Intervention de Régis Juanico

Réunion du 5 décembre 2013 à 11h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico, rapporteur :

Venons-en à l'accès des jeunes à l'emploi et à l'autonomie. Le taux de chômage des jeunes non diplômés atteint 40 % trois ans après la fin de leurs études, contre 10 à 11 % pour les diplômés de l'enseignement supérieur. À nos yeux, la lutte contre ce décrochage et le « raccrochage » doivent être la première priorité des pouvoirs publics, qu'ils passent par l'Éducation nationale ou par les dispositifs de deuxième chance ; dans les deux cas, il faut intervenir très vite après seize ans. Il ne suffit pas d'attendre de l'Éducation nationale qu'elle « raccroche » 20 000 jeunes par an : il faut être beaucoup plus ambitieux. Jean-Frédéric Poisson a cité plusieurs pistes pour y parvenir.

Le taux d'emploi des jeunes de 15 à 24 ans place la France à la remorque de l'Europe : il est inférieur de plus de quatre points à la moyenne de l'Union européenne. Cette spécificité française s'explique notamment par la durée des études, ainsi que par la rareté et la forte précarité du travail étudiant. Notre système de transition vers l'âge adulte pose ainsi un véritable problème politique.

Les missions locales proposent aux jeunes un accompagnement global, plutôt apprécié des bénéficiaires – comme cela ressort de l'enquête réalisée par KPMG –, mais qui montre ses limites. Ainsi, le taux d'encadrement est aujourd'hui d'un conseiller pour 100 jeunes environ et les disparités territoriales peuvent être significatives. Nous préconisons donc de renforcer les moyens du service public de l'emploi, notamment ceux qui sont alloués aux jeunes les moins diplômés, en augmentant les dotations aux missions locales – selon une évolution entamée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 – et en encourageant les bonnes pratiques expérimentées au sein des missions locales : le parrainage, les réseaux tissés avec les entreprises, la détection des jeunes en difficulté. Il faut améliorer en parallèle et en contrepartie l'évaluation et le pilotage des missions locales dans le cadre du dialogue de gestion avec l'État. Jean-Patrick Gille nous confirmera sans doute qu'en la matière, on peut faire mieux.

Nous souhaitons favoriser l'accès à la qualification et mieux valoriser les compétences acquises, grâce à des parcours moins linéaires. Pour permettre aux jeunes, en particulier aux moins diplômés et aux anciens décrocheurs, d'accéder plus facilement à la qualification tout au long de leur parcours, nous formulons cette importante proposition : instituer une garantie d'accès à la formation et à la qualification par la création d'un droit de tirage, dans le cadre du compte personnel de formation dont les modalités de vont être précisées par la loi sur la formation professionnelle. C'est aux partenaires sociaux d'en discuter, mais l'on pourrait par exemple imaginer qu'un jeune qui quitte le système scolaire à seize ans obtienne des crédits équivalents à quatre ans de droit à la formation ou à la qualification, qu'il pourrait utiliser immédiatement.

Parce que l'amélioration de la qualification passe aussi par la reconnaissance de l'expérience et des compétences acquises, il faut simplifier la validation des acquis de l'expérience, qui reste un véritable parcours du combattant, améliorer l'information et l'accompagnement, et mieux reconnaître les compétences non formelles.

Nous souhaitons également conforter le rôle du service civique pour favoriser la mobilité sociale des jeunes, en poursuivant sa montée en charge afin d'accroître le nombre d'offres combinant service civique et formation à l'intention des décrocheurs scolaires, ainsi que le nombre de volontaires non bacheliers, qui représentent aujourd'hui 25 à 30 % des volontaires. Je le dis en tant que rapporteur spécial des crédits du sport, de la jeunesse et de la vie associative, il faudra sans doute diversifier le financement du service civique, qui doit reposer sur l'ensemble des ministères concernés – dont le ministère de l'éducation nationale –afin de respecter l'objectif présidentiel de 100 000 jeunes volontaires à la fin du quinquennat, contre 25 000 seulement aujourd'hui et peut-être 30 000 l'an prochain.

Nous formulons ensuite plusieurs recommandations visant à soutenir l'emploi étudiant dans des conditions compatibles avec la réussite scolaire, notamment en aménageant les horaires, et nous confions aux partenaires sociaux le soin d'ouvrir une négociation sur le sujet.

Nous préconisons enfin de mieux valoriser les compétences non académiques au cours de la formation initiale.

S'agissant de l'autonomie des jeunes, nous montrons que ces derniers sont plus touchés que les autres par la pauvreté et la précarité. Leur taux de pauvreté avoisine 25 %, deux fois plus que dans la population moyenne, et, à 23 ans, le taux d'emploi en CDI ne dépasse pas 33 %. Au cours des trois années suivant la sortie de formation, la durée moyenne d'emploi des jeunes reste très faible et il leur faut attendre environ cinq ans, quel que soit leur diplôme, pour obtenir un emploi stable. Nous devons résoudre ce problème spécifiquement français de la transition vers l'âge adulte.

L'un des points forts de notre rapport est notre approche du problème du logement. Ce problème concerne en particulier les jeunes qui, n'étant pas en formation initiale, relèvent du droit commun en ce qui concerne les aides au logement. Les 25-29 ans consacrent 19 % de leurs ressources au financement de leur logement, soit près du double du taux d'effort consenti toutes classes d'âge confondues. Entre 1984 et 2006, le taux d'effort net pour le logement a augmenté de 10 points pour les moins de 25 ans, et de 6 points pour les 25-29 ans ; sur la même période, ces taux n'ont augmenté que de 1,5 point pour l'ensemble de la population. Pourtant, d'importants moyens sont mobilisés : au total, le système d'aides à l'autonomie représente 5 à 5,5 milliards d'euros si l'on additionne les allocations de logement aux étudiants – 1,3 milliard d'euros, pour 700 000 étudiants bénéficiaires –, la demi-part fiscale liée au rattachement des jeunes de moins de 25 ans au foyer de leurs parents – 2,2 milliards d'euros, pour 1,8 million de foyers bénéficiaires – et les bourses sur critères sociaux – 1,8 milliard d'euros pour près de 500 000 boursiers. Si l'on représente par un graphique les effets redistributifs cumulés de ces trois aides, l'on constate que la répartition de leur montant par décile de revenus présente une courbe en U : les bourses sur critères sociaux vont aux catégories les plus défavorisées, les aides fiscales – demi-part, déduction de la pension alimentaire – aux catégories les plus favorisées, et les classes moyennes bénéficient très peu de l'ensemble des aides au regard de leur poids dans la population.

Pour mieux financer l'autonomie, nous préconisons de compléter les aides au logement par un « supplément jeunes » ouvert aux allocataires de 18 à 25 ans ayant achevé leur formation initiale et de prévoir un pourcentage d'attribution des logements sociaux aux jeunes, en veillant à la construction de logements adaptés permettant une colocation institutionnalisée, car la proportion de jeunes qui accèdent au parc de logements sociaux est très faible au regard de la part de la population totale qu'ils représentent. Nous proposons également de réformer les aides fiscales allouées aux parents d'étudiants afin que les aides au financement des études – aides fiscales, bourses et allocations de logement – augmentent en fonction des charges supportées par la famille et diminuent avec la hausse de ses revenus. Nous fixons un objectif volontariste de 50 % d'étudiants boursiers, contre 35 % aujourd'hui, et souhaitons que soit maintenu le dispositif de récompense des étudiants particulièrement méritants. Je songe aux bourses attribuées aux bacheliers ou aux licenciés qui ont obtenu des mentions bien ou très bien, un temps menacées alors qu'elles contribuent à la méritocratie et à la mobilité sociale des jeunes.

Enfin, pour lever un frein à l'accès à l'emploi ou à la formation et, plus largement, à l'autonomie, nous proposons de simplifier le permis de conduire en relançant la conduite accompagnée, notamment pour les apprentis dans les entreprises, et en adaptant la durée de la formation pratique aux aptitudes de chaque candidat. Nous souhaitons également que la transparence soit faite sur les taux de réussite propres à chaque école de conduite. En outre, il convient à nos yeux d'anticiper la formation théorique dans le cadre scolaire, en particulier auprès des conducteurs de « deux roues », à partir de quatorze ans. Enfin, il importe de mieux cibler les aides financières au permis de conduire, dont les effets positifs sont attestés s'agissant de la réussite à l'examen et de l'acquisition d'un véhicule, mais non de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Au terme de ces travaux passionnants, nous mesurons l'ampleur de la tâche qui nous attend pour relancer l'ascenseur social, défi majeur pour l'action publique. Il faudrait sans doute une dizaine de séances pour détailler toutes nos propositions ; je me contenterai pour conclure de reprendre la formule du sociologue Camille Peugny : « Dans une démocratie moderne, un enfant doit pouvoir faire sa vie avec d'autres cartes que celles qu'il a trouvées dans son berceau ».

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