La Commission européenne a annoncé son intention d'autoriser la mise en culture du maïs TC 1507 . Sur ce dossier , on voit l'incapacité des Européens à gérer le dossier sensible de l'autorisation des OGM, incapacité qui amène la Commission à se substituer aux États.
Sont actuellement autorisées à l'importation et à la commercialisation, 34 variétés d'OGM dont 25 variétés de maïs, trois de coton, deux de colza et une de betterave. La mise en culture est plus problématique car elle pose la question de la dissémination avec les conséquences sur les insectes pollinisateurs, n'est autorisée que pour deux OGM – le maïs Monsanto 810 et la pomme de terre Amflora. Cette décision de la Commission est surprenante autant par la méthode que par le calendrier choisi. Rappelons que les négociations de l'accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Europe sont entrées dans une phase active et l'on ne peut s'empêcher de faire le lien entre les deux dossiers. On peut légitimement se poser la question sur ce sujet , comme pour d'autres :« la Commission européenne défend-elle vraiment les intérêts des citoyens européens ? ».
Quelques précisions sur le contexte juridique de l'affaire. Voilà douze ans, depuis 2001, que la société Pioneer tente d'obtenir de l'Union européenne le droit de faire cultiver cette semence. A la suite du dépôt de la demande par cette société, la Commission avait présenté en 2005 une proposition d'autorisation qu'elle a soumise au collège d'experts des États. Ceux-ci n'ayant pas réussi à se mettre d'accord, la Commission devait soumettre la proposition au Conseil des ministres, ce qu'elle n'a pas fait en raison des blocages politiques venant de nombreux pays opposés à la culture des OGM. En 2010, Pioneer a fait devant la Cour de justice de l'Union européenne, un recours en carence. En septembre 2013, est intervenu le jugement de la Cour européenne selon lequel la Commission a été trop lente dans la gestion de la demande d'autorisation ; il lui est donc enjoint de poursuivre la procédure sans toutefois lui préciser sous quelle forme .
Cet arrêt de la Cour de justice fournit à la Commission européenne l'occasion d'aller de l'avant dans les autorisations d'OGM, donnant l'impression qu'elle veut solder certains dossiers avant les élections européennes.
Rappelons un point de procédure. Faute d'avoir obtenu un vote à majorité qualifiée au Comité d'experts, le comité permanent de la chaîne alimentaire et la santé animale, la Commission doit faire appel au Conseil des ministres. Si au sein de ce Conseil, une majorité qualifiée se dégage, soit en faveur, soit contre l'autorisation, la décision du Conseil des ministres s'impose. En revanche, en l'absence d'avis, la Commission peut, mais sans obligation, adopter l'autorisation. Le Conseil des ministres de l'environnement se réunira à cet effet le 13 décembre prochain. Il faudra une majorité qualifiée, c'est-à-dire au moins 15 États représentant 62% de la population pour empêcher l'autorisation, ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas. La balle sera donc dans le camp de la Commission qui a d'ores et déjà annoncé qu'elle donnerait l'autorisation. Elle indique qu'elle est liée par le jugement de la Cour de justice. Mais ce jugement n'est qu'un prétexte ; en effet il ne fixe ni délai, ni pénalités de retard mais surtout, il n'empêche pas la Commission de reconsidérer sa position sur la demande d'autorisation. Si la Cour de justice impose à la Commission d'agir, il ne lui impose pas de donner automatiquement l'autorisation.
Rappelons que le maïs TC1507 secrète un insecticide qui cible un papillon, la pyrale du maïs et est tolérant à certains herbicides. Il s'agit d'un OGM très controversé, notamment pour ses effets néfastes sur les insectes lépidoptères. En 2012, sur la base d'un avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments du 19 octobre 2011, la Commission européenne avait demandé à la société Pioneer de modifier sa demande d'autorisation, notamment pour proposer des mesures d'atténuation des risques pour les insectes non cibles, ce à quoi elle s'est toujours refusée. Un avis du Haut Conseil des biotechnologies français du 6 mai 2010 soulève de nombreuses questions relatives aux phénomènes de résistance et de coexistence des filières et recommande en conséquence la mise en oeuvre d'un plan de surveillance post commercialisation.
En autorisant à la culture le maïs TC 1507 et en cédant devant l'opiniâtreté de la société Pionner, la Commission ouvre une brèche qu'il sera très difficile de colmater. La France a annoncé qu'elle maintiendra les conditions d'un moratoire sur les OGM destinés à la culture qu'ils soient d'ores et déjà autorisés comme le MON 810 ou dans le circuit d'autorisation. Les pays qui ont adopté un moratoire sur le maïs Mon 810- Autriche, Allemagne, Bulgarie, Grèce, Hongrie, Luxembourg et Pologne – devraient en faire de même.
L'annonce de la Commission est d'autant plus surprenante qu'en janvier 2013, elle avait déclaré ne pas prévoir de nouvelles autorisations d'OGM tant qu'un accord ne serait pas intervenu sur le processus de décision. La décision de la Commission s'inscrit bien au contraire dans une dynamique d'autorisations d'OGM. La Commission a récemment innové sur le plan de la procédure en délivrant, selon un calendrier de vote serré, une autorisation pour plusieurs OGM dont cinq maïs et ses sous-combinaisons. Elle s'est appuyée sur le règlement européen n°18292003 qui prévoit qu'une autorisation peut être accordée sur la base d'un dossier concernant une plante OGM, contenant un ou plusieurs événements de transformation. La France s'était opposée à cette demande en considérant qu'un empilement d'événements de transformation génétique au sein d'une même plante ne pouvait être considéré comme l'addition simple des propriétés des deux OGM initiaux. La Commission a donné le 6 novembre son feu vert à l'importation du fameux maïs Smartstax qui contient des éléments de transformation de plusieurs OGM. Ce maïs qui exprime six protéines et deux tolérances à des herbicides est largement critiqué : des cas d'insectes développant des cas de résistance aux protéines insecticides ont été rapportés et la Commission a choisi d'ignorer ces nouvelles données. L'entreprise qui produit ce maïs a elle-même mis en avant ces résistances pour vendre son propre insecticide.
On peut d'autant plus regretter cette précipitation qu'un nouveau règlement adopté en juin dernier comporte un certain nombre d'améliorations pour l'évaluation des risques : obligation de fournir des analyses de toxicologie, d'alimentarité, de conduire des analyses disposant d'une puissance statistique suffisante. Il ne s'appliquera toutefois qu'aux demandes déposées après le 8 décembre 2013 ; toutes les demandes d'autorisation déjà déposées à cette date échapperont donc à ce règlement et les dossiers déjà en cours continuent donc d'être évalués, voire autorisées selon des lignes directrices considérées aujourd'hui comme correspondant à une mauvaise évaluation. Dans ce mouvement de « normalisation » des OGM que semble suivre la Commission européenne, on peut mentionner sa proposition de la visant à modifier la législation européenne relative au miel pour définir le pollen comme un ingrédient du miel, ce qui permettrait de détourner l'obligation d'étiquetage sur les OGM. Ainsi, la présence de pollen OGM échapperait à toute obligation d'étiquetage d'OGM s'il est présent à moins de 0,9 % ! La Commission de l'environnement du Parlement européen a d'ailleurs rejeté cette proposition.
Au-delà de l'autorisation du maïs TC1507, ce qui est en jeu est la révision de la procédure de validation des OGM dans l'Union européenne. Depuis décembre 2008, le Conseil des ministres de l'environnement s'est prononcé pour la révision de la procédure de validation des OGM en tenant compte des retombées négatives pour l'environnement et les impacts socio-économiques. En cinq ans, rien n'a été décidé. Le projet de révision présenté en 2010 par la Commission donnait aux États membres la liberté d'autoriser ou d'interdire unilatéralement la culture d'OGM sur leur territoire. Or ce projet ouvrait en grand la porte à la culture des plantes transgéniques et a été largement remanié par le Parlement européen et adopté à une large majorité. Le Parlement européen demandait notamment comme préalable un renforcement de l'évaluation des risques. Mais la Commission n'a rien mis sur la table et l'on ne sait pas sur quelles bases les discussions pourraient s'engager. Rappelons que l'opinion publique européenne est clairement en défaveur des OGM
Une des inquiétudes de ce dossier est la toile de fond que constituent les discussions de l'accord de libre-échange avec les États-Unis. L'agriculture sera clairement un des points d'achoppement de ces négociations et le point des OGM sera l'un des plus graves, car il pose la question du respect des préférences collectives européennes. Les USA ont saisi plusieurs fois l'OMC sur le sujet, notamment sur le moratoire des pays européens, dont la France, contre la culture du maïs Monsanto 810. L'un des objectifs clairement affiché par les USA- rappelons que 88 % du maïs et 94 % du soja cultivés aux États-Unis sont OGM – est faire tomber les barrières dressées en Europe contre les OGM. Il faut compter avec le lobbying intensif des multinationales des OGM qui a notamment fait adopter discrètement un amendement dans la loi budgétaire pour l'agriculture aux USA début avril qui permet la mise en culture de semences même quand leur homologation contestée en justice.
À l'issue de la communication que j'avais fait en décembre dernier, notre commission avait adopté une proposition de résolution demandant une remise à plat du dispositif communautaire d'évaluation, d'autorisation et de contrôle des OGM et des pesticides compte tenu des risques sanitaires et environnementaux qu'ils représentent. Compte tenu de l'évolution des rapports de force en présence, une simple remise à plat ne sera en tout état de cause pas suffisante et un durcissement est nécessaire. C'est pourquoi, je vous propose d'adopter les conclusions suivantes.