La séance est ouverte à neuf heures trente.
Vous priant d'excuser la présidente Patricia Adam, retenue à Washington par une réunion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, je vous remercie, monsieur Arnaud Danjean, madame Maria Eleni Koppa, d'avoir accepté de venir nous présenter le point de vue de la sous-commission « Sécurité et défense » du Parlement européen sur les enjeux du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, consacré aux questions de défense et de sécurité. Le mercredi 11 décembre, le ministre de la Défense s'exprimera également sur cette question devant les commissions de la Défense, des Affaires étrangères et des Affaires européennes de l'Assemblée nationale, auxquelles se joindra la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat.
Je vous remercie moi aussi, monsieur le président et madame la rapporteure, d'avoir accepté cette audition conjointe – pratique particulièrement féconde quand il s'agit des affaires européennes et qui contribue à acclimater l'exercice de la transversalité au sein de notre Assemblée.
Le Conseil européen des 19 et 20 décembre devrait être consacré en grande partie à l'Europe de la défense, sujet qui intéresse particulièrement la commission des Affaires européennes. C'est d'ailleurs sur le fondement du rapport d'information élaboré par nos collègues Joaquim Pueyo et Yves Fromion que l'Assemblée nationale a adopté une résolution européenne sur la relance de l'Europe de la défense. Les vingt-trois propositions avancées dans ce texte se distribuent sous trois grandes rubriques : « augmenter l'efficacité, la visibilité et l'impact de la politique de sécurité et de défense commune » (PSDC) ; « renforcer le développement des capacités en matière de défense » ; « renforcer l'industrie européenne de la défense ».
Ce rapport d'information rejoint les préoccupations exprimées dans les deux résolutions adoptées en séance plénière du Parlement européen, le 21 novembre dernier : la première sur la mise en oeuvre de la PSDC, dont Mme Maria Eleni Koppa a été rapporteure, et la seconde sur la base industrielle et technologique de la défense européenne. C'est pourquoi nous sommes particulièrement heureux de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet.
Quel est à votre sens l'état de préparation du prochain Conseil européen ? Comment les exécutifs reçoivent-ils le travail des législateurs ? Vos propositions – comme les nôtres – vous semblent-elles susceptibles d'être prises en compte par le Conseil européen de décembre et quelles sont celles qui, selon vous, sont les plus essentielles ?
Plusieurs instruments nouveaux en matière de PSDC, introduits par le traité de Lisbonne – tels que la coopération structurée permanente ou la possibilité de confier une mission militaire à un groupe d'États – n'ont toujours pas été mis en oeuvre. Comment expliquer cette paralysie des exécutifs ? Peut-on espérer des avancées en décembre ?
En tant qu'écologiste, je suis personnellement très attachée à la prévention des conflits ; estimez-vous que cette dimension pourrait être renforcée dans le cadre de la PSDC et, plus généralement, dans celui de l'approche globale préconisée par l'Union européenne ?
Le stade de la prévention est hélas dépassé en République centrafricaine. À ce propos, le Conseil des affaires étrangères a affirmé, dans ses conclusions du 21 octobre 2013 : « L'UE poursuivra son engagement déterminé dans le cadre d'une approche globale, à la stabilisation de la situation en RCA ». Après les décisions prises hier par l'ONU, quel rôle l'Union européenne pourrait-elle jouer dans ce pays ?
Je vous remercie de l'invitation à cette audition conjointe – format particulièrement intéressant. Nous avons l'occasion de rencontrer des parlementaires nationaux dans le cadre d'exercices formels organisés par chaque présidence tournante – ainsi l'année dernière à Chypre et cette année en Lituanie – et nous disposons d'un mécanisme interparlementaire permettant des échanges, mais les passerelles restent limitées et toutes les occasions de travailler de concert doivent être exploitées.
Notre sous-commission de trente-deux membres, transpartisane et multinationale, produit quatre à six rapports par an. Ces textes n'ont évidemment aucune valeur législative, surtout dans un domaine où les gouvernements sont jaloux de leurs prérogatives. Chaque année se clôt par un rapport consacré à l'état des lieux de la PSDC, où nous essayons d'éviter deux écueils : celui d'une description technique, sans grand intérêt politique, consistant à passer en revue les nombreux mécanismes de la PSDC, et celui d'un énoncé de propositions idéalistes n'ayant aucune chance d'être réalisées. Ce rapport fait donc le point sur la quinzaine de missions et d'opérations déployées sous commandement européen à travers le monde, et souvent mal connues. Or il se trouve que les missions civiles, largement prépondérantes en leur sein, sont financées par le budget communautaire, voté en codécision par le Parlement européen : nous disposons ainsi d'une véritable prise sur ce domaine et nous sommes en contact étroit avec le Comité politique et de sécurité, qui regroupe les vingt-huit ambassadeurs en charge du pilotage politique de ces opérations, et avec les services de Mme Ashton.
À cette occasion, nous formulons également des recommandations et nous essayons d'envoyer un message politique en fonction des échéances ; cette année, notre rapport est ainsi quasi exclusivement consacré à la préparation du Conseil du mois de décembre. J'en assure la rédaction une année sur deux, en alternance avec l'opposition ; Mme Koppa, coordinatrice du groupe social-démocrate au sein de la sous-commission, s'en est chargée cette année. Le débat se passe généralement dans un esprit très constructif, le rapport étant adopté à une large majorité. Le groupe PPE et les socialistes votent généralement pour cependant que le groupe conservateur britannique campe sur une position d'opposition de principe, idéologique, et que le groupe écologiste – je suis désolé de le dire, madame la présidente – s'abstient systématiquement. Nos collègues écologistes allemands – notre sous-commission ne comprend aucun écologiste français –, qui participent pourtant de façon constructive à nos travaux, se sont ainsi abstenus sur le rapport très équilibré et pas spécialement militariste de Mme Koppa, adopté avec plus de 400 voix, dont une centaine d'opposition. Cette position décevante à la veille d'un Conseil qui aurait justifié la recherche d'un consensus le plus large possible apparaît d'autant moins logique que les forces politiques que représentent ces parlementaires font souvent partie des gouvernements nationaux les plus en faveur d'une relance de l'Europe de la défense.
S'agissant de vos questions, ne nous leurrons pas : dans le domaine de la défense, les gouvernements des États membres restent maîtres des décisions. Le Conseil s'inspirera pour l'essentiel du rapport très complet de la Haute représentante et de la communication de la Commission européenne, préparée par les commissaires Michel Barnier et Antonio Tajani. Contrairement aux rumeurs, la Commission ne s'arroge dans son document aucune prérogative indue et n'empiète aucunement sur le pilotage des opérations : elle s'en tient strictement au domaine de la politique industrielle. On a suffisamment déploré son manque de vision industrielle pour ne pas saluer cette communication qui – même lacunaire – ouvre des pistes intéressantes en matière de financement des activités de recherche et de développement des secteurs duaux. Les autres documents en circulation émanent des gouvernements ; quant aux rapports parlementaires, ils ne seront sans doute guère pris en considération. Si on peut le regretter, il n'en reste pas moins salutaire que les parlementaires de plusieurs pays aient pris l'initiative de s'exprimer sur ces questions.
Depuis l'adoption du traité de Lisbonne, nous nous battons pour que les instruments qui y sont prévus soient mis en oeuvre, avant de passer à une nouvelle étape. Ainsi la façon dont pourrait se concrétiser la coopération structurée permanente, prévue par le traité, ne fait même pas l'objet d'une réflexion ; quant aux groupements tactiques (battlegroups) qui, eux, existent maintenant physiquement, ils ne sont jamais utilisés. C'est évidemment une question de volonté politique mais, si l'on en reste à la vision idyllique d'une Union européenne fonctionnant toujours au complet de ses vingt-huit États membres, aucun progrès ne sera possible, tant l'unanimité est difficile en matière de défense. Ce n'est pourtant pas parce que l'Europe de la défense ne fonctionnerait pas à vingt-huit que certains États devraient s'en sentir a priori exclus ; en effet, la participation devrait être modulable en fonction des thématiques traitées et des zones géographiques concernées, chaque pays contribuant à certaines initiatives seulement. Dans le cadre d'un accord politique global, les États membres qui souhaiteraient aller plus loin et plus vite sur certains sujets – opérationnels, institutionnels ou capacitaires – devraient en tout cas en avoir la possibilité.
À ce problème politique s'ajoute un problème de leadership auquel il faudra remédier lorsque les élections de l'année prochaine conduiront à renouveler les instances européennes. La difficulté tient non tant aux personnes qu'à l'autocensure pratiquée par les structures bruxelloises : anticipant le blocage de certains États, elles n'osent pas prendre d'initiatives en matière de sécurité et de défense. C'est ce qui explique que ces dernières années, les instances de défense européenne affichent un encéphalogramme quasi plat.
La République centrafricaine pâtit bien sûr de cette inaction. Il est probable que l'Union européenne se contentera de son rôle habituel – et indéniablement positif – de premier pourvoyeur d'aide humanitaire. Mme Kristalina Georgieva, commissaire chargée de l'action humanitaire, s'est d'ailleurs déjà rendue plusieurs fois dans le pays, y compris avec le ministre des affaires étrangères français. Certains pays apporteront certainement des contributions logistiques – comme cela a été le cas au Mali où l'effort français, marqué par l'envoi de troupes combattantes, n'a été possible que grâce à l'appui de nos alliés européens et nord-américains. En effet, la mise à disposition d'un avion de transport belge ou néerlandais peut parfois se révéler décisive. Il est fort à parier qu'en Centrafrique, les efforts se répartiront de la même façon : les Français enverront à nouveau les hommes, certains partenaires européens – dont aucun ne montre le désir d'engager des contingents substantiels – fourniront une aide logistique, et la Commission signera un chèque humanitaire.
Il convient cependant de ne pas dévaloriser les efforts de nos alliés : un contingent néerlandais de 380 hommes – qui font partie des troupes de combat – vient ainsi d'être déployé au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Nos amis belges prennent pour leur part ombrage de ne pas se voir inclus dans le groupe « Weimar plus » alors qu'ils ne nous ont jamais manqué – ni au Mali, ni en Libye, ni sans doute demain en Centrafrique. Malgré la situation difficile de leur pays, nos amis grecs soutiennent également sans faille les initiatives françaises en matière de politique de défense européenne.
La France est à l'avant-garde de la construction de l'Europe de la défense ; aussi les échanges entre le Parlement européen et vos Commissions sont-ils éminemment précieux. Comme l'a souligné Arnaud Danjean, en matière de sécurité et de défense, si la gauche opposée à la PSDC présente toujours un rapport minoritaire, le principal clivage oppose les pro européens aux eurosceptiques.
Dix ans après l'adoption, en décembre 2003, de la stratégie européenne de sécurité et cinq ans après le rapport sur sa mise en oeuvre, adopté par le Conseil européen en décembre 2008, le sommet à venir offre enfin l'occasion d'aborder la question de la défense européenne. À un moment où la crise économique entraîne de profonds bouleversements dans plusieurs États membres, cet enjeu peut paraître futile. En dépendent pourtant la prospérité et l'avenir des citoyens européens et, à ce titre, loin d'être cantonné aux militaires, il doit faire l'objet d'un débat public en vue des élections européennes.
Au sein du Parlement européen, l'écrasante majorité des groupes politiques est consciente de la nécessité de mettre cette question à l'ordre du jour. Le rapport ambitieux que nous avons élaboré en expose les enjeux, créant ainsi une dynamique de discussion. Le Parlement européen veut persuader non seulement le Conseil, mais également les citoyens européens, de l'importance de la défense commune ; en effet, la PSDC ne peut pas exister sans le soutien actif de la population et ne saurait être débattue uniquement entre élites. Durant la période préélectorale qui s'ouvre aujourd'hui, nous devrons expliquer aux Européens qu'en permettant d'assurer la sécurité des peuples du continent dans un monde qui change très rapidement, la défense garantit l'avenir de nos sociétés.
Le rapport commence par décrire le nouveau contexte, dans lequel la multiplication des défis géostratégiques exige de maximiser l'efficacité de la défense. Nous devons nous concentrer sur des priorités tout en coopérant de façon plus coordonnée à l'échelle européenne. Ces dernières décennies, le monde a connu des changements radicaux : les menaces apparaissent désormais pluridimensionnelles et asymétriques ; l'intérêt des États-Unis se déplace vers le Pacifique ; le printemps arabe et l'instabilité au sud de la Méditerranée, la piraterie et l'émergence de nouvelles puissances créent une nouvelle situation internationale à laquelle l'Europe doit s'adapter. S'y ajoute la grave crise économique et financière qui entraîne des coupes drastiques dans les budgets de la défense nationale des États membres. Il nous faut par conséquent faire plus avec moins. Dans ce nouveau contexte, l'Europe fait face à un choix : rester une puissance uniquement économique ou devenir un acteur global. Si nous avons vocation à assumer ce dernier rôle, il est urgent de concevoir une approche réellement européenne de la sécurité et de la défense.
La PSDC ne peut pas être construite à vingt-huit. Définir l'intérêt européen par l'addition de vingt-huit intérêts nationaux traduirait d'ailleurs un manque lamentable d'ambition. Il faut poser comme principe que les États membres qui souhaitent aller de l'avant ne doivent pas être bloqués par les autres. Nul besoin pour cela de signer de nouveaux traités ou d'amender les traités existants ; il suffit de mettre en pratique les instruments introduits par le traité de Lisbonne, tels que la coopération structurée permanente. L'article 44 du traité donne ainsi la possibilité de confier des missions de la PSDC à un groupe d'États membres. Pourquoi ne pas l'avoir utilisé, même a posteriori, pour donner ce statut aux opérations conjointes franco-britanniques en Libye ? Il faut également explorer l'idée d'un fonds de lancement susceptible de financer les activités préparatoires de missions, qui ne seraient plus couvertes alors par le budget de l'Union ; les provisions étant là, seule manque la volonté politique de les déployer de façon cohérente.
Notre rapport reprend les trois axes définis par le Conseil. En premier lieu, nous nous y demandons donc comment accroître l'efficacité et la visibilité de la PSDC. Le fait de disposer de plusieurs instruments politiques qui complètent l'approche globale constitue un atout majeur pour l'Union ; comment coordonner tout cela pour mieux affronter les défis à venir ? Il nous faudrait rédiger un Livre blanc sur la défense et la sécurité européennes, sur le modèle de celui que vous avez élaboré en France. En effet, l'Union européenne souffre de plusieurs déficiences mais les groupements tactiques, financés mais jamais déployés, peuvent constituer une force de frappe rapide, tout en servant également à la prévention des conflits. L'Union doit absolument disposer de forces de combat permanentes, rapidement opérationnelles – terrestres, aériennes, navales et spatiales – et opter pour une approche plus flexible et ciblée afin de s'adapter aux différentes situations. La crise économique fragilisant la volonté des États de contribuer aux opérations, en particulier à celles qui ont des conséquences militaires, il faut étendre le champ d'application du mécanisme de financement Athena et utiliser le fonds de lancement pour affronter les tâches urgentes. Étant donné aussi que l'économie européenne dépend de la liberté de navigation, nous avons impérativement besoin d'un dispositif spécifique de sécurité maritime ; espérons que le Conseil européen pourra prendre des décisions concrètes en ce sens. Enfin, la sécurité de l'espace et la cybersécurité sont, avec la sécurité énergétique de l'Union, au coeur du débat ouvert au Parlement européen. Nous considérons la sécurité comme un concept global : pour construire la PSDC, terre, mer, espace, air et espace cybernétique doivent faire l'objet d'une égale préoccupation.
Nous voulons une Union capable d'agir de façon autonome au niveau international. Vingt-deux de ses vingt-huit membres faisant également partie de l'OTAN, il faut à nouveau souligner la complémentarité entre ces deux organisations, qui ne remet pas en cause l'autonomie décisionnelle de chacune. Nous sommes persuadés que le déploiement de la PSDC ne compromet pas, mais au contraire renforce la sécurité collective assurée par les liens transatlantiques.
Le deuxième axe du rapport concerne le renforcement des capacités de défense. Dans une période de crise économique aiguë, le pooling and sharing devient plus nécessaire que jamais. Une collaboration plus étroite permettra d'utiliser des ressources rares d'une manière plus intelligente, en évitant le double emploi. Mais soyons clairs : plus que d'une décision budgétaire, il s'agit là encore d'une question de volonté politique – qui fait parfois défaut. Dans ce cadre, le rôle de l'Agence européenne de défense (AED) apparaît primordial. L'AED est investie de missions importantes : organisation de la coopération structurée permanente, formulation d'une politique européenne en matière de développement des capacités militaires des États membres et de renforcement de la base industrielle. Pour doter l'AED de pouvoirs à la hauteur de ces missions, nous avons besoin de confiance mutuelle et de transparence, mais avant tout de volonté politique. Il faut placer la coopération et la synergie au coeur de notre débat.
Le Conseil européen de décembre ne doit pas se limiter à répéter des slogans, il doit prendre des décisions concrètes. Le Parlement européen souhaite le voir fournir des orientations politiques et stratégiques en matière de renforcement des capacités de défense conformes à l'engagement des États membres ; jeter les bases d'une planification véritablement collective ; accélérer la mise en oeuvre des traités existants et apporter un soutien politique aux projets pilotes de l'AED – ravitaillement en vol, communication par satellites, drones, cyberdéfense et espace aérien commun européen. Nous appelons de nos voeux la création d'un mécanisme de contrôle, assorti d'une feuille de route et de critères d'évaluation concrets, afin de suivre régulièrement les progrès accomplis. Il serait également important de créer un conseil des ministres de la Défense. Le Conseil de décembre doit devenir le point de départ d'un processus de révision régulière des questions de sécurité et de défense.
Enfin – dernier axe du rapport –, le Parlement soutient pleinement les efforts de la Commission visant à renforcer la base industrielle de la défense et le marché de la sécurité pour élaborer une réelle politique industrielle dans ces secteurs. Parvenir, en temps de crise, à renforcer et à unifier l'industrie européenne de défense exige de travailler à la standardisation et à la certification des produits, conditions d'une meilleure interopérabilité des forces armées. Il est également nécessaire de soutenir la demande, surtout pendant cette période difficile. Il faut enfin assurer l'avenir des grandes, petites et moyennes entreprises du secteur, qui représentent des milliers d'emplois impossibles à délocaliser. La coopération des entreprises de défense et l'intégration du marché doivent aller de pair avec un dialogue social actif ; le recours aux instruments financiers communs tels que le Fonds social européen et le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation devrait permettre d'atténuer les éventuelles conséquences négatives de ces processus.
Sécurité intérieure et sécurité extérieure sont intimement liées : seul un environnement de paix et de stabilité peut préserver le modèle politique, économique et social européen. Pour y parvenir, nous devons coopérer davantage, développer nos capacités et construire la confiance nécessaire. Cette discussion ne doit pas devenir un exercice à huis clos ; au contraire, nous devons élaborer un nouveau récit porteur de sens pour les citoyens européens. Parce qu'il est urgent de décider si l'on a besoin d'une défense européenne, la grande majorité des groupes politiques du Parlement européen est convaincue qu'en décembre 2013, les États membres intéressés, le Parlement et la Commission doivent délivrer un message fort. Je suis persuadée que le développement de la PSDC peut apporter une contribution substantielle à la création d'une identité européenne. Essayons de faire de ce Conseil le début – et non la fin – d'un chemin.
Les conclusions du Conseil des affaires étrangères – dix-sept pages – donnent de l'espoir, affichant la volonté d'élaborer une feuille de route pour la discussion sur la défense et la sécurité européennes. Elles laissent toutefois de côté plusieurs grandes questions, telles que celles de l'état-major européen ou de la mise en application du traité de Lisbonne. Malheureusement, le manque de confiance et les égoïsmes nationaux continuent à peser sur l'avenir de la PSDC, et finalement sur la construction européenne elle-même.
Monsieur Danjean, madame Koppa, la résolution que vous avez adoptée le 21 novembre et celle adoptée par nos Commissions des affaires européennes et de la défense présentent une quinzaine de points similaires. Ainsi, la proposition n° 4 de notre résolution et la n° 7 de la vôtre concernent la mise en place de la coopération structurée permanente. Comme vous l'avez à plusieurs reprises souligné, le traité de Lisbonne recèle un potentiel important et mérite d'être mieux appliqué.
Les deux résolutions rappellent également la nécessité d'amplifier le mécanisme de financement Athena. Sur ce point, nous sommes même allés plus loin : il y a quelques jours, j'ai défendu un amendement à la loi de programmation militaire qui proposait d'exclure une part des crédits affectés par certains États à la sécurité européenne du calcul des déficits budgétaires plafonnés à 3 % du PIB. Même si cette mesure ne pouvait pas être adoptée immédiatement, certains pays s'opposant à ce principe, j'ai réussi à lancer le débat. Le Gouvernement a, de façon pragmatique, sous-amendé l'amendement pour le limiter à l'amplification du mécanisme Athena, qui devrait permettre de couvrir une partie des dépenses relatives aux opérations militaires menées dans le cadre de l'Union européenne.
Dans notre rapport, Yves Fromion et moi-même suggérions aux États de travailler à une meilleure harmonisation de la demande, sous l'égide de l'AED – organisme très efficace, mais actuellement sous-employé et qui mériterait d'être renforcé. Il faudrait également mettre en cohérence tous les dispositifs existants, tels que l'Eurocorps – qui permet de mobiliser 60 000 hommes – ou la brigade franco-allemande, dont le maintien fait maintenant question.
Nous semblons manquer d'une véritable stratégie européenne de sécurité et de défense, et je rejoins à ce propos Mme Koppa sur la nécessité de rédiger un Livre blanc européen. Seule la complexité de cette tâche nous a dissuadés de la mentionner dans la résolution. Il s'agit pourtant d'une question de fond car l'Europe ne pourra avancer sans une stratégie commune et des capacités en relation avec cette stratégie. Enfin, comme vous l'avez rappelé, il est nécessaire de construire une véritable industrie européenne de défense, et peut-être de mieux mutualiser certains outils.
La France a démontré son intérêt pour l'Europe de la défense, qui n'hypothèque en rien son engagement auprès de l'OTAN. Avec 1 200 hommes, notre pays a ainsi fait figure de premier contributeur aux opérations de l'OTAN qui se sont déroulées en Pologne il y a quelques semaines. Mais quel est l'état d'esprit des autres pays européens, tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne ?
Je ne suis pas surpris des similarités entre nos résolutions, qui s'appuient sur une base de travail commune et suivent l'agenda du Conseil européen. Une partie de ces recommandations – notamment celles liées à la mise en oeuvre du traité de Lisbonne – relève en outre du bon sens. Je ne me réjouis pas moins de ces convergences, que l'on retrouve d'ailleurs avec la plupart des Parlements avec lesquels nous avons discuté ; les membres du Bundestag que j'ai rencontrés lundi ont ainsi identifié des priorités très similaires.
L'exclusion de certaines dépenses de sécurité et de défense du calcul des déficits constitue un « serpent de mer » que je vous remercie de remettre au goût du jour. Le débat sur ce sujet traverse et divise toutes les familles politiques, dont la mienne, et mérite d'être creusé car, au-delà de la question financière, il pose un problème quasi philosophique. En effet, ce sont toujours les mêmes qui assurent la défense des autres mais, contrairement aux mercenaires classiques, rémunérés pour leurs services, ils le font en assumant tous les coûts, y compris humains. La solidarité européenne ne devrait pas s'appliquer uniquement aux affaires sociales ; la sécurité – qui va jusqu'à engager des vies humaines – devrait également en faire l'objet. L'affaire malienne a souligné de façon criante cette nécessité. Pourtant, l'idée a du mal à s'imposer, même à l'échelle nationale ; les gouvernements en place rechignent à engager les discussions techniques et complexes sur la définition exacte des dépenses à exclure et sur le mode de calcul à adopter. Le principe mérite pourtant d'être posé.
En même temps, certains pays souhaitent aujourd'hui s'engager, mais manquent de moyens pour le faire. Ainsi le Portugal était très intéressé par nos opérations en Afrique, en particulier par l'opération Serval, mais ne disposait d'aucune ressource pour déployer des forces à l'extérieur du pays. Un fonds de lancement mutualisé européen pour les opérations militaires – sur le modèle de celui qui existe pour les opérations civiles – permettrait aux pays qui le désirent de projeter des troupes sur le terrain à nos côtés. Il faut donc réfléchir à la fois à la question du coût supporté quasi exclusivement par l'État qui s'engage et à la façon de mutualiser les ressources pour permettre à d'autres de participer aux opérations.
Nous entretenons des liens très étroits avec l'Eurocorps. Cette structure de projection rapide à la disposition de l'OTAN constitue un très bel outil qui a tenu pendant un an l'état-major de la Force internationale d'assistance et de sécurité (ISAF) en Afghanistan, après avoir été déployée en Bosnie et au Kosovo. Cet instrument – actuellement commandé par un général belge – n'a jamais été utilisé par l'Union européenne, pour des raisons à la fois politiques et techniques : en effet, son état-major, conçu pour des opérations de grande envergure, dépasse les besoins opérationnels relativement modestes de l'Union. L'Eurocorps ne peut pas participer au dispositif Atalante car il s'agit d'une opération maritime ; quant aux autres missions militaires européennes, mis à part ce qui reste de l'opération en Bosnie, elles relèvent de la formation des armées – notamment malienne et somalienne. Les officiers de l'Eurocorps nous expliquent pourtant qu'ils peuvent moduler la structure de leur état-major pour descendre du niveau de général trois ou quatre étoiles à celui de colonel ou lieutenant-colonel. À nous de trouver les modalités techniques pour utiliser cet instrument qui, du fait des cycles de rotation de l'OTAN, n'est pas appelé à être réutilisé par celle-ci avant 2020. L'Union européenne devrait profiter de ce délai pour donner consistance à ce qui se limite pour l'heure à une simple coïncidence d'appellation, l'Eurocorps n'étant paradoxalement pas du tout européen. Je crains malheureusement que cette piste – absente des papiers préparatoires – ne soit pas explorée par le Conseil de décembre.
S'agissant de l'état d'esprit de nos partenaires européens, permettez-moi une métaphore. Pour que les choses fonctionnent en matière de défense européenne, il faut un alignement de trois planètes : France, Grande-Bretagne et Allemagne. Or à l'heure actuelle – même si l'image est absurde d'un strict point de vue scientifique –, elles ne sont même pas deux à être alignées ! La France a toujours détenu une position de leader dans le dossier de l'Europe de la défense, mais le dialogue avec ses alliés reste compliqué. En effet, la France et l'Allemagne – son partenaire privilégié – n'utilisent pas le même langage : quand nous parlons opérations et institutions, nos amis allemands répondent industrie. Or leur vision industrielle diffère profondément de la nôtre : loin de compter sur une politique industrielle volontariste à l'échelle européenne, ils donnent la priorité à leurs entreprises nationales, qui se passent très bien du financement européen. Pour l'Allemagne, la consolidation des marchés de défense procédera de la bonne application des directives européennes sur la libre concurrence. Cela dit, ce diagnostic doit être nuancé : à la suite de l'affaire malienne, le nouveau Bundestag a engagé une réflexion en profondeur sur la lourdeur des dispositifs institutionnels et constitutionnels conditionnant l'engagement des forces.
N'oublions pas non plus que la plupart de nos alliés sont encore engagés en Afghanistan jusqu'à la fin de l'année 2014 et que cela pèse sur leurs capacités opérationnelles. J'en ai pleinement pris conscience il y a moins d'un mois, à l'occasion d'un déplacement dans ce pays. C'est en particulier le cas de la Pologne, qui est sans conteste l'exemple le plus intéressant d'authentique conversion à un esprit plus européen, notamment en matière de défense, mais avec deux limites : celle, précisément, qui résulte de cet engagement prioritaire en Afghanistan jusqu'à la fin de 2014 et celle qui tient à l'état de ses capacités et de sa base industrielle. La préparation du Conseil a d'ailleurs donné lieu à un léger incident, nos amis polonais restant très dépendants des États-Unis sur le plan industriel. L'« européanité » polonaise en matière de politique de défense trouve donc ici aussi sa limite. La Pologne s'apprête à lancer des investissements considérables – des dizaines de milliards d'euros – pour renouveler presque intégralement ses capacités, mais les programmes et les équipementiers sont généralement mixtes, les entreprises américaines exerçant une forte pression pour que les achats ne soient pas effectués de façon privilégiée auprès des industries européennes. Ce problème concerne d'ailleurs bien d'autres pays de l'Europe centrale et orientale.
En outre, nous sommes dans une période de crise économique et financière. La Grèce ou le Portugal – nos partenaires du sud en général – partagent notre philosophie de l'Europe de la défense et l'idée que les crises sur notre flanc sud, qui représentent une vraie menace, doivent constituer une priorité. Mais ils n'ont pas les moyens d'y répondre, d'où la nécessité de trouver des mécanismes de mutualisation intelligente pour qu'ils ne « décrochent » pas alors même qu'ils sont des alliés objectifs.
Nous devrions enfin nous intéresser à ce qui se passe en Europe du nord. Nos conceptions sont certes assez éloignées : le Danemark bénéficie toujours d'un opt-out sur la PSDC ; les Pays-Bas privilégient l'OTAN ; la Suède débat en ce moment d'une éventuelle adhésion à l'Alliance. Il n'empêche qu'en matière de mutualisation ou de pooling and sharing, ces pays vont presque plus vite que nous. Les Néerlandais et les Belges mutualisent leurs marines, et s'apprêtent à faire de même pour leurs forces aériennes ; les Néerlandais et les Allemands ont créé un corps d'armée germano-néerlandais. La philosophie est certes un peu différente de celle que nous voudrions privilégier, puisque cela ne s'opère pas dans le cadre de l'Europe de la défense, mais de coopérations ad hoc, très empiriques, parfois sous ombrelle de l'OTAN. Néanmoins, nous aurions intérêt à regarder ces expériences de plus près et à nous rapprocher de ces pays. Non seulement ils conservent des capacités intéressantes, qu'ils sont prêts à déployer à l'extérieur avec nous, mais ils ont entamé des processus de restructuration et de mutualisation qui peuvent avoir valeur d'exemple.
La protection des frontières extérieures de l'Europe n'est-elle pas aussi une question de sécurité et de défense ? Je pense notamment à la maîtrise des flux migratoires. Avant d'envoyer un corps européen encore virtuel à l'autre bout du monde, la priorité ne devrait-elle pas consister à protéger ces frontières en luttant contre l'immigration clandestine et en réfléchissant à la création d'une douane européenne – en d'autres termes, en intégrant Schengen dans la problématique de la PSDC ?
Je me réjouis que Joaquim Pueyo ait abordé la question de la solidarité financière. C'est un sujet crucial pour la France, seul pays – si l'on met à part le Royaume-Uni – à disposer de capacités projetables suffisantes et à accepter le combat au sol. La question du partage du fardeau financier est donc essentielle pour notre pays. Pour des raisons économiques et budgétaires, je ne suis pas convaincu par la solution consistant à exclure les dépenses afférentes à ces opérations du calcul du déficit structurel. D'autres pistes sont-elles envisagées ?
Je salue chez nos invités une absence de langue de bois rare dans les matières européennes, particulièrement lorsqu'il s'agit de défense.
Vous avez été très clairs. Comme vous, je n'attends pas grand-chose du Conseil de décembre. Vous ne dites en effet pas autre chose en exprimant le voeu que ce Conseil ne se cantonne pas à des déclarations et à des slogans, madame Koppa.
Les chiffres de la croissance des budgets militaires dans le monde sont éclairants : la progression est de 71 % pour la Chine, de 65 % pour la Russie, de 60 % pour l'Inde et de 40 % pour le Brésil. Tous les États-continents augmentent massivement leurs dépenses de défense. Et l'Europe ? Nous avons bien compris qu'il y manque une volonté politique. Le Parlement européen a essayé d'en faire émerger une et les rapports de votre sous-commission sont excellents ; mais cela ne débouchera sur rien en l'absence de volonté des gouvernements. Nous en avons un exemple avec le Mali. Je suis heureux d'apprendre qu'un contingent néerlandais de 380 hommes vient d'être déployé dans ce pays, mais j'ai pu constater avec mes collègues de la mission d'information sur l'opération Serval que l'engagement européen sur le terrain – à savoir un contingent de 500 hommes affecté à la formation des nouveaux bataillons maliens – n'était à la hauteur ni de nos attentes, ni de ce que veut faire l'Europe. La seule question qui vaille est celle que vous avez posée, madame Koppa : voulons-nous que l'Europe soit une puissance globale ou une puissance économique ? C'est le noeud gordien que nous n'avons pas encore tranché, faute de volonté des exécutifs des Vingt-huit.
Quant à l'AED, force est de reconnaître qu'elle n'a guère évolué depuis sa création il y a dix ans. Le seul projet européen de défense a été l'A400M. On a beau parler de cyberdéfense, d'industrie spatiale, il n'y a ni projet, ni budget. L'Agence se heurte toujours à l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAr). Bref, il n'y a pas de souffle. Je crains que l'Europe ne soit vouée à rester un espace économique, avec un peu de solidarité peut-être, mais certainement pas à devenir une puissance à même de peser dans le monde de demain.
Il faudrait créer un Conseil des ministres de la Défense, avez-vous conclu. Ainsi donc, nous en sommes à nous poser cette question ! Tout est dit. Le rideau est tombé.
Je rejoins un peu notre collègue Deflesselles. Je lisais ce matin dans un journal qu'il serait impossible de compter sur les Européens en Afrique, et on ne peut pas dire que ce soit l'optimisme qui domine dans vos propos.
Je m'interroge sur les opérations militaires en Afrique. Je ne parle pas tant de l'intervention des hommes que de l'aide à la formation des armées africaines et de l'aide matérielle en équipements et en armes. Quels sont les pays qui seraient prêts à s'engager dans cette voie ?
Quant aux opérations civiles, on en parle peu, mais il semble que l'aide médicale et l'aide alimentaire mettent des mois à arriver en Centrafrique, par exemple. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, y a-t-il une identité de vues parmi les députés français au Parlement européen sur le sujet qui nous occupe ?
Il faut, dites-vous, éviter les propositions irréalistes ou idéalistes, vouées à l'échec en l'absence de volonté politique partagée ou d'unanimité. Le pragmatisme devrait donc nous conduire à adopter la stratégie des petits pas. Vous avez ainsi évoqué la piste d'un fonds d'amorçage, qui pourrait être mis au service de ceux qui manifesteraient, dans certaines circonstances, des velléités d'engagement… Mais la sous-commission de la défense pourrait aussi insister pour que la priorité aille à ce qui fait consensus, à ce qui apparaît comme des dénominateurs communs. Or ceux-ci sont davantage du côté de la sécurité que de la défense, qui exige souvent de sortir de l'Europe – d'où les réticences de certains États. La sécurité concerne en effet tous les Européens, qu'il s'agisse de la cyberdéfense, de la sécurité des voies maritimes ou de celle des frontières. Que pensez-vous de cette suggestion ?
Tant que l'Europe n'aura pas de politique étrangère commune cohérente, il lui sera difficile d'avoir une politique de sécurité et de défense commune. Pour prendre un seul exemple de la divergence des analyses, des intérêts et des visions géostratégiques entre les États membres, j'opposerai les pays qui ont une vision strictement continentale et européenne à la France qui, forte de son domaine ultramarin, a une vision beaucoup plus large, mondiale et maritime. À un moment ou à un autre, il faudra donc identifier ce que nous avons en partage, ce que nous voulons défendre ensemble, et à partir de là, les moyens à mettre en commun.
Nous avons peu évoqué le désengagement progressif des États-Unis de l'OTAN : le centre d'intérêt géostratégique des Américains se déplace de l'Atlantique nord vers le Pacifique. Ne pas en prendre conscience pourrait s'avérer catastrophique pour notre capacité à assurer notre propre sécurité et notre propre défense, puisqu'il y aura – si je puis m'exprimer ainsi – de plus en plus de trous dans le « parapluie » américain.
Le groupe UDI a beaucoup réfléchi à ces questions et fait des propositions concrètes sur un certain nombre de points. Il nous semble en particulier essentiel de disposer d'un fonds d'investissement commun pour financer les opérations militaires extérieures dans le cadre d'un budget dédié. Le fonds de l'article 44, le fonds de préparation des opérations et le mécanisme de financement des opérations militaires Athena resteront en effet toujours marginaux. De même, il faudra bien que l'Europe se dote un jour d'un quartier général européen permanent et d'un pôle de défense européen permettant de mettre en commun un certain nombre de réflexions et d'éléments d'information. Alors qu'il existe un Collège de défense de l'OTAN à Rome, nous n'avons rien de tel à l'échelle européenne !
Il est donc essentiel qu'à l'occasion des prochaines élections européennes, toutes les formations politiques mettent en avant ces questions de défense et de sécurité, afin d'inverser la tendance et de conforter leur légitimité dans les débats au Parlement européen.
Nous parlons beaucoup de stratégie européenne de défense. Or la crise économique et budgétaire a conduit toutes les nations européennes à effectuer de sérieuses coupes dans leurs budgets militaires. Face aux menaces traditionnelles qui perdurent et nécessitent le maintien de capacités robustes, face aux cyber-attaques et aux nouvelles menaces pluridimensionnelles, de quel type de forces armées l'Europe a-t-elle besoin pour quels types de conflits ?
Je remercie les deux représentants du Parlement européen, en particulier notre collègue grecque, qui a fait l'effort de s'exprimer brillamment dans notre langue.
Je suis malheureusement assez sceptique sur la capacité de l'Union européenne à mettre en oeuvre une politique de défense, pour une raison simple : la défense pose la question du commandement, donc de la décision politique, et donc des institutions politiques qui permettent de prendre des décisions, que ce soit en urgence ou à plus long terme.
Vous avez cité le cas des États – Belgique, Pays-Bas, Danemark, Allemagne – qui mettent déjà en oeuvre des coopérations dans le domaine de la défense. Quel serait le schéma à quelques pays, et quels seraient ces quelques pays prêts à bâtir un système de décision politique commun pour les questions de défense – au moins pour certaines d'entre elles ? Faute de cela, nous en resterons soit à l'OTAN, soit à un pis-aller. Il est révélateur que l'on en vienne à se réjouir que 380 soldats néerlandais participent, dans la phase actuelle, à l'opération au Mali, alors que la France a engagé quelques milliers d'hommes sur le terrain, ou que l'on dise que l'intervention française n'a tenu qu'à un fil – la mise à disposition par certains États d'avions de transport. On s'ingénie à l'optimisme en mettant en avant peu de chose, finalement, au regard de notre engagement et des risques que nous avons pris.
Je commencerai par un constat : les difficultés de la construction politique européenne se reflètent aussi dans la PSDC. Vous avez presque tous évoqué, après nous, le manque de volonté d'aller de l'avant au niveau européen. Nos informations montrent hélas que cette volonté n'existe pas vraiment au sein du Conseil européen. Le débat des 19 et 20 décembre devrait donc se cantonner aux aspects techniques et aux suites à donner au rapport de l'AED. Nous avons essayé d'enrichir cet ordre du jour en mettant sur la table différents sujets dont nous débattons depuis longtemps.
J'en viens à vos questions. Les similitudes entre votre rapport et le nôtre n'ont rien d'étonnant, monsieur Pueyo : la France est le moteur de la construction de la PSDC ; c'est le Parlement français qui a la position la plus européenne en matière de défense et de sécurité. Le Parlement européen compte donc sur la contribution de la France ! Si celle-ci venait à se désengager, la politique européenne de sécurité et de défense serait condamnée.
Nous avons en effet besoin d'un Livre blanc sur la sécurité et la défense européennes. Nous n'avons pas discuté de la stratégie depuis dix ans ; or la situation d'aujourd'hui est radicalement différente de celle de 2003. Nous devons donc écrire noir sur blanc nos intentions, notre stratégie, nos aspirations, bref notre vision. Les réactions sont cependant très critiques à cet égard, surtout du côté britannique. C'est aussi le cas sur l'AED : le Royaume-Uni est toujours très sévère dans ses critiques, mais il ne propose pas d'alternative. Nous souhaitons un renforcement de l'Agence – qu'il refuse. Comment progresser dans ces conditions ?
Comme l'a dit Arnaud Danjean, les réactions des pays d'Europe centrale et orientale sont encore inspirées par le passé : ils font donc le choix de l'OTAN pour la sécurité, et celui de l'Union européenne pour l'économie et le marché. Changer cet état d'esprit prendra du temps. Dans le même temps, les États-Unis, dont les centres d'intérêt se sont déplacés vers le Pacifique, souhaiteraient que l'Union prenne le relais – même à l'intérieur de l'OTAN – sur les questions de sécurité et de défense. Les mêmes États étant présents dans les deux organisations, nous devons oeuvrer à la complémentarité entre celles-ci, en ayant recours à la plus pertinente ou à la plus utile pour chaque situation. Par exemple, l'Union européenne dispose de nombreux instruments et bénéficie d'une image de soft power qui lui permet d'intervenir là où la présence de l'OTAN n'est pas souhaitée.
La protection des frontières est un domaine important, qui ne relève pas de la PSDC. La coopération dans le cadre de l'Agence Frontex – Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union – a débouché sur de réels résultats, surtout pour la Grèce, qui a été des années durant la porte d'entrée pour 90 % des immigrés venant illégalement dans l'Union. La crise arabe ayant accru les risques, il faut développer la coopération entre cette agence et les missions de la PSDC. Nous devons aussi nous pencher à nouveau sur la lutte contre l'immigration clandestine venue des pays du sud. Et, bien sûr, il faut revisiter Dublin II.
Je suis d'accord avec la proposition de votre Assemblée d'exclure les dépenses affectées à la sécurité de l'Europe du calcul du déficit, mais elle est utopique à l'heure actuelle. Les coupes budgétaires, inévitables en période de crise, hypothèquent nos capacités de défense, d'où un décalage énorme avec les puissances émergentes qui, elles accroissent considérablement leurs dépenses en ce domaine. L'Europe doit désormais faire plus avec moins. Nous le pouvons moyennant la coopération, la coordination et la confiance, mais nous avons encore un long chemin à parcourir.
Les opérations civiles représentent 70 % des trente missions en cours. L'Union européenne dispose d'un large éventail de possibilités et d'instruments mais, à quelques exceptions près comme l'opération Atalante, ils restent mal connus de ses citoyens.
Vous l'avez dit, tant qu'il n'y aura pas de politique étrangère commune, il est logique qu'il n'y ait pas de politique de défense commune. C'est un processus qui exige un certain volontarisme. La France, moteur de la construction européenne et de la PSDC, peut, je l'espère, insuffler le volontarisme dont nous avons tant besoin.
Les élections européennes de mai 2014 risquent de produire le Parlement le plus anti-européen que nous ayons jamais connu. Nous assistons avec angoisse à la montée des forces anti-européennes, qui cherchent à démolir ce que nous avons mis tant d'années à bâtir ; nous redoutons que le Parlement qui sortira des urnes ne puisse délivrer un message aussi clair que celui que nous avons essayé d'adresser. Nous devons donc être particulièrement attentifs à l'évolution de la situation.
Si intéressants et constructifs qu'ils puissent être, nos rapports sont rarement pris en considération par les décideurs politiques. Je suis donc frappé de voir des groupes politiques voter contre. Vous avez lu le rapport de Mme Koppa. Il n'a rien d'hérétique : il se borne à des constats de bon sens et à des rappels de ce qui pourrait être fait. Nous ne sommes ni des idéalistes qui prônent la création d'une armée européenne demain matin, ou bien celle d'un commissaire européen – donc d'un technocrate – qui commanderait un jour à nos armées, perspective qui hante les Britanniques. Même pour ce qui concerne la mutualisation, nous restons prudents et réalistes, en évoquant plutôt une coopération. Bref, nous ne franchissons aucune ligne rouge. Malgré cela, un certain nombre de groupes politiques et de députés européens votent contre par principe, et leur nombre est appelé à croître. Le paradoxe est que lorsqu'on interroge nos concitoyens européens, ils citent la sécurité et la défense comme le premier domaine dans lequel l'Union devrait jouer un plus grand rôle. À chaque crise internationale – nous l'avons vu à propos du Mali, et nous le voyons aujourd'hui avec la Centrafrique –, la question qui revient est toujours : « Que fait l'Europe ? Où est l'Europe ? » Ils attendent donc que l'Union joue un rôle. C'est précisément ce à quoi nous travaillons – d'où notre inquiétude au sujet des élections du mois de mai. Nous redoutons que les forces anti-européennes n'investissent le Parlement européen et ne fassent échec à des avancées pragmatiques dans le domaine de la défense.
M. Lamblin m'interroge sur les députés français qui travaillent sur les questions de sécurité et de défense au Parlement européen. Je crains d'être le seul. Cela peut se comprendre : le « contingent » français n'étant pas le plus important, il est normal que mes collègues se concentrent en priorité sur les domaines législatifs. Néanmoins, je le regrette. La sous-commission de la Défense est rattachée à la commission des Affaires étrangères, où la présence française reste également assez modeste. Or s'il ne s'y prend pas de décisions, c'est là que se façonnent des débats qui pèseront un jour ou l'autre sur nos débats nationaux. La commission des Affaires étrangères dispose ainsi de prérogatives non négligeables en matière d'élargissement. Dans la mesure où très peu de députés français participent aux débats sur cette question, nous risquons de nous faire prendre de vitesse. Lorsque les décisions seront prises, il sera trop tard ! Être plus nombreux dans ces débats en amont permettrait d'alerter le Gouvernement et le Parlement sur ce qui se prépare. Chacun des pays candidats fait en effet l'objet de rapports au Parlement européen, et celui-ci joue un rôle très important dans les préconisations de la Commission.
Parmi les députés français qui siègent à la commission des Affaires étrangères, on compte trois UMP et deux écologistes, mais plus aucun socialiste depuis le départ de M. Peillon. Cela pose problème, car le Gouvernement ne dispose pas de relais direct dans la commission. C'est donc nous qui l'avons alerté sur les tendances qui sont en train de se dessiner dans le débat sur l'élargissement. Il en va de même pour les questions de défense. J'ai invité M. Le Drian à venir s'exprimer devant nous, mais cela n'a pu se faire qu'au printemps, quatre mois après le début des opérations françaises au Mali – qui recevaient par ailleurs un très bon accueil de nos collègues européens. Ce n'est pas un problème partisan, mais un problème de « courroie de transmission » de l'information, dû à l'absence de député socialiste à la commission des Affaires étrangères. Il faudra veiller à cet aspect à l'avenir, d'autant que les autres membres de la commission des Affaires étrangères – et singulièrement les Britanniques – y sont particulièrement actifs, qu'il s'agisse de reprendre à leur compte des idées qui marchent ou de « torpiller » celles dont ils ne veulent pas.
Je partage bien sûr le constat général, qui est celui d'un problème de volonté politique.
Un mot sur l'articulation entre sécurité intérieure, sécurité aux frontières et politique de défense. Nous pouvons faire plus dans le domaine de la sécurité, mais il convient d'être attentif aux processus de décision : si certains domaines de la sécurité passent dans le champ de la sécurité et de la défense, nous reviendrons dans le cadre strictement intergouvernemental. On court dès lors le risque de blocages insurmontables. Les agences communautaires comme Frontex se révèlent très utiles à cet égard : une fois que la décision est prise, elles n'ont plus besoin de l'accord de chacun des Vingt-huit pour agir.
Un autre élément nous semble encourageant – non que nous voulions nous réjouir de choses insignifiantes, monsieur de Rugy, mais la désaffection de nos concitoyens vient aussi de ce qu'ils ignorent comment fonctionne l'Union et si j'accepte que l'on instruise des procès contre l'Europe, encore faut-il le faire de bonne foi ! Le nouveau système de surveillance des frontières de l'Union, Eurosur, a été activé il y a deux jours. Il mobilise des instruments habituellement utilisés par la politique de défense, en particulier le Centre satellitaire de l'Union européenne. Cette petite structure dotée d'un budget de 16 millions d'euros alimente l'Union européenne en propre à partir des images fournies par les satellites français, italiens ou allemands. Jusqu'à présent, ces images étaient utilisées pour les missions de la PSDC, mais pas pour les moyens communautaires, puisque le Centre est une institution du Conseil. Elles le sont désormais pour essayer de mieux contrôler les mouvements vers les frontières de l'Union, en particulier les départs de bateaux. C'est une goutte d'eau dans l'océan, mais cela montre qu'il est possible de mobiliser efficacement certains instruments de la politique de défense en faveur de la sécurité, ou inversement. Le pragmatisme est la seule façon de progresser. Il faut donc que ceux qui veulent avancer puissent le faire. Actuellement, un État peut bloquer un projet souhaité par tous les autres. Vos collègues sénateurs ont appelé à la constitution d'un Eurogroupe de la défense. Je pense qu'il faut éviter de figer sa composition. Pour ma part, je crois beaucoup à la modularité. Si nous sommes confrontés demain à une crise dans le Caucase, les Espagnols ne souhaiteront sans doute pas s'impliquer ; en revanche, des pays que nous n'entendons pas lorsqu'il s'agit de l'Afrique seront prêts à le faire. Il faudra donc accepter d'être empirique dans la modulation de cet Eurogroupe.
Il en va de même pour les capacités. Les pays baltes, dont l'apport à la défense européenne est minime, sont aussi ceux qui sont les plus sensibles aux questions de sécurité informatique, car l'Estonie a subi en 2007 une cyber-attaque de grande ampleur qui a notamment visé les sites du gouvernement. Ce pays, qui participera très rarement à nos opérations en Afrique et dont l'armée est très réduite, est donc prêt à consacrer des moyens à la cyber-sécurité.
Deux blocages majeurs restent à surmonter. J'ai déjà évoqué le premier, qui concerne les institutions communautaires et le Conseil : il s'agit de l'autocensure. L'opération en Libye en offre un exemple typique. Techniquement, il aurait été possible de commencer l'opération sous l'étendard européen, quitte à ce qu'elle soit reprise par l'OTAN dans un second temps. Mais Mme Ashton ne l'a pas proposé car, a-t-elle fait valoir, les Britanniques s'y seraient opposés, ce qui n'aurait pas manqué de susciter un bras de fer. Or il fallait aller vite. Je pense que M. Solana aurait fait un autre choix et que les Britanniques auraient sans doute fini par céder.
Cette autocensure sur la PSDC s'est diffusée à tous les niveaux de l'administration bruxelloise : parce qu'on estime que cela n'est pas possible, que les Britanniques vont s'y opposer, ou que peu d'États sont prêts à jouer le jeu, on pense qu'il ne sert à rien de proposer.
Une sorte d'apathie s'est ainsi emparée des institutions bruxelloises : aussi paradoxal que cela puisse paraître, elles étaient plus réactives, et presque plus efficaces, avant le traité de Lisbonne. Les structures étaient certes plus petites du temps de M. Solana, mais les équipes étaient animées d'un esprit pionnier, les circuits décisionnels étaient plus courts, et l'autocensure était moins répandue. Celle-ci n'existe d'ailleurs que parce que les États membres ne veulent pas jouer le jeu.
Il est vrai qu'ils ont d'autres priorités en temps de crise, mais la vraie question est d'ordre institutionnel. Permettez-moi de citer un exemple qui m'a sidéré – et c'est une histoire vraie. En février, en pleine guerre du Mali, alors qu'un État européen était en guerre au nom des autres, une réunion informelle des ministres de la Défense de l'Union s'est tenue à Dublin. Seuls sept des 28 ministres de la Défense avaient fait le déplacement. L'ordre du jour était pourtant loin d'être mineur – il s'agissait du Mali et des capacités. Dix jours plus tard, une réunion ministérielle de l'OTAN se tenait à Bruxelles : les 22 ministres européens concernés étaient présents, pour discuter du partenariat entre l'OTAN et l'Ukraine. Tout est dit.
Il nous faut donc un Conseil des ministres de la Défense, dont les tâches ne touchent pas tant au domaine opérationnel – puisque nous connaissons les contraintes propres à chaque pays pour l'engagement des forces – qu'au domaine capacitaire. Les industriels attendent qu'on leur commande des programmes ; l'AED attend d'être dotée du pouvoir de coordonner ceux-ci. Les ministres de la Défense doivent pouvoir en discuter, selon des échéanciers un peu plus contraignants qu'aujourd'hui, voire avec l'obligation de prendre des décisions à intervalles réguliers et avec des bilans d'étape tous les quatre ou six mois. Actuellement, ils sont loin d'être tous autour de la table.
Il reste donc du chemin à parcourir. Il convient d'évaluer ce qui existe, de faire connaître ce qui fonctionne – sans pour autant se bercer d'illusions – et, bien sûr, de continuer à « pousser » la PSDC sur le plan politique. Encore une fois, elle répond à une préoccupation de nos concitoyens et tant que nous ne pourrons pas opposer à la question « Que fait l'Europe ? » des réalisations substantielles, nous en resterons à un scepticisme teinté d'ironie qui est d'autant plus terrible que cela pourrait – et que cela devra – marcher. En effet, le désengagement américain est là ; voilà deux ou trois ans que nous le rappelons en préambule de tous nos rapports. Ceux qui ne veulent pas le voir font preuve d'une cécité coupable. Le réveil risque d'être brutal et dévastateur. N'oublions pas que la défense européenne a été relancée suite aux guerres des Balkans – sur le continent européen. Si pareil conflit venait à se reproduire, nous repartirions comme en 1990. Autrement dit, nous avons perdu vingt-cinq ans.
Nous devons donc continuer à alerter nos gouvernements sur ce point. Il ne manque parfois pas grand-chose. Il faudrait que nous puissions aller de l'avant même lorsque nos amis britanniques bloquent sur certains points. Dois-je rappeler que nous étions à vingt-six contre un lorsque Londres a bloqué l'idée d'un quartier général européen en 2011 ? Nous ne parlions cependant pas de créer un état-major de 15 000 hommes, ou huit états-majors comme à l'OTAN, mais simplement une structure de planification et de conduite des opérations !
Je vous remercie pour les lumières que vous avez apportées à nos deux commissions. Vous aurez compris que nos réflexions rejoignent les vôtres s'agissant de la difficulté de faire exister l'Europe de la défense et de la nécessité d'avancer résolument dans ce domaine. Cela étant, lors de la dernière rencontre des présidents des chambres basses des pays du Triangle de Weimar, qui s'est tenue il y a quelques mois à Cracovie, la Pologne et l'Allemagne nous ont semblé ouvertes, plus que de coutume, aux idées que nous portons. Nous n'en sommes pas encore aux décisions, mais nous nous réjouissons de cette inflexion.
Sachez également que le rapport sur l'Europe de demain que j'ai rédigé pour le compte de la commission des Affaires européennes recommande la création d'un ministre de la Défense européen. Tant qu'elle ne sera pas dotée d'un ministre de l'Économie et d'un ministre de la Défense, l'Europe ne sera pas achevée. Il existe en tout cas une volonté politique en faveur d'une nouvelle étape dans la construction de l'Union. Nous devons tous y travailler.
Les prochaines élections européennes s'annoncent très délicates, sous la présidence de la Grèce, elle-même confrontée à une situation difficile. Croyez bien, madame Koppa, que nous apportons et continuerons d'apporter à votre pays tout notre soutien dans les efforts qu'il consent.
La Commission examine pour avis, sur le rapport de Mme Danièle Hoffman-Rispal, le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes (n° 1420)
Nous allons maintenant procéder à l'examen pour avis du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes.
Je cède la parole à la rapporteure pour avis, Mme Danièle Hoffman-Rispal.
Mes chers collègues, je vais vous présenter rapidement le traité, sa genèse et ses principales dispositions.
Signé par la France, aux côtés de 66 autres États, le 3 juin 2013, le traité sur le commerce international des armes classiques est le premier grand traité universel du XXIe siècle sur les armements. Il s'agit en fait du premier grand traité sur les « armes classiques », c'est-à-dire sur les armes qui ne sont pas de destruction massive. Il instaure un régime de contrôle des exportations d'armements conventionnels qui reposera sur une obligation stricte d'interdiction d'exportation lorsque celle-ci met manifestement en danger le droit international des droits de l'Homme, le droit humanitaire, la paix et la sécurité.
C'est une évidence : le commerce des armes classiques nécessite un mécanisme de régulation collectif. Je rappelle que le marché des armes aurait représenté en moyenne 75 milliards d'euros par an sur la période 2006-2011. Toutefois son montant réel est sans doute nettement supérieur : les estimations se fondent en effet sur les données publiées par les gouvernements, qui ne partagent pas les mêmes méthodes de qualification des armements ou qui ne fournissent simplement aucune donnée sur certains transferts.
Certes, il convient de rappeler qu'un certain nombre d'organisations régionales se sont dotées d'outils de régulation plus ou moins complets. : l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et, naturellement, l'Union européenne, avec la position commune du Conseil de l'Union européenne, adoptée en 2008, qui définit des règles régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipement militaire. Mais il n'existait jusqu'alors aucun instrument juridique universel ou véritablement contraignant en matière de commerce licite des armes conventionnelles.
Ce traité est le fruit d'une longue négociation et ses stipulations demeurent en deçà de la réglementation européenne relative à ces questions. Dans la mesure où il n'ajoute aucune règle plus contraignante que celles déjà appliquées par la France en matière de vente d'armements, son impact économique pour notre industrie de défense sera nul.
Même si ce traité ne répondra pas forcément à toutes les préoccupations de ceux qui souhaitent réglementer le commerce des armes, il n'en constitue pas moins une avancée historique fondée sur deux piliers : le contrôle des exportations légales et la lutte contre le détournement du commerce légal des armes classiques et contre leur trafic illicite. À cet égard, je souhaiterais dire quelques mots sur l'article 6. L'instrument essentiel prévu par le traité est l'interdiction d'exportation. En effet, si l'exportation viole l'un des principes et règles énumérés à l'article 6, l'interdiction d'exportation par l'État Partie exportateur est alors obligatoire.
Au 27 novembre 2013, 115 pays avaient signé le traité et huit l'avaient ratifié. Naturellement oserais-je dire, certains pays comme la Chine ou la Russie risquent de tarder à le ratifier. En outre, les États-Unis, s'ils ont signé le traité, risquent de repousser à plus tard la ratification, les conditions politiques n'étant pas réunies dans ce pays fortement attaché au droit de chaque citoyen de porter des armes.
En conclusion, je rappellerai que le Livre blanc a souligné l'effort de la France dans le domaine du contrôle des transferts internationaux d'armements. En devenant l'un des premiers pays à ratifier ce texte, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, grand exportateur d'armement et puissance européenne de premier plan, continuera à jouer son rôle moteur dans l'élaboration d'un système de sécurité internationale fondé sur le droit.
Le groupe UDI ne peut que soutenir ce traité qui va dans le bon sens, même si sa portée restera sans doute symbolique.
Les symboles sont parfois importants, et permettent de faire évoluer les mentalités. Je ne doute pas que le commerce illicite des armes continuera de prospérer dans certains pays, mais il faut toujours un premier pas pour avancer.
Il s'agit d'un sujet compliqué, bloqué depuis des années car personne n'osait faire le premier pas. Nous avons ici un texte, soumis à l'ensemble des Nations et que peu de pays ont ratifié à ce jour. À cet égard, la France envoie un signal fort, celui d'une grande Nation, dotée d'une puissante industrie de l'armement et qui, néanmoins, s'apprête à le ratifier. Comme le rappelle le Livre blanc, le contrôle des transferts d'armes participe également à la lutte pour la paix, et la position de notre pays démontre notre attachement à cette dernière.
Le groupe SRC soutiendra évidemment ce texte dont nous aurions sans doute pu attendre davantage, mais un trop fort niveau d'exigence a souvent servi d'excuse pour ne rien faire. Il convient donc d'autoriser la ratification de ce traité.
Je le rappelle, à fin novembre, 115 pays avaient signé le traité, et seulement huit l'avaient ratifié. La position de la France pourra servir d'exemple, notamment au niveau européen. Je reprendrai les déclarations de nos collègues députés européens que nous venons d'auditionner : tout est question de volonté politique.
Nous n'en avons malheureusement pas eu le temps eu égard à un calendrier particulièrement contraint. Toutefois je tiens à souligner une nouvelle fois que le traité ne changera rien pour eux, puisqu'ils sont déjà soumis à des procédures nationales plus contraignantes que celles prévues par le traité. Environ 600 demandes d'exportation sont examinées chaque mois, au terme d'une procédure particulièrement longue et rigoureuse. Notre cadre juridique national est plus complet et plus exigeant que les stipulations du traité, aussi sa ratification n'aura-t-elle aucun impact économique négatif sur notre industrie de défense.
Je ne vois pas qui pourrait s'opposer à un tel texte lors du débat en séance publique. Il s'agit effectivement d'un premier pas, et j'imagine que l'Assemblée nationale autorisera la ratification du traité à l'unanimité.
Vous nous avez donné quelques chiffres importants concernant le nombre de signatures et de ratifications du traité. Dispose-t-on d'informations concernant d'autres États qui s'apprêteraient à le ratifier, notamment en Europe ?
Le processus de ratification est encore très récent puisqu'il n'a été lancé qu'en juin 2013. Nous ne disposons donc pas de tels éléments. En tout état de cause, la France fera partie des dix premiers États à ratifier le traité. Cela constituera un signal fort, notamment dans le contexte de nos interventions extérieures récentes et à venir.
Conformément aux conclusions de la rapporteure pour avis, la Commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
La séance est levée à onze heures trente.