Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 12 décembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Le Sénat ayant rejeté le projet de loi de finances pour 2014, nous sommes donc amenés à réexaminer le texte que nous avions adopté en première lecture. Tout naturellement, la question qui se pose est la suivante : quels sont les éléments de contexte nouveaux ?

L’avis de la Commission européenne sur le projet de plan budgétaire de la France a été rendu le 15 novembre et a ensuite été débattu par l’Eurogroupe. Cet avis a été rendu quelques jours seulement avant le vote solennel de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2014. C’est évidemment trop tard si on veut que ce document puisse avoir un quelconque effet quant à l’appréciation des parlementaires nationaux sur le projet de budget. Il est indispensable, monsieur le ministre, que vous preniez l’initiative d’un meilleur enchevêtrement temporel.

Comme le Haut Conseil aux finances publiques, la Commission européenne considère que les prévisions macroéconomiques retenues par le gouvernement français sont « plausibles ». Par ailleurs, le déficit public baisse ; moins vite que prévu certes, mais il baisse. La Commission confirme également que le projet de plan budgétaire est conforme aux règles du pacte de stabilité et de croissance.

Toutefois, la Commission émet quelques réserves. Des réserves qui ont fait l’objet de toutes les critiques. Certains considèrent que la Commission n’a pas à s’ingérer dans les affaires de la France. D’autres font dire à la Commission ce qu’elle n’a jamais dit. Enfin, certains font le choix d’ignorer ou de ne pas réellement prendre en compte ses recommandations.

Telle n’est pas la vision des radicaux de gauche, nous qui prônons une Europe plus intégrée, une Europe fédérale. On ne saurait ignorer que certaines préconisations de la Commission se justifient parfois plus par une certaine idéologie que par la raison ou les faits. Ce sera tout l’enjeu des prochaines élections européennes.

Pour autant, on ne peut ignorer ses avis. Ainsi, la Commission européenne estime que des risques à la baisse pèsent sur les recettes fiscales. Comment lui donner tort, lorsque les recettes fiscales pour 2013 seront inférieures à ce qui était prévu, à hauteur de 11 milliards d’euros ? Cet écart s’aggrave année après année, comme je l’ai déjà dit hier.

Elle considère également que l’examen des dépenses, au travers du programme de modernisation publique, « n’a donné que peu de résultats pour le moment » et « qu’on ne sait pas encore dans quelle mesure il se traduira par d’importantes économies ». Cela est exact et notre groupe s’en inquiétait déjà lors du dernier débat d’orientation des finances publiques. Les principales mesures d’économies sur les crédits des missions du budget général ne sont pas issues de la mission de modernisation de l’action publique. Les objectifs assignés au programme demeurent trop flous. Les rapports d’évaluation de la MAP sont publiés au compte-goutte. Il est indispensable d’accélérer sa mise en oeuvre pour consolider les hypothèses de dépenses.

La Commission européenne regrette surtout de « disposer de peu d’informations sur la stratégie du gouvernement pour la période allant jusqu’en 2015, date butoir pour la correction du déficit excessif ». L’examen du projet de loi de finances n’est pas nécessairement propice aux réflexions de long terme : nous nous préoccupons avant tout d’élaborer un texte législatif cohérent et un budget solide. Mais cet examen terminé, il faut s’atteler à la définition d’une stratégie de long terme.

La révision de la loi de programmation au printemps, qui paraît désormais inévitable, nous y obligera. Mais contrairement aux mois passés, il ne faudrait pas que le débat fiscal occulte tout le reste.

Pour le moment, on a principalement associé la politique de croissance à la fiscalité. Le crédit d’impôt compétitivité emploi a ainsi été créé, sans qu’on se préoccupe suffisamment de sa pertinence et de son ciblage. Il est tout de même préoccupant de concentrer les efforts budgétaires en faveur de la croissance sur un seul dispositif : c’est du moins ce qu’ont déjà déclaré les radicaux et nous le réaffirmons aujourd’hui. Le Gouvernement place beaucoup d’espoir dans ce dispositif pour redynamiser le marché de l’emploi, mais aussi bien le Haut Conseil des finances publiques que la Commission européenne considèrent que les effets du CICE en termes d’emploi sont surestimés.

Soit dit en passant, nous avons là, monsieur le ministre, une contradiction flagrante de la part de la Commission : elle pousse la France à diminuer le coût du travail pour augmenter l’emploi, mais une fois ces dispositions prises, elle prévoit que les effets en termes d’emploi seront modestes. Cela est paradoxal.

Il y a donc eu le CICE. Et maintenant, une remise à plat de la fiscalité, annoncée la veille du vote solennel sur le projet de loi de finances. Cela vaut la peine d’y revenir brièvement. Cette réforme est nécessaire et c’est pourquoi nous l’avions demandée à plusieurs reprises. Dans la discussion générale du projet de loi de finances pour 2014, nous regrettions qu’une réforme ambitieuse de la fiscalité ne soit pas mise en oeuvre. Ce que nous demandions, ce n’était pas le Grand Soir fiscal, qu’on réaliserait en quelques mois : non, ce que nous demandions, c’était une réforme d’envergure qui s’étalerait sur plusieurs années.

Par ailleurs, nous dénoncions le manque de progressivité du système fiscal. On ne peut s’émouvoir que la progressivité de l’impôt diminue dans notre pays et ne pas aménager la CSG, dont le taux fixe et l’assiette élargie engendrent plus de recettes que l’impôt sur le revenu. De même pour les entreprises. Comment peut-on aider notre réseau de PME à se développer, lorsqu’elles ont des taux d’imposition effectifs beaucoup plus élevés que les multinationales ?

Il faut cesser d’appliquer des taux nominaux élevés sur des assiettes très faibles. Les taux élevés découragent les investisseurs et agacent nos concitoyens, tandis que les faibles assiettes diminuent fortement les recettes fiscales. Il faudra des taux moins élevés et des assiettes plus larges.

Enfin, alors qu’on parle des impôts qui touchent les revenus, et en particulier les revenus du travail, rien n’est dit sur l’impôt qui vise les successions. S’il y a une cause d’injustice qui se perpétue de génération en génération, ce sont bien les successions. Pour réellement donner les mêmes chances à tous, il nous faut réfléchir à l’articulation entre impôt sur les successions et impôt sur le revenu.

Toutefois, il ne faudrait pas que le débat sur la fiscalité nous aveugle. Fonder toute la politique de croissance sur la seule question de la fiscalité serait une erreur. La France connaît un grand nombre d’obstacles et de rigidités qui ne sauraient être résolues par la fiscalité.

L’administration publique tout d’abord. Elle doit être réorganisée, modernisée, dématérialisée. La réorganisation de l’État doit être tournée vers les besoins réels de nos concitoyens et de nos entreprises. Il est étonnant d’observer que, là où on injecte de nouveaux moyens financiers, il n’y a pas nécessairement d’évolutions organisationnelles. Pourtant, on réforme d’autant mieux que les moyens sont en hausse.

La simplification des normes et des démarches administratives est indispensable. Nous nous y sommes attaqués, mais nous restons encore loin de tout ce qui peut être fait en termes de simplification et de dématérialisation des démarches administratives. Nous sommes loin du « choc de simplification » tant attendu, monsieur le ministre.

L’innovation dans les entreprises est fondamentale. Et sur ce point, on peut se féliciter du nouveau programme des investissements d’avenir qui prévoit 12 milliards d’euros sur dix ans. Mais l’innovation n’est pas seulement une question de moyens. Les entrepreneurs français doivent être plus proactifs et l’administration doit mieux les aider à innover.

Par ailleurs, la réforme du marché du travail doit être poursuivie. La loi sur la sécurisation de l’emploi est une réelle avancée pour sauvegarder l’emploi, mais il faudrait désormais atténuer la frontière entre emplois protégés et emplois précaires.

Enfin, la concurrence doit être renforcée au bénéfice du consommateur. C’est là le but du projet de loi relatif à la consommation. Il réalise quelques percées dans les professions réglementées, mais on peut se demander s’il ne faudrait pas aborder ce problème de front.

Voici pour le contexte, monsieur le ministre, mes chers collègues. D’un point de vue plus pratique, les députés du groupe RRDP ont déposé plusieurs amendements en deuxième lecture.

La règle de l’entonnoir nous empêche de revenir sur la demi-part des veuves, mais vous savez que nous sommes attachés à son rétablissement sous une forme corrigée.

Plusieurs amendements reprennent ceux déposés par des sénateurs radicaux de gauche, « par courtoisie » comme l’a si bien dit notre rapporteur général mardi. Ces amendements visent tout particulièrement à aménager le taux de TVA dans les domaines du logement et de la construction.

Par ailleurs, plusieurs amendement ont pour objet de ne pas pénaliser les bioénergies, que ce soit la biomasse ou le bioéthanol.

Concernant la taxe à 75 %, nous insistons pour que les clubs sportifs basés à l’étranger aient à payer cette taxe lorsqu’ils sont affiliés à une fédération sportive française. Le manque d’équité entre les clubs est choquant. À force de ne rien faire, nous voyons que des clubs français menacent de délocaliser leur siège. On nous demande d’attendre, mais cela fait des dizaines d’années qu’aucune solution n’a été trouvée. La taxe à 75 % va aggraver les différences existantes. Laisser les fédérations se débrouiller avec les clubs sportifs, comme certains le prônent, c’est renoncer, monsieur le ministre, à ce que l’État puisse récolter le produit de cette taxe. Nous n’avons pas les moyens de ce luxe, monsieur le ministre, mes chers collègues.

Nous sommes opposés à ce que soient remis en cause les recours juridiques contre les taux effectifs globaux erronés. Cela ne peut qu’inciter les banques à commettre des erreurs et à adopter des pratiques tout à fait répréhensibles.

De plus, nous sommes inquiets au sujet de l’emploi dans les zones de revitalisation rurales. L’emploi n’y est pas suffisamment soutenu et, sans apporter de réelles compensations, le projet de loi annule des dispositifs tout à fait utiles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe votera ce projet, mais je souhaite que nos arguments soient entendus. Et je voudrais également féliciter notre ministre du budget, le rapporteur général, le président de la commission des finances et l’ensemble des commissaires, pour tout le travail accompli lors de ce « parcours du combattant budgétaire » qui est le nôtre.

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