Intervention de Arnaud Danjean

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Arnaud Danjean, président de la sous-commission « Sécurité et défense » du Parlement europée :

Je vous remercie de l'invitation à cette audition conjointe – format particulièrement intéressant. Nous avons l'occasion de rencontrer des parlementaires nationaux dans le cadre d'exercices formels organisés par chaque présidence tournante – ainsi l'année dernière à Chypre et cette année en Lituanie – et nous disposons d'un mécanisme interparlementaire permettant des échanges, mais les passerelles restent limitées et toutes les occasions de travailler de concert doivent être exploitées.

Notre sous-commission de trente-deux membres, transpartisane et multinationale, produit quatre à six rapports par an. Ces textes n'ont évidemment aucune valeur législative, surtout dans un domaine où les gouvernements sont jaloux de leurs prérogatives. Chaque année se clôt par un rapport consacré à l'état des lieux de la PSDC, où nous essayons d'éviter deux écueils : celui d'une description technique, sans grand intérêt politique, consistant à passer en revue les nombreux mécanismes de la PSDC, et celui d'un énoncé de propositions idéalistes n'ayant aucune chance d'être réalisées. Ce rapport fait donc le point sur la quinzaine de missions et d'opérations déployées sous commandement européen à travers le monde, et souvent mal connues. Or il se trouve que les missions civiles, largement prépondérantes en leur sein, sont financées par le budget communautaire, voté en codécision par le Parlement européen : nous disposons ainsi d'une véritable prise sur ce domaine et nous sommes en contact étroit avec le Comité politique et de sécurité, qui regroupe les vingt-huit ambassadeurs en charge du pilotage politique de ces opérations, et avec les services de Mme Ashton.

À cette occasion, nous formulons également des recommandations et nous essayons d'envoyer un message politique en fonction des échéances ; cette année, notre rapport est ainsi quasi exclusivement consacré à la préparation du Conseil du mois de décembre. J'en assure la rédaction une année sur deux, en alternance avec l'opposition ; Mme Koppa, coordinatrice du groupe social-démocrate au sein de la sous-commission, s'en est chargée cette année. Le débat se passe généralement dans un esprit très constructif, le rapport étant adopté à une large majorité. Le groupe PPE et les socialistes votent généralement pour cependant que le groupe conservateur britannique campe sur une position d'opposition de principe, idéologique, et que le groupe écologiste – je suis désolé de le dire, madame la présidente – s'abstient systématiquement. Nos collègues écologistes allemands – notre sous-commission ne comprend aucun écologiste français –, qui participent pourtant de façon constructive à nos travaux, se sont ainsi abstenus sur le rapport très équilibré et pas spécialement militariste de Mme Koppa, adopté avec plus de 400 voix, dont une centaine d'opposition. Cette position décevante à la veille d'un Conseil qui aurait justifié la recherche d'un consensus le plus large possible apparaît d'autant moins logique que les forces politiques que représentent ces parlementaires font souvent partie des gouvernements nationaux les plus en faveur d'une relance de l'Europe de la défense.

S'agissant de vos questions, ne nous leurrons pas : dans le domaine de la défense, les gouvernements des États membres restent maîtres des décisions. Le Conseil s'inspirera pour l'essentiel du rapport très complet de la Haute représentante et de la communication de la Commission européenne, préparée par les commissaires Michel Barnier et Antonio Tajani. Contrairement aux rumeurs, la Commission ne s'arroge dans son document aucune prérogative indue et n'empiète aucunement sur le pilotage des opérations : elle s'en tient strictement au domaine de la politique industrielle. On a suffisamment déploré son manque de vision industrielle pour ne pas saluer cette communication qui – même lacunaire – ouvre des pistes intéressantes en matière de financement des activités de recherche et de développement des secteurs duaux. Les autres documents en circulation émanent des gouvernements ; quant aux rapports parlementaires, ils ne seront sans doute guère pris en considération. Si on peut le regretter, il n'en reste pas moins salutaire que les parlementaires de plusieurs pays aient pris l'initiative de s'exprimer sur ces questions.

Depuis l'adoption du traité de Lisbonne, nous nous battons pour que les instruments qui y sont prévus soient mis en oeuvre, avant de passer à une nouvelle étape. Ainsi la façon dont pourrait se concrétiser la coopération structurée permanente, prévue par le traité, ne fait même pas l'objet d'une réflexion ; quant aux groupements tactiques (battlegroups) qui, eux, existent maintenant physiquement, ils ne sont jamais utilisés. C'est évidemment une question de volonté politique mais, si l'on en reste à la vision idyllique d'une Union européenne fonctionnant toujours au complet de ses vingt-huit États membres, aucun progrès ne sera possible, tant l'unanimité est difficile en matière de défense. Ce n'est pourtant pas parce que l'Europe de la défense ne fonctionnerait pas à vingt-huit que certains États devraient s'en sentir a priori exclus ; en effet, la participation devrait être modulable en fonction des thématiques traitées et des zones géographiques concernées, chaque pays contribuant à certaines initiatives seulement. Dans le cadre d'un accord politique global, les États membres qui souhaiteraient aller plus loin et plus vite sur certains sujets – opérationnels, institutionnels ou capacitaires – devraient en tout cas en avoir la possibilité.

À ce problème politique s'ajoute un problème de leadership auquel il faudra remédier lorsque les élections de l'année prochaine conduiront à renouveler les instances européennes. La difficulté tient non tant aux personnes qu'à l'autocensure pratiquée par les structures bruxelloises : anticipant le blocage de certains États, elles n'osent pas prendre d'initiatives en matière de sécurité et de défense. C'est ce qui explique que ces dernières années, les instances de défense européenne affichent un encéphalogramme quasi plat.

La République centrafricaine pâtit bien sûr de cette inaction. Il est probable que l'Union européenne se contentera de son rôle habituel – et indéniablement positif – de premier pourvoyeur d'aide humanitaire. Mme Kristalina Georgieva, commissaire chargée de l'action humanitaire, s'est d'ailleurs déjà rendue plusieurs fois dans le pays, y compris avec le ministre des affaires étrangères français. Certains pays apporteront certainement des contributions logistiques – comme cela a été le cas au Mali où l'effort français, marqué par l'envoi de troupes combattantes, n'a été possible que grâce à l'appui de nos alliés européens et nord-américains. En effet, la mise à disposition d'un avion de transport belge ou néerlandais peut parfois se révéler décisive. Il est fort à parier qu'en Centrafrique, les efforts se répartiront de la même façon : les Français enverront à nouveau les hommes, certains partenaires européens – dont aucun ne montre le désir d'engager des contingents substantiels – fourniront une aide logistique, et la Commission signera un chèque humanitaire.

Il convient cependant de ne pas dévaloriser les efforts de nos alliés : un contingent néerlandais de 380 hommes – qui font partie des troupes de combat – vient ainsi d'être déployé au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Nos amis belges prennent pour leur part ombrage de ne pas se voir inclus dans le groupe « Weimar plus » alors qu'ils ne nous ont jamais manqué – ni au Mali, ni en Libye, ni sans doute demain en Centrafrique. Malgré la situation difficile de leur pays, nos amis grecs soutiennent également sans faille les initiatives françaises en matière de politique de défense européenne.

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