Ce projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de santé vise à remplir l'obligation constitutionnelle d'application du droit communautaire qui découle de l'article 88-1 de la Constitution.
L'adaptation au droit européen implique une retranscription fidèle et précise de dispositions que le législateur national ne peut pas modifier sur le fond. Mais les textes européens confèrent également des marges de manoeuvre, comme nous le verrons au cours de cet examen.
Il nous revient de traduire dans le droit national les objectifs fixés par plusieurs directives européennes, ce qui n'est nécessaire que dans la mesure où les dispositions nationales n'y satisfont pas déjà. De manière plus contraignante, il nous revient également d'adapter le droit national à un règlement européen. Contrairement à la directive, le règlement est directement applicable, mais ses dispositions peuvent être reprises à des fins d'accès au droit ; elles peuvent également être complétées, dans la mesure où le règlement l'autorise.
Enfin, lorsque la Commission européenne, gardienne des traités, constate que le droit national contrevient au droit européen ou qu'il existe un retard dans la transposition des directives, elle peut engager une procédure d'infraction pour inviter l'État membre à mettre sa législation en conformité. L'État s'expose alors à de lourdes sanctions financières. Aussi, dans tous les cas de figure, une adaptation aussi rapide et complète que possible est nécessaire.
Les mesures d'adaptation visent tout d'abord à parachever la réalisation de la libre circulation des patients en Europe. Les articles 1er, 2 et 7 complètent la transposition des dispositions de la directive du 9 mars 2011 relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.
Ce droit est d'ores et déjà largement effectif en France. L'attractivité de notre système de soin nous conduit d'ailleurs à dégager chaque année des excédents : les montants remboursés aux régimes français au titre des soins reçus en France par des personnes affiliées dans d'autres États membres – 615 millions d'euros en 2012 – sont systématiquement supérieurs aux montants des dépenses de santé remboursées par la France au titre de soins reçus dans les autres États membres par des assurés français – 481 millions d'euros en 2012.
La directive conduit à compléter deux aspects du droit existant.
Elle prévoit tout d'abord que les États membres reconnaissent la validité des prescriptions médicales établies dans d'autres États membres pour les médicaments autorisés sur leur territoire. En conséquence, l'article 7 harmonise le contenu des prescriptions transfrontalières de médicaments biologiques au sens du droit européen, c'est-à-dire les médicaments biologiques au sens du code de la santé publique ainsi que les médicaments biologiques similaires, les médicaments immunologiques, les médicaments dérivés du sang et les médicaments de thérapie innovante. La prescription doit comporter la dénomination commune internationale (DCI) des principes actifs d'une part, le nom de marque de la spécialité pharmaceutique d'autre part.
Cependant, la reconnaissance des prescriptions dans les soins transfrontaliers ne sera pleinement effective qu'à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, qui a prévu l'obligation de prescription en dénomination commune internationale pour l'ensemble des spécialités. Au préalable, la Haute Autorité de santé (HAS) doit certifier les logiciels de prescription en DCI. Les décrets d'application devraient paraître prochainement et, conformément à la loi, au plus tard le 1er janvier 2015.
La directive prévoit en outre que les prestations de santé délivrées dans les États membres doivent être couvertes par une assurance en responsabilité ou par une garantie équivalente. L'obligation d'assurance en responsabilité civile professionnelle est pleinement effective en France pour toutes les professions de santé. Cependant, elle ne s'étend pas aux actes effectués par des ostéopathes et chiropracteurs, qui ne sont pas reconnus comme professionnels de santé mais qui entrent dans le champ de la directive, puisqu'ils exercent dans le domaine des soins et que leur activité est réglementée.
L'article 1er instaure cette obligation d'assurance. Les patients bénéficieront ainsi des mêmes garanties que pour les soins prodigués par des professionnels de santé, soit jusqu'à 8 millions d'euros par sinistre et 15 millions d'euros par année. En pratique, ces plafonds sont proches de ceux des contrats de groupe qui couvrent aujourd'hui la plupart des ostéopathes et chiropracteurs ; les primes sont peu élevées car les sinistres sont rares. Mais prévoir cette garantie dans la loi est indispensable : il existe en effet plus de 19 000 ostéopathes non médecins en France et ce nombre va doubler dans les prochaines années en raison de la trop grande facilité avec laquelle, entre 2007 et 2012, des organismes privés de formation ont bénéficié d'un agrément. Les nouveaux arrivants disposent en conséquence de formations et de pratiques cliniques hétérogènes, ce qui pourrait entraîner à l'avenir une hausse des sinistres. À cet égard, je me félicite que la ministre des affaires sociales et de la santé ait engagé la réforme du secteur de l'ostéopathie, qui relève du règlement, en concertation avec les professionnels concernés. Il s'agit de mieux définir une formation de qualité et de durcir les critères d'agrément des instituts de formation. De nouveaux décrets sont attendus pour le printemps prochain.
L'article 2 prévoit les sanctions applicables en cas de manquement à l'obligation d'assurance.
En deuxième lieu, le projet de loi adapte les dispositions du code de la santé publique au règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. C'est l'objet de l'article 3.
Le règlement européen se substitue à une directive du 27 juillet 1976 plusieurs fois remaniée et qui était transposée de manière variable dans les différents États membres.
L'unification des règles applicable dans l'Union représente une simplification administrative importante et remarquée, à laquelle nos entreprises du secteur de la beauté ont intérêt. La France est le leader mondial dans ce domaine. Les deux tiers de notre production sont exportés. Le secteur, troisième contributeur de notre balance commerciale avec un excédent de 7 à 8 milliards d'euros, représente 45 000 emplois directs. La baisse des coûts administratifs de mise sur le marché dans les autres États membres n'est pas seulement favorable pour les grands groupes : elle est cruciale pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui représentent 82 % des producteurs et distributeurs de produits cosmétiques.
Le règlement clarifie les responsabilités des intervenants du secteur en définissant les obligations de la « personne responsable » du produit cosmétique, interlocuteur unique des autorités nationales sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne et garant de la conformité du produit. Désormais, la notification des informations concernant le produit, préalable à sa mise sur le marché, est centralisée auprès de la Commission européenne, qui transmet les informations aux autorités des États membres. Cette notification doit précéder de six mois la mise sur le marché si les produits contiennent des nanomatériaux. Au vu de l'extrême précision du règlement, la plupart des dispositions de l'article sont de pure retranscription ou de renvoi aux dispositions spécifiques dudit texte.
Les États conservent néanmoins des marges de manoeuvre. Le présent article maintient par exemple l'obligation de déclaration préalable à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de l'ouverture d'un établissement de fabrication ou de conditionnement de produits cosmétiques.
Le règlement prévoit que la personne responsable du produit doit notifier sans délai à l'autorité nationale compétente tous les effets indésirables graves du produit cosmétique dont elle a connaissance ; en retour, l'autorité nationale compétente doit informer ses homologues européennes de tous les effets indésirables graves qui lui sont notifiés. Le présent article complète ce dispositif européen de cosmétovigilance en maintenant l'obligation faite aux professionnels de santé de notifier les effets indésirables graves. S'agissant des autres effets indésirables, la loi prévoit une simple faculté de déclaration pour les producteurs, les professionnels de santé, les utilisateurs professionnels et les consommateurs. Ces signaux multiples contribueront à mieux repérer les effets des substances entrant dans la composition des produits cosmétiques.
Par ailleurs, la réglementation des produits de tatouage est actuellement définie en France par renvoi aux règles applicables aux produits cosmétiques ; or les modifications apportées par le règlement européen ne sauraient être étendues, en tant que telles, aux produits de tatouage. L'article 3 rétablit donc dans le code de la santé publique les règles actuellement applicables aux produits de tatouage. Il n'est pas nécessaire de les modifier entièrement : les intervenants du secteur y sont habitués et les coûts occasionnés par des modifications importantes ne seraient pas compensés par des gains tirés de l'harmonisation au plan européen, qui n'existe pas encore.
En matière de médicaments, les articles 5 et 6 achèvent la transposition des objectifs fixés par deux directives qui ont modifié la directive du 6 novembre 2011 instituant le code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.
L'article 5 transpose également la directive du 8 juin 2011, relative à la prévention de l'introduction de médicaments falsifiés dans la chaîne d'approvisionnement, en ratifiant l'ordonnance du 19 décembre 2012 prise sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 décembre 2011.
Aux termes de cette ordonnance, un médicament falsifié est un médicament qui comporte une fausse présentation des éléments entrant dans sa composition, ou de son fabricant, ou de l'historique de sa chaîne de distribution. La lutte contre la falsification des matières premières des médicaments est renforcée tant pour les substances actives que pour les excipients : une autorisation de l'ANSM est nécessaire pour toute activité de fabrication ou d'importation. En effet, 80 % de ces matières premières proviennent de pays tiers à l'Union européenne, en particulier d'Inde et de Chine. Les fabricants de médicaments devront vérifier l'authenticité des matières premières et se conformer à des obligations d'audit.
L'activité de courtage en médicament est également réglementée : il s'agit d'une activité exclusivement financière, sans manipulation de lots de médicaments, mais le contrôle des mouvements financiers par l'ANSM renforce la traçabilité des produits et permet de repérer les montages frauduleux liés aux activités des faussaires.
Enfin, la directive a fait le choix d'étendre à l'ensemble des États membres une offre légale de médicaments sur Internet. Au motif de la lutte contre la fraude, dont l'Internet est le principal vecteur, la directive intervient donc dans le domaine de la vente au détail, auparavant réservé aux seuls États membres. Les législateurs nationaux pourraient y voir une atteinte au principe de subsidiarité et envisager de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, mais ce serait en vain : la directive se fonde précisément sur l'arrêt dit « DocMorris » du 11 décembre 2003, par lequel la Cour juge que les libertés garanties par les traités ne permettent pas aux États membres d'exclure de la vente en ligne d'autres médicaments que ceux qui sont soumis à prescription.
Je tiens à souligner que ni la Cour ni la directive ne remettent en cause le droit, pour l'État membre, de prévoir le monopole de la délivrance des médicaments par des pharmaciens d'officine.
L'ordonnance a donc autorisé et encadré l'activité de vente en ligne de médicaments. Celle-ci n'est possible qu'à partir du site Internet d'une officine et le site doit être autorisé par le directeur général de l'Agence régionale de santé.
En outre, l'arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique encadre strictement les modalités de vente afin que le site Internet soit bel et bien le prolongement virtuel d'une officine de pharmacie : la préparation des commandes ne peut se faire qu'au sein de l'officine, dans un espace prévu à cet effet ; la sous-traitance à un tiers est interdite, tout comme les liens hypertexte vers les sites des entreprises pharmaceutiques.
L'ordonnance prévoyait de restreindre la vente en ligne aux seuls médicaments pouvant être présentés en accès direct au public en officine, soit environ 450 médicaments dits « de prescription officinale », qui sont les plus adaptés à l'automédication. Mais cette disposition a été abrogée le 17 juillet 2013 par une décision du Conseil d'État, au motif que le droit européen ne distingue, en vue de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), que deux catégories de médicaments : les médicaments soumis à prescription médicale et ceux qui n'y sont pas soumis.
En conséquence, l'article 5 modifie également l'ordonnance afin de prévoir expressément que la totalité des médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire pourront être vendus en ligne. Cette catégorie recouvre près de 4 500 spécialités, soit dix fois plus que celle des médicaments en libre accès. Or, sur les onze spécialités à prescription médicale facultative les plus vendues en officine, plusieurs le sont déjà « devant le comptoir ». La disposition n'élargira pas énormément le champ des médicaments disponibles.
D'après les données récentes provenant d'un échantillon de pharmacies bénéficiant de l'autorisation de vente en ligne, après sept mois d'activité, un site Internet a généré environ 235 commandes pour un chiffre d'affaires de 8 128 euros, ce qui est inférieur à 1 % du chiffre d'affaires global de ces officines et à 2,5 % des ventes d'automédication et de parapharmacie.
Rapportée à l'ensemble des officines, la vente en ligne représente 0,01 % du chiffre d'affaires et concerne à 80 % des produits d'hygiène et cosmétologie, des produits de diététique, des compléments alimentaires et des produits pour bébés. L'activité liée aux médicaments est quasi inexistante. La vente en ligne représente donc un avantage particulièrement minime pour le public au regard de la densité et de la qualité du réseau français des pharmacies d'officine, et nous nous en félicitons.
D'ailleurs, ce faible avantage compense mal la part irréductible de risque occasionnée par l'ouverture de la vente en ligne aux médicaments, même non soumis à prescription médicale obligatoire. Les faussaires, on le sait, n'hésitent pas à ouvrir des sites illégaux pour y vendre des médicaments soumis à prescription médicale falsifiés.
Il reste qu'au vu des exigences du droit européen, l'encadrement rigoureux de la vente en ligne proposé par l'ordonnance et par l'arrêté constitue la meilleure solution. Pour les autres États membres qui s'apprêtent à autoriser la vente en ligne, elle est un exemple à suivre. En tout état de cause, il sera sans doute nécessaire, dans quelques années, de modifier les textes européens.
L'article 6 transpose la directive du 25 octobre 2012 relative à la pharmacovigilance, qui définit les nouvelles obligations des titulaires d'autorisation de mise sur le marché. Actuellement, l'obligation d'information de l'ANSM est restreinte aux cas d'arrêt de la commercialisation d'un médicament dans un autre État que la France. Désormais, le titulaire doit informer l'ANSM de toute action qu'il a engagée pour suspendre la mise sur le marché, retirer le médicament du marché, solliciter le retrait de l'AMM ou ne pas en demander le renouvellement. Surtout, il doit informer l'agence des raisons de son action au regard des motifs figurant à l'article L. 5121-9 du code de la santé publique, c'est-à-dire lorsque le médicament concerné est nocif, lorsque l'effet thérapeutique fait défaut, lorsque le rapport bénéfices-risques n'est pas favorable ou lorsque le médicament n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée.
Cette nouvelle obligation de motivation imposée aux titulaires d'AMM permettra d'améliorer l'évaluation bénéfices-risques des médicaments.
Enfin, l'article 4 vise à mettre un terme à une procédure d'infraction à l'encontre de la France pour « entraves à la commercialisation des lentilles de contact » : la Commission a en effet relevé que si la vente en ligne de lentilles correctrices n'est pas interdite en France, les imprécisions des dispositions du code de la santé publique peuvent constituer un obstacle à la libre prestation de services. Après une mise en garde le 27 juin 2007, un avis motivé a été adressé à la France le 18 septembre 2008.
Le risque juridique s'est précisé en 2010 lorsque la Cour de justice a jugé qu'un règlement hongrois qui n'autorise la commercialisation de lentilles de contact que dans des magasins spécialisés est contraire à la libre circulation des marchandises et des services reconnue à l'article 34 du traité ainsi qu'à la liberté d'accès au commerce électronique consacrée par la directive du 8 juin 2000.
Le motif de santé publique avancé pour justifier l'interdiction, sur le fondement de l'article 36 du traité, ne paraissait pas proportionné à l'objectif recherché puisque des mesures moins contraignantes peuvent offrir les mêmes garanties de sécurité : si un État membre peut exiger que les lentilles de contact soient délivrées par une personne qualifiée qui attire l'attention du client sur les risques et l'invite, le cas échéant, à consulter un médecin ophtalmologiste, ces mesures peuvent être prises à distance, par des moyens interactifs, dans le cadre de la vente en ligne.
Aussi, l'article 4 du projet de loi prévoit expressément le cas de vente en ligne de lentilles oculaires correctrices. Cette vente est encadrée : les prestataires concernés doivent permettre au patient d'obtenir informations et conseils auprès d'un professionnel de santé qualifié, donc un opticien-lunetier, un orthoptiste ou un médecin ophtalmologiste.
Ces dispositions ont parallèlement été introduites par amendement à l'article 17 quater du projet de loi sur la consommation, qui les étend en outre à la vente de verres correcteurs. Le contenu des deux textes sera équivalent, sous réserve d'adopter certains amendements à l'article 17 quater, lors de son examen lundi prochain en séance publique, afin de supprimer certaines dispositions qui n'ont rien à y faire – à l'exemple du prolongement de trois à cinq ans de la durée pendant laquelle l'opticien-lunetier peut adapter la prescription du patient.
Le projet de loi sur la consommation est en deuxième lecture et ses dispositions devraient être promulguées avant celles du texte qui nous est soumis ; afin d'écarter au plus vite tout risque de condamnation de la France, il semble préférable de privilégier cet autre vecteur législatif, tout en adoptant, dans un premier temps, l'article 4 tel qu'il nous est présenté. Celui-ci pourrait ainsi être supprimé mercredi prochain en séance publique après le vote, lundi, de l'article 17 quater.