Intervention de Denis Baupin

Séance en hémicycle du 11 décembre 2013 à 15h00
Couts de la filière nucléaire — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, mes chers collègues, dans quelques mois, notre assemblée aura à débattre de la loi de programmation sur la transition énergétique. L’objet de cette commission d’enquête est de nous aider et de nous éclairer sur les enjeux de cette loi et ceux de la politique énergétique, et particulièrement sur les coûts de la filière la plus importante de production d’électricité en France : la filière nucléaire.

Il y a deux ans, la Cour des comptes a rendu un rapport qui a fait date sur les coûts du nucléaire. Celui-ci aura mis en évidence des éléments désormais actés, mais également bon nombre d’incertitudes sur le coût des accidents nucléaires – les chiffres publiés par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire varient entre 400 et 2 000 milliards d’euros – et par voie de conséquence sur celui de l’assurance et de la prise en compte leurs conséquences, sur le coût du démantèlement – la Cour des comptes a montré que les provisions prévues en France sont largement inférieures à celles que nombre d’autres pays ont prévues à ce titre –, sur les coûts de gestion des déchets nucléaires – les évaluations pour le projet d’enfouissement CIGEO sur le futur site de Bure varient de 16 à 35 milliards d’euros, voire plus en fonction de la politique énergétique qui sera choisie –, sur le coût enfin de la filière du retraitement et de la fabrication du MOX.

Qui plus est, de nouvelles informations ont permis depuis de mettre en évidence d’autres interrogations, notamment sur le coût de la gestion proprement dite de la filière nucléaire. Le rapport de la commission de régulation de l’énergie a relevé une augmentation significative du coût de cette filière, qui s’est traduite par des augmentations tarifaires. Nous constatons d’ailleurs chaque mois, sinon presque chaque jour, une augmentation de l’indisponibilité des réacteurs nucléaires en raison du manque d’investissement de ces dernières années. Le coût de gestion ne cesse de croître. Nous savons qu’EDF a prévu des investissements significatifs : on parle d’un plan dit de « grand carénage » de près de 50 milliards d’euros. Nous ne savons pas exactement à quoi ils correspondent, mais l’autorité de sûreté nucléaire nous assure qu’ils sont nécessaires, quelles que soient les décisions prises à l’avenir sur la suite de la filière, pour que les réacteurs nucléaires puissent résister jusqu’à quarante ans… Cinquante milliards d’euros, sans compter évidemment les dépenses supplémentaires liées à l’accident de Fukushima et aux évaluations complémentaires de sûreté, à la suite desquelles l’autorité de sûreté nucléaire a émis pas moins de mille recommandations pour améliorer la sûreté des réacteurs nucléaires et des installations d’Areva. À tel point que le rapport de la commission d’enquête du Sénat, l’an passé, sur le coût de l’électricité a évalué celui de l’électricité nucléaire à environ 75 euros le mégawattheure pour ce qui est du nucléaire prolongé.

Au moment où nous allons aborder le débat relatif à la loi sur la transition énergétique, la question, légitimement, est posée : qu’allons-nous faire de cette filière nucléaire ? Certains pensent que nous pourrions nous exonérer de la transition énergétique, considérant que notre parc nucléaire est amorti et qu’il suffirait de le prolonger au-delà de quarante ans. Mais aborder la question de la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans suppose de la soumettre en premier lieu à l’Autorité de sûreté nucléaire. Or son président est très clair : aucune décision ne peut être prise aujourd’hui, rien ne peut être garanti en ce qui concerne la capacité de prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans. Cela pose des questions de sûreté sur lesquelles l’autorité de sûreté établira un référentiel en 2015. Rien ne permet donc de dire aujourd’hui, réacteur par réacteur, s’il est possible de prolonger les installations au-delà de quarante ans.

À cette première incertitude vient s’en ajouter une deuxième : à supposer que des réacteurs puissent être prolongés au-delà de quarante ans, quel en serait le coût, sachant que l’Autorité de sûreté nucléaire précise qu’ils devraient au minimum être portés à un niveau de sûreté équivalant à celui de l’EPR ? Nous avons, pour notre part, des réserves quant au niveau de sûreté de l’EPR ; quoi qu’il en soit, chacun conviendra qu’une telle opération serait particulièrement coûteuse.

Pour résumer, la prolongation des réacteurs existants est-elle possible, et si elle l’est, à quel coût ?

Mais la question se pose également pour les nouveaux réacteurs. Nous en avons un exemple en France avec l’EPR de Flamanville, dont le coût a été multiplié au moins par trois et la durée de construction par deux ; son équivalent finlandais connaît des aléas comparables. Et si nous regardons la négociation menée par EDF pour tenter d’implanter des EPR en Grande-Bretagne – sachant que cette négociation est soumise pour l’instant au contrôle de la Commission européenne dont on ne connaît pas l’avis –, il a fallu s’engager sur pas moins de 19 milliards d’euros pour deux réacteurs nucléaires, avec une garantie d’achat de l’électricité à un prix représentant à peu près le double de celui du marché actuel, et ce pendant trente-cinq ans… Autant dire des perspectives qui n’ont rien d’équivalent avec ce que l’on propose désormais dans le secteur de l’éolien, par exemple, en termes de de marché et de rentabilité.

L’objectif de cette commission d’enquête est de faire la transparence sur toutes ces questions. Personne ne peut nier la nécessité d’assurer la transparence, l’information, la vérité des prix à l’ensemble des parlementaires alors que nous allons bientôt délibérer sur cette loi. La commission d’enquête doit nous donner tous les éléments nécessaires au débat. Le mythe longtemps entretenu d’un nucléaire bon marché est aujourd’hui largement… fissuré – pour reprendre une expression bien connue dans le domaine du nucléaire. Nous avons besoin de la vérité des prix, de la transparence, de tous les éléments afin que chacun puisse mesurer, au moment où nous aurons à choisir entre la transition énergétique que nous appelons de nos voeux, que notre majorité souhaite, et la non-transition énergétique que certains voudraient peut-être promouvoir, qu’il n’y a pas d’un côté une énergie coûteuse et de l’autre une énergie qui serait gratuite, mais qu’il existe des options qui chacune ont des coûts et des conséquences. C’est en ayant une parfaite connaissance de tous ces éléments que nous pourrons prendre les meilleures décisions.

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