Intervention de Régis Juanico

Réunion du 5 décembre 2013 à 11h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico, rapporteur :

La première partie de notre rapport est consacrée à la gouvernance des politiques de jeunesse.

Compte tenu de l'ampleur du sujet, nous avons décidé de concentrer nos travaux sur un nombre limité de dispositifs, à certaines étapes clés du parcours d'un jeune.

Concernant tout d'abord le système éducatif, qui constitue pour les jeunes issus de milieux modestes une première chance de s'élever socialement par leur travail et leurs compétences, nous nous sommes principalement intéressés à l'orientation, aux filières professionnelles et aux actions de lutte contre le décrochage. Nous avons par ailleurs examiné le rôle des acteurs et l'efficacité des dispositifs visant à favoriser l'accès des jeunes à l'autonomie ainsi que l'insertion professionnelle des jeunes peu ou pas qualifiés. Quelles que soient les difficultés qu'ils ont pu rencontrer dans leur parcours scolaire, ces jeunes doivent avoir des possibilités effectives de rebondir et de saisir des « deuxièmes chances », tout au long de leur parcours.

Il s'agissait ainsi non seulement de permettre au système éducatif de contribuer plus efficacement à l'égalité des chances, mais aussi de veiller à ce que l'école ne soit pas la seule voie de mobilité sociale, afin de ne pas figer précocement les destins et de soutenir la construction de parcours de progression sociale pour et avec les jeunes – une expression que nous devrions reprendre dans le titre définitif de notre rapport.

Lever les freins à la mobilité sociale suppose toutefois, au préalable, de réformer la gouvernance des politiques destinées aux jeunes, afin de mieux fédérer les énergies, d'améliorer le pilotage et de renforcer l'efficacité, l'efficience et la cohérence de l'action publique.

La mobilité sociale, objet de notre évaluation, désigne le passage des individus d'une position sociale à une autre. Nous nous sommes principalement fondés sur l'analyse de la mobilité intergénérationnelle, qui en constitue la mesure la plus précise et permet de suivre les évolutions de la société française sur une longue période. Cette notion compare la catégorie socioprofessionnelle occupée par les adultes au milieu de leur parcours professionnel, vers quarante ans, à celle à laquelle appartenait leur père. Tel est l'objet de l'enquête dite FQP, sur la formation et la qualification professionnelle, dont la dernière date de 2003, la prochaine devant paraître en 2014. Dans quelles conditions les individus peuvent-ils effectivement cheminer dans l'espace social et s'élever au-dessus de la condition de leurs parents ?

Nous avons approfondi l'analyse en prenant aussi en considération l'évolution de la structure des emplois – la mobilité structurelle, à distinguer de la mobilité nette – et les changements de catégorie socioprofessionnelle au cours de la carrière, par l'étude de ce que l'on appelle la mobilité professionnelle.

La première partie du rapport comporte une analyse approfondie de la mobilité sociale des jeunes et de ses freins, ainsi que des spécificités du système français. Sans y revenir en détail, soulignons que le modèle français présente incontestablement des atouts à valoriser, liés en particulier à son dynamisme démographique. Les jeunes de 16 à 25 ans représentent environ 13 % de la population française, ce qui nous place au deuxième rang européen, derrière l'Irlande et devant de nombreux pays voisins, dont l'Allemagne. C'est un formidable atout pour l'avenir.

La reproduction des inégalités sociales reste toutefois marquée. Ainsi, selon l'enquête FQP de 2003, 52 % des hommes de 40 à 59 ans fils de cadres supérieurs étaient eux-mêmes cadres supérieurs, contre 10 % seulement des fils d'ouvriers du même âge, et 46 % des fils d'ouvriers étaient eux-mêmes ouvriers. En somme, on observe aux deux extrémités de l'échelle sociale un puissant déterminisme social et une faible mobilité sociale nette. Chiffre révélateur, on ne comptait en 2003 que 6 % de fils d'ouvriers en classes préparatoires aux grandes écoles, ce qui confirme que les jeunes générations sont confrontées à des pannes prolongées de l'ascenseur social.

On observe également une faible mobilité horizontale ou professionnelle : les parcours restent assez linéaires, dominés par le modèle qui veut que l'on se forme d'abord, que l'on travaille ensuite, et par la place démesurée accordée au diplôme obtenu à l'issue de la formation initiale. Au Danemark, par exemple, il est beaucoup plus fréquent de travailler ou de faire des césures pendant ses études, ou encore de revenir en formation au cours de la carrière professionnelle.

Bref, notre système éducatif occupe une place centrale dans les destins sociaux. Si la célèbre formule de Bourdieu, selon laquelle « l'école transforme ceux qui héritent en ceux qui méritent », paraît excessive au regard de la réelle démocratisation de l'accès aux diplômes dans le secondaire et le supérieur, les comparaisons internationales montrent que le système éducatif conduit à l'échec scolaire et à la précarité une grande partie des élèves moyens ou faibles issus de familles modestes. La toute dernière enquête PISA souligne ainsi que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée en France que dans la plupart des pays de l'OCDE. La forte différenciation sociale des performances des élèves est illustrée par deux phénomènes : le recul des résultats scolaires dans l'éducation prioritaire, qui affecte notamment la maîtrise des compétences de base en fin de CM2 et en fin de troisième, et l'accès au bac des enfants des catégories socialement défavorisées ; la spécialisation socio-économique des filières de l'enseignement secondaire, la voie professionnelle étant de plus en plus réservée aux enfants d'inactifs et d'ouvriers non qualifiés – ce qui peut accréditer l'image de l'école comme « machine à trier » la jeunesse, pour reprendre le titre d'un ouvrage publié récemment par plusieurs sociologues.

Les politiques publiques en faveur des jeunes bénéficient de moyens importants, environ 80 milliards d'euros pour les seuls crédits d'État. Mais l'on peut se demander si leur performance n'est pas affaiblie par le foisonnement des acteurs et l'empilement des dispositifs, insuffisamment ciblés sur les jeunes qui connaissent les plus grandes difficultés d'insertion. Plus de 80 dispositifs de la politique de l'emploi ont ainsi visé les jeunes depuis 1977.

Par ailleurs, un pilotage performant de l'action publique suppose de pouvoir s'appuyer sur une analyse robuste de l'efficacité et de l'efficience des différents leviers susceptibles d'être mobilisés : les objectifs fixés ont-ils été atteints, et à quel coût ? Or, en dépit de progrès réels dans certains domaines, l'efficacité des différents dispositifs apparaît inégale et insuffisamment évaluée. C'est par exemple le cas en matière d'orientation.

Il est donc nécessaire d'adapter les compétences des acteurs et de déployer les outils nécessaires, au niveau national et territorial, pour assurer une conception, une mise en oeuvre et une évaluation efficaces des politiques publiques en faveur de la jeunesse.

À cette fin, nous proposons de mieux associer les principaux acteurs et parties prenantes, en particulier les jeunes, à la conception et au suivi des politiques, en créant un Conseil d'orientation des politiques de jeunesse associant représentants de l'État, partenaires sociaux, collectivités territoriales, associations et mouvements de jeunes, en lien avec l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, l'INJEP. Nous préconisons également d'assurer une représentation et une participation effective des jeunes au sein de tous les dispositifs qui les concernent, notamment en renforçant leur présence dans les conseils d'administration des missions locales et des centres de formation d'apprentis, ainsi que dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.

Nous proposons enfin de créer trois portails à l'intention des jeunes, qui y accéderaient sur un mode numérique mais seraient assurés, s'ils le demandent, de pouvoir entrer en contact « humain » avec un professionnel chargé d'amorcer l'accompagnement. Le premier portail permettrait d'orienter les jeunes vers les acteurs chargés de les informer et de gérer leurs droits ; il serait construit à partir du réseau information jeunesse existant et intégrerait le service public de l'orientation, dont la déclinaison régionale fait actuellement l'objet de huit expérimentations. Le deuxième, construit à partir des missions locales, serait consacré à l'accompagnement des jeunes peu qualifiés. Le troisième favoriserait la mobilité géographique, nationale et internationale, et regrouperait les opérateurs concernés : l'Agence Europe-Éducation-Formation France (A2E2F) et l'Agence du service civique (ASC).

Plusieurs politiques publiques lancées à partir de 2008 et 2009 ont été évaluées grâce au Fonds d'appui aux expérimentations en faveur des jeunes, le FEJ. Il faudrait tirer les conséquences de certaines expérimentations menées dans les territoires, en particulier la « Mallette des parents », qui permet d'associer davantage les parents à l'éducation de leurs enfants en sixième et en troisième, et une expérimentation sur l'accès au permis de conduire.

La gouvernance des politiques d'insertion et de formation est aujourd'hui partagée entre l'État, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux, lesquels ont signé en 2011 les « accords nationaux interprofessionnels (ANI) jeunes », bon modèle de négociation. Il nous semble d'ailleurs que l'emploi des jeunes devrait devenir un thème régulier de la négociation collective, au niveau interprofessionnel comme au sein des branches et des entreprises.

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