Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 12 décembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Alors que ce gouvernement propose de réduire la dépense publique de 15 milliards d’euros en 2014, c’est-à-dire bien plus que ne l’a fait la précédente majorité sur les trois années précédentes, cela n’empêche pas l’opposition, sans aucune pudeur, de laisser croire que notre pays pourrait supporter des réductions de dépenses bien supérieures aux 50 milliards sur trois ans annoncés par le Gouvernement. C’est totalement déraisonnable et d’une brutalité inouïe. 50 milliards de baisse des dépenses, c’est déjà énorme, trop sans doute, et je veux le dire au Gouvernement. Sur le papier, ça passe mais dans la réalité, ça fait mal !

Je veux aussi m’insurger contre les propos des membres de l’opposition qui, pour expliquer que les moindres recettes fiscales résulteraient pour l’essentiel de prélèvements fiscaux trop élevés, qu’il faudrait bien entendu réduire, prennent la lourde responsabilité de justifier les opérations d’optimisation et même de fraude fiscale. Je trouve cela totalement irresponsable, alors que chacun sait parfaitement qu’échapper à l’impôt est un sport national et international ancien, et que c’est au moins autant le dénigrement de l’impôt auquel ils participent qui est en cause dans l’affaiblissement du consentement à l’impôt.

L’exemple de Google implanté en Irlande est de ce point de vue édifiant et d’un cynisme total. Alors que l’impôt sur les sociétés y est faible – 12 % –, la société Google, grâce à une série de montages financiers, baptisés « sandwich hollandais » ou « double irlandais », réussit à ne payer qu’un très faible pourcentage d’impôts car la quasi-totalité des revenus déclarés en Irlande, après un passage aux Pays-Bas via une société intermédiaire, est transférée dans le paradis fiscal des Bermudes où est située la filiale Google Ireland Holdings. Au moins y a-t-il une morale dans cette histoire, puisque les pays à fiscalité faible sont également confrontés à des difficultés pour collecter l’impôt. Comme quoi le civisme fiscal repose sur bien d’autres ressorts que l’impôt dit confiscatoire.

Si les recettes sont effectivement moindres que ce qui était prévu, puisqu’il manque 11 milliards, c’est principalement le résultat du ralentissement de l’activité et de la crise économique. Cela signifie-t-il qu’il est nécessaire de baisser les impôts ? Il faut rappeler que les impôts et la dépense publique permettent de financer les services publics qui jouent le rôle d’amortisseur de crise, même s’il faut les moderniser, d’assurer les investissements, même si ceux-ci doivent être mieux ciblés, et de soutenir le développement des entreprises et des formations, ce qui n’empêche pas de s’interroger sur l’efficacité des aides.

Il faut ouvrir les yeux et admettre que les remèdes de cheval infligés au pays du sud de l’Europe ont eu des effets d’austérité néfastes, au point de faire douter la communauté internationale, la commission européenne et le FMI.

Le délai de deux ans accordé à la France pour atteindre les 3 % de déficit n’est pas dû au hasard, c’est bien le résultat d’une prise de conscience qui ne semble pas devoir ébranler les certitudes de l’opposition.

Alors, s’il faut baisser les déficits et rembourser la dette pour que la réforme fiscale s’accompagne d’un nouvel élan économique, la baisse de la dépense publique n’y suffira pas, si elle est raisonnable.

C’est donc au moins autant par la restauration de la base fiscale qu’il faut agir. Et je m’adresse là principalement à la majorité et au Gouvernement, car je n’attends malheureusement pas beaucoup de l’opposition sur ce terrain. Je n’oublie pas son effacement dans différents débats, comme la loi bancaire ou la loi sur la fraude fiscale, si ce n’est pour tenter d’enrayer les dispositifs utiles à la transparence bancaire dans les paradis fiscaux ou encore la protection des lanceurs d’alerte.

Vous avez compris, chers collègues, que je veux à cet instant insister sur la nécessité absolue de s’engager plus que jamais sur ce qui doit être considéré comme la mère de toute les batailles, à savoir la restauration de l’assiette fiscale par la lutte contre ce qu’on nomme pudiquement « optimisation fiscale » et qui n’est en réalité qu’une manière d’échapper à l’impôt.

Pour cela, il est impératif de poursuivre sans relâche et d’amplifier ce qui constitue une véritable guerre à l’évasion fiscale, qu’elle soit le fait de particuliers ou d’entreprises. Il faut en finir avec les zones d’ombres de la finance et les paradis fiscaux et juridiques, où l’argent se perd, et trouver ainsi de nouvelles recettes. Ou comment augmenter les recettes fiscales sans augmenter les impôts et pénaliser les classes moyennes : c’est le défi que nous devons relever durant ce quinquennat. C’est le seul moyen d’éviter un effondrement de l’action publique et de maintenir les soutiens nécessaires à l’activité économique.

Oui, chers collègues, qui dit « prélèvement constant » pour mener la réforme fiscale ne dit pas « stabilisation des recettes fiscales ». Et qui dit « réduction du déficit » ne dit pas exclusivement « réduction des dépenses ». Je ne voudrais pas qu’on s’enferme dans la voie de la réduction trop importante et brutale des dépenses.

Si on considère l’enjeu de la réduction des déficits, autour de 50 milliards par an, la bonne mesure, la raison et la justice fiscale devraient nous conduire à partager ces 50 milliards en deux, de manière équitable : 25 milliards de réduction de la dépense et 25 milliards financés grâce à une collecte de l’impôt plus performante. Ce n’est pas irréaliste, en tout cas pas plus que la baisse sur trois ans de 50 milliards de la dépense publique.

La trajectoire de réduction de la dette publique ne sera possible que si elle est accompagnée d’une trajectoire d’extinction de l’évasion fiscale, sans laquelle il n’y aura pas de justice fiscale, ni de succès de la réforme.

Depuis un an et demi, la majorité abat un travail important et je connais, monsieur le ministre, votre détermination sur le sujet, comme celle de mes collègues de la majorité parlementaire. D’ailleurs, vous nous annoncez régulièrement le retour de nouveaux contribuables, par centaines. Nous en sommes à plus de huit mille et sans doute ce chiffre est-il dépassé à ce jour, avec une recette possible de 2 milliards supplémentaires en 2014.

La loi de finances pour 2014 témoigne de ces efforts, en exigeant des entreprises multinationales la transmission de leurs schémas d’optimisation fiscale et en renversant la charge de la preuve dès lors que les bénéfices varient d’un exercice à l’autre. Mais nous savons tous qu’il faut maintenant franchir une étape supplémentaire, à l’échelle européenne, pour mettre fin aux prix de transfert et au dumping fiscal qui anéantissent nos finances, notre économie et notre démocratie.

Si l’annonce de cette réforme fiscale a pu donner l’impression d’une décision impromptue, elle peut sonner la fin d’un cycle et être le ferment d’une mutation de notre société, que chacun pressent sans pouvoir en définir précisément le contenu.

Nous ferons des propositions, pas uniquement sur la fraude fiscale : vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre. Je ne vais pas les détailler ici, mais tout concourt aujourd’hui à la réduction des niches fiscales nuisibles à l’environnement, comme à l’allégement de la fiscalité sur le travail et sur l’énergie humaine pour lui substituer une fiscalité sur l’énergie fossile.

En conclusion, je dirai que les six mois qui sont devant nous devront permettre au Parlement de se situer au coeur de la réflexion sur la réforme fiscale, au carrefour de tous les enjeux pour l’élaboration de la synthèse. Cette période doit concomitamment permettre une avancée sur la fiscalité européenne, afin que chacun prenne conscience qu’il n’y aura pas de trajectoire de réduction des déficits sans trajectoire d’extinction de la fraude fiscale. Ainsi, nous donnerons plus de réalité au discours du Bourget, pour que la France reste en pointe dans les négociations internationales sur le contrôle de la finance.

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