Intervention de Sylvie Tolmont

Réunion du 11 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Tolmont, rapporteure pour avis :

Dès le début de la législature, la volonté de faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes s'est manifestée par la création d'un ministère des droits des femmes de plein exercice, marquant une vraie rupture avec la précédente relégation de ce domaine au rang d'un simple secrétariat d'État ou d'un ministère délégué. Ce nouveau traitement porte l'ambition du Gouvernement de traduire l'objectif d'effectivité de l'égalité entre les femmes et les hommes par des mesures fortes, concrètes. Il s'inscrit dans le prolongement d'une priorité annoncée par François Hollande à la veille de son élection, affirmant qu'il ouvrirait un champ de conquêtes pour les droits des femmes, pour passer de l'égalité des droits à l'égalité réelle.

Devant les chiffres des inégalités qui perdurent, la définition d'une loi-cadre pour l'égalité est devenue nécessaire. L'égalité entre les femmes et les hommes doit en effet faire l'objet d'une approche transversale permettant de passer de l'incantation au réel. C'est sur cette méthode transverse que le présent projet de loi a été bâti, abordant la question des droits des femmes dans toutes ses composantes, sociale, professionnelle et, ce qui est nouveau, culturelle. La commission des affaires culturelles et de l'éducation s'est saisie pour avis des dispositions du texte concernant des secteurs relevant de son champ de compétences, dans lesquels le fait même de soulever cette question présente un caractère particulièrement novateur.

Ainsi, contrairement à une idée largement répandue, le secteur culturel n'est pas, en matière de droits des femmes, plus éclairé que d'autres ni moins sujet aux discriminations. Deux rapports de Mme Reine Prat, en 2006 et 2009, ont contribué à y rendre visible la très forte inégalité entre femmes et hommes, en particulier dans le monde du spectacle vivant. À l'instar de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), dans une brochure qui a rencontré un écho important parmi les professionnels, on ne peut, au vu des chiffres, que se demander : « où sont les femmes ? ».

Pour la saison 2013-2014, sur un ensemble significatif d'opéras, d'orchestres, de théâtres et de centres dramatiques nationaux et régionaux, la SACD a dénombré 17 femmes sur 574 chefs d'orchestre, 181 sur 730 metteurs en scène, 111 sur 552 auteurs. Sur dix-neuf spectacles de l'Opéra national de Paris, aucune des mises en scène n'a été confiée à une femme, et seulement une direction d'orchestre.

En tant que vecteur de messages d'ouverture, il est essentiel que le secteur de la culture se saisisse totalement de l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes et qu'il le mette en application dans ses pratiques et ses modes de fonctionnement, particulièrement dans les instances dirigeantes des institutions culturelles.

En écho à la mobilisation des professionnels, impulsée notamment par les collectifs HF qui cherchent à susciter une prise de conscience des inégalités entre les femmes et les hommes dans le milieu culturel, le ministère de la culture a pris des initiatives fortes et volontaires pour réduire ces inégalités. Dans ce cadre, un comité interministériel pour l'égalité des femmes et des hommes a été réuni en novembre 2012. Il a précédé le lancement d'une « Saison égalité », marquée par l'envoi d'une lettre invitant quelque 270 dirigeants d'institutions culturelles dans le domaine du spectacle vivant à inverser la tendance dans les choix de programmation et dans l'accès aux moyens de production. À l'issue de ce comité, un haut fonctionnaire à l'égalité a été nommé et un plan d'action de dix mesures a été annoncé. La création d'un observatoire de l'égalité hommes-femmes dans la culture et la communication en faisait partie. Cet observatoire a rendu son premier rapport au mois de mars dernier. Je vous proposerai d'en consacrer l'existence dans la loi afin de pérenniser cette démarche.

Je vous suggérerai également de consacrer l'objectif d'égalité entre femmes et hommes dans le champ culturel à l'article 1er du projet de loi, qui constitue un article de principe, et de supprimer, en conséquence, l'article 18 A.

Enfin, je me félicite de l'ajout par le Sénat d'un article consacré aux « matermittentes », ces femmes intermittentes du spectacle qui se retrouvent souvent privées de ressources pendant leur grossesse. Le rapport de notre collègue Jean-Patrick Gille sur les conditions d'emploi dans les métiers artistiques avait souligné l'urgence de trouver une solution à la grave discrimination dont sont victimes ces femmes.

Le deuxième axe du projet de loi traite de la lutte contre les représentations sexistes dans les médias audiovisuels et contre les représentations portant atteinte à la dignité des personnes sur internet. Il s'agit là d'un secteur stratégique pour la cause des femmes. Non seulement les médias constituent des instances de présentation d'une société correspondant à une sorte de donnée objective, mais ils participent pleinement aux discours que la société produit sur elle-même de façon subjective et à la formation de ses représentations. Agir sur la construction de ces représentations est un enjeu d'avenir. En tant qu'acteur de la construction des images et des représentations sociétales, le secteur des médias audiovisuels doit prendre part au nécessaire combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, car il peut contribuer de manière significative au changement des mentalités qui accompagnera l'égalité effective.

Or, là encore, les femmes sont à la fois absentes et caricaturées. En premier lieu, elles sont absentes des postes de direction, y compris à France Télévisions : sur les seize membres du comité exécutif du groupe, deux sont des femmes. En second lieu, elles sont absentes des contenus. Tous programmes confondus et hors publicité, 35 % des sujets représentés à la télévision sont des femmes. Ce pourcentage descend même à 13 % dans les programmes dédiés au sport.

Plusieurs initiatives ont été lancées au sein des chaînes ou du CSA pour lutter contre les stéréotypes et la relégation des femmes. Le projet de loi vise à conforter ces initiatives. L'article 16 renforce les compétences du CSA en le chargeant de veiller à une juste représentation des femmes et à la présentation objective de leur image dans les programmes. Certaines chaînes de télévision et certaines radios devront diffuser des programmes contribuant à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes. Enfin, l'article 16 modifie la loi de 1986 sur la liberté de communication afin de compléter les missions dévolues aux sociétés du secteur public en leur confiant une mission générale de mise en oeuvre d'actions en faveur des droits des femmes.

Je proposerai plusieurs amendements sur cet article. Je pense en effet qu'il convient de parler de juste représentation des femmes et des hommes, ces derniers étant, eux aussi, parfois enfermés dans des représentations caricaturales. Je vous proposerai également de préciser le champ des chaînes soumises à l'obligation de diffuser des programmes de lutte contre les préjugés et les violences faites aux femmes afin de viser, non pas l'exhaustivité des canaux de diffusion concernés, mais le plus large spectre possible d'auditeurs et de téléspectateurs.

Par ailleurs, l'article 17 du projet de loi étend le mécanisme de signalement des contenus illicites sur internet aux contenus qui provoqueraient à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, ou à la discrimination d'une de ces mêmes personnes ainsi qu'à la diffusion d'images enregistrées lors d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne.

Le troisième axe du texte concerne la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des fédérations sportives. En dépit des initiatives prises par certaines d'entre elles pour remédier à la relégation des femmes, seule l'intervention volontariste du législateur peut permettre de rompre avec un système où la domination masculine n'est que rarement remise en cause. Le monde du sport jouit d'une influence puissante en termes de transmission de valeurs identifiées comme universelles et inaliénables. À ce titre, il est de sa responsabilité de diffuser une juste représentation des femmes sportives. La pratique sportive féminine ne peut être perçue comme secondaire. De même, les instances dirigeantes du milieu sportif pourraient, en affichant la parité, insuffler une synergie vertueuse au service de la progression vers la parité au sein des licenciés.

Plusieurs fédérations sportives se sont déjà engagées résolument dans la marche vers une meilleure représentation des femmes dans leurs instances dirigeantes. Mon rapport, sur ce sujet, fait état des avancées considérables opérées par la Fédération française de football, emmenée par sa nouvelle secrétaire générale, Mme Brigitte Henriques. Toutefois, ces instances dirigeantes ressemblent encore trop souvent à des clubs exclusivement masculins, même quand les hommes ne sont qu'en minorité parmi les licenciés. Du reste, certains de ces messieurs se sont inquiétés des dispositions du présent projet de loi, réclamant que leur pourcentage d'élus ne puisse descendre sous la barre des 50 %. Je proposerai de prendre en compte, par un amendement rédactionnel, les demandes de ces promoteurs inattendus de la parité.

J'ai surtout tenu, dès que je le pouvais, à amplifier la volonté initiale du Gouvernement d'assurer une meilleure représentation des femmes – à la fois plus juste et plus ambitieuse – dans les lieux de décision du monde sportif,. Le projet de loi initial distinguait deux catégories de fédérations, selon que le sexe en minorité numérique y représentait plus ou moins de 25 % des licenciés. Pour les premières, il imposait une parité exacte au sein des instances dirigeantes, celle-ci pouvant, le cas échéant, être mise en oeuvre au terme d'une période transitoire de quatre ans. Les modifications introduites par le Sénat ont conduit à abaisser l'objectif à un niveau de 40 %, considéré comme suffisant. Il est à noter que l'effort additionnel demandé aux fédérations concernées est minime, représentant en pratique une à deux femmes supplémentaires par instance dirigeante. Aussi, en raison de cet argument, et surtout dans le but de préserver l'avancée symbolique d'une parité stricte, je suggérerai de revenir à la formulation initiale du Gouvernement.

Pour les secondes fédérations, le projet de loi prévoyait que la représentation du sexe en minorité numérique ne pouvait être inférieure à un seuil définit par décret en Conseil d'État. Les sénateurs y ont substitué un taux prenant en compte la proportion de femmes parmi les licenciés mais ne pouvant pas être inférieur à 25 %. Cette rédaction m'apparaissait insatisfaisante à double titre. D'une part, elle conduisait les fédérations à poser des règles complexes de pondération des licenciés suivant leur sexe, aboutissant au final à la fixation arbitraire d'une proportion oscillant entre 25 et 50 %. D'autre part, cette formulation ne prévoyait pas de phase transitoire pour les fédérations les moins mixtes, créant ainsi une différence de traitement défavorable aux organismes qui avaient pourtant le plus de chemin à parcourir. C'est la raison pour laquelle je proposerai de créer une phase intermédiaire pour cette seconde catégorie de fédérations, durant laquelle la part du sexe minoritaire en nombre dans les instances dirigeantes ne saurait être inférieure à 15 %.

Une fois ainsi clarifiée, les nouvelles règles de représentation dans les instances dirigeantes des fédérations agréées peuvent encore être amplifiées dans leur effet. Leur vitesse de mise en oeuvre peut être accélérée par deux moyens, le premier étant la détermination de la répartition femmes-hommes au sein de la population des licenciés, laquelle s'appréciait, jusqu'à aujourd'hui, sur la base de la population des licenciés éligibles. Je proposerai d'expliciter la rédaction actuelle du projet de loi en précisant que tous les licenciés doivent être pris en compte, quel que soit leur âge. Le second moyen repose sur les modes de scrutin lors des élections des instances dirigeantes, dont l'organisation pourrait favoriser davantage la parité. S'il n'est, bien sûr, pas question d'imposer le scrutin uninominal ou le scrutin de liste, je proposerai cependant que le mode de scrutin choisi garantisse une parité effective, de sorte que la loi ne soit pas vidée de sa substance par des manoeuvres de contournement.

Le présent projet de loi peut également être amplifié par un élargissement de son champ. À cette fin, je proposerai que les ligues professionnelles, acteurs essentiels du mouvement sportif, ne restent pas à l'écart de cette démarche nouvelle et soient astreintes, dès lors que cela est justifié, à une juste représentation des femmes et des hommes dans leurs lieux de décision.

Enfin, la lutte contre la reproduction des inégalités entre les femmes et les hommes se fonde sur une sensibilisation dès le plus jeune âge, à laquelle nous avons veillé dans la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école. Elle s'appuie aussi sur la formation des jeunes adultes afin qu'ils intègrent ces problématiques dans leur pratique professionnelle. C'est pourquoi j'ai déposé trois amendements en vue d'intégrer des modules spécifiques dédiés à l'égalité entre les femmes et les hommes dans les formations de journalistes et de professionnels du sport ainsi qu'à celles dispensées par les écoles d'art.

Ce projet de loi constitue une chance, qui ne se représentera sans doute pas, de faire progresser concrètement la cause des femmes aujourd'hui et de poser des jalons pour l'avenir. Il y a urgence à concevoir l'égalité entre les femmes et les hommes comme l'un des fondements d'une société plus juste, plus libre et plus équitable, sur lequel appuyer sereinement les bases d'une nouvelle dynamique de construction et d'évolution. Notre commission apporterait une contribution utile en votant les amendements que je vais vous présenter et en donnant un avis favorable à son adoption.

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