La seule façon de considérer que notre débat ait quelque utilité, ce serait d’y voir un appel un peu désespéré de la majorité au Gouvernement pour qu’il respecte enfin, avant que ce douloureux mandat ne s’achève, sa promesse de faire un peu en faveur de l’égalité des territoires.
L’aménagement du territoire aurait pu être, je le crois sincèrement, madame la ministre, un sujet de consensus national, comme il l’a longtemps été par le passé. Car la situation actuelle est le fruit d’une grande politique largement partagée et utile à la France : la politique d’aménagement du territoire inventée par Olivier Guichard dans les années soixante, qui consistait à répondre au diagnostic posé quelques années plus tôt par Jean-François Gravier dans son célèbre ouvrage, Paris et le désert français.
Cette politique a permis, en mobilisant d’énormes moyens publics en infrastructures de transports – autoroutes, TGV, plus récemment tramways – ainsi qu’en équipements publics, l’émergence de grandes capitales régionales, de sorte qu’aujourd’hui Marseille, Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux, Nantes et quelques autres sont de grandes métropoles attractives à l’échelle européenne. Personne ne doit regretter cet effort national.
Mais aujourd’hui, force est de constater que cette politique doit être rééquilibrée et que ce qui a fait défaut, c’est l’équilibre à l’intérieur des régions. Cela aurait dû être le rôle des conseils régionaux, qui ont reçu cette compétence d’aménagement du territoire de la première loi de décentralisation en 1982. Il n’existe malheureusement pas d’analyse de la répartition des crédits d’intervention des conseils régionaux sur leurs territoires, mais il y a tout lieu de penser que ces crédits suivent en grande partie ceux de l’État au sein des CPER – les contrats de plan État-région – qui vont, aux deux tiers, au seul département chef-lieu de région.
Le texte de la résolution évoque la « compétition entre les territoires » qu’aurait organisée le précédent gouvernement ! À l’échelle internationale, oui, il y a compétition entre les territoires et il faut nous battre ; mais est-il normal que les conseils régionaux eux-mêmes consacrent tant de moyens au développement de leurs pôles urbains et si peu à celui des territoires ruraux, au détriment de leur mission d’aménagement du territoire de la région ? Pour ma part, je ne le crois pas, et je pense qu’il y aurait là matière à réfléchir – réflexion qui pourrait être largement partagée sur les bancs de cette assemblée –, en vue de l’élaboration des prochains contrats de plan État-région ou des documents d’orientation, à la répartition des fonds européens, qui doit se faire avec plus de justice et d’égalité à l’intérieur des régions.
L’aménagement du territoire aurait pu rester aussi un sujet de consensus, car les acteurs publics, tous, sans exception, ont été pris de court par un phénomène qui aurait dû conduire à une remise à plat complète de notre politique d’aménagement du territoire : celui de la mobilité des personnes, influencée notamment par l’héliotropisme.
Ce phénomène, qui voit le département de l’Hérault gagner 12 000 habitants par an depuis vingt ans ou la communauté urbaine de Toulouse accueillir plus de 20 000 habitants nouveaux chaque année – presque 2 000 par mois –, doit appeler une réponse forte de la part de ceux qui prétendent faire de l’aménagement du territoire. L’État ne peut pas se contenter d’accompagner ce déménagement du territoire.
J’ai dit, madame la ministre, que ces sujets auraient pu être consensuels, mais ils ne le sont pas, parce qu’à défaut de répondre à ce besoin urgent d’une politique de rééquilibrage en faveur du monde rural, le Gouvernement s’est contenté de voir dans l’égalité des territoires un slogan électoral.
En 2011, le groupe socialiste, déjà riche d’initiatives, son président Jean-Marc Ayrault en tête, soumettait à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour l’instauration d’un « bouclier rural au service des territoires d’avenir ».