Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 5 décembre 2013 à 15h00
Ouverture la nuit des commerces situés dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de sa niche parlementaire, l’UMP nous présente aujourd’hui une proposition de loi concernant l’ouverture des commerces la nuit dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente.

Ce texte arrive à un moment très particulier. Il me semble qu’il traduit davantage une opération de communication qu’une réelle volonté politique d’engager des réformes efficaces et ambitieuses pour l’emploi dans notre pays. Il est vrai que, les élections municipales approchant, nous sommes à un moment propice pour engager des lois de pure circonstance.

Mais revenons au fond, sur le texte lui-même, et ne soyons pas dupes. Sous l’apparence d’un discours bon enfant, cette proposition de loi vise à déstructurer le droit du travail. Les arguments de nos collègues de l’UMP tendent à nous faire croire que cette proposition de loi n’aborde pas la question du travail le dimanche. C’est pourtant bien de cela aussi qu’il s’agit puisque la proposition mentionne le dimanche comme jour potentiellement ouvrable.

Certes, on peut accepter de réfléchir sur un secteur ou une période, et le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste n’est pas fermé au principe. Pour autant, il faut toujours que les droits du salarié soient protégés. Il n’est en effet jamais en position d’égalité avec son employeur. La proposition de loi, à cet égard, n’apporte pas suffisamment de garanties ce qui est, pour nous, source d’inquiétudes.

Le travail de nuit ne peut être envisagé que s’il est réellement avantageux pour le salarié. Ce dernier doit être assuré d’être mieux payé et dédommagé pour ce travail par rapport à des horaires normaux, et ce dans une proportion digne. Il doit également bénéficier d’une protection pour sa sécurité et sa santé.

Or le texte qui nous est proposé ne comprend pas d’aménagement du temps de travail, contrairement à ce qu’on veut bien nous faire croire. Il fixe seulement une valorisation de la rémunération à 30 %, à l’alinéa 2 de l’article 4. Cette faible revalorisation marque en réalité un véritable recul du droit du travail puisque, en plus, on met de côté toute négociation de branche ou d’entreprise. La droite a instauré sous le précédent quinquennat les soldes flottants, elle tente à présent de faire la même chose avec le travail des employés.

Par ailleurs, le texte ne tient pas compte de la question du temps personnel ou encore de l’organisation de la famille et du temps libre disponible, puisque le dimanche reste encore aujourd’hui majoritairement un jour de repos pour la plupart des salariés.

Certes, nous le concédons, nous savons que certains salariés, notamment les jeunes étudiants, estiment que le travail le dimanche est positif pour eux, puisqu’il leur permet de gagner un peu plus d’argent pour arrondir leurs fins de mois en ces temps de crise économique, mais nous devons également garder à l’idée qu’en tant que législateur, nous devons oeuvrer pour préserver l’intérêt général, et non pour résoudre des problématiques conjoncturelles et, par conséquent, ponctuelles.

Le travail de nuit ne contribue pas obligatoirement à augmenter le chiffre d’affaires d’un secteur particulier, aucune étude d’impact n’a pu en tout cas le démontrer. Les Champs-Élysées, ce n’est pas la France. La proposition de loi va en revanche créer une réelle inégalité de traitement entre les petits commerces et les grandes enseignes. Les petits commerces ne vont en effet pas pouvoir ouvrir tard le soir, pour des raisons de logistique ou de ressources humaines.

Pour le groupe des radicaux de gauche et apparentés, le travail de nuit dans certaines zones spécifiques doit continuer à faire l’objet de mesures dérogatoires, il s’agit, pour le travail de nuit, du principe développé par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 octobre 2012 : le travail nocturne doit être l’exception et faire l’objet de mesures dérogatoires.

Cette proposition de loi est gênante également car, comme l’a rappelé le ministre ce matin, une procédure judiciaire est actuellement engagée – il me semble même que la chambre sociale de la cour d’appel doit rendre un nouvel arrêt le 9 décembre, rendu alors même que nous débattons de ces procédures. En tout cas, sur la précédente décision de la cour d’appel, un pourvoi en cassation a été formé et, très sincèrement, je n’ai jamais vu le législateur faire la loi en fonction d’arrêts de chambres sociales de cour d’appel. Si tel était le cas, vu le nombre de ces arrêts, cela donnerait lieu à énormément de textes, qui auraient d’ailleurs beaucoup de mal à être inscrits à l’ordre du jour par M. le ministre chargé des relations avec le Parlement…

Le rapport Bailly qui a été remis au Gouvernement, notamment, à notre ministre radicale de gauche, Sylvia Pinel, ouvre une porte à un assouplissement du travail le dimanche et préconise des pistes afin de sanctuariser le repos dominical tout en permettant une certaine souplesse du travail le dimanche. Ce rapport, important, réaffirme des principes qui vont de pair avec ceux que je viens d’évoquer pour le travail de nuit. Nous souscrivons pleinement aux paroles du Premier ministre, qui a annoncé que, si les choses pouvaient changer, rien ne se ferait tant que la protection et la cohésion sociale ne seraient pas protégées.

En outre, rien ne prouve que l’ouverture nocturne des magasins apporterait le moindre bénéfice économique. Il faut poursuivre la réflexion sur le sujet, qui mérite un débat moins superficiel et qui, j’en suis certain, aura lieu à la remise du rapport Bailly, tant sur le travail dominical que sur le travail de nuit.

Nous préconisons donc d’attendre le projet de loi qui sera, j’en suis sûr, proposé en 2014. C’est la raison pour laquelle le groupe des radicaux de gauche et apparentés ne soutiendra pas ce texte.

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