Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes sensibles à votre invitation. Nous sommes venus au titre de la DATAR et du futur Commissariat général à l'égalité des territoires, dont la préfiguration s'achèvera à la fin du premier trimestre 2014. La question de la place des territoires français dans la mondialisation doit s'apprécier à l'aune d'une politique publique que le Gouvernement souhaite mener, la politique d'égalité des territoires. Je souhaite vous démontrer qu'elle n'est pas antinomique avec la politique d'attractivité de ces mêmes territoires. Il y a simplement une articulation à trouver entre ces deux démarches pour qu'il n'y ait pas des « perdants » et des « gagnants » de l'attractivité, pour ne pas creuser l'écart de manière insupportable.
L'exposé que je vais vous présenter résulte de la réflexion de la DATAR sur ces sujets, réflexion qui est toujours collective, et qui comportera plusieurs messages : les territoires français connaissent des degrés d'ouverture variables à la mondialisation ; la mondialisation renforce le processus de métropolisation ; elle transforme le rapport des entreprises au territoire, puisqu'il y a plus de mobilités, des attentes nouvelles et plus diversifiées ; la mondialisation fragilise principalement les territoires d'industrie traditionnelle avec une population peu qualifiée ; enfin, elle se traduit par des crises à grande échelle qui impactent certains territoires plus que d'autres. Je m'appuierai sur plusieurs cartes qui vont vous être présentées.
La mondialisation résulte de choix institutionnels et économiques, et d'évolutions technologiques. Face à l'explosion du commerce mondial, qui s'explique en partie par la fragmentation du processus de production – ce qu'on appelle la division verticale du travail, d'une spécialisation des pays par filières ou par produits, on est passés à une spécialisation par stade du processus productif. Les territoires participent aujourd'hui d'un système mondialisé, qui les place dans des situations d'interdépendance de toutes natures – économique, sociale, culturelle, environnementale, migratoire, sanitaire – et à toutes les échelles, et qui les place dans des situations de concurrence pour accueillir les entreprises dans un contexte de mobilité croissante et de polarisation géographique des activités.
La première carte illustre les degrés d'ouverture variables et en même temps l'inégale attractivité des territoires. Il s'agit tout d'abord de la représentation cartographique de la part de l'emploi salarié dans les établissements d'entreprises contrôlées par des groupes internationaux en 2010 – plus la zone est foncée, plus cette part est élevée –, et, d'autre part, de la carte de la part de l'emploi salarié dans les établissements d'entreprises contrôlées par des groupes étrangers en 2010.
Un quart des salariés, hors administrations et secteur de la défense, travaillent dans des entreprises contrôlées par des groupes internationaux, mais ceci constitue une moyenne, la proportion est très variable selon les territoires. Il y a évidemment une concentration dans la région Île-de-France, dans les grandes métropoles, au nord d'une ligne allant de la Bretagne à la région Rhône-Alpes avec quelques cas particuliers dont le plus notable est celui de la région toulousaine.
Les entreprises étrangères implantées en France emploient 2 millions de personnes, soit 13 % de la population salariée. Elles assurent un tiers des exportations françaises et réalisent 20 % du total de la recherche-développement des entreprises en France. Comme le montre la deuxième carte, ces emplois se concentrent dans le quart nord-est, avec une intensité particulière en Alsace, à Toulouse avec le cas particulier d'EADS, et dans une moindre mesure en Rhône-Alpes. On a donc une attractivité différenciée de ces territoires qui s'explique principalement par la nature des activités qui y sont implantées et par la surreprésentation industrielle.
La carte suivante, issue du travail de la DATAR « Territoires 2040 », illustre les degrés d'ouverture variable au rayonnement international. L'insertion dans la mondialisation peut prendre des formes différenciées et plus ou moins intenses, notamment par le commerce international – on voit les régions exportatrices nettes et les régions importatrices –, mais aussi par les infrastructures de transport à grande vitesse, et par l'attractivité touristique, représentée ici par la concentration des restaurants étoilés, facteur très important d'activité touristique.
Sans surprise, on constate que les espaces métropolitains et frontaliers sont les plus intégrés : la moitié nord de la France et Rhône-Alpes. On observe ainsi une forte cohérence entre cette carte et la première.
La troisième carte permet de constater que la mondialisation renforce le phénomène de métropolisation. Nous y voyons la concentration progressive des emplois dans les principales zones métropolitaines, ce qui ne vous étonnera évidemment pas. Dans un contexte de mobilité et de complexité croissantes des activités économiques, les métropoles constituent des points d'ancrage, des « hubs », nécessaires. Les métropoles peuvent alors s'appréhender comme des réducteurs d'incertitude et comme des connecteurs à d'autres territoires, proches ou lointains.
Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, je souligne que je vous livre des constats, et non des appréciations. Nous constatons des faits. Il appartient ensuite aux politiques publiques d'agir sur ces faits.
Les deux cartes suivantes illustrent le renforcement, par la mondialisation, du phénomène de métropolisation. Là encore, c'est un constat. Ce phénomène va de pair avec le développement de la péri-urbanisation, et la concentration des revenus et des populations des catégories supérieures, mais aussi d'emplois peu qualifiés, dans les espaces métropolitains. Les populations d'ouvriers et d'employés se concentrent dans les espaces péri-urbains. On assiste ainsi à une différenciation fonctionnelle croissante des territoires, reproduisant à grande échelle des phénomènes déjà observés de longue date à l'échelle des villes.
La carte suivante montre que la mondialisation modifie les logiques de localisation des entreprises et leur rapport au territoire. Les critères de localisation des entreprises évoluent et se diversifient selon leur secteur d'activité, leur nature, leur taille, leur ancienneté. La mondialisation peut aussi se traduire par des relocalisations. Ainsi, la concurrence par les seuls coûts de production est plus ou moins déterminante selon la nature des productions et le type de consommateur visé, et ce d'autant plus que la délocalisation génère un certain nombre de coûts cachés, liés à l'évolution des parités monétaires et des coûts de transport, à la reprise des malfaçons, au surstockage, aux risques de péremption d'une partie des produits, aux aléas de livraison, aux difficultés de développement de nouveaux projets, etc. On l'a récemment constaté pour un certain nombre de grandes entreprises.
Cela signifie aussi que le degré de spécialisation des territoires, la nature plus ou moins délocalisable des activités qui y sont implantées, les compétences qui s'y exercent, peuvent produire des différences importantes. De ce point de vue, l'étude conduite conjointement par la DATAR et la DGCIS sur les relocalisations industrielles amène à identifier six types de zones d'emploi, qui connaissent des degrés d'ouverture au monde et des types de fragilités différents : les zones les plus dynamiques ou les plus résilientes sont les zones dites « de performance extérieure » et les zones servicielles urbaines, qui concentrent l'essentiel des relocalisations.
Sur la carte suivante, on observe que la mondialisation fragilise principalement les territoires d'industrie traditionnelle avec une population peu qualifiée. Dans l'étude DATAR-DGCIS précitée, c'est représenté par un coefficient de vulnérabilité face aux délocalisations industrielles par zone d'emploi. Les territoires les plus fragiles sont mono-industriels etou à l'écart des villes. Chaque zone d'emploi fait l'objet d'une analyse multicritères s'appuyant sur des variables de vulnérabilité, et des variables d'opportunité et de résilience.
Les deux cartes suivantes montrent que la mondialisation se traduit aussi par des crises à grande échelle qui impactent certains territoires plus que d'autres. On en vient ainsi clairement au problème de l'accroissement des inégalités territoriales.
Quand on analyse l'impact de la crise de 2008 sur le marché du travail, la seule différence entre la carte précédente et celle de la variation du taux de chômage entre fin 2007 et fin 2012 porte sur les régions Limousin et Languedoc-Roussillon, peu sujettes au risque de délocalisation du fait de la faiblesse de leur tissu industriel, mais affectées par une hausse sensible du taux de chômage du fait d'autres facteurs. Entre fin 2007 et fin 2012 la France a perdu 400 000 emplois, soit – 1,5 %. Cette variation est relativement modeste comparée à d'autres États de la zone euro, mais a eu des effets importants en termes de progression du taux de chômage, dans un pays où la population active continue d'augmenter et où certaines régions connaissent une croissance démographique plus rapide que celle de l'emploi.
En outre, la crise a frappé inégalement les secteurs d'activité, avec un fort impact sur l'emploi industriel, renforçant sensiblement les écarts entre territoires. Les zones ayant le mieux résisté se caractérisent par une surreprésentation des emplois de cadres, et correspondent pour la plupart aux espaces métropolitains. Évidemment, les choses peuvent avoir évolué depuis fin 2012, on voit notamment comment la région toulousaine est aujourd'hui affectée par la crise de certains secteurs industriels qui paraissaient pourtant bien résister jusqu'alors.
La carte du chômage et de son évolution depuis 2007 fait ainsi apparaître un choc qui aggrave significativement la situation du quart nord-est du pays et du grand bassin parisien, hors Île-de-France bien sûr. Ces territoires avaient déjà un taux de chômage élevé et une économie fragilisée. Des pertes d'emploi se poursuivent dans ce que l'on appelle la « diagonale aride » qui relie la Lorraine à l'Aquitaine. Ces pertes d'emploi ne conduisent toutefois pas à des taux de chômage très élevés, compte tenu de la faible densité de population, du poids des retraités et de la part importante des emplois publics existants. D'autre part, des créations d'emplois insuffisantes ne permettent pas de faire face à une demande qui augmente rapidement pour des raisons démographiques, notamment dans le Languedoc-Roussillon.
Par contre les activités de services, concentrées pour la plupart dans les espaces métropolitains, ont connu un ralentissement ou un léger repli suivi d'une rapide reprise. C'est un effet qui est particulièrement net dans la zone centrale de l'Île-de-France.
La dernière carte montre que la mondialisation se traduit aussi par des crises à grande échelle qui impactent certains territoires plus que d'autres. Je prends appui sur les travaux de Laurent Davezies dans son livre « La crise qui vient » pour indiquer que la crise a surtout rendu plus manifestes les fragilités préexistantes et les disparités des modèles de développement. On voit ainsi apparaître « quatre » France : une France productive qui va bien, essentiellement métropolitaine, regroupant 40 % de la population et réalisant 80 % du PIB ; une France « non marchande » – par la surreprésentation des retraités et des emplois publics – et dynamique, regroupant aussi 40 % de la population, surtout dans l'ouest et le sud ; une France productive en déclin, avec 10 % de la population, essentiellement dans les territoires industriels du nord-est ; enfin une France « non marchande en difficulté », avec 10 % de la population, vivant pour l'essentiel de revenus sociaux dans d'anciens territoires industriels.
En citant les travaux de Laurent Davezies, je ne fais pas de lui l'unique voix de la DATAR ou du futur Commissariat général. Je propose d'ailleurs que dans celui-ci soit constitué un Conseil scientifique de l'égalité des territoires réunissant les grands experts de ces questions, puisque l'on constate aujourd'hui que ceux-ci ont malheureusement tendance à s'exprimer à l'extérieur de la DATAR – ce qui est leur choix et leur droit. Je souhaite que le Commissariat général devienne ou redevienne un lieu où se confrontent les opinions. De la même manière, je souhaite qu'en son sein il y ait un Conseil d'orientation où les associations d'élus pourront s'exprimer sur la stratégie de la politique d'égalité des territoires.
En conclusion, il faut forcément relativiser l'impact de la mondialisation, c'est le sens des différentes cartes que je vous ai présentées : elle renforce des disparités préexistantes plus qu'elle ne les crée ; elle accélère des mutations préexistantes comme le recul de l'emploi industriel et l'attractivité des espaces métropolitains.
D'autre part, on peut penser qu'on ne reviendra pas massivement en arrière, mais qu'en revanche il n'est pas possible de dire que l'on ne peut pas agir. C'est le sens d'une politique d'égalité des territoires que nous souhaitons mettre en avant et que nous souhaitons mener. Nous devons évidemment essayer de trouver les voies et moyens d'agir dans ce cadre-là, notamment pour mettre en capacité les territoires pour innover, diversifier les moteurs économiques territoriaux, optimiser les écosystèmes économiques locaux, notamment en pensant le développement métropolitain de manière systémique.
Il y a un très gros travail à faire sur la complémentarité rural-urbain, pour arrêter d'opposer « monde rural » et « monde urbain ». Il faut aussi développer des politiques d'innovation prenant en compte toutes les formes d'innovation dans les territoires, y compris dans les territoires à faible densité. Cela doit amener également à promouvoir la diversité des modèles de développement en fonction des potentialités de chaque territoire.
Il est nécessaire d'optimiser les dispositifs locaux d'accompagnement des entreprises : face à une multitude d'acteurs institutionnels à toutes les échelles (agences de développement, autorités consulaires, collectivités, structures nationales), il y a un véritable enjeu de simplification et de mise en réseau. Il faut aider les territoires à travailler en mode « projet », à avoir des projets de développement cohérents, pensés à la bonne échelle, avec le travail conjoint des acteurs publics et privés.
Enfin il faut travailler à mesurer plus objectivement le degré d'ouverture au monde et la compétitivité, par une meilleure connaissance statistique mais aussi par la définition d'indicateurs nouveaux de spécialisation économique, de cartographie des compétences ou encore de cohésion sociale.