofessions, la PAC a provoqué la chute des prix et précipité les exploitations laitières dans des difficultés financières quasiment insurmontables.

La contractualisation initiée par la loi de modernisation agricole, malgré l'intervention du médiateur, n'a eu aucun effet significatif pour redresser la situation : le prix du lait sur l'année reste inférieur aux coûts de production. C'est dans ce contexte que le projet de loi d'avenir a été élaboré.

Le MODEF espérait une grande loi, mais celle-ci se trouve limitée dans ses ambitions, car elle ne peut pas contrevenir aux règles du libre marché et de la libre concurrence. Néanmoins, des avancées ont été obtenues et des possibilités d'aller plus loin existent. Nous comptons sur l'intervention des parlementaires pour améliorer significativement ce projet de loi.

L'exposé des motifs de ce dernier fournit des éléments nouveaux sur le constat, analyse les échecs et les réussites et ouvre la porte à des changements.

Le MODEF note avec satisfaction que le Gouvernement prend conscience que l'agrandissement permanent des exploitations depuis quarante ans a conduit à une impasse. Il considère que la politique en faveur de l'agriculture doit aller de la fourche à la fourchette et affirme que la durabilité de l'agriculture passe par la recherche de la double performance économique et environnementale. Il précise que le renouvellement des générations est une nécessité vitale et que les changements ne pourraient s'opérer sans un dialogue social rénové.

À l'article 1er du texte, le MODEF souscrit aux objectifs assignés à la politique agricole en matière de renouvellement des générations, de développement des territoires et de réorientation des agricultures vers la double performance économique et environnementale. Mais nous notons en même temps qu'est considérée comme l'une des finalités des politiques agricoles le renforcement de la compétitivité en vue de soutenir le revenu et l'emploi des agriculteurs et des salariés. Or, cette compétitivité à tout prix, qui se résume à produire moins cher que son voisin de l'autre bout du monde, est forcément destructrice d'emplois, de revenu et de salaire. N'est-ce pas ce qui se passe aujourd'hui en Bretagne ?

Le MODEF – et c'est là une question non pas de sémantique, mais d'orientation – demande que la recherche de compétitivité ou de performance soit remplacée par la recherche d'efficacité économique, sociale et environnementale.

Pour ce qui concerne les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), les valeurs que porte le MODEF lui ont toujours fait privilégier l'approche et la vision collectives de l'agriculture, qui ne sauraient se confondre avec la somme des intérêts individuels des agriculteurs, et lui ont fait approuver dès le début cet outil, porté par le ministre. Le GIEE va permettre de raisonner à l'échelle d'un petit territoire pour construire un projet collectif, en vue d'une plus grande efficacité économique et environnementale des exploitants membres.

Le MODEF souhaiterait d'ailleurs qu'à cette double performance soit adjointe l'efficacité sociale. Pourquoi ne pas parler de « groupements d'intérêt économique, social et environnemental », ce qui permettrait de prendre en compte l'impact social dans la construction de projets territoriaux ?

Ces approches nouvelles sont intéressantes, car il s'agit non plus d'adapter des exploitations à des contraintes individuelles, mais de construire une nouvelle agriculture ayant un impact positif sur les revenus, les salaires, l'emploi et l'environnement sur un territoire donné.

Le MODEF souhaitait que les collectivités territoriales puissent être membres de ces groupements afin de pouvoir apporter leur expertise pour s'associer au débat et porter collectivement ses projets. L'article L. 311-4 du code rural et de la pêche maritime que le projet de loi vise à créer le permettrait, mais le MODEF demande à la Commission des affaires économiques de s'en assurer.

Pour s'emparer de cet outil qu'est le GIEE, les agriculteurs auront besoin d'aide, d'animateurs et d'animatrices de terrain. Selon le projet de loi, ces moyens humains viendraient des organismes de développement agricole comme les chambres d'agriculture, financés par le compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR). Mais pour que ce service soit efficace, il ne faut pas que les agriculteurs aient à le payer. Comment garantir une mise à disposition gratuite au nom d'une mission de service public ?

L'article 4 est relatif au bail environnemental. Le MODEF défend cette mesure, qui permet de renforcer les règles existantes en matière de maintien de certaines infrastructures d'intérêt environnemental.

Dans l'article 5, la transparence accordée aux groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) constitue une avancée qui vient conforter l'intérêt pour cette forme sociétaire précédemment ouverte aux couples.

Le Gouvernement s'est engagé à faciliter le passage du statut d'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) à celui de GAEC. En effet, avant la loi qui a permis la création de GAEC entre époux, la seule forme sociétaire d'exploitation était l'EARL. Aujourd'hui, la transparence modifie la donne et devrait inciter les EARL à devenir des GAEC.

L'article 6 est relatif à la coopération agricole. À l'occasion de l'affaire Spanghero, le MODEF avait interpellé le ministre en insistant sur la nécessité d'engager un grand débat sur la coopération, sa gouvernance, le respect de ses principes et de ses valeurs, les filiales privées des coopératives et la concentration excessive qui éloigne les coopérateurs. Or, il n'y a pas eu de débat, si ce n'est pour la préparation de la loi d'avenir.

Cet article 6 opère cependant quelques avancées, avec l'obligation pour l'organe de direction de mettre à disposition des associés coopérateurs un document qui récapitule son engagement, notamment les quantités et la qualité des produits à livrer, ainsi que les modalités de calcul des prix. L'organe chargé de l'administration doit déterminer le calcul des prix à partir des indicateurs publics et des critères de fluctuation. Ces critères pourront, ou non, donner lieu à révision de prix et seront soumis à l'Assemblée générale. Lorsqu'une coopérative admet des tiers non coopérateurs bénéficiant de ses services dans la limite de 20 % du chiffre d'affaires, elle doit se soumettre à un contrôle de conformité tous les cinq ans. Les administrateurs exerçant un premier mandat doivent bénéficier d'une formation.

Si ces dispositions constituent des avancées, elles ne sont pas suffisantes et d'autres mesures doivent être prises pour limiter le cumul des mandats, le nombre de filiales privées et les fusions qui contreviennent aux principes de la territorialité, ainsi que pour transformer les filiales privées en coopératives et pour assurer dans la formation agricole initiale et continue un enseignement sur la gestion spécifique des coopératives et sur les principes et valeurs qui les fondent.

Pour ce qui concerne l'article 7, le MODEF avait annoncé dès le début que la contractualisation n'était qu'un mirage qui servait la cause des transformateurs et des distributeurs. Les difficultés que viennent de connaître les producteurs de lait viennent conforter cette analyse.

Il faut s'attaquer au vrai problème, qui est le pouvoir donné à la grande distribution par la loi de modernisation de l'économie, que nous avions appelée « loi Leclerc ». Les quelques modifications apportées récemment ne changent pas grand-chose à ce pouvoir excessif des grandes et moyennes surfaces.

Les revendications portées par notre organisation dans ce domaine sont un encadrement des marges de la grande distribution par la mise en place d'un coefficient multiplicateur et l'interdiction de la vente à perte à la production par la fixation d'un prix minimum couvrant les coûts de production, calculé par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Ce prix minimum devrait être inscrit dans les contrats de vente.

En matière de foncier agricole, un travail important a été accompli. Sans entrer dans le détail, je soulignerai qu'il faut veiller à ce que les commissions départementales d'orientation de l'agriculture (CDOA) aient toute leur place dans les départements au niveau des plans locaux d'urbanisme. La question se pose de savoir quelle dimension il conviendra de leur donner – l'échelle communale ou celle des communautés de communes ou d'agglomération ?

Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) devront évoluer vers le statut d'établissement public à l'échéance de 2016. Cela permettrait de rendre leur financement moins dépendant des prix des terres. Il faudra veiller à ce que, dans le choix des attributaires des biens acquis, la SAFER respecte l'ordre du schéma directeur des structures et que priorité soit donnée aux jeunes en phase d'installation.

Quant à l'article 14, relatif à l'installation et à la transmission, on constate malheureusement que de moins en moins de jeunes s'installent, faute de pouvoir dégager un revenu permettant de faire vivre une famille. Le revenu est en effet le premier frein à l'installation. Les mesures proposées comportent néanmoins des avancées, comme l'installation progressive, la garantie d'une couverture sociale et l'ouverture de l'agriculture aux contrats de génération.

D'autres mesures devraient être prises et, même si elles sont d'ordre réglementaire, il nous semble important de vous en faire part.

Partant du constat que 40 % des installations ont lieu hors du cadre de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), nous proposons une DJA de base égale à 50 % du montant actuel, dont bénéficieraient tous les nouveaux installés, et une DJA majorée qui viendrait compléter le dispositif pour les nouveaux installés respectant les critères définis aujourd'hui.

Compte tenu par ailleurs du fait que le revenu est un frein à l'installation, le MODEF propose que l'État garantisse un revenu équivalent au SMIC sur les cinq premières années, avec une aide compensant l'écart entre le revenu annuel disponible et le SMIC.

Pour financer l'installation, le MODEF propose qu'un prêt à 0 % et plafonné soit accordé, suivant des critères à définir.

Il nous faut également réfléchir aux projets d'installation qui pourraient être portés par les GIEE – auxquels il conviendrait, je le rappelle, que les collectivités territoriales soient associées.

La première rédaction de l'article 17, relatif à la politique de l'alimentation, nous semblait intéressante et ouvrait des perspectives nouvelles en matière de restauration collective, notamment scolaire et universitaire ou dans les établissements de santé. Malheureusement, cet article a été quasiment supprimé et ses grandes lignes ont été incorporées à l'article 1er.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion