Intervention de Gaby Charroux

Séance en hémicycle du 12 décembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaby Charroux :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé du budget, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous entamons la deuxième lecture du projet de loi de finances pour 2014 après le lourd travail parlementaire mené ces dernières semaines et le rejet du texte au Sénat. Au cours de la navette parlementaire, le Premier ministre a annoncé la prochaine remise à plat de la fiscalité. L’examen du présent texte et la situation économique et politique nous confortent dans le sentiment qu’il y a en effet urgence à engager une profonde réforme de notre architecture fiscale.

Au fil des années, notre fiscalité est devenue opaque et surtout injuste. Cette injustice et cette opacité menacent le consentement à l’impôt et alimentent un dangereux populisme antifiscal. Certains instrumentalisent ce légitime mécontentement pour tenter de faire oublier la politique désastreuse qui fut la leur pendant dix ans.

Il reste que la politique actuelle d’affaiblissement de l’action publique et d’aggravation de la charge fiscale des ménages n’est pas soutenable. Les hausses d’impôt n’ont de sens que pour redistribuer les richesses et relancer l’activité. Lorsqu’elles tendent à donner des gages d’orthodoxie budgétaire aux marchés financiers et à l’Europe, elles n’ont aucun sens, aucune efficacité et agissent à rebours de notre pacte républicain.

Personne ne conteste l’impôt quand il sert à construire des écoles et des hôpitaux, à financer la recherche, à aider ceux qui font face aux accidents de la vie ou à réduire les inégalités. Mais il perd tout son sens lorsqu’il accompagne comme aujourd’hui l’appauvrissement volontaire de la République au profit d’une poignée de privilégiés qui non seulement continuent de bénéficier de cadeaux fiscaux mais s’arrogent le droit, avec l’appui de cabinets spécialisés, de placer leurs avoirs dans les paradis fiscaux afin d’échapper à l’imposition et de s’exonérer de la contribution commune au bien public.

L’État disposera cette année d’environ 285 milliards d’euros de recettes fiscales nettes pour faire face à ses obligations. Ces ressources sont majoritairement assurées par la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. L’impôt sur le revenu dépasse désormais les 70 milliards d’euros de recettes du fait, notamment, de la soumission au barème progressif d’une partie des revenus de capitaux mobiliers jusqu’à présent assujettis au prélèvement libératoire. Il reste cependant mité par plus de 30 milliards de niches fiscales.

L’impôt sur les sociétés se porte nettement moins bien, avec un peu plus de 36 milliards d’euros de recettes, soit à peine 1,8 % du PIB, ce qui signifie qu’en moyenne, les plus grandes entreprises de notre pays sont libérées en six jours d’activité du poids de leur imposition. Il faut surtout mettre en regard ces 36 milliards avec les quelque 165 milliards d’euros que nous allons d’une manière ou d’une autre rendre aux entreprises, sans compter les exonérations de cotisations sociales, les interventions budgétaires directes sous forme de subventions, les allégements de fiscalité locale et le résultat de trente années, ou peu s’en faut, de réduction des impôts.

Nous ne consacrons pas moins de 10 % du produit intérieur brut de la France à l’allégement des impôts et des obligations sociales des entreprises, sans ressentir d’effets bénéfiques sur l’emploi et l’investissement. Ceux qui en paient la note sont les ménages. La CSG, impôt sur le revenu imposé aux plus modestes, c’est-à-dire aux travailleurs pauvres et aux retraités dotés de petites pensions, n’est là que pour justifier le non-accroissement de la contribution des entreprises au financement de la Sécurité sociale !

Ces derniers mois, la mesure la plus emblématique du transfert de charges des entreprises vers les ménages a été la hausse de la TVA, qui sera effective au 1er janvier prochain. Cette mesure ressemble à la TVA sociale chère à Nicolas Sarkozy et au précédent gouvernement, qui avait pourtant été combattue par toute la gauche. Une telle augmentation ne se justifie que par la volonté de gager la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, fer de lance de votre politique de course à la compétitivité, qui est une véritable fuite en avant.

Le CICE bénéficiera à toutes les entreprises, à commencer par les entreprises du secteur de la grande distribution qui n’ont pourtant que peu de problèmes de compétitivité. Il bénéficiera également aux entreprises industrielles, sans aucune contrepartie en termes d’emploi, sans le moindre engagement de leur part, alors qu’elles licencient aujourd’hui à tour de bras. Bref, il représente un formidable gaspillage d’argent public.

Ce dispositif trahit en outre la philosophie qui est la vôtre, et qui était déjà celle de vos prédécesseurs. Vous considérez en somme que pour impulser une nouvelle dynamique à l’activité économique, il faut réduire la part de la richesse consacrée aux salariés, qui sont pourtant les premiers producteurs de richesse. Les députés du Front de Gauche estiment que c’est à la part de la richesse consacrée aux rémunérations des actionnaires qu’il faut s’intéresser car elle pèse de plus en plus lourdement dans la répartition des richesses et étouffe, bien sûr, l’investissement. Il ne peut être question pour nous d’approuver cette opération et de cautionner l’affaiblissement du pouvoir d’achat des ménages.

L’augmentation de la TVA, impôt de consommation, pèse plus lourdement sur les foyers les plus modestes et de nombreuses mesures de ce présent projet de loi, entre autres la disposition concernant les veufs et veuves ayant élevé plus de trois enfants, atteignent d’abord et avant tout les ménages. Nous savons que ce choix contribuera à la réduction de la consommation des ménages, avec les conséquences que l’on connaît pour l’activité économique et pour la vie des familles.

Le budget que vous nous présentez a aussi pour objectif la réduction de la dépense publique, qui concerne aujourd’hui presque tous les ministères. Vous nous proposez également de réduire les moyens des collectivités territoriales, afin de les inciter à diminuer leurs dépenses.

Or réduire la dépense publique, c’est réduire les services publics, dont tout le monde reconnaît le rôle décisif dans l’amortissement des effets de la crise financière et le poids dans la réduction des inégalités. Un euro de dépense publique en moins, on le sait, c’est au minimum un euro de PIB en moins. La réduction de la dépense publique pénalise la croissance. Elle est donc contre-productive pour le redressement de notre pays. Les pays européens soumis à ce régime sont d’ailleurs dans une situation inquiétante. C’est pourquoi nous ne pouvons entendre nos collègues de droite nous proposer encore plus de réductions de la dépense publique.

Pendant dix ans, la politique de la droite s’est traduite par des déficits publics accrus et une dette publique majorée de plus de 800 milliards d’euros. La poursuite de la réduction des dépenses publiques aura pour seul effet – sinon pour seul objectif – de privatiser toujours davantage les activités du secteur public pour livrer aux marchés des pans entiers de notre économie. La dette publique et le déficit public sont en fait l’instrument d’un chantage à la libéralisation et à la dérégulation qui fragilisent le socle commun de valeurs qui fonde notre République.

Cela signifie que nous devons nous interroger sur l’efficacité de la dépense publique et nous attacher à en améliorer l’efficacité, notamment en matière fiscale. Nous devons ainsi nous interroger sur l’utilité des innombrables niches fiscales, niches sociales et dispositifs dérogatoires qui bénéficient aux entreprises ou aux détenteurs de patrimoine. Les aides publiques au logement, qui représentent une dépense de 40 milliards d’euros, comprennent ainsi des mesures en faveur de l’investissement locatif dont on peut parfois légitimement se demander si elles ne sont pas plutôt des aides au secteur du BTP et aux bailleurs privés. Retrouver la maîtrise publique sur les dispositifs d’aide en évitant le recours systématique aux aides fiscales génératrices d’effets d’aubaine nous semble une priorité.

Nous estimons, pour notre part, que d’autres choix sont possibles. Un autre budget est indispensable pour mieux répondre aux attentes de la population.

À cet égard, nous regrettons qu’une réforme pour une plus grande justice fiscale n’ait pas été engagée dès la première année du nouveau gouvernement. Il est temps, pensons-nous, d’en venir à une logique d’audace et d’initiative. Parce que les exemples observés en Europe le prouvent et que les urgences sociales et économiques doivent avoir la priorité sur les gages d’orthodoxie budgétaires, nous continuerons de tenter de vous convaincre de la nécessité d’un profond changement de cap en faveur de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat.

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