Intervention de Luc Chatel

Séance en hémicycle du 5 décembre 2013 à 9h30
Ouverture la nuit des commerces situés dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLuc Chatel, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, à l’heure où nous courons après le moindre point de croissance, où le chômage frappe massivement la population, où la France manque cruellement de compétitivité, il nous semble, avec Nathalie Kosciusko-Morizet et Frédéric Lefebvre et certains de nos collègues du groupe UMP, tout à fait absurde de refuser la possibilité d’une ouverture en soirée à des commerces situés dans une zone d’affluence touristique nocturne, où les clients sont présents, où les salariés sont volontaires, alors même que nos voisins européens ont largement assoupli les horaires d’ouverture de leur commerce, voire la définition du travail de nuit.

Si l’on cherche quelles grandes capitales se trouvent dans la même situation que la nôtre, on constate que ni New York ni Londres, ni Rome ni Madrid ne sont soumises à de telles restrictions. Dans ces deux capitales méditerranéennes, les commerces de détail ont la liberté d’ouvrir vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept et ce depuis 2012, la seule condition exigée pour une telle ouverture à Rome étant l’absence de nuisances pour le voisinage.

À l’heure où se développe plus que jamais le commerce électronique, à l’heure où Amazon est en train de conclure un accord avec la poste américaine pour organiser des livraisons le dimanche ou la nuit, les règles du code du travail français, monsieur le ministre, apparaissent bien archaïques. L’évolution des habitudes de vie, en particulier des citadins, mais aussi l’évolution des modes de consommation qui l’accompagne nous obligent, nous parlementaires, à réfléchir.

Je note d’ailleurs, monsieur le ministre, que le Gouvernement est visiblement prêt à déplacer les curseurs sur ces questions de société, celle-ci ayant évolué sur les relations au travail. Vous avez en effet fait preuve, au début de la semaine, après la remise du rapport de Jean-Paul Bailly, d’une légère ouverture sur la question du travail du dimanche, témoignant ainsi d’une plus grande souplesse.

Monsieur le ministre, nous débattons finalement d’un sujet très proche, puisque nous préconisons la souplesse pour le travail après 21 heures. Nous ne pouvons donc que constater une convergence sur ces deux questions.

Quels sont les événements qui nous ont conduits à déposer cette proposition de loi avec Nathalie Kosciusko-Morizet et Frédéric Lefebvre ? Dans un arrêt rendu le 23 septembre dernier, la cour d’appel de Paris a condamné un grand parfumeur, l’entreprise Sephora, à fermer à 21 heures son magasin situé sur les Champs-Élysées, pour des raisons tenant à la « non justification d’assurer la continuité de l’activité économique » pour ce commerce et ce alors même que celui-ci réalise 23 % de son chiffre d’affaires après 21 heures, compte tenu de spécificités liées à sa clientèle, principalement touristique et étrangère, et à sa localisation, sur la « plus belle avenue du monde », extrêmement fréquentée, presque davantage en soirée qu’en journée.

Que signifie concrètement cette décision de justice ? Qu’aucun commerce de détail ne peut a priori ouvrir ses portes après 21 heures le soir, cette heure étant considérée comme le point de départ des heures de travail de nuit. Si la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique n’a pas été reconnue dans le cas du Sephora des Champs-Élysées, nous considérons qu’il y a peu de chances qu’elle le soit pour d’autres commerces, qu’il s’agisse de commerces similaires ou encore de commerces alimentaires.

C’est donc un changement très important que cette décision de justice, alors que précédemment, en présence d’un accord collectif, le juge n’estimait pas nécessaire d’aller lui-même évaluer cette condition de continuité de l’activité économique. Dès lors, après cet arrêt de la cour d’appel, en présence ou pas d’un accord, ces dispositions d’ordre public doivent être respectées ; la cour estime en outre que, dans le cas d’un commerce de détail, ces conditions ne sont pas réunies. Nous nous trouvons donc face à un problème de taille : celui de la fermeture potentielle de tous les commerces après 21 heures. Cette décision peut ainsi avoir des conséquences désastreuses pour un certain nombre de commerces. Nous connaissons tous, dans certains centres-villes, de manière ciblée, des magasins alimentaires qui peuvent fermer à 22 heures.

Que proposons-nous ? Je le dis d’emblée, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité : cette proposition de loi n’a pas pour objet de libéraliser intégralement le recours au travail de nuit, contrairement à ce que l’on a pu entendre ici ou là ces derniers jours. Il s’agit simplement de revenir sur les situations qui nous apparaissent comme les plus ubuesques sur notre territoire, autrement dit sur ces zones touristiques ou culturelles dans lesquelles on constate un afflux important de touristes ou de personnes en soirée, et dans lesquelles les commerces seraient contraints de baisser les rideaux dès 21 heures.

Notre proposition de loi ne consiste donc qu’à instaurer une modalité de recours dérogatoire au travail de nuit dans ces seules zones du territoire, les « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente ». Je rappelle que ces zones existent déjà juridiquement : leur périmètre en est défini dans le cadre du recours dérogatoire au travail dominical. Dans ces zones, et dans ces zones seulement, les commerces pourraient recourir au travail en soirée, selon une procédure elle aussi déjà éprouvée, autrement dit sur la base d’un arrêté préfectoral et d’une décision administrative qui autoriserait l’ouverture individuelle des commerces en application de cet arrêté.

Nous proposons également qu’un décret fixe les amplitudes maximales d’ouverture qui pourraient être autorisées dans ce cadre. Il ne s’agit pas d’autoriser des commerces à ouvrir toute la nuit : en toute rigueur, les commerces alimentaires pourraient par exemple ouvrir jusqu’à 22 heures, d’autres commerces jusqu’à minuit.

Le recours au travail de nuit dans ce cadre continuerait de passer par les modalités applicables aujourd’hui de plein droit, à savoir la conclusion d’un accord collectif. Le cas échéant, en l’absence d’un tel accord, il est proposé que la mise en place du travail de nuit se fasse par décision unilatérale de l’employeur approuvée par référendum des salariés de l’entreprise. C’est d’ailleurs un vrai sujet car, au-delà de l’interdiction d’ouvrir après 21 heures, se pose la vraie question : celle de la représentation des salariés. Concernant ce magasin Sephora, l’intersyndicale qui a obtenu gain de cause n’est reconnue ni par les salariés du magasin, qui ne l’ont jamais vue, ni par les centrales syndicales dont elle est l’émanation très indirecte. Je note d’ailleurs que les salariés du magasin ont engagé un recours en tierce opposition, jugeant qu’ils ne sont pas représentés par cette intersyndicale.

J’ai également souhaité autant que possible, en tant que rapporteur, améliorer le dispositif initial que nous avions rédigé avec Nathalie Kosciusko-Morizet et Frédéric Lefebvre, à la suite des auditions que nous avons menées et à la suite du débat en commission. J’ai ainsi déposé un certain nombre d’amendements que nous étudierons tout à l’heure, et que je souhaite vous présenter très succinctement.

Je propose tout d’abord de supprimer la condition relative à la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique, dans le cadre de ce recours dérogatoire au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans ces fameuses zones touristiques. Nous pensons en effet que cette notion de continuité de l’activité économique est davantage liée au secteur de l’industrie et à des activités économiques utilisant des machines importantes, qu’il est difficile d’arrêter le soir et de rallumer le matin, plutôt qu’aux activités de service ou surtout aux activités de commerce.

Je souhaite ensuite que, sur le fondement de l’arrêté préfectoral qui délimitera les périmètres des zones touristiques et culturelles, l’autorisation individuelle d’ouverture d’un commerce soit confiée au maire.

De plus, s’agissant de la possibilité de recourir au travail de nuit sur la base d’une décision unilatérale de l’employeur approuvée par référendum, que j’évoquais il y a un instant, je propose que cette décision soit préalablement soumise aux institutions représentatives du personnel et qu’elle comporte obligatoirement le détail des contreparties octroyées aux salariés.

Enfin, et c’est un point qui nous a beaucoup préoccupés, sur ce sujet comme sur la question du travail dominical, se pose la question du volontariat du salarié. C’est une question difficile, d’autant plus difficile dans un contexte de chômage de masse, où la volonté du salarié ou du futur salarié est d’emblée plus contrainte que dans un contexte économique de plein-emploi. Je propose d’aménager une procédure de recueil de l’assentiment du salarié par écrit, procédure qui doit également permettre de protéger les salariés qui refuseraient le travail de nuit et de faciliter le retour au travail de journée pour les salariés qui ont décidé à un moment de travailler la nuit mais qui, pour telle ou telle raison, ne souhaitent plus le faire.

Je souhaite enfin, monsieur le ministre, avant de conclure, rappeler que nous parlons là de « travail de nuit », reprenant ainsi la terminologie actuelle du code du travail, issue des débats de 2001. Je rappelle qu’avant 2001, le travail de nuit était considéré comme tel sur la plage horaire allant de 22 heures à 5 heures. En 2001, l’Assemblée nationale a décidé de passer à la plage horaire allant de 21 heures à 6 heures ; je pense que beaucoup de questions seraient résolues si nous en étions restés aux horaires initiaux.

Je regrette que cette proposition de loi ait été rejetée la semaine dernière par la commission des affaires sociales, sur la base d’arguments qui ne me semblent pas légitimes. Pour conclure, je dirai à l’ensemble de nos collègues que, à mon sens, elle devrait pouvoir recueillir leur adhésion, au-delà des clivages partisans, pour trois raisons.

Premièrement, il s’agit d’une proposition de loi dont le champ est très restreint. Contrairement à ce que j’ai entendu en commission la semaine dernière, il ne s’agit pas de généraliser le recours au travail de nuit, mais d’apporter une réponse à un problème bien ciblé, dans des zones d’activités bien déterminées.

Deuxièmement, il s’agit de notre part de réagir à une urgence : le revirement de jurisprudence opéré par la cour d’appel de Paris risque de provoquer un phénomène de contagion Il fragilise par conséquent un certain nombre de commerces à Paris, dans les grandes villes mais aussi partout en France après 21 heures, ce qui pose difficulté.

Troisièmement, cette proposition de loi ne remet pas en cause le caractère protecteur du travail de nuit pour le salarié – au contraire ! Nous instaurons une rémunération supérieure d’au moins 30 % à la rémunération normalement due pour des horaires de jour, ce qui constitue une vraie avancée sociale pour les travailleurs.

Voilà, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, l’état des réflexions du groupe UMP sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous déposons cette proposition de loi devant vous.

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