Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la notion d’égalité des territoires ayant fait l’objet de longs débats en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de notre assemblée, et j’ai eu plusieurs fois l’occasion de m’exprimer sur ce sujet qui me tient particulièrement à coeur. Je me réjouis donc que notre assemblée examine aujourd’hui une proposition de résolution « pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires ». Si l’égalité est une valeur centrale de notre pacte républicain, l’idée d’égalité des territoires est plus difficile à saisir et donc à intégrer dans l’élaboration des politiques publiques.
Qu’entend-on réellement par « égalité des territoires » ? S’agit-il d’assurer un développement identique à tous les territoires, ou d’offrir à tous les habitants, quel que soit le territoire où ils vivent, les mêmes opportunités ? Je pense que ce dernier objectif est celui à atteindre. La question de l’égalité des territoires est avant tout une question d’égalité entre les citoyens, cette égalité qui permet que chacun, quel que soit son milieu géographique ou social, puisse bénéficier des mêmes opportunités. Mais il ne faut pas faire assigner à la politique d’égalité des territoires la mission plus large d’assurer l’égalité entre les citoyens. Certes, il faut des services publics, des bureaux de poste dans tel ou tel quartier, des écoles dans les territoires ruraux qui en manquent, mais ce n’est pas seulement en agissant dans ce domaine que l’on résoudra la question des inégalités entre les citoyens.
Le rapport remis à la ministre de l’égalité des territoires en février dernier permet de mieux appréhender cette notion complexe d’égalité des territoires. Son auteur, Éloi Laurent, parle d’inégalités « plurielles ». Les inégalités sont en effet multiples : un territoire peut se trouver dans une situation défavorable dans tel domaine, mais pas dans tel autre. Par exemple, un territoire enclavé peut être prospère économiquement alors qu’à l’inverse, un territoire bénéficiant de bonnes infrastructures de transport peut être économiquement fragile. Si les inégalités sont plurielles, et que les critères à prendre en compte sont donc multiples, de très nombreux territoires pourraient entrer dans le champ d’action du futur Commissariat général à l’égalité des territoires : certains pour inégalités économiques, d’autres pour inégalités environnementales, d’autres pour inégalités sanitaires, d’autres encore pour des raisons d’infrastructures – notamment de transport ou de déploiement du numérique. Le risque pourrait alors être celui d’un saupoudrage de l’action publique.
Et pourtant, tout l’intérêt du rapport d’Éloi Laurent est justement d’intégrer de nouveaux critères souvent laissés de côté. Je pense notamment aux critères environnementaux : habiter dans un territoire pollué – au bord d’un axe routier ou d’un complexe industriel polluant par exemple – crée une situation d’inégalité chez les personnes qui y résident et qui peuvent, à juste titre, se sentir comme relégués dans des territoires de seconde zone. Je pense également et plus globalement aux critères de qualité de vie : un territoire moins riche peut être un territoire où le mieux-vivre est supérieur.
Résorber ces inégalités multiples est donc compliqué : sur quel critère doit-on particulièrement insister ? L’économie ? L’accès à l’éducation et à la culture ? Les transports en commun ? Le cadre de vie et l’environnement ? Tous sont à prendre en compte, et l’idée, évoquée dans la proposition de résolution, de mettre au point des indicateurs synthétiques de développement humain, est une bonne solution. Pour autant, cet indicateur ne doit pas laisser de côté certains critères. Éloi Laurent évoque également, dans son rapport, un indicateur composite pour les territoires qui agrégerait plusieurs indicateurs, sur le modèle de l’Indice de développement humain – l’IDH. Certes, il n’est pas simple d’agréger le taux de particules fines avec la qualité de l’eau, l’offre culturelle, l’offre de transports en commun ou le taux de chômage, mais le défi que cela représente est passionnant.
Une fois la question des critères définis et les territoires ciblés, l’action publique doit permettre de résorber les inégalités. Cette proposition de résolution aurait pu aller plus loin et rappeler que, puisque les inégalités sont plurielles, le développement économique, aussi soutenable soit-il, n’est pas l’unique solution. Les politiques visant à favoriser le cadre de vie ou l’offre de services publics et de transport sont tout autant essentielles, pas uniquement dans une logique de développement économique, mais pour améliorer le quotidien des habitants. Nous achevons justement l’examen de la loi sur l’affirmation des métropoles. Renforcer les métropoles, cela signifie concentrer l’activité dans certaines zones pour en faire des pôles économiques de rayonnement international – mais n’est-ce pas au détriment du reste du territoire ? On recrée ainsi une diagonale du vide. N’est-ce pas contradictoire avec l’idée d’égalité des territoires ?
La France souffre d’une crise de concentration : la crise du logement que nous connaissons dans les grandes villes est avant tout le signe de cette crise, toutes les activités s’agrégeant dans certains territoires, laissant d’autres territoires immenses à l’abandon. En concentrant l’activité dans certains pôles, on ne contribue pas à développer durablement et harmonieusement l’ensemble du territoire. La proposition de résolution évoque, à juste titre, la fermeture de nombreux services publics. Ces fermetures sont justement liées à la concentration de l’activité et des habitants dans certains pôles, entraînant la déprise d’autres territoires. Ces fermetures ont été nombreuses et aveugles sous la précédente législature, notamment dans des petites villes et des bourgs qui sont au centre d’un bassin de vie beaucoup plus important. Pendant des années, l’État n’a pas aménagé le territoire, mais a déménagé du territoire ! Le service public ne doit pas répondre à la seule logique comptable. Avant de fermer un hôpital en zone rurale ou en proche banlieue, il faut moins s’intéresser au taux de remplissage qu’au besoin des habitants.