Intervention de Philippe Armand Martin

Réunion du 4 décembre 2013 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Armand Martin :

À travers le rapport qui vous est soumis nous ne critiquons pas un projet de l'Union européenne mais l'absence d'initiative de la Commission européenne dans ce domaine, qui n'utilise pas son pouvoir d'initiative en ce qui concerne le contrôle des investissements stratégiques provenant des pays extérieurs à l'Union européenne.

Il convient d'ailleurs de relever que les Commissaires Tajani et Barnier ont adressé à ce propos une lettre au Président Barroso, en 2011, pour qu'une initiative de la Commission intervienne ; leur démarche n'a pas obtenu de résultats à ce jour.

Dans une Europe en voie de constante intégration, la maîtrise de ses intérêts stratégiques apparaît économiquement primordiale. Avec cette proposition de rapport d'étape, je présenterai donc un état des lieux de la législation sur les investissements en Europe.

Il faut garder en mémoire le fait que l'Union Européenne est la première destinataire des IDE (investissements directs étrangers) dans le monde. Cependant, face à l'affluence des investissements, le vide juridique reste béant. Les investissements extra-communautaires relèvent de la compétence exclusive de l'Union depuis le traité de Lisbonne. Pourtant, rien ne protège les secteurs stratégiques européens. Une montée du patriotisme économique découle de ce vide. Pourtant, cette réaction est profondément contraire aux principes fondateurs de l'Union européenne. Nous souhaitons avec ce rapport dégager des pistes de compromis entre ouverture aux investissements et contrôle systématique de ceux-ci.

Nous nous sommes ainsi posé la question de savoir si l'Union européenne doit se protéger des investissements étrangers. Si l'Europe doit évidemment rester ouverte aux IDE, il ne faut pas pour autant qu'elle reste ouverte à tout vent, en prenant le risque de voir son économie malmenée. Certains investissements visent en effet plus à acquérir de nouvelles technologies qu'à permettre un développement d'entreprise. Nous recommandons donc de définir avec précision des secteurs stratégiques pour lesquels l'Union doit exercer une vigilance accrue. Nous jugeons que la définition des secteurs gagnerait à s'inspirer des législations existantes – tout en les améliorant.

Si l'Union Européenne, en tant qu'institution, est dépourvue d'une législation précise sur les IDE, certains États membres ont néanmoins conservé une législation propre. La France est ainsi un exemple de pays doté d'une législation sur les investissements. Le ministère de l'Économie peut exiger des garanties des investisseurs étrangers dans des secteurs sensibles. Il dispose de deux mois pour répondre à la demande d'investissement, après quoi l'investissement est considéré comme ayant été accepté. Les secteurs concernés sont aussi bien les activités de recherche, la sécurité informatique ou les industries fournissant le ministère de la défense. Toutefois, dans le cadre de l'Union, l'attitude française ne peut pas être la même vis-à-vis des investissements des pays membres et des investissements extracommunautaires. L'attitude est logiquement plus restrictive pour les pays tiers. La France évite par cette législation de contrôle le pillage de sa technologie par le biais des IDE. La France n'est pas seule en Europe à avoir mis en place des dispositifs de contrôle : Allemagne, Espagne ou Royaume-Uni requièrent également des autorisations pour certains investissements stratégiques. Nous déplorons donc que malgré certaines législations à l'échelle de l'État, le vide demeure à l'échelle de l'Union.

L'Union Européenne peut également trouver une source d'inspiration dans les législations d'autres États, comme les États-Unis ou la Chine. Ces deux géants ont cherché à établir un système de contrôle, qui ne soit pas pour autant dissuasif.

Il est intéressant dans un premier temps de se pencher sur le cas d'un pays à la tradition libérale comme les États-Unis. Malgré un attachement historique au libéralisme, le principe de réalité a rattrapé ce pays. Bien sûr, les États-Unis autorisent a priori les investissements comme l'indique leur place de premier pays d'accueil d'IDE. Pourtant, avec des investissements toujours plus nombreux, une certaine inquiétude à l'égard des IDE est née dès les années 1970. Une législation, symbolisée par l'amendement Exon-Florio de 1988, se met alors en place, qui a en ligne de mire les investissements fragilisant la sécurité nationale. C'est avec l'événement tragique du 11 septembre que le souci de sécurité prend toute son ampleur sur le territoire américain. Le domaine de la sécurité nationale ne se limite alors plus au domaine militaire, depuis 2005, pour englober des dimensions économiques. Avec le Foreign Investment in National Security Act de 2007, une enquête est obligatoire lorsqu'une acquisition est réalisée par une entreprise contrôlée par un gouvernement étranger. La législation sur le contrôle des investissements s'est donc progressivement précisée aux États-Unis, à l'opposé de l'Union Européenne.

L'Union Européenne peut également s'intéresser au système chinois de contrôle des investissements. Ouverte aux IDE depuis le début des années 1990, la République populaire de Chine a fait face à un afflux rapide et massif d'investissements, la plaçant aujourd'hui au rang de deuxième pays destinataire d'IDE dans le monde. Mais si les IDE sont nombreux en Chine, ils n'en sont pas moins contrôlés par l'État. Les autorités peuvent interdire un investissement étranger touchant à la sécurité économique du pays ou impliquant un secteur industriel majeur. Par ailleurs, le ministère du commerce regroupe les projets d'investissements en catégories : activités encouragées, activités restreintes et activités interdites. Le contrôle est donc précis, même si ce système demeure imparfait. Les régulateurs ne sont, en effet, pas obligés de suivre le catalogue.

Nous voyons donc, à travers ces différentes législations à quel point l'Union Européenne se distingue – peu heureusement – par le vide juridique qui prévaut dans ce domaine. Alors que les grandes puissances économiques renforcent leurs mécanismes de contrôle, l'Union demeure inactive. Il faut garder en mémoire que le droit européen pose le principe général de la liberté de circulation des capitaux. Toute dérogation à ce principe est difficile à obtenir. Elle requiert en effet l'unanimité du Conseil, après consultation du Parlement.

Néanmoins, le fait que la sécurité nationale soit de compétence nationale est à l'origine des législations, comme en France, permettant un contrôle des IDE. Un socle commun de contrôle fait défaut, ce que nous ne pouvons que regretter. Toutefois, un mécanisme de contrôle européen est aujourd'hui un objectif peu réaliste, voire peu souhaitable, sachant la difficulté qu'auraient les États membres à s'accorder sur les secteurs stratégiques. Nous jugeons donc qu'il serait souhaitable qu'une liste des domaines jugés stratégiques par l'Union européenne soit élaborée sous forme de directive, que les États pourraient compléter sous la surveillance de la Commission européenne. Une telle mesure permettrait de sécuriser juridiquement un dispositif nécessaire pour garantir l'indépendance à la fois économique et politique de l'Union européenne.

Sans pour autant adopter un ton excessivement alarmiste, je voudrais conclure en rappelant le récent épisode des écoutes de la NSA. Cette affaire nous fait nous interroger sur le danger de l'absence de protection à l'échelle européenne. Elle démontre, si une démonstration était encore nécessaire, qu'un système de protection des intérêts européens est souhaitable, et même urgent. Pour pouvoir être un véritable acteur des relations européennes, il est primordial que l'Europe puisse défendre ses secteurs stratégiques.

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