Intervention de Virginie Duby-Muller

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller :

La presse est considérée dans nos démocraties comme un « quatrième pouvoir ». Ce rôle s'est d'ailleurs accru ces dernières années tant « les journalistes d'investigation gagnent en audace, en efficacité et en audience », ainsi que vous le rappelez, monsieur le rapporteur. Toutefois, les dernières mutations technologiques ont rendu plus difficile une protection fiable des sources des journalistes. Or, dans une société démocratique, les journalistes doivent pouvoir assurer la confidentialité de l'origine de leurs informations, qui est un gage indispensable du respect de la liberté d'information.

La loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes a constitué un progrès notable. On lui doit le principe de la protection du secret des sources, sauf impératif prépondérant d'intérêt public, la définition de la notion d'atteinte au secret des sources et, en cas d'atteinte, la nécessité d'une action « strictement nécessaire et proportionnée », reprise dans le projet de loi que nous examinons.

Force est de reconnaître que la loi s'est révélée difficile à appliquer, ce qui a occasionné la publication d'une circulaire et nourri une jurisprudence sur l'esprit de la loi. Ainsi, dans une circulaire du 20 janvier 2010, la chancellerie rappelle l'exigence de proportionnalité entre l'atteinte au secret et l'infraction poursuivie : des perquisitions visant à découvrir les sources d'un journaliste se justifient, par exemple, pour des faits de terrorisme, et non pour des faits de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel. De même, dans son arrêt du 6 décembre 2011, prononcé à l'occasion de l'affaire dite des fadettes du Monde, le quotidien ayant publié le résultat d'une perquisition chez Mme Bettencourt, la Cour de cassation a annulé des réquisitions adressées à des opérateurs de téléphonie par le procureur, qui cherchait à découvrir les sources de journalistes concernés, jugeant qu'une telle atteinte au secret des sources n'était justifiée par aucun impératif prépondérant.

Je ne peux donc, au nom du groupe UMP, que saluer certaines des avancées de ce texte, notamment l'extension de la protection de la loi aux collaborateurs de la rédaction et la restriction des situations justifiant une atteinte au secret des sources. Néanmoins, ce texte comporte une limite de taille, dans la mesure où la protection prévue par l'article 2 tombe si l'affaire instruite porte atteinte "aux intérêts fondamentaux de la nation". Cette notion est manifestement trop floue puisque, selon la définition qu'en donne l'article 410-1 du code pénal, elle recouvre une grande partie des centres d'intérêt des journalistes.

L'interdiction de la condamnation d'un journaliste pour délit de recel pose également question. Il semble contradictoire de renforcer la protection du secret des sources des journalistes, notamment en restreignant les cas justifiant une atteinte à ce secret, tout en leur garantissant par ailleurs une forme d'impunité. En effet, ils ne pourraient plus être condamnés pour recel en cas de publication de documents provenant du secret de l'instruction, du secret professionnel ou d'une atteinte à la vie privée. S'inspirant de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme, le texte brandit comme unique garde-fou « l'intérêt général », qui légitimerait la publication visée. Or, c'est une notion définitivement floue, insuffisamment protectrice du secret de l'instruction ou du secret professionnel. Doit-on comprendre que le secret des sources des journalistes passe avant le secret de l'instruction, le secret professionnel, le respect de la vie privée, et que, par voie de conséquence, le secret de l'instruction n'a plus de sens ?

L'introduction du juge des libertés dans le dispositif en cas de procédure pénale est tout aussi problématique. L'étude d'impact insiste sur le fait que subordonner toute enquête et les actes qui lui seraient liés à une autorisation par ordonnance motivée du juge des libertés constituerait une protection maximale. Toutefois, au-delà de cet argument, l'exposé des motifs ne dit rien de l'impact réel de l'introduction du juge des libertés dans le dispositif. On sait pourtant qu'elle ne sera pas sans conséquence sur l'avancée des enquêtes. Elle apparaît même contraire à l'efficacité pourtant essentielle s'agissant d'enquêtes sur des faits susceptibles de constituer une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la nation. Pourquoi estimer ainsi que le procureur ou le juge d'instruction sont incapables de respecter la loi, au point de rendre nécessaire l'intervention d'un juge extérieur à l'enquête ?

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