Intervention de Christophe Sirugue

Séance en hémicycle du 5 décembre 2013 à 15h00
Ouverture la nuit des commerces situés dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Sirugue :

Le rapporteur affirme que le caractère exceptionnel serait respecté parce que le travail nocturne s’exercerait sur des zones délimitées, mais il élude ainsi la nécessité d’une exception dans le temps. L’article L. 3122-32 affirme un principe général d’exception qui englobe la rareté temporelle aussi bien que sectorielle ou géographique, et ces conditions sont non pas alternatives mais cumulatives.

Par ailleurs, l’argument qui consiste à dire qu’une situation économique dégradée exige des ajustements, s’il est valable pour ouvrir jusqu’à vingt-deux heures, le sera aussi pour ouvrir jusqu’à minuit. Admettons que la situation se détériore encore. Allez-vous demander aux salariés de travailler jusqu’à deux heures, trois heures et ainsi de suite, et pourquoi pas jusqu’à six heures du matin ? De même, l’argument qui consiste à dire que l’essor du commerce en ligne exige une adaptation des commerces physiques pourrait conduire à ce que les salariés se relaient pour que les enseignes puissent ouvrir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.

L’esprit de sérieux exige d’acter que la protection des salariés est non pas une variable d’ajustement économique mais une priorité, intangible, et venons-en justement à la deuxième question : cette proposition de loi prend-elle en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ?

M. le rapporteur a vaillamment tenté de colmater les lacunes du texte par quelques amendements, mais il ne répond pas à toutes les questions, qu’il s’agisse du retour au domicile de nuit à la garde des enfants de nuit, des charges insuffisamment couvertes par la majoration salariale de 30 %, ou encore de la pression exercée sur le salarié pour qu’il se déclare volontaire, fût-ce par écrit.

Sur la protection des salariés, je voudrais faire trois observations.

La première, c’est que, comme l’a rappelé Barbara Pompili, le travail nocturne nuit à la santé des travailleurs, ce qui est la raison même de la condition d’exception. Voici ce qu’explique François Édouard, du Conseil économique et social, dans son rapport du 2 juillet 2010 : « À court terme, les principaux effets sur la santé du travail de nuit sont les troubles du sommeil, des troubles digestifs et un déséquilibre nutritionnel. À long terme, le travail prolongé et régulier de nuit a des effets néfastes sur la santé. Si certains de ces effets sont désormais bien établis, d’autres, selon plusieurs études, sont probables tels les risques de cancer. »

Deuxième observation, le rapport de M. Chatel précise qu’il s’agit d’autoriser non pas une ouverture jusqu’à l’aube mais une ouverture prolongée en soirée jusqu’à vingt-deux heures ou minuit. Pourtant, cette proposition de loi, votée en l’état, autoriserait l’ouverture jusqu’à six heures du matin. Est-ce à dire que le législateur, autorisant ainsi une amplitude horaire maximale, s’en remettrait in fine au bon sens des citoyens, qui, bien évidemment, n’utiliseraient de leur plein gré que 30 % de cette autorisation, d’autant plus, et c’est ma dernière observation, que cette proposition de régime totalement dérogatoire au code du travail permettrait de recourir au travail nocturne par décision unilatérale de l’employeur à défaut d’accord collectif ?

On le voit, la protection de la sécurité et de la santé des salariés est fortement mise en cause par cette proposition de loi, bien qu’elle s’en défende par amendement.

Pour finir, venons-en à notre dernière question, ce texte est-il justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ? Pour mémoire, la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique a été érigée en principe parce que l’arrêt des machines la nuit était plus coûteux que leur fonctionnement en continu.

J’en viens à la jurisprudence, notamment la jurisprudence Sephora, qui a motivé ce texte. Tant que les juges se refusaient à interpréter l’impératif économique lorsqu’il était revendiqué, à tort, par des commerces de détail, la droite n’y voyait aucune objection. À présent que la cour d’appel de Paris a rétabli l’application du droit, l’opposition veut tout simplement supprimer ce critère pour les commerces de détail. Outre le fait que légiférer entre une décision en appel et un pourvoi en cassation est pour le moins très discutable, la jurisprudence Sephora a pourtant démontré que le critère d’impératif économique devait servir à distinguer les ouvertures nocturnes légitimes de celles qui ne le sont pas.

L’enseigne allègue que l’ouverture nocturne développe l’activité touristique à Paris. La cour d’appel de Paris répond très clairement que « l’attraction commerciale liée à l’ouverture de nuit de l’établissement ne constitue pas une nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ».

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