À cette époque, j'ai cru, comme tous les représentants de la CGT participant à la discussion, que nous étions parvenus à un accord : qu'après cinq ans d'effort, nous avions réussi, chacun faisant un pas vers l'autre, à trouver une solution pragmatique.
L'accord reposait d'abord sur l'engagement que Titan resterait sur le site. Jusqu'à ce soir, dans votre commission d'enquête, il a surtout été question d'un engagement à ne pas licencier. Il n'était pas question de cela. Pour être également l'avocat des salariés de Continental, qui ont tous été licenciés, je sais bien qu'un tel accord ne sert à rien. Depuis vingt-cinq ans, la jurisprudence de la Cour de cassation est immuable : l'employeur qui manque à sa parole est seulement condamné à verser une indemnité aux salariés.
Ce que nous avons réclamé et obtenu de Titan – en parole – était l'engagement qu'il poursuivrait l'activité sur le site. En cas de défaut, les salariés auraient eu deux recours : demander une réparation financière ou obtenir des juges une injonction. Titan nous a promis qu'il prendrait cet engagement, mais, avant de le formaliser par écrit, il voulait crever l'abcès Goodyear. C'était le deuxième pilier du contrat : il fallait trouver un terrain d'entente pour les salariés qui ne seraient pas repris dans l'agraire.
La CGT a accepté que certains contrats soient rompus. C'était le prix à payer pour poursuivre l'activité industrielle. Certains salariés recevraient un emploi pérenne. Les autres partiraient dans des conditions à déterminer. Nous avons consenti, peut-être par excès d'enthousiasme, à engager la discussion avec Goodyear. Pour fixer par écrit l'engagement de continuer la production, une demi-journée devait suffire, mais il était plus compliqué de négocier le PDV, qui, d'ailleurs, occupe près de cent pages.
Seulement, une fois fixées les conditions du départ de certains salariés, quand nous avons demandé à nos interlocuteurs de discuter de leur engagement à continuer la production, ceux-ci ont feint l'étonnement et nié l'avoir jamais pris. Nous avons donc proposé nous-mêmes une rédaction, au titre de laquelle Titan s'engageait à fabriquer sur le site d'Amiens-Nord un certain pourcentage de sa production européenne, que nous lui laissions le soin de préciser, nous contentant de porter sur le document la mention XXX. Mesure-t-on à quel point notre position était souple ? Il suffisait que M. Taylor s'engage à ne pas délocaliser sa production agraire vers un autre site européen, ce qui ne devait pas le gêner, puisqu'il voulait faire d'Amiens-Nord son centre névralgique en Europe.