Intervention de Maria Eleni Koppa

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Maria Eleni Koppa, rapporteure de la sous-commission « Sécurité et défense » du Parlement europée :

La France est à l'avant-garde de la construction de l'Europe de la défense ; aussi les échanges entre le Parlement européen et vos Commissions sont-ils éminemment précieux. Comme l'a souligné Arnaud Danjean, en matière de sécurité et de défense, si la gauche opposée à la PSDC présente toujours un rapport minoritaire, le principal clivage oppose les pro européens aux eurosceptiques.

Dix ans après l'adoption, en décembre 2003, de la stratégie européenne de sécurité et cinq ans après le rapport sur sa mise en oeuvre, adopté par le Conseil européen en décembre 2008, le sommet à venir offre enfin l'occasion d'aborder la question de la défense européenne. À un moment où la crise économique entraîne de profonds bouleversements dans plusieurs États membres, cet enjeu peut paraître futile. En dépendent pourtant la prospérité et l'avenir des citoyens européens et, à ce titre, loin d'être cantonné aux militaires, il doit faire l'objet d'un débat public en vue des élections européennes.

Au sein du Parlement européen, l'écrasante majorité des groupes politiques est consciente de la nécessité de mettre cette question à l'ordre du jour. Le rapport ambitieux que nous avons élaboré en expose les enjeux, créant ainsi une dynamique de discussion. Le Parlement européen veut persuader non seulement le Conseil, mais également les citoyens européens, de l'importance de la défense commune ; en effet, la PSDC ne peut pas exister sans le soutien actif de la population et ne saurait être débattue uniquement entre élites. Durant la période préélectorale qui s'ouvre aujourd'hui, nous devrons expliquer aux Européens qu'en permettant d'assurer la sécurité des peuples du continent dans un monde qui change très rapidement, la défense garantit l'avenir de nos sociétés.

Le rapport commence par décrire le nouveau contexte, dans lequel la multiplication des défis géostratégiques exige de maximiser l'efficacité de la défense. Nous devons nous concentrer sur des priorités tout en coopérant de façon plus coordonnée à l'échelle européenne. Ces dernières décennies, le monde a connu des changements radicaux : les menaces apparaissent désormais pluridimensionnelles et asymétriques ; l'intérêt des États-Unis se déplace vers le Pacifique ; le printemps arabe et l'instabilité au sud de la Méditerranée, la piraterie et l'émergence de nouvelles puissances créent une nouvelle situation internationale à laquelle l'Europe doit s'adapter. S'y ajoute la grave crise économique et financière qui entraîne des coupes drastiques dans les budgets de la défense nationale des États membres. Il nous faut par conséquent faire plus avec moins. Dans ce nouveau contexte, l'Europe fait face à un choix : rester une puissance uniquement économique ou devenir un acteur global. Si nous avons vocation à assumer ce dernier rôle, il est urgent de concevoir une approche réellement européenne de la sécurité et de la défense.

La PSDC ne peut pas être construite à vingt-huit. Définir l'intérêt européen par l'addition de vingt-huit intérêts nationaux traduirait d'ailleurs un manque lamentable d'ambition. Il faut poser comme principe que les États membres qui souhaitent aller de l'avant ne doivent pas être bloqués par les autres. Nul besoin pour cela de signer de nouveaux traités ou d'amender les traités existants ; il suffit de mettre en pratique les instruments introduits par le traité de Lisbonne, tels que la coopération structurée permanente. L'article 44 du traité donne ainsi la possibilité de confier des missions de la PSDC à un groupe d'États membres. Pourquoi ne pas l'avoir utilisé, même a posteriori, pour donner ce statut aux opérations conjointes franco-britanniques en Libye ? Il faut également explorer l'idée d'un fonds de lancement susceptible de financer les activités préparatoires de missions, qui ne seraient plus couvertes alors par le budget de l'Union ; les provisions étant là, seule manque la volonté politique de les déployer de façon cohérente.

Notre rapport reprend les trois axes définis par le Conseil. En premier lieu, nous nous y demandons donc comment accroître l'efficacité et la visibilité de la PSDC. Le fait de disposer de plusieurs instruments politiques qui complètent l'approche globale constitue un atout majeur pour l'Union ; comment coordonner tout cela pour mieux affronter les défis à venir ? Il nous faudrait rédiger un Livre blanc sur la défense et la sécurité européennes, sur le modèle de celui que vous avez élaboré en France. En effet, l'Union européenne souffre de plusieurs déficiences mais les groupements tactiques, financés mais jamais déployés, peuvent constituer une force de frappe rapide, tout en servant également à la prévention des conflits. L'Union doit absolument disposer de forces de combat permanentes, rapidement opérationnelles – terrestres, aériennes, navales et spatiales – et opter pour une approche plus flexible et ciblée afin de s'adapter aux différentes situations. La crise économique fragilisant la volonté des États de contribuer aux opérations, en particulier à celles qui ont des conséquences militaires, il faut étendre le champ d'application du mécanisme de financement Athena et utiliser le fonds de lancement pour affronter les tâches urgentes. Étant donné aussi que l'économie européenne dépend de la liberté de navigation, nous avons impérativement besoin d'un dispositif spécifique de sécurité maritime ; espérons que le Conseil européen pourra prendre des décisions concrètes en ce sens. Enfin, la sécurité de l'espace et la cybersécurité sont, avec la sécurité énergétique de l'Union, au coeur du débat ouvert au Parlement européen. Nous considérons la sécurité comme un concept global : pour construire la PSDC, terre, mer, espace, air et espace cybernétique doivent faire l'objet d'une égale préoccupation.

Nous voulons une Union capable d'agir de façon autonome au niveau international. Vingt-deux de ses vingt-huit membres faisant également partie de l'OTAN, il faut à nouveau souligner la complémentarité entre ces deux organisations, qui ne remet pas en cause l'autonomie décisionnelle de chacune. Nous sommes persuadés que le déploiement de la PSDC ne compromet pas, mais au contraire renforce la sécurité collective assurée par les liens transatlantiques.

Le deuxième axe du rapport concerne le renforcement des capacités de défense. Dans une période de crise économique aiguë, le pooling and sharing devient plus nécessaire que jamais. Une collaboration plus étroite permettra d'utiliser des ressources rares d'une manière plus intelligente, en évitant le double emploi. Mais soyons clairs : plus que d'une décision budgétaire, il s'agit là encore d'une question de volonté politique – qui fait parfois défaut. Dans ce cadre, le rôle de l'Agence européenne de défense (AED) apparaît primordial. L'AED est investie de missions importantes : organisation de la coopération structurée permanente, formulation d'une politique européenne en matière de développement des capacités militaires des États membres et de renforcement de la base industrielle. Pour doter l'AED de pouvoirs à la hauteur de ces missions, nous avons besoin de confiance mutuelle et de transparence, mais avant tout de volonté politique. Il faut placer la coopération et la synergie au coeur de notre débat.

Le Conseil européen de décembre ne doit pas se limiter à répéter des slogans, il doit prendre des décisions concrètes. Le Parlement européen souhaite le voir fournir des orientations politiques et stratégiques en matière de renforcement des capacités de défense conformes à l'engagement des États membres ; jeter les bases d'une planification véritablement collective ; accélérer la mise en oeuvre des traités existants et apporter un soutien politique aux projets pilotes de l'AED – ravitaillement en vol, communication par satellites, drones, cyberdéfense et espace aérien commun européen. Nous appelons de nos voeux la création d'un mécanisme de contrôle, assorti d'une feuille de route et de critères d'évaluation concrets, afin de suivre régulièrement les progrès accomplis. Il serait également important de créer un conseil des ministres de la Défense. Le Conseil de décembre doit devenir le point de départ d'un processus de révision régulière des questions de sécurité et de défense.

Enfin – dernier axe du rapport –, le Parlement soutient pleinement les efforts de la Commission visant à renforcer la base industrielle de la défense et le marché de la sécurité pour élaborer une réelle politique industrielle dans ces secteurs. Parvenir, en temps de crise, à renforcer et à unifier l'industrie européenne de défense exige de travailler à la standardisation et à la certification des produits, conditions d'une meilleure interopérabilité des forces armées. Il est également nécessaire de soutenir la demande, surtout pendant cette période difficile. Il faut enfin assurer l'avenir des grandes, petites et moyennes entreprises du secteur, qui représentent des milliers d'emplois impossibles à délocaliser. La coopération des entreprises de défense et l'intégration du marché doivent aller de pair avec un dialogue social actif ; le recours aux instruments financiers communs tels que le Fonds social européen et le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation devrait permettre d'atténuer les éventuelles conséquences négatives de ces processus.

Sécurité intérieure et sécurité extérieure sont intimement liées : seul un environnement de paix et de stabilité peut préserver le modèle politique, économique et social européen. Pour y parvenir, nous devons coopérer davantage, développer nos capacités et construire la confiance nécessaire. Cette discussion ne doit pas devenir un exercice à huis clos ; au contraire, nous devons élaborer un nouveau récit porteur de sens pour les citoyens européens. Parce qu'il est urgent de décider si l'on a besoin d'une défense européenne, la grande majorité des groupes politiques du Parlement européen est convaincue qu'en décembre 2013, les États membres intéressés, le Parlement et la Commission doivent délivrer un message fort. Je suis persuadée que le développement de la PSDC peut apporter une contribution substantielle à la création d'une identité européenne. Essayons de faire de ce Conseil le début – et non la fin – d'un chemin.

Les conclusions du Conseil des affaires étrangères – dix-sept pages – donnent de l'espoir, affichant la volonté d'élaborer une feuille de route pour la discussion sur la défense et la sécurité européennes. Elles laissent toutefois de côté plusieurs grandes questions, telles que celles de l'état-major européen ou de la mise en application du traité de Lisbonne. Malheureusement, le manque de confiance et les égoïsmes nationaux continuent à peser sur l'avenir de la PSDC, et finalement sur la construction européenne elle-même.

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