Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Réunion du 5 décembre 2013 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures cinq.

Le Comité examine le rapport de M. Régis Juanico et de M. Jean-Frédéric Poisson sur l'évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes.

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Nous allons aujourd'hui examiner le rapport d'évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, réalisé à la demande du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC). Nos deux rapporteurs sont Régis Juanico, pour la majorité, et Jean-Frédéric Poisson, pour l'opposition. Le groupe de travail désigné par les commissions était composé de Sandrine Doucet, Virginie Duby-Muller, Jean-Patrick Gille, Michel Piron et Sylvie Tolmont.

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Je présenterai d'abord la méthode et le cadre général de notre travail.

La question qui nous a été posée par le Comité, à l'initiative du groupe SRC, était simple : comment se fait-il que la France, qui consacre chaque année près de 85 milliards d'euros aux politiques en direction des jeunes, se caractérise par un ascenseur social sinon en panne, du moins très grippé ?

Face à un problème aussi vaste, nous avons dû choisir des angles d'attaque. Nous avons d'abord décidé de ne pas procéder à un audit de l'Éducation nationale, préférant nous concentrer sur le problème de la mobilité sociale, c'est-à-dire sur la possibilité offerte aux jeunes de voir leur sort personnel s'améliorer par rapport à celui des générations précédentes, ce qui soulève la question de leur accès à l'autonomie et de ses moyens.

Les services de l'Assemblée, que je remercie de leur travail et de leurs efforts, nous ont d'abord fourni une note de cadrage, après quoi nous est venue l'idée saugrenue de leur demander une liste des dispositifs d'aide à l'autonomie des jeunes ainsi qu'une fiche de synthèse. Un premier jet a permis d'énumérer 37 dispositifs différents, répartis entre 11 ministères, mais, dans un second temps, ce sont 42 mécanismes qui ont été identifiés. Il a semblé préférable d'arrêter là les recherches, de peur de voir encore apparaître des dispositifs supplémentaires ! Nous ne sommes donc même pas sûrs que la liste à laquelle nous sommes parvenus soit exhaustive. Dès lors, il est peu probable que l'on puisse trouver une seule personne qui connaisse tous ces dispositifs et leur fonctionnement ; à supposer même que ce soit le cas, il n'est pas certain qu'elle puisse aider efficacement un jeune à repérer parmi eux celui qui lui convient.

En somme, et sans mettre en cause la bonne volonté des acteurs, non seulement l'on dépense une somme considérable pour une efficacité réduite, mais le système est d'une terrible complexité, typiquement française en ce qu'elle résulte d'un empilement de dispositifs. Nous avons donc travaillé dans deux directions, cherchant d'une part à optimiser l'utilisation des ressources très importantes mises à la disposition des jeunes, d'autre part à clarifier, simplifier, rationaliser autant que possible l'organisation des différentes aides.

À cette fin, nous avons entendu plus d'une centaine de personnes au cours de 31 auditions et tables rondes. Nous nous sommes rendus à Copenhague et à Berlin, en Rhône-Alpes et en Bretagne. Nous avons adressé des questionnaires à plusieurs ministères ainsi qu'à Pôle emploi. Les questeurs de l'Assemblée nous ont autorisés à commander à KPMGEuréval une étude spécifique portant sur différents territoires et fondée sur un cahier des charges détaillé. Les nombreux acteurs que nous avons rencontrés sur le terrain ont en commun une détermination absolue, qui leur permet de faire des miracles avec des bouts de ficelle, dans un complet désert réglementaire : ils expérimentent de tous côtés, probablement sans que l'on en sache grand-chose au plus haut niveau de l'État. L'intérêt de leur démarche nous a incités à encourager l'expérimentation dans notre rapport.

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La première partie de notre rapport est consacrée à la gouvernance des politiques de jeunesse.

Compte tenu de l'ampleur du sujet, nous avons décidé de concentrer nos travaux sur un nombre limité de dispositifs, à certaines étapes clés du parcours d'un jeune.

Concernant tout d'abord le système éducatif, qui constitue pour les jeunes issus de milieux modestes une première chance de s'élever socialement par leur travail et leurs compétences, nous nous sommes principalement intéressés à l'orientation, aux filières professionnelles et aux actions de lutte contre le décrochage. Nous avons par ailleurs examiné le rôle des acteurs et l'efficacité des dispositifs visant à favoriser l'accès des jeunes à l'autonomie ainsi que l'insertion professionnelle des jeunes peu ou pas qualifiés. Quelles que soient les difficultés qu'ils ont pu rencontrer dans leur parcours scolaire, ces jeunes doivent avoir des possibilités effectives de rebondir et de saisir des « deuxièmes chances », tout au long de leur parcours.

Il s'agissait ainsi non seulement de permettre au système éducatif de contribuer plus efficacement à l'égalité des chances, mais aussi de veiller à ce que l'école ne soit pas la seule voie de mobilité sociale, afin de ne pas figer précocement les destins et de soutenir la construction de parcours de progression sociale pour et avec les jeunes – une expression que nous devrions reprendre dans le titre définitif de notre rapport.

Lever les freins à la mobilité sociale suppose toutefois, au préalable, de réformer la gouvernance des politiques destinées aux jeunes, afin de mieux fédérer les énergies, d'améliorer le pilotage et de renforcer l'efficacité, l'efficience et la cohérence de l'action publique.

La mobilité sociale, objet de notre évaluation, désigne le passage des individus d'une position sociale à une autre. Nous nous sommes principalement fondés sur l'analyse de la mobilité intergénérationnelle, qui en constitue la mesure la plus précise et permet de suivre les évolutions de la société française sur une longue période. Cette notion compare la catégorie socioprofessionnelle occupée par les adultes au milieu de leur parcours professionnel, vers quarante ans, à celle à laquelle appartenait leur père. Tel est l'objet de l'enquête dite FQP, sur la formation et la qualification professionnelle, dont la dernière date de 2003, la prochaine devant paraître en 2014. Dans quelles conditions les individus peuvent-ils effectivement cheminer dans l'espace social et s'élever au-dessus de la condition de leurs parents ?

Nous avons approfondi l'analyse en prenant aussi en considération l'évolution de la structure des emplois – la mobilité structurelle, à distinguer de la mobilité nette – et les changements de catégorie socioprofessionnelle au cours de la carrière, par l'étude de ce que l'on appelle la mobilité professionnelle.

La première partie du rapport comporte une analyse approfondie de la mobilité sociale des jeunes et de ses freins, ainsi que des spécificités du système français. Sans y revenir en détail, soulignons que le modèle français présente incontestablement des atouts à valoriser, liés en particulier à son dynamisme démographique. Les jeunes de 16 à 25 ans représentent environ 13 % de la population française, ce qui nous place au deuxième rang européen, derrière l'Irlande et devant de nombreux pays voisins, dont l'Allemagne. C'est un formidable atout pour l'avenir.

La reproduction des inégalités sociales reste toutefois marquée. Ainsi, selon l'enquête FQP de 2003, 52 % des hommes de 40 à 59 ans fils de cadres supérieurs étaient eux-mêmes cadres supérieurs, contre 10 % seulement des fils d'ouvriers du même âge, et 46 % des fils d'ouvriers étaient eux-mêmes ouvriers. En somme, on observe aux deux extrémités de l'échelle sociale un puissant déterminisme social et une faible mobilité sociale nette. Chiffre révélateur, on ne comptait en 2003 que 6 % de fils d'ouvriers en classes préparatoires aux grandes écoles, ce qui confirme que les jeunes générations sont confrontées à des pannes prolongées de l'ascenseur social.

On observe également une faible mobilité horizontale ou professionnelle : les parcours restent assez linéaires, dominés par le modèle qui veut que l'on se forme d'abord, que l'on travaille ensuite, et par la place démesurée accordée au diplôme obtenu à l'issue de la formation initiale. Au Danemark, par exemple, il est beaucoup plus fréquent de travailler ou de faire des césures pendant ses études, ou encore de revenir en formation au cours de la carrière professionnelle.

Bref, notre système éducatif occupe une place centrale dans les destins sociaux. Si la célèbre formule de Bourdieu, selon laquelle « l'école transforme ceux qui héritent en ceux qui méritent », paraît excessive au regard de la réelle démocratisation de l'accès aux diplômes dans le secondaire et le supérieur, les comparaisons internationales montrent que le système éducatif conduit à l'échec scolaire et à la précarité une grande partie des élèves moyens ou faibles issus de familles modestes. La toute dernière enquête PISA souligne ainsi que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée en France que dans la plupart des pays de l'OCDE. La forte différenciation sociale des performances des élèves est illustrée par deux phénomènes : le recul des résultats scolaires dans l'éducation prioritaire, qui affecte notamment la maîtrise des compétences de base en fin de CM2 et en fin de troisième, et l'accès au bac des enfants des catégories socialement défavorisées ; la spécialisation socio-économique des filières de l'enseignement secondaire, la voie professionnelle étant de plus en plus réservée aux enfants d'inactifs et d'ouvriers non qualifiés – ce qui peut accréditer l'image de l'école comme « machine à trier » la jeunesse, pour reprendre le titre d'un ouvrage publié récemment par plusieurs sociologues.

Les politiques publiques en faveur des jeunes bénéficient de moyens importants, environ 80 milliards d'euros pour les seuls crédits d'État. Mais l'on peut se demander si leur performance n'est pas affaiblie par le foisonnement des acteurs et l'empilement des dispositifs, insuffisamment ciblés sur les jeunes qui connaissent les plus grandes difficultés d'insertion. Plus de 80 dispositifs de la politique de l'emploi ont ainsi visé les jeunes depuis 1977.

Par ailleurs, un pilotage performant de l'action publique suppose de pouvoir s'appuyer sur une analyse robuste de l'efficacité et de l'efficience des différents leviers susceptibles d'être mobilisés : les objectifs fixés ont-ils été atteints, et à quel coût ? Or, en dépit de progrès réels dans certains domaines, l'efficacité des différents dispositifs apparaît inégale et insuffisamment évaluée. C'est par exemple le cas en matière d'orientation.

Il est donc nécessaire d'adapter les compétences des acteurs et de déployer les outils nécessaires, au niveau national et territorial, pour assurer une conception, une mise en oeuvre et une évaluation efficaces des politiques publiques en faveur de la jeunesse.

À cette fin, nous proposons de mieux associer les principaux acteurs et parties prenantes, en particulier les jeunes, à la conception et au suivi des politiques, en créant un Conseil d'orientation des politiques de jeunesse associant représentants de l'État, partenaires sociaux, collectivités territoriales, associations et mouvements de jeunes, en lien avec l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, l'INJEP. Nous préconisons également d'assurer une représentation et une participation effective des jeunes au sein de tous les dispositifs qui les concernent, notamment en renforçant leur présence dans les conseils d'administration des missions locales et des centres de formation d'apprentis, ainsi que dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.

Nous proposons enfin de créer trois portails à l'intention des jeunes, qui y accéderaient sur un mode numérique mais seraient assurés, s'ils le demandent, de pouvoir entrer en contact « humain » avec un professionnel chargé d'amorcer l'accompagnement. Le premier portail permettrait d'orienter les jeunes vers les acteurs chargés de les informer et de gérer leurs droits ; il serait construit à partir du réseau information jeunesse existant et intégrerait le service public de l'orientation, dont la déclinaison régionale fait actuellement l'objet de huit expérimentations. Le deuxième, construit à partir des missions locales, serait consacré à l'accompagnement des jeunes peu qualifiés. Le troisième favoriserait la mobilité géographique, nationale et internationale, et regrouperait les opérateurs concernés : l'Agence Europe-Éducation-Formation France (A2E2F) et l'Agence du service civique (ASC).

Plusieurs politiques publiques lancées à partir de 2008 et 2009 ont été évaluées grâce au Fonds d'appui aux expérimentations en faveur des jeunes, le FEJ. Il faudrait tirer les conséquences de certaines expérimentations menées dans les territoires, en particulier la « Mallette des parents », qui permet d'associer davantage les parents à l'éducation de leurs enfants en sixième et en troisième, et une expérimentation sur l'accès au permis de conduire.

La gouvernance des politiques d'insertion et de formation est aujourd'hui partagée entre l'État, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux, lesquels ont signé en 2011 les « accords nationaux interprofessionnels (ANI) jeunes », bon modèle de négociation. Il nous semble d'ailleurs que l'emploi des jeunes devrait devenir un thème régulier de la négociation collective, au niveau interprofessionnel comme au sein des branches et des entreprises.

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Pour vous convaincre de la nécessité d'optimiser, de simplifier et de clarifier le système actuel, il vous suffit, mes chers collègues, de consulter le schéma extrêmement complexe de la gouvernance des politiques d'emploi et d'insertion qui figure dans notre rapport.

Nous proposons de conforter l'échelon régional, selon une démarche déjà entamée et par contractualisation avec l'État, les missions locales et d'autres partenaires – la liste que nous dressons n'étant pas exhaustive. Car tant qu'il n'y aura pas un seul pilote dans l'avion, nous ne sortirons pas de cette organisation, si incompréhensible que l'on ne peut que douter de son efficacité.

Nous souhaitons pousser le plus loin possible la contractualisation permise par le code général des collectivités territoriales, en encourageant les régions à passer des conventions d'objectifs avec l'État et les missions locales – associées à notre travail dès l'origine, notamment par l'intermédiaire de Jean-Patrick Gille, président de l'Union nationle des missions locales.

J'en viens à l'orientation et à l'offre de formation, objet de la deuxième partie du rapport. Il nous est apparu nécessaire d'abord d'accompagner les jeunes, ensuite de renforcer les filières professionnelles, en particulier l'apprentissage, enfin de renforcer les dispositifs de seconde chance et de lutte contre le décrochage scolaire.

Quelle que soit la difficulté à laquelle sont confrontés les jeunes, quels que soient le lieu où ils vivent, leur âge, leurs intentions, il est absolument nécessaire de les accompagner pour développer leur autonomie. L'accompagnement individualisé – par exemple par l'intermédiaire du maître d'apprentissage, ou de l'enseignant qui aide les lycéens à s'acclimater à l'Université pour faciliter la transition entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur – n'est qu'une modalité parmi d'autres de cette démarche. Elle peut débuter très tôt, par l'élaboration dès la sixième d'un parcours individualisé de découverte des métiers et des formations (PDMF). En effet, plus tôt les collégiens sont familiarisés avec l'environnement économique, la diversité des métiers, le fonctionnement des entreprises, plus ils feront preuve de discernement dans leur orientation.

Nous souhaitons également diversifier l'offre scolaire en faveur des élèves en difficulté ou dont le projet personnel requiert une attention particulière. Cela confirme la nécessité, sur laquelle s'accordent nos interlocuteurs, d'introduire de la souplesse dans le fonctionnement actuel des collèges.

Nous proposons enfin de favoriser l'articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, sur le modèle de l'expérience menée dans un lycée de Rennes, où les élèves de terminale peuvent suivre, pendant le temps d'accompagnement scolaire, des cours en première année de faculté de sciences et commencer à valider des crédits ECTS (european credits transfer system). Sans bouleverser l'ordre pédagogique, un élève de terminale scientifique peut par exemple suivre un cours d'histoire de la cosmologie à l'Université. Les lycéens prennent ainsi de l'avance sur leur cursus, se familiarisent avec un nouvel environnement et trouvent les moyens de s'y adapter.

Pour faciliter ensuite le parcours universitaire, il faut que tous ceux qui doivent être accompagnés puissent l'être, que ce soit par les « Cordées de la réussite » – tutorat assuré par des établissements d'enseignement supérieur et destiné à des collégiens issus de milieux modestes ou de quartiers prioritaires –, par des dispositifs destinés aux étudiants titulaires d'un bac professionnel ou en renforçant les bureaux d'aide à l'insertion professionnelles (BAIP) des universités, notamment par le biais, là encore, d'une contractualisation entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur sur ces sujets d'intérêt général.

S'agissant des filières professionnelles, nous n'avons évidemment rien contre l'apprentissage mais il y a manifestement beaucoup à faire dans ce domaine. L'objectif affiché de 500 000 apprentis en 2017 doit être atteint. Il faut favoriser les passerelles entre les lycées professionnels et les CFA, toujours par la voie de l'expérimentation et de la contractualisation car les situations sont très variables d'un département ou d'une ville à l'autre. Il importe enfin de lever les freins objectifs à l'apprentissage, circonstanciels, sociaux, structurels ou éducatifs, qui résultent des difficultés à se loger, à obtenir le permis de conduire et de l'insuffisante maîtrise des fondamentaux scolaires.

Le décrochage scolaire, dont nous avons notamment débattu dans l'hémicycle à propos du projet de loi de refondation de l'école, concerne 120 000 à 150 000 jeunes, ce qui est de toute façon beaucoup trop. Nous préconisons d'accroître les moyens alloués à la lutte contre ce phénomène, et notamment aux plateformes d'aide et de suivi aux décrocheurs, en travaillant avec les acteurs de terrain et dans le cadre de partenariats, car à la terrible complexité du système s'ajoute un cloisonnement néfaste entre les opérateurs. Nous suggérons également d'utiliser les ressources de l'éducation nationale, dont les places vacantes dans les lycées professionnels, et d'améliorer la couverture du territoire par les écoles de la deuxième chance. D'une manière générale, nous invitons les pouvoirs publics à poursuivre de manière plus offensive l'objectif de « raccrochage », de retour des décrocheurs en formation.

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Venons-en à l'accès des jeunes à l'emploi et à l'autonomie. Le taux de chômage des jeunes non diplômés atteint 40 % trois ans après la fin de leurs études, contre 10 à 11 % pour les diplômés de l'enseignement supérieur. À nos yeux, la lutte contre ce décrochage et le « raccrochage » doivent être la première priorité des pouvoirs publics, qu'ils passent par l'Éducation nationale ou par les dispositifs de deuxième chance ; dans les deux cas, il faut intervenir très vite après seize ans. Il ne suffit pas d'attendre de l'Éducation nationale qu'elle « raccroche » 20 000 jeunes par an : il faut être beaucoup plus ambitieux. Jean-Frédéric Poisson a cité plusieurs pistes pour y parvenir.

Le taux d'emploi des jeunes de 15 à 24 ans place la France à la remorque de l'Europe : il est inférieur de plus de quatre points à la moyenne de l'Union européenne. Cette spécificité française s'explique notamment par la durée des études, ainsi que par la rareté et la forte précarité du travail étudiant. Notre système de transition vers l'âge adulte pose ainsi un véritable problème politique.

Les missions locales proposent aux jeunes un accompagnement global, plutôt apprécié des bénéficiaires – comme cela ressort de l'enquête réalisée par KPMG –, mais qui montre ses limites. Ainsi, le taux d'encadrement est aujourd'hui d'un conseiller pour 100 jeunes environ et les disparités territoriales peuvent être significatives. Nous préconisons donc de renforcer les moyens du service public de l'emploi, notamment ceux qui sont alloués aux jeunes les moins diplômés, en augmentant les dotations aux missions locales – selon une évolution entamée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 – et en encourageant les bonnes pratiques expérimentées au sein des missions locales : le parrainage, les réseaux tissés avec les entreprises, la détection des jeunes en difficulté. Il faut améliorer en parallèle et en contrepartie l'évaluation et le pilotage des missions locales dans le cadre du dialogue de gestion avec l'État. Jean-Patrick Gille nous confirmera sans doute qu'en la matière, on peut faire mieux.

Nous souhaitons favoriser l'accès à la qualification et mieux valoriser les compétences acquises, grâce à des parcours moins linéaires. Pour permettre aux jeunes, en particulier aux moins diplômés et aux anciens décrocheurs, d'accéder plus facilement à la qualification tout au long de leur parcours, nous formulons cette importante proposition : instituer une garantie d'accès à la formation et à la qualification par la création d'un droit de tirage, dans le cadre du compte personnel de formation dont les modalités de vont être précisées par la loi sur la formation professionnelle. C'est aux partenaires sociaux d'en discuter, mais l'on pourrait par exemple imaginer qu'un jeune qui quitte le système scolaire à seize ans obtienne des crédits équivalents à quatre ans de droit à la formation ou à la qualification, qu'il pourrait utiliser immédiatement.

Parce que l'amélioration de la qualification passe aussi par la reconnaissance de l'expérience et des compétences acquises, il faut simplifier la validation des acquis de l'expérience, qui reste un véritable parcours du combattant, améliorer l'information et l'accompagnement, et mieux reconnaître les compétences non formelles.

Nous souhaitons également conforter le rôle du service civique pour favoriser la mobilité sociale des jeunes, en poursuivant sa montée en charge afin d'accroître le nombre d'offres combinant service civique et formation à l'intention des décrocheurs scolaires, ainsi que le nombre de volontaires non bacheliers, qui représentent aujourd'hui 25 à 30 % des volontaires. Je le dis en tant que rapporteur spécial des crédits du sport, de la jeunesse et de la vie associative, il faudra sans doute diversifier le financement du service civique, qui doit reposer sur l'ensemble des ministères concernés – dont le ministère de l'éducation nationale –afin de respecter l'objectif présidentiel de 100 000 jeunes volontaires à la fin du quinquennat, contre 25 000 seulement aujourd'hui et peut-être 30 000 l'an prochain.

Nous formulons ensuite plusieurs recommandations visant à soutenir l'emploi étudiant dans des conditions compatibles avec la réussite scolaire, notamment en aménageant les horaires, et nous confions aux partenaires sociaux le soin d'ouvrir une négociation sur le sujet.

Nous préconisons enfin de mieux valoriser les compétences non académiques au cours de la formation initiale.

S'agissant de l'autonomie des jeunes, nous montrons que ces derniers sont plus touchés que les autres par la pauvreté et la précarité. Leur taux de pauvreté avoisine 25 %, deux fois plus que dans la population moyenne, et, à 23 ans, le taux d'emploi en CDI ne dépasse pas 33 %. Au cours des trois années suivant la sortie de formation, la durée moyenne d'emploi des jeunes reste très faible et il leur faut attendre environ cinq ans, quel que soit leur diplôme, pour obtenir un emploi stable. Nous devons résoudre ce problème spécifiquement français de la transition vers l'âge adulte.

L'un des points forts de notre rapport est notre approche du problème du logement. Ce problème concerne en particulier les jeunes qui, n'étant pas en formation initiale, relèvent du droit commun en ce qui concerne les aides au logement. Les 25-29 ans consacrent 19 % de leurs ressources au financement de leur logement, soit près du double du taux d'effort consenti toutes classes d'âge confondues. Entre 1984 et 2006, le taux d'effort net pour le logement a augmenté de 10 points pour les moins de 25 ans, et de 6 points pour les 25-29 ans ; sur la même période, ces taux n'ont augmenté que de 1,5 point pour l'ensemble de la population. Pourtant, d'importants moyens sont mobilisés : au total, le système d'aides à l'autonomie représente 5 à 5,5 milliards d'euros si l'on additionne les allocations de logement aux étudiants – 1,3 milliard d'euros, pour 700 000 étudiants bénéficiaires –, la demi-part fiscale liée au rattachement des jeunes de moins de 25 ans au foyer de leurs parents – 2,2 milliards d'euros, pour 1,8 million de foyers bénéficiaires – et les bourses sur critères sociaux – 1,8 milliard d'euros pour près de 500 000 boursiers. Si l'on représente par un graphique les effets redistributifs cumulés de ces trois aides, l'on constate que la répartition de leur montant par décile de revenus présente une courbe en U : les bourses sur critères sociaux vont aux catégories les plus défavorisées, les aides fiscales – demi-part, déduction de la pension alimentaire – aux catégories les plus favorisées, et les classes moyennes bénéficient très peu de l'ensemble des aides au regard de leur poids dans la population.

Pour mieux financer l'autonomie, nous préconisons de compléter les aides au logement par un « supplément jeunes » ouvert aux allocataires de 18 à 25 ans ayant achevé leur formation initiale et de prévoir un pourcentage d'attribution des logements sociaux aux jeunes, en veillant à la construction de logements adaptés permettant une colocation institutionnalisée, car la proportion de jeunes qui accèdent au parc de logements sociaux est très faible au regard de la part de la population totale qu'ils représentent. Nous proposons également de réformer les aides fiscales allouées aux parents d'étudiants afin que les aides au financement des études – aides fiscales, bourses et allocations de logement – augmentent en fonction des charges supportées par la famille et diminuent avec la hausse de ses revenus. Nous fixons un objectif volontariste de 50 % d'étudiants boursiers, contre 35 % aujourd'hui, et souhaitons que soit maintenu le dispositif de récompense des étudiants particulièrement méritants. Je songe aux bourses attribuées aux bacheliers ou aux licenciés qui ont obtenu des mentions bien ou très bien, un temps menacées alors qu'elles contribuent à la méritocratie et à la mobilité sociale des jeunes.

Enfin, pour lever un frein à l'accès à l'emploi ou à la formation et, plus largement, à l'autonomie, nous proposons de simplifier le permis de conduire en relançant la conduite accompagnée, notamment pour les apprentis dans les entreprises, et en adaptant la durée de la formation pratique aux aptitudes de chaque candidat. Nous souhaitons également que la transparence soit faite sur les taux de réussite propres à chaque école de conduite. En outre, il convient à nos yeux d'anticiper la formation théorique dans le cadre scolaire, en particulier auprès des conducteurs de « deux roues », à partir de quatorze ans. Enfin, il importe de mieux cibler les aides financières au permis de conduire, dont les effets positifs sont attestés s'agissant de la réussite à l'examen et de l'acquisition d'un véhicule, mais non de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Au terme de ces travaux passionnants, nous mesurons l'ampleur de la tâche qui nous attend pour relancer l'ascenseur social, défi majeur pour l'action publique. Il faudrait sans doute une dizaine de séances pour détailler toutes nos propositions ; je me contenterai pour conclure de reprendre la formule du sociologue Camille Peugny : « Dans une démocratie moderne, un enfant doit pouvoir faire sa vie avec d'autres cartes que celles qu'il a trouvées dans son berceau ».

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Merci pour ce rapport très intéressant, qui révèle un aspect essentiel des blocages de notre société et mériterait d'être inscrit à l'ordre du jour d'une prochaine semaine de contrôle.

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Je salue moi aussi la qualité et la précision de ce rapport ; il ouvre des pistes qu'il serait en effet intéressant de prolonger.

Je suis un peu surprise qu'il ne soit pas question d'inclure le monde économique – chambres de commerce, de métiers, etc. – dans le service public de l'orientation, qu'il ne suffit pas de régionaliser.

Les missions locales constituent un relais identifié sur lequel nous devons pouvoir nous appuyer, mais elles devraient être plus présentes sur le terrain afin de mieux connaître le public, au lieu d'attendre que celui-ci vienne à elles.

Les Canadiens, qui ont beaucoup travaillé sur ce que nous appelons le décrochage scolaire, préfèrent désormais l'expression, moins dévalorisante, de « persévérance scolaire ». Cessons de parler d'enfant en difficulté ou d'enfant décrocheur : pour différentes raisons – sociales, économiques, etc. –, le parcours d'un enfant est ce qu'il est, et nous devons l'accompagner.

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Je remercie nos deux rapporteurs, qui ouvrent de nombreuses pistes, pour la plupart très intéressantes, et nous éclairent sur la complexité et l'illisibilité de notre système au regard des moyens qui lui sont alloués et des attentes qu'il suscite.

Je suis d'accord avec ma collègue. Vous partez fort logiquement des problèmes des jeunes pour proposer des solutions, mais il faudrait aussi mieux identifier les besoins des entreprises et leurs perspectives d'évolution sur un territoire donné afin d'en tenir compte dans l'orientation des jeunes. Les missions locales, qui s'occupent surtout d'organiser des séminaires, des ateliers et des conférences, devraient également y contribuer.

Vous avez montré la complexité du système et l'enchevêtrement des acteurs – État, département, région, missions locales, intercommunalité parfois. Ne faudrait-il pas assumer un chef de file clair, susceptible d'arbitrer, de supprimer des dispositifs, d'en développer d'autres ? Qu'elle soit située au niveau régional, comme vous le proposez, ou à un autre échelon, cette autorité est indispensable.

L'idée d'un crédit de formation souple et valable à long terme me paraît excellente.

Quant au permis de conduire, c'est le nombre insuffisant d'inspecteurs qui explique son coût et les délais d'attente avant l'examen. Je propose donc que les organismes certificateurs privés viennent en renfort des inspecteurs, ce qui permettrait de passer un permis probatoire pour le prix d'une heure de conduite.

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On ne trouve plus aujourd'hui de maîtres d'apprentissage, de sorte que des jeunes restent privés de lieu d'accueil. L'accompagnement dont vous parlez devrait d'ailleurs être étendu aux employeurs.

Au cours de la jeunesse, qui n'est pas une période homogène, le moment charnière me semble se situer entre seize et dix-huit ans. Or vous parlez beaucoup des études, de l'insertion professionnelle, mais guère de la famille, alors que les difficultés d'un jeune peuvent être liées à son milieu familial, par exemple lorsqu'il a vu ses parents perdre leur emploi ou recourir eux aussi aux services sociaux. Les services du conseil général, qui accompagnent les familles, ne devraient-ils pas être associés aux démarches que vous préconisez ? Avez-vous étudié spécifiquement la tranche d'âge des seize à dix-huit ans, notamment du point de vue de l'action des missions locales ?

Sur ces dernières, je serai plus indulgente que mes collègues. J'ai pu constater que c'est à cet échelon que s'opère le lien entre accompagnement professionnel et accompagnement social. Ainsi, un jeune en contrat d'insertion dans la vie sociale bénéficie du tutorat d'un agent de la mission locale, et son employeur, évalué, est plus impliqué. Il est donc légitime de donner plus de moyens aux missions locales.

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Je suis de plus en plus persuadé que le contrôle est l'avenir du travail parlementaire. La faible affluence de nos collègues ce matin doit nous inciter à réfléchir à la composition et au fonctionnement du Comité. Il n'est en tout cas pas question que nous en restions là sur un sujet d'une telle importance.

Malgré les conclusions du rapport PISA, l'école de la République fait son travail, et le fait toujours aussi bien, mais pour une partie seulement de la population et de nos territoires. Soyons clairs : pour les enfants pauvres, elle ne fonctionne pas, ou pas de la même manière. Le travail entrepris par Jean Pisani-Ferry sur ce que sera la France dans dix ans confirme que cette question est essentielle. Notre modèle républicain qui, comme le montrent tous les sondages, continue de séduire mais dont nos jeunes, en particulier, se sentent exclus, parviendra-t-il à se ressourcer ? À la différence d'autres politiques publiques, celle-ci, vous l'avez dit, ne manque pas d'argent. Or bon nombre de nos compatriotes ne rejettent pas le service public, mais ils veulent en avoir pour leur argent ; dans ce domaine, le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas le cas.

On parle d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, mais les promotions dans les universités – sauf à Sciences Po – comptent toujours le même nombre d'étudiants, alors qu'aux États-Unis, pour tenir compte de la démocratisation de l'enseignement supérieur, on a multiplié par quatre le nombre de jeunes accueillis à l'Université. C'est donc toute la chaîne qu'il faut repenser.

Il en va de même de notre modèle d'intégration, à la lumière des discriminations. C'est non pas par racisme, mais par facilité que bien des chefs d'entreprise cherchent à reproduire la « souche ». Dans les quartiers, les discriminations visent les enfants de pauvres, y compris lorsqu'ils sont issus de familles ultramarines par exemple, qui sont françaises depuis très longtemps – bien plus longtemps que ma propre famille ! Nous devons mettre des mots sur leurs souffrances car, n'étant pas évoqués, ils peuvent avoir l'impression de ne pas exister.

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Notre rapport part d'un constat et d'un choix de méthode. Le constat, le voici : il y a trente ans, il était possible de faire des études à l'Université et de se payer un logement à Paris grâce à un petit boulot. En gagnant deux tiers du SMIC de l'époque, soit entre 2 000 et 3 000 francs, et en payant 600 à 800 francs de loyer mensuel pour une chambre de bonne, c'était faisable. Aujourd'hui, c'est impossible. Les étudiants ne peuvent donc accéder à l'autonomie sans aides. Voilà pourquoi nous proposons d'accroître les moyens qui permettent de financer ces aides. Voilà aussi pourquoi nous souhaitons que les partenaires sociaux négocient sur les conditions d'emploi des étudiants : aujourd'hui, il n'y a guère que McDonald's pour leur proposer un cadre adapté à leur situation. C'est donc sur le processus d'acquisition de l'autonomie, qui consiste à quitter sa famille et à entrer dans l'âge adulte, que nous nous sommes concentrés ; raison pour laquelle nous ne parlons pas davantage de la famille.

En ce qui concerne la place du monde économique, nous encourageons à développer les partenariats partout où cela est possible. Les différentes expériences que nous avons observées, où qu'elles soient menées, ne fonctionnent que lorsque les responsables de la formation des jeunes sont en contact avec le monde économique, soit parce qu'ils en viennent, soit parce qu'ils ont compris qu'il était avantageux d'en comprendre le fonctionnement. C'est aussi le cas de certaines équipes d'enseignants, même si elles ne sont pas aujourd'hui majoritaires. Dès lors, le monde économique est présent dans toutes nos propositions : l'élaboration du PDMF au collège, la découverte par les collégiens et les lycéens de l'éventail des métiers disponibles, la familiarisation des enseignants et des formateurs avec ce monde, etc.

À nos yeux, l'échelle pertinente pour le dialogue et la gestion est sans aucun doute la région, du point de vue stratégique et organisationnel. Mais pour nous, qui sommes deux fervents défenseurs du dialogue social territorial, ce niveau de pilotage doit être complété par l'échelon des bassins d'emploi, où les interlocuteurs naturels sont les partenaires sociaux. Ce dialogue social territorial inclut par définition les maisons de l'emploi lorsqu'elles sont présentes, donc les missions locales ; là où il existe une mission locale mais pas de maison de l'emploi, les acteurs du réseau sont généralement très actifs et disposés à conclure des partenariats spontanés. Le pilotage doit donc s'opérer à deux niveaux : la région, garante de la cohérence territoriale et capable de soutenir financièrement des dispositifs complexes en attendant leur simplification ; les acteurs sociaux du territoire, qui, connaissant le bassin d'emploi, peuvent définir de manière pertinente les aides, leurs bénéficiaires et le calendrier opportun. En d'autres termes, il faudra intégrer un volet territorial aux futurs textes sur le dialogue social, puisque les partenaires sociaux ne proposent pas spontanément de ce genre de dispositif.

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Le Comité doit pouvoir faire vivre les rapports qui lui sont présentés, très denses, très riches en propositions qui concernent de nombreux ministères et missions budgétaires, et que nous n'avons pas le loisir d'approfondir aujourd'hui. Ainsi, dans notre rapport, nous préconisons une meilleure couverture territoriale des écoles de la deuxième chance, que nous jugeons efficaces, et une augmentation du nombre de leurs bénéficiaires, mais nous nous interrogeons sur le coût des centres de l'Établissement public d'insertion par la défense (EPIDE) et leurs résultats, le tout sans avoir pu procéder à une analyse détaillée. Voilà pourquoi nous proposons que les dispositifs de la deuxième chance soient inscrits au programme de travail de la modernisation de l'action publique (MAP).

S'agissant de l'orientation et de l'ouverture à l'environnement économique et professionnel, nous insistons fortement sur la nécessité de diversifier, au sein du collège unique, l'offre scolaire destinée aux élèves le plus en difficulté. À cette fin, nous pourrions nous inspirer des nombreuses expériences réussies un peu partout en France : les classes relais, qui permettent de récupérer les élèves décrocheurs dès la sixième ou la cinquième ; les troisièmes alternatives, qui réunissent en troisième les élèves en difficulté, auxquels sont proposés un encadrement et un accompagnement spécifiques. Sur ce sujet également, on pourrait aller plus loin.

Il est d'autres questions cruciales que nous n'avons pas pu étudier en détail : l'ouverture des droits sociaux aux jeunes dès dix-huit ans, sur le modèle d'autres pays dont le Danemark ; l'ouverture sociale des grandes écoles ; l'accès à la santé ; les discriminations ; les effets de la carte scolaire sur la mixité sociale dans certains collèges. Nous espérons que ces différents sujets pourront être approfondis dans le cadre du CEC, des missions d'information parlementaires ou des missions MAP du Gouvernement.

S'agissant de l'apprentissage, le nombre de contrats de niveau V recule alors qu'il augmente aux niveaux I et II. Ce phénomène s'explique en grande partie par la crise économique qui a débuté en 2008, les TPE hésitant à recruter des apprentis à cause de la conjoncture, mais aussi par l'évolution des besoins. Nous invitons donc les pouvoirs publics non seulement à respecter l'objectif de 500 000 contrats d'apprentissage en 2017, mais à rééquilibrer leur répartition en faveur du niveau V et à lever les freins que constituent les problèmes de double logement, l'accès au permis de conduire et l'illettrisme, lequel ne concerne pas moins de 30 % des apprentis dans le bâtiment, contre 4,5 % pour l'ensemble des jeunes.

Enfin, les missions locales doivent être confortées dans le cadre d'un pilotage régional, ce qui implique qu'elles s'équipent de nouveaux outils au niveau de l'union régionale et qu'elles dialoguent avec les services de l'État et les conseillers régionaux. Il faut simplifier les dispositifs existants, beaucoup trop nombreux. Nous proposons donc à tous les jeunes concernés une base, le contrat de réussite, qui constituerait une aide unique à l'insertion professionnelle, mais permettrait aussi de proposer des prestations personnalisées, s'appuyant sur le point fort des missions locales : leur ancrage territorial et leur connaissance des jeunes. La garantie jeunes, qui est en cours d'expérimentation, pourrait faire partie de ces prestations personnalisées.

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Je salue ce vaste travail qu'il faudrait prolonger et dont j'approuve les conclusions. J'aimerais que l'enquête KPMG qui l'a nourri soit directement accessible.

La réflexion sur la gouvernance et l'organisation est en train de mûrir. Je défends pour ma part le projet d'un Conseil national de l'insertion des jeunes, qui ressusciterait la délégation interministérielle supprimée en 2002. Nous avons d'un côté un conseil des missions locales, de l'autre des dispositifs de la deuxième chance, mais la dimension interministérielle a disparu ; bref, il nous manque un instrument de pilotage des politiques destinées à la jeunesse – priorité du Gouvernement – qui réunirait les ministères et les régions, déjà responsables de la formation.

Le pilotage doit également s'exercer au niveau local, à l'échelle du bassin d'emploi. Nous en avons parlé lors du débat budgétaire à propos des maisons de l'emploi. Au-delà de l'aspect financier, qui va mettre en oeuvre ce pilotage, discuter avec les entreprises ? Les partenaires sociaux auxquels en appelait Jean-Frédéric Poisson ne sont pas organisés au niveau du bassin d'emploi ; ils l'étaient au niveau de la région, mais la réforme de Pôle emploi les a en quelque sorte « débarqués ». Quoi qu'il en soit, le débat est presque mûr sur cette question transpartisane qui touche à la décentralisation.

Sur ces questions, il faut tenir compte de la spécificité de la région parisienne, liée à l'ampleur des flux et de l'offre. Paradoxalement, les missions locales franciliennes sont sous-dotées. Elles sont aussi plus difficiles à coordonner dans une région qui ne compte pas moins de 80 bassins d'emploi. L'hésitation entre pilotage départemental et pilotage régional est donc récurrente.

Tous sont désormais conscients de la nécessité de ne pas multiplier les dispositifs. La garantie jeunes, qui est plus qu'une expérimentation, en prend acte : cette solution de compromis bien française, qui, sans étendre le bénéfice du RSA aux moins de dix-huit ans, leur assure un revenu équivalent à condition qu'ils s'engagent dans un processus d'insertion, est aussi une manière de réunir les différents dispositifs existants en un seul.

Le droit à une deuxième chance, autre enjeu majeur à propos duquel nous pouvons également progresser dans les mois qui viennent, s'appuie sur les écoles de la deuxième chance, assez structurées, dotées de leur propre processus de labellisation, et d'initiative locale, ce qui explique les disparités territoriales. Le compte personnel de formation donnera son contenu à ce droit déjà inscrit dans la loi. Encore faut-il que ses bénéficiaires y croient. Alors même que des expérimentations très intéressantes sont menées, que de nombreux dispositifs existent, les jeunes en apprentissage sont persuadés que leur destin est joué à quinze ou seize ans.

Faut-il accorder immédiatement quatre ans de droit à la formation ? Je défends en tout cas l'idée, suggérée par le Livre vert de Martin Hirsch sur la jeunesse, d'une obligation de former jusqu'à dix-huit ans, sur le modèle de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans ; ou d'une obligation de garantir l'accès au premier niveau de qualification, sans lequel il est impossible de s'en sortir dans le monde du travail.

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Je remercie et je félicite les rapporteurs pour ce travail très complet, qui confirme la complexité des dispositifs existants comme de la vie des jeunes dans tous ses aspects – études, emploi, logement.

Les jeunes sont-ils ou non disposés à la mobilité géographique ?

Peut-on établir un lien entre le maintien des seniors dans l'emploi et les délais d'accès des jeunes au marché du travail ?

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Je rappelle à Jean-Patrick Gille qu'il y a aussi des zones rurales en Île-de-France ! La mission locale de Rambouillet ne compte pas moins de neuf circonscriptions rurales. La zone de Rambouillet ressemble bien plus à Sainte-Maure-de-Touraine, cher Jean-Patrick Gille, ou à Sassenage, cher Michel Issindou, qu'à La Plaine Saint-Denis ou à Pantin, monsieur le président ! Notre mission locale est plus proche de celles de Rodez ou de Mende que de celles de la région parisienne.

S'agissant de la mobilité géographique, il y a bien un blocage : certains jeunes ont du mal à sortir de leur quartier, sans même parler de leur ville ou de leur département, à cause de problèmes matériels de transport ou de logement, mais tout aussi souvent, voire davantage, pour des raisons culturelles, par manque de confiance en soi, par sentiment de relégation – autant de raisons bien réelles même si elles sont difficiles à comprendre de l'extérieur.

Les Allemands cherchent actuellement à attirer chez eux les jeunes Européens, en particulier d'Europe du Sud – Espagne, Portugal, Grèce et, dans une moindre mesure, Italie –, pour qu'ils y achèvent leur apprentissage. Les jeunes Allemands eux-mêmes ne voient rien à y redire, car la mobilité géographique est pour eux assez naturelle. Également sollicités, les Français répondent en revanche moins favorablement que les autres.

Ce blocage a également été souligné par les professionnels de l'insertion que nous avons rencontrés à Saint-Étienne.

Quant au lien entre le maintien des seniors dans l'emploi et les difficultés des jeunes à accéder au marché du travail, nous n'avons pas d'éléments à apporter dans le cadre du présent travail.

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Je remercie les rapporteurs. Mes chers collègues, sauf objection, je vous propose d'autoriser la publication du rapport.

Le Comité autorise la publication du rapport sur l'évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.