Intervention de Jean-Yves Caullet

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Caullet, rapporteur pour avis :

L'avenir nous intéresse tous. L'agriculture et la forêt couvrent une telle proportion de notre territoire que rares sont ceux d'entre nous qui ne sont pas concernés.

Le projet de loi dont nous allons débattre ambitionne de redonner un avenir à notre agriculture, sur des bases renouvelées et avec l'objectif de fournir une alimentation sûre à nos concitoyens et à l'ensemble de la planète. Il en va de même pour son volet forestier. C'est dire que ses ambitions sont vastes et j'ai la conviction que le texte présenté par le Gouvernement répond à ces enjeux, même s'il nous appartient de l'améliorer par nos amendements.

La France est une grande nation agricole et forestière. Elle l'a été dans le passé et l'est encore aujourd'hui. Nous devons mesurer ensemble l'importance stratégique de cette richesse, afin de conserver pour l'avenir notre capacité à disposer d'une production agricole et forestière compétitive et de qualité.

Si la position de la France en matière agricole est encore forte, elle apparaît cependant moins hégémonique qu'elle a pu l'être voilà quelques décennies, et nous ne devons pas l'ignorer. De grands pays émergents, comme le Brésil, voient leur agriculture se développer. Ils disposent de grands espaces par comparaison avec les limites de notre territoire et ont su s'imposer au plan international comme des concurrents de premier plan, sur des marchés qui n'évoluent guère en volume et où leurs parts de marché progressent.

Les difficultés que connaissent certains de nos modèles agricoles, novateurs et très performants jusqu'à la fin des années 1990, en montrent également les limites dans un contexte national et mondial qui a évolué et dont les attentes en termes de produits ont changé.

Concomitamment, les consommateurs, qui ont connu des crises alimentaires telles que celles de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et de la dioxine, se montrent plus soucieux qu'autrefois en matière de qualité, de traçabilité et de sécurité de l'alimentation.

Relever dans ces conditions le défi de la compétitivité consiste donc à « marcher sur ses deux jambes » – cette citation étant, du reste, tout ce que je partage avec son auteur. Il nous faut réinventer un développement de nos systèmes de production qui tire mieux parti d'un environnement respecté, qui utilise la qualité de nos ressources et qui soit capable de puiser dans la recherche et l'innovation et de s'appuyer sur un tissu rural tourné vers de nouvelles sources de valeur ajoutée, afin de nous permettre d'atteindre une double performance économique et environnementale. Quant à la « triple performance » que certains voudraient voir évoquer par cohérence avec les trois piliers du développement durable, en y ajoutant la dimension sociale, il faut souligner que cette dimension, qui est celle des conditions de vie et de rémunération du monde agricole, sous-tend bien évidemment celle de l'économie dans le texte que nous examinons.

Tel est le sens du projet agroécologique porté par ce projet de loi, qui a reçu, comme j'ai pu le constater durant les auditions menées aux côtés de M. Germinal Peiro, rapporteur au fond de la commission des affaires économiques, un accueil globalement favorable. Cette idée d'équilibre entre la performance économique et la performance écologique est en effet un objectif très largement partagé.

Je saisis par ailleurs cette occasion pour remercier M. Germinal Peiro de m'avoir permis de suivre avec lui bon nombre d'auditions, ce qui nous a permis d'éviter un double travail et de partager nos vues sur la plupart des sujets, donnant ainsi plus de poids au travail de notre commission en vue de l'examen du texte au fond par la commission des affaires économiques.

Bien sûr, certaines attentes sont insatisfaites, des impatiences demeurent, la question des moyens financiers reste posée et des inquiétudes s'expriment. Tout cela est très classique dès lors que l'on trace des pistes d'avenir. Il appartiendra à notre débat d'y répondre, au moins en partie. Cependant, dans le contexte budgétaire actuel, le projet de loi ménage des marges de manoeuvre partout où c'est nécessaire et possible. Sans occulter la contrainte financière, je tiens à souligner que l'ensemble des acteurs du monde agricole et forestier attend avec impatience la promulgation de ce texte pour s'en saisir et le mettre en oeuvre au profit du développement de leurs filières respectives.

Tout en rappelant, à la suite du président Chanteguet, que notre commission n'est saisie que d'une partie du texte, je présenterai brièvement son architecture générale.

Le titre préliminaire, qui traite des objectifs de la politique en faveur de l'agriculture, de l'alimentation et de la pêche maritime, est très général et de nature plus politique que juridique. Nous sommes collectivement convenus que, sur cette partie du texte, il n'y avait pas lieu à laisser libre cours à notre imagination, souvent débordante en matière d'amendements. Une dizaine d'amendements rédactionnels seulement seront donc proposés sur un article qui aurait pu en susciter bien davantage, s'il n'avait été aussi bien rédigé.

Le titre Ier, consacré à la performance économique et environnementale des filières agricoles et alimentaires, comprend une mesure phare : la création des « groupements d'intérêt économique et environnemental » (GIEE), destinés à permettre la création d'espaces de projets entre plusieurs exploitations agricoles, qui pourront être ouverts à d'autres partenaires et ne seront assortis d'aucune contrainte particulière d'ordre juridique. C'est un fait nouveau qu'une loi ouvre une possibilité au lieu de normer un processus. Cette démarche suscite certes des questions, mais il faut parfois ouvrir à l'initiative l'organisation de la production agricole et celle de son aval. Il faudra saisir cette occasion pour développer de nouvelles pratiques agricoles, durables et ancrées sur le territoire.

Le texte introduit également une autre mesure importante : la généralisation de la possibilité d'introduire des clauses environnementales dans les baux. Ce point suscitera sans doute un débat technique et juridique, car il s'agit là de l'élargissement d'une possibilité, et non d'une obligation.

Le titre II est consacré à la protection des terres agricoles et au renouvellement des générations, avec une révision du contenu du plan régional de l'agriculture durable, des mécanismes de lutte contre l'artificialisation des terres et de renforcement du rôle des commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA), ainsi que la révision de certaines règles applicables aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) – un sujet extrêmement pointu, mais très important.

Le titre III traite de la politique de l'alimentation et de la performance sanitaire. Cet ensemble très technique est fortement encadré par le droit de l'Union européenne, qui ne nous laisse que peu de latitude au niveau national. J'en retiens les dispositions relatives à la politique publique de l'alimentation, à la traçabilité des animaux et à la protection sanitaire des élevages et de la faune sauvage.

La question de la consommation d'antibiotiques est traitée en renforçant le rôle des vétérinaires dans la lutte contre l'antibiorésistance, avec un plus grand encadrement des pratiques d'utilisation des antibiotiques, sans pour autant mettre en cause la réalité de l'acte vétérinaire dans nos territoires ruraux. Il y avait là un équilibre à trouver et il me semble que le texte est parvenu à un dispositif tout à fait satisfaisant.

La maîtrise des produits phytopharmaceutiques est également recherchée et le texte prévoit – ce qui suscite de nombreuses questions – de transférer à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) les autorisations de mise sur le marché pour les produits phytopharmaceutiques et les matières fertilisantes.

Bien que notre commission ne soit pas saisie du titre IV relatif à l'enseignement agricole, je vous invite tous à participer à sa rédaction. En effet, s'il est un titre du texte qui justifie l'« avenir » invoqué dans le titre du projet de loi, c'est bien celui qui porte sur la formation, la recherche, l'enseignement supérieur, l'enseignement agricole et les liens nécessaires entre ceux-ci pour développer de nouveaux modes de production.

J'ai bien évidemment consacré une attention particulière au titre V du projet de loi, relatif à la forêt. Personne parmi vous ne sera surpris qu'il concentre divers dispositifs que je vous proposerai de soutenir, dont certains reprennent des mesures que je vous avais exposées ici même à la suite de mon rapport sur la forêt et le bois.

Nous connaissons les enjeux économiques, écologiques et sociaux de la forêt française qui, dans son importance et sa diversité, offre un modèle de gestion durable. Ce potentiel énorme est interpellé sous ses trois dimensions par les exigences climatiques et c'est là une occasion pour parvenir à conjuguer la performance économique, indispensable à l'utilisation d'un matériau renouvelable dans notre lutte contre le dérèglement climatique, et la protection et le développement des aménités économiques et environnementales de ce vaste espace de notre pays.

Le texte reconnaît la multifonctionnalité de la forêt et exprime la volonté de la dynamiser sous ses différents aspects. Il faut pour cela des moyens, et la création du Fonds stratégique pour le bois et la forêt répond, à cet égard, à une attente de l'ensemble des professionnels concernés. Ce fonds devra bien entendu être alimenté et je ne doute pas qu'au fil des lois de finances qui se succéderont, nous fassions preuve de responsabilité, de constance et d'imagination pour y parvenir.

Le projet de loi de finances rectificative comporte lui aussi des mesures complémentaires, comme le régime fiscal du compte épargne investissement assurance et la prolongation des dispositifs d'encouragement fiscal à l'investissement (DEFI) forestiers. Il s'agit là d'un ensemble important.

Nous aurons aussi à débattre de la fonctionnalité carbone de la forêt. La vente des quotas carbone, qui est l'une des sources potentielles les plus importantes pour alimenter le fonds stratégique, n'étant pas prévue dans le projet de loi, je vous proposerai des rédactions permettant d'aller aussi loin que possible, compte tenu des contraintes d'élaboration du texte, pour poser des cliquets anti-retour quant à l'utilisation des fonds carbone au bénéfice de la forêt et du bois.

Je passe sur les programmes nationaux et régionaux de la forêt et du bois, qui structureront la politique nationale et la déclineront au niveau régional, en insistant simplement sur le fait qu'ils seront désormais soumis à un débat public propre à mieux faire partager à l'ensemble de la société la multifonctionnalité forestière – car le traitement de cette question ne doit pas s'apparenter à une partie de tir à la corde entre des personnes poursuivant des objectifs différents. La multifonctionnalité est un équilibre qui peut varier en fonction des massifs et des situations, mais qui comporte toujours les dimensions écologique, environnementale, économique et sociale.

Nous devons donner à notre politique forestière les moyens de réussir. Nous devons pour ce faire mobiliser une propriété privée trop morcelée. Le projet de loi crée, en parallèle au secteur agricole, des groupements d'intérêt économique et environnemental forestiers, destinés à faciliter les regroupements. Cette mesure incitative, dont on espère qu'elle mobilisera les acteurs, doit être l'antichambre de la coopération. Quelques amendements permettront de préciser cette fonction.

Je vous proposerai aussi, dans cet ordre d'idées, deux mesures permettant respectivement aux communes et à l'État de jouer un rôle un peu plus actif dans la restructuration du parcellaire forestier.

Enfin, le titre VI, relatif à l'outre-mer, fera l'objet de réflexions spécifiques de Mme Chantal Berthelot, qui a temporairement quitté notre commission. Je ne présenterai donc sur ce thème que quelques amendements relatifs aux aspects forestiers.

Une loi qui touche à l'agriculture et à la forêt a toujours une résonance forte et représente toujours un événement. Il y en a rarement deux dans une même législature. J'ai entendu hier rappeler, lors d'un congrès célébrant le cinquantenaire de la création des centres régionaux de la propriété foncière (CRPF), les conditions d'élaboration de la loi de 1963 qui a créé la dynamique de la propriété forestière privée : il est encourageant de constater que les problèmes ont alors été pris à bras-le-corps et que, si tous n'ont pas été résolus, la forêt française a connu en cinquante ans des évolutions cardinales. C'est ce que je souhaite pour les volets agricole et forestier du texte que nous examinons.

Cinquante ans, ce n'est pas le temps du politique, mais celui de la transformation agricole et forestière : c'est sur la durée que nous devons construire le succès de ce projet de loi et des filières auxquelles il s'intéresse. Le projet est ambitieux. Il le sera plus encore avec les amendements que, je l'espère, nous lui adjoindrons et l'énergie que nous lui consacrerons lui vaudra le succès.

Je vous appelle donc à soutenir ce texte et à lui apporter vos suffrages.

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